Tribunal administratif N° 13761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2001 Audience publique du 13 mars 2002
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Recours formé par Madame …, … contre des décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d’indemnisation des employés occupés par les administrations et services de l’Etat
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13761 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2001 par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision de « classement portant la date du 6 novembre 2000 de Monsieur Joseph SCHAACK, secrétaire d’Etat pour Madame le Ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative », d’une décision du 8 janvier 2001 dudit ministre et d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 25 avril 2001 suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse le 25 janvier 2001 contre la décision du 6 novembre 2000 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 6 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 6 décembre 2001 au nom de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 28 décembre 2001 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie PRUM-CARRE, en remplacement Maître Roland ASSA et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
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Mme … a travaillé à partir du 1er août 1991 en qualité d’employée de bureau pour l’association sans but lucratif ….
En application de l’article 36 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail et par avenant à son contrat, l’association sans but lucratif … reprit le contrat de travail de Mme … avec effet à partir du 1er avril 1998.
Par contrat daté au 20 décembre 1999 portant effet à partir du 1er janvier 2000, Mme … fut engagée en qualité d’employée au Service de la Formation professionnelle du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports. Ladite convention précisa notamment que la qualité d’employée de l’Etat lui était reconnue et que « l’engagement de l’employé(e) est soumis aux dispositions du règlement modifié du Gouvernement en conseil du 1er mars 1974 fixant le régime des indemnités des employés occupés dans les administrations et services de l’Etat ».
Par arrêté du 6 novembre 2000, pris « en exécution du règlement grand-ducal du 28 juillet 2000 fixant le régime des indemnités des employés occupés dans les administrations et services de l’Etat », le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative classa Mme …, en vue de la fixation de son indemnité, comme suit : « Carrière : B1 Grade : 3 ».
Par lettre du 21 novembre 2000, Mme …, par le biais de son mandataire, s’adressa au ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports pour réclamer contre la diminution de son indemnité par rapport à celles touchées antérieurement. Elle soutint plus particulièrement qu’en absence d’une « décision de modification des conditions essentielles [de son] (…) contrat de travail » il y aurait lieu de « redresser [sa] situation (…) en tenant compte des paramètres qui [lui] furent appliqués au 31 décembre 1999 ».
Par lettre du 8 janvier 2001, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative informa le directeur de la Formation professionnelle du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports qu’il n’était pas possible de revenir sur la fixation de l’indemnité de l’intéressée, qui serait conforme à la réglementation applicable et qui ne saurait être influencée par la situation ayant existé auprès de l’ancien employeur.
Un recours gracieux dirigé contre l’arrêté précité du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 6 novembre 2000, introduit par lettre du 25 janvier 2001, fut rencontré par une décision de rejet du 25 avril 2001.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juillet 2001, Mme … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des trois décisions prévisées du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 6 novembre 2000, 8 janvier et 25 avril 2001.
La demanderesse soulève en premier lieu l’incompétence du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative pour prendre les décisions déférées. Elle soutient qu’en application de l’article 23, point 2 de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat « en l’état du texte coordonné du 6 novembre 1997 », son indemnité aurait dû être fixée par décision du gouvernement en conseil. Pour le cas où le règlement grand-ducal du 28 juillet 2000, précité, serait déclaré applicable, elle estime que les décisions auraient dû revêtir « la forme d’un règlement grand-ducal ».
En deuxième lieu, elle se fonde sur l’article 36 de la loi précitée du 24 mai 1989 pour soutenir que la reprise des activités de l’association sans but lucratif … par l’Etat s’analyserait en un transfert d’entreprise, lequel obligerait l’Etat à garantir le maintien de la situation contractuelle existante, c’est-à-dire la garantirait contre une diminution de sa rémunération.
Dans ce contexte, elle fait relever qu’elle-même, comme d’ailleurs l’ensemble de ses collègues de travail, continuerait à exercer exactement les mêmes activités, « dans les mêmes locaux avec les mêmes équipements et de la même façon » et que la seule chose qui aurait changé serait que l’Etat, « au lieu de verser des subventions à une a.s.b.l., (…) règle désormais directement les indemnités des employés et les frais liés à l’activité menée ». Elle ajoute qu’en décembre 1999, le directeur à la Formation professionnelle et d’autres fonctionnaires du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle auraient promis qu’il n’y aurait aucune modification des conditions de travail et de rémunération et qu’à aucun moment le contrat de travail la liant avec l’association sans but lucratif … n’aurait été résilié.
En ordre subsidiaire, elle fait encore état de ce qu’elle n’aurait jamais été informée que sa rémunération serait modifiée et qu’elle n’aurait jamais accepté pareil changement, de sorte qu’il s’agirait d’une modification substantielle en sa défaveur qui serait intervenue en violation des formalités prévues, sous peine de nullité, par l’article 37 de la loi précitée du 24 mai 1989.
Enfin, elle réclame une indemnité de procédure de 120.000.- francs.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris position quant aux questions de compétence ou de recevabilité des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation.
Au fond, il conteste que l’article 36 de la loi du 24 mai 1989 ait vocation à s’appliquer en l’espèce et subsidiairement qu’il y ait eu « modification dans la situation de l’employeur » et « transfert d’entreprise » au sens dudit article 36. Selon lui, il y aurait eu formation d’une nouvelle relation de travail avec un nouvel employeur, en l’occurrence l’Etat, qui ne serait pas lié par les dispositions contractuelles de l’ancien employeur et que les dispositions légales et réglementaires relatives au classement et à l’indemnisation de la demanderesse auraient été respectées.
QUANT AUX QUESTIONS DE COMPETENCE ET DE RECEVABILITE En vertu de l’article 11.1 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif statuant comme juge du fond.
Le litige sous examen se meut dans le cadre des contestations relatives à la constitution de la carrière d’une employée de l’Etat conditionnant la fixation de l’indemnité lui revenant, c’est-à-dire que le litige touche à la fois au contrat d’emploi et à la rémunération de la demanderesse, de sorte qu’y relativement un recours de pleine juridiction est ouvert conformément à l’article 11.1. précité de la loi modifiée du 27 janvier 1972.
Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai légaux.
Il s’ensuit que le recours en annulation formé à titre subsidiaire est irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
QUANT AU FOND Concernant la question de l’organe compétent, il convient de relever que les trois décisions déférées ont été prises postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 28 juillet 2000 modifiant et complétant la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat (…) en date du 1er septembre 2000, qui a notamment modifié l’article 23 paragraphe 1er de la loi précitée du 22 juin 1963 pour lui donner la teneur suivante : « 1. Les indemnités revenant aux stagiaires, employés temporaires et autres agents au service de l’Etat non visés par la présente loi sont fixées par règlement grand-ducal par référence aux règles et dans les limites prévues par celles-ci. Ce règlement peut avoir un effet rétroactif en tant qu’il a pour objet de prendre des dispositions correspondant à celles applicables aux fonctionnaires de l’Etat ».
En exécution de ladite disposition de l’article 23 de la loi précitée du 22 juin 1963 a été pris le règlement grand-ducal du 28 juillet 2000 fixant le régime des indemnités des employés occupés dans les administrations et services de l’Etat, lequel prévoit en son article 23 que « les décisions individuelles de classement sont prises par le Ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative ».
Ainsi, force est de constater que, contrairement à la thèse soutenue par la demanderesse, c’est le pouvoir réglementaire qui est appelé à fixer le régime de l’indemnisation des employés de l’Etat, tandis que la compétence pour prendre les décisions individuelles de classement en vue de l’indemnisation des employés revient au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative.
Il s’ensuit que le moyen d’incompétence du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative pour agir laisse d’être fondé et qu’il est partant à écarter.
La demanderesse, sans critiquer les décisions querellées par rapport au régime légal spécifique de l’indemnisation des employés de l’Etat, soutient en substance que sa rémunération ne saurait être inférieure à celle dont elle bénéficiait antérieurement auprès de l’association sans but lucratif …. Sa prétention est en premier lieu basée sur l’article 36 de la loi précitée du 24 mai 1989.
Ledit article 36 dispose que « (1) s’il survient une modification dans la situation de l’employeur notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et les salariés de l’entreprise (…) », c’est-à-dire qu’il énonce le principe de la persistance des contrats qui s’applique à tout transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cour d’appel 26 novembre 1998, n° 21526 du rôle, Underground c/ Sanchez, in Droit du travail I par Marc FEYEREISEN, ad. art 36).
L’article 36 reprend les principes qui découlent de la directive 77/187 du 14 février 1977 du Conseil des Communautés européennes transposée en droit luxembourgeois par une loi du 18 mars 1981, de sorte qu’il y a lieu de se référer la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes pour la définition de la notion de « modification dans la situation de l’employeur » (Cour d’appel 15 mai 1997, n° 19713 du rôle Fanello c/ Witry-
Rausch S. à R.L. et Wira S.A., loc. cit.).
Ainsi, le transfert d’une activité économique d’une personne morale de droit privé à une personne morale de droit public entre en principe dans le champ d’application de la directive 77/187 (point 29 de l’arrêt Didier Mayeur de la Cour de Justice des Communautés européennes du 26 septembre 2000, affaire C-175/99).
En l’espèce, la partie demanderesse n’est pas contredite quand elle affirme que le service de la Formation professionnelle du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports a repris et continué l’activité exercée par l’association sans but lucratif …, en ce qui concerne les volets de promotion de l’insertion professionnelle et de formation professionnelle, qu’elle-même, comme toutes ses collègues de travail, a été engagée par l’Etat, qu’elle continue de travailler « dans les mêmes locaux avec les mêmes équipements et de la même façon » et qu’« aucun élément matériel (bureau, chaise, etc…) de son environnement professionnel n’a été modifié ».
Par conséquent, comme l’activité exercée antérieurement par l’association sans but lucratif … et celle exercée actuellement par l’entité publique dont il est question en cause, à savoir le service de la Formation professionnelle du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports est restée la même et comme le personnel exerçant cette activité, l’organisation, les méthodes et les moyens de travail sont restés les mêmes, il convient de retenir que l’entité en question a gardé son identité et qu’il y a eu transfert d’une entité économique au sens de l’article 36 de la loi précitée du 24 mai 1989.
Il convient cependant de relever que le service de la Formation professionnelle du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports constitue un des services étatiques et que l’activité reprise est dorénavant exercée sous la forme d’un service public administratif et, partant selon les règles de droit public, c’est-à-dire que la reprise de l’entité économique dont il est question en cause n’est réalisable que dans la limite de sa compatibilité avec les règles de droit public qui préexistent et auxquelles l’Etat administrateur ne saurait déroger.
Or, la rémunération des employés de l’Etat n’est pas librement négociable, mais elle est directement fonction d’une réglementation impérative à laquelle les personnes de droit public ne peuvent pas déroger en recrutant de nouveaux employés.
L’ensemble des considérations qui précèdent amène le tribunal à conclure que l’intéressée aurait pu ou pourrait qualifier la diminution de sa rémunération résultant directement du transfert comme constituant une modification substantielle des conditions de travail à son détriment - pareille qualification ayant cependant inéluctablement pour conséquence qu’il y ait résiliation du contrat de travail, certes du fait de l’employeur -, mais pareille qualification n’est pas de nature à justifier la demande formulée par l’intéressée tendant à conserver sa relation de travail tout en bénéficiant de sa rémunération antérieure, c’est-à-dire à justifier que le tribunal lui reconnaisse le bénéficie d’un avantage qui se heurte au statut de droit administratif des employés de l’Etat.
Il s’ensuit que le moyen et la prétention formulée par la demanderesse ne sont pas fondés.
En second lieu, la demanderesse a encore invoqué, à l’appui de sa prétention une violation de l’article 37 de la loi du 24 mai 1989, précitée.
Force est encore de constater que même abstraction faite de toutes considérations d’applicabilité de cette disposition face aux dispositions spécifiques prévues en la matière par la réglementation publique, sur base des mêmes considérations que ci-avant développées, le non-respect de la disposition invoquée ne saurait justifier que la demanderesse obtienne le maintien de sa rémunération antérieure. Or, comme la demanderesse ne sollicite pas que sa relation de travail soit considérée comme résiliée, mais que comme dans le cadre de son précédent moyen, son recours tend à la conservation de sa relation de travail avec maintien de son statut antérieur à sa reprise par l’Etat, le tribunal doit rejeter la demande pour manquer en droit.
Il s’ensuit que la demanderesse doit être déboutée de son recours.
Enfin, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 120.000.- francs formulée par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondée, étant donné qu’elle a succombé dans ses prétentions.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable:
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 13 mars 2002, par le président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani 7