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25/02/2002 | LUXEMBOURG | N°14569

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 février 2002, 14569


Tribunal administratif N° 14569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2002 Audience publique du 25 février 2002

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Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … contre une décision du procureur général d'Etat et d'une décision de la commission prévue par l'article 12 de la loi du 26 juillet 1986 en matière de détention préventive

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 février 20

02 au greffe du tribunal administratif par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau...

Tribunal administratif N° 14569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2002 Audience publique du 25 février 2002

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Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur … contre une décision du procureur général d'Etat et d'une décision de la commission prévue par l'article 12 de la loi du 26 juillet 1986 en matière de détention préventive

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (France), actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à conférer un effet suspensif au recours en annulation introduit le 15 février 2002, portant le numéro 14568 du rôle, dirigé contre une décision délégué du procureur général d'Etat du 13 novembre 2001 l'ayant placé en régime cellulaire strict (article 3 règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l'administration et le régime interne des établissements pénitentiaires), ainsi que contre une décision de rejet du 6 février 2002 par la commission prévue par l'article 12 de la loi modifiée du 26 juillet 1986 relative à certains modes d'exécution des peines privatives de liberté, sinon d'ordonner une mesure de sauvegarde consistant à ce qu'il soit retiré du régime cellulaire strict;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;

Ouï Maître Dean SPIELMANN ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du délégué du procureur général d'Etat du 13 novembre 2001, Monsieur … fut placé en régime cellulaire strict pour une durée de trois mois. Un recours fut rejeté par décision rendue le 6 février 2002 par la commission prévue par l'article 12 de la loi modifiée du 26 juillet 1986 relative à certains modes d'exécution des peines privatives de liberté, ci-

après dénommée "la commission." Par requête déposée le 15 février 2002, inscrite sous le numéro 14568 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l'annulation des deux décisions précitées des 13 2 novembre 2001 et 6 février 2002, et par requête déposée le même jour, il a introduit un recours tendant au sursis à exécution par rapport à ces décisions, sinon à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans ce qu'il soit retiré du régime cellulaire strict.

Le délégué du gouvernement soulève l'incompétence du juge administratif pour connaître du recours au motif que tant la décision du procureur général d'Etat que celle de la commission constituent des décisions judiciaires échappant à la connaissance des juridictions administratives.

Le procureur général d'Etat est un magistrat relevant de l'ordre judiciaire. Les décisions qu'il est amené à prendre dans le cadre de son activité relèvent de l'ordre judiciaire lorsqu'elles tendent à l'élaboration d'une décision juridictionnelle. Dans le cas contraire, il peut soit poser des actes administratifs comme tels soumis au contrôle du juge administratif (V. trib. adm. 10 décembre 2001, n° 13427 du rôle), soit poser des actes de pure administration interne n'affectant pas les droits des administrés et partant soustraits à tout recours contentieux.

En l'espèce, la décision du procureur général d'Etat de placer un détenu préventif en régime cellulaire strict ne constitue pas une décision qui tend à l'élaboration d'une décision juridictionnelle, mais une mesure d'administration concernant le traitement d'un détenu en milieu carcéral. La décision du procureur général d'Etat étant une décision administrative, celle de la commission, saisie sur recours, revêt le même caractère administratif, indépendamment de la question de savoir si l'activité de la commission est à qualifier d'activité juridictionnelle ou non.

La conclusion que les décisions attaquées ont un caractère administratif est en accord avec les jurisprudences française et belge, ainsi qu'avec les vues exprimées par le législateur luxembourgeois telles qu'elles découlent des travaux préparatoires de la loi du 8 août 2000 modifiant a) certaines dispositions de la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie; b) la loi du 26 juillet 1986 relative à certains modes d'exécution des peines privatives de liberté.

En France, les décisions prises par le juge de l'application des peines déterminant les modalités du traitement pénitentiaire sont considérées comme des actes pris par des magistrats dans l'exercice de fonctions non juridictionnelles (Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Acte administratif, n° 142); il en est ainsi en particulier d'une décision plaçant un prévenu dans un quartier de plus grande sécurité (Jurisclasseur administratif, fasc.

1052, éd. 1996, n° 27).

En Belgique, les décisions prises à l'égard des détenus en prison qui n'affectent que les faveurs que le règlement général des établissements pénitentiaires permet de leur consentir sont considérées comme des mesures d'ordre intérieur sans incidence sur leur situation juridique et partant non susceptibles de faire l'objet d'un quelconque recours; il en va ainsi des transferts d'un établissement à l'autre, voire des punitions. En revanche, les décisions qui touchent aux droits que la réglementation reconnaît aux détenus sont considérées comme actes susceptibles d'un recours administratif (v. M. LEROY, Contentieux administratif, 2e éd., Bruylant 2000, p. 232).

Par un projet de loi déposé le 9 janvier 1998, le gouvernement luxembourgeois a entendu introduire dans la loi du 26 juillet 1986, précitée, un nouvel article 11-1 instaurant un 3 recours devant la commission prévue par l'article 12, contre les décisions du procureur général d'Etat relatives au déplacement d'un détenu en régime cellulaire strict, soit à titre disciplinaire, soit parce qu'il est réputé dangereux. Les auteurs du projet de loi ajoutèrent dans le commentaire des articles que "hormis un recours hypothétique devant le Conseil d'Etat, qui n'a jusqu'à ce jour pas eu l'occasion de toiser la recevabilité d'un tel recours, la réglementation actuelle ne consacre pas de façon positive et concrète le droit pour un détenu de se retourner contre une décision de placement en régime cellulaire strict" (projet gouvernemental, commentaire des articles, doc. parl. n° 4277, p. 8).

Après s'être interrogée sur l'articulation entre d'un côté le recours devant la commission et d'un autre côté le recours devant les juridictions administratives, la commission juridique de la Chambre des Députés, dans le souci de "lever toute ambiguïté en la matière", estima que suite à la décision de la commission, "un recours en réformation devant le tribunal administratif doit pouvoir être formé contre la décision de la commission", et adopta un amendement introduisant expressément un tel recours dans le texte de la loi (amendements adoptés par la commission juridique, doc. parl. n° 42771, p. 2).

Le Conseil d'Etat estima devoir s'opposer formellement à l'adoption de cet amendement, en considérant "qu'au lieu de lever toute ambiguïté en la matière, l'amendement sous examen est susceptible d'être source d'ambiguïtés." Le Conseil d'Etat concéda qu'il avait, dans un arrêt du 28 mars 1979, admis que les décisions que le procureur général d'Etat ou son délégué sont amenés à prendre au cours de l'exécution d'une peine privative de liberté ne sont pas des actes juridictionnels, mais des actes à caractère administratif relevant de la compétence du juge administratif. Il manifesta néanmoins son hostilité au projet, le craignant "lourd de conséquences: - au niveau de l'admissibilité du recours contentieux administratif de droit commun à l'encontre d'autres sanctions disciplinaires. Du moment que le législateur institue expressément un recours en réformation à l'encontre de la sanction disciplinaire du placement en régime cellulaire strict, la question se pose en effet si ce faisant il ne consacre pas implicitement l'admissibilité du recours contentieux de droit commun que constitue le recours en annulation à l'encontre des autres sanctions disciplinaires (…); - au niveau de l'admissibilité du recours contentieux administratif de droit commun à l'encontre des autres décisions que tant la commission que le Procureur général d'Etat sont amenés à prendre au titre de l'exécution d'une peine privative de liberté. Du moment que les décisions de la commission, rendues au sujet d'une condition particulière d'exécution de la peine privative de liberté, sont considérées comme des décisions administratives relevant de la compétence de la juridiction administrative, d'aucuns n'hésiteront pas à affirmer que la juridiction administrative doit être compétente pour connaître de toutes les questions se rattachant aux conditions d'exécution des peines. S'il est exact que le Procureur général d'Etat peut être amené, dans le cadre de ses fonctions de chef d'administration et de chef hiérarchique de l'administration pénitentiaire, à prendre des mesures relevant de la compétence des juridictions administratives, il n'y a cependant pas lieu d'étendre la compétence des juridictions administratives à toutes les questions se rattachant aux conditions d'exécution des peines." Le Conseil d'Etat conclut que "si les décisions en matière disciplinaire et les décisions ayant trait aux modalités d'exécution des peines privatives de liberté devaient donner lieu à un contentieux administratif systématique, on court le risque d'affaiblir le maintien de la discipline dans les prisons tout comme on court le risque de paralyser l'exécution des peines. La matière est trop complexe pour l'aborder en quelque sorte par la tangente. Si le législateur estime que la législation actuelle est trop restrictive envers les condamnés, il faudrait mener une réflexion approfondie avant de s'engager dans une voie (contentieux administratif) ou dans une autre (possibilité de recours judiciaires)." Le Conseil 4 d'Etat déclara s'opposer formellement à l'amendement "vu ses conséquences impondérables au regard notamment du principe de la séparation des pouvoirs et des ordres de juridiction" (avis complémentaire du Conseil d'Etat, doc. parl. n° 42772, p. 2 et s.).

La Commission juridique, en sa majorité, renonça à son amendement tendant à instituer un recours en réformation et déclara maintenir le système mis en place par les auteurs dans le projet de loi initial (rapport de la commission juridique, commentaire des articles, doc.

parl. n° 42773, p. 3).

S'il se dégage de toute évidence des travaux préparatoires de la loi du 8 août 2002 que sur initiative du Conseil d'Etat, le législateur a renoncé à instituer un recours au fond devant le juge administratif contre les décisions rendues en la matière par la commission, une telle renonciation au recours en annulation de droit commun ne s'en dégage ni explicitement, ni implicitement.

Au contraire, les auteurs du projet de loi estimaient qu'un recours en annulation devant le juge administratif était possible et, pour lever toute ambiguïté, entendaient consacrer expressément la possibilité d'un recours contentieux administratif, en l'amplifiant dans le sens d'un recours en réformation.

L'opposition du Conseil d'Etat semble inspirée de deux considérations. La première est d'ordre pratique en ce qu'elle traduit sa crainte de voir une avalanche de recours devant le juge administratif contre toutes les décisions prises en matière de discipline carcérale, ce qui risquerait d'affaiblir le maintien de la discipline et de paralyser l'exécution des peines. – Outre qu'une considération pratique ne saurait conduire à dénier au titulaire d'une voie de recours l'exercice de celle-ci, il faut mentionner que les recours administratifs ne sont pas suspensifs, de sorte que les recours exercés devant les juridictions administratives en matière de discipline carcérale ne seraient pas de nature à empêcher l'exécution des décisions afférentes en attendant la solution du litige, pas plus que ceux exercés devant la commission.

La seconde considération est d'ordre juridique en ce que le Conseil d'Etat affirme que la reconnaissance de l'existence d'un recours devant le juge administratif en matière de placement en régime cellulaire strict conduirait à une reconnaissance d'un droit de recours général en matière de décisions prises au titre de l'exécution des peines privatives de liberté, thèse que le Conseil d'Etat réfute en s'appuyant sur la jurisprudence française en la matière ainsi que sur celle du Comité du contentieux. Or, ainsi qu'il vient d'être relevé plus haut, tant la jurisprudence française que la jurisprudence belge opèrent une distinction entre les mesures d'ordre intérieur qui sont sans effet sur la situation juridique du détenu et donc non susceptibles d'un quelconque recours, et celles qui affectent des droits reconnus aux détenus et qui sont à ce titre susceptibles d'un recours. La reconnaissance de l'existence d'un recours devant le juge administratif contre les décisions de placement en régime cellulaire strict n'a donc pas la conséquence redoutée par la Conseil d'Etat, en ce qu'elle n'implique pas automatiquement l'existence d'un recours contentieux administratif s'étendant d'une manière systématique à toute décision prise en matière d'exécution des peines.

La suggestion du Conseil d'Etat de laisser les choses en l'état avant d'avoir procédé à une réflexion approfondie sur les implications de la mesure envisagée au regard notamment de la séparation des pouvoirs et des ordres de juridiction ne saurait être suivie par le juge saisi d'un litige qui doit statuer sous peine de se rendre coupable d'un déni de justice.

5 Une solution du litige qui affirme la compétence du juge administratif n'est en tout cas pas de nature à porter atteinte aux principes de la séparation des pouvoirs et des ordres de juridiction, puisqu'elle procède par hypothèse de la prémisse que l'acte contre lequel un recours est exercé devant le tribunal administratif constitue un acte administratif comme tel soumis au contrôle de la juridiction administrative, instituée à cet effet par l'article 95 bis de la Constitution.

Il suit des considérations qui précèdent que les objections du Conseil d'Etat contre la reconnaissance de l'existence d'un recours contentieux administratif contre les décisions prises en matière de placement d'un détenu en régime cellulaire strict relèvent plutôt de l'opportunité de légiférer en la matière que de l'état actuel du droit.

Il convient de répéter qu'en réaction à l'opposition formelle du Conseil d'Etat, la Commission juridique s'est bornée à abandonner l'institution d'un recours en réformation, mais ne s'est pas prononcée dans le sens d'une dénégation de l'existence d'un recours en annulation.

Il vient d'être dégagé par l'ensemble des considérations qui précèdent que la décision de placer un détenu en régime cellulaire strict ne constitue pas une décision judiciaire, mais une décision administrative qui, de plus, ne concerne pas des faveurs qui peuvent être consenties aux détenus, mais affecte au contraire le droit de celui-ci d'être traité selon le doit commun, de sorte qu'elle est susceptible d'un recours contentieux administratif.

Il convient ensuite d'examiner si, à l'intérieur de l'ordre administratif, le président du tribunal administratif, qui constitue une émanation dudit tribunal, peut connaître du recours.

L'article 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif dispose que le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l'égard desquelles aucun autre recours n'est admissible d'après les lois et règlements.

L'article 11-1 de la loi modifiée du 26 juillet 1986, précitée, institue contre les décisions de placement en régime cellulaire strict du procureur général d'Etat un recours devant la commission prévue par l'article 12 de la même loi.

Etant donné que la loi prévoit un recours spécifique contre les décisions de cette nature, c'est à tort que Monsieur … a saisi le président du tribunal administratif du recours en tant qu'il est dirigé contre la décision de placement prise à son encontre par le délégué du procureur général d'Etat le 13 novembre 2001.

L'article 5 de la loi du 7 novembre 1996 prévoit que les décisions rendues par des juridictions administratives autres que le tribunal administratif peuvent être frappées d'appel devant la Cour administrative, sauf disposition contraire de la loi.

Il s'agit partant de répondre à la question, soulevée d'office à l'audience, les parties ayant eu la possibilité de s'expliquer à cet égard, de savoir si la commission instituée par l'article 12 de la loi modifiée du 26 juillet 1986 est à considérer comme autorité administrative ou comme juridiction administrative, auquel cas le tribunal administratif, et partant son 6 président, statuant en matière provisoire, seraient incompétents pour connaître du recours qui devrait être porté devant la Cour administrative.

L'article 95 bis de la Constitution réserve à la loi le pouvoir de créer des juridictions administratives.

Lors de l'élaboration de la loi portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, les instances législatives ont manifesté leur réticence à considérer certaines autorités investies de pouvoirs juridictionnels comme constituant des juridictions. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a souligné "que l'on ne pourra plus se référer à différentes jurisprudences du Comité du contentieux ayant notamment décidé que tel ou tel organe avait un véritable pouvoir décisionnel pour en conclure qu'il s'agit en l'occurrence de juridictions administratives de premier degré. Notre droit positif ne connaît, à part la Chambre des comptes, pas d'autre juridiction administrative. – Même si un organe est investi de fonctions juridictionnelles (Voir Fernand Schockweiler "Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois", Nos 8 et 9) il ne constituera pas une juridiction, celle-ci devant être instituée formellement par la loi. Les recours contre les décisions des organes en question doivent donc être portés devant le tribunal administratif.

Aucun doute ne devra subsister sur cette question importante sous peine que les justiciables ou leurs conseils ne saisissent pas la juridiction compétente." Il ne se dégage pas du texte législatif ayant créé la commission que le législateur ait entendu lui conférer le caractère de juridiction.

Il est vrai qu'au-delà de la conception étroite du caractère juridictionnel d'un organe de décision telle qu'elle s'est notamment manifestée à l'occasion de l'institution des juridictions de l'ordre administratif, certaines caractéristiques d'un organe de décision permettent de conclure que le législateur lui a implicitement entendu conférer le caractère de juridiction (v.

Michel LEROY, op. cit., p. 108 et s.). A défaut de texte explicite, il ne peut cependant toujours s'agir que de présomptions. Or, outre la circonstance que certaines caractéristiques de la composition et du fonctionnement de la commission pourraient faire présumer qu'elle revêt la qualité d'organe juridictionnel, il faut constater que les travaux préparatoires ayant conduit à l'élaboration de la loi du 8 août 2000, ayant entre autres introduit le recours actuellement litigieux, contiennent une indication allant résolument dans le sens contraire. En effet, les auteurs du projet de loi avaient prévu d'instituer un recours en réformation contre les décisions de la commission devant le tribunal administratif. Si l'institution du recours en question n'a pas abouti pour les raisons exposées plus haut, il n'en découle pas moins qu'aux yeux du législateur, les recours contre les décisions de la commission ne sont pas à adresser à la Cour administrative, mais au tribunal administratif, ce qui démontre que la commission n'a pas été considérée comme une juridiction administrative du premier degré.

Il suit de ce que précède que le président du tribunal administratif, émanation de ladite juridiction, est compétent pour connaître des mesures provisoires à instituer dans le cadre d'un recours en annulation dirigé contre les décisions prises par la commission.

Au fond, Monsieur … estime que la décision attaquée viole la présomption d'innocence telle que consacrée par l'article 6, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée "la Convention", que le régime cellulaire strict est contraire à l'article 3 de la même convention qui interdit tout traitement inhumain et dégradant et qu'il est contraire à l'article 11 de Constitution qui garantit 7 notamment l'égalité des citoyens devant la loi. Il ajoute qu'il a été mis en détention préventive le 7 novembre 2001 et que le régime strict lui a été appliqué dès le 13 novembre 2001 mais qu'entre-temps, il n'a encore jamais comparu devant le juge d'instruction. Ceci témoignerait d'une manière détournée pour arriver à mettre un détenu au secret pendant une période plus longue que la période légalement admissible de 10 jours, renouvelable une fois. – Il estime par ailleurs que la décision lui cause un préjudice grave et définitif dans ce sens qu'il se réalise en continu et de manière ineffaçable, et ceci alors même qu'il serait un jour mis fin au régime dont il fait l'objet.

En vertu de l'article 11, (2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

En vertu de l'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Le moyen tiré de la violation de la présomption d'innocence ne paraît pas, au stade actuel de l'instruction, comme suffisamment sérieux pour pouvoir admettre qu'il puisse conduire à un succès du recours au fond. Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l'article 5, paragraphe 1er, c) de la Convention autorise en effet la détention préventive. Il est vrai que cette détention ne doit pas déguiser une punition anticipative, mais dès qu'il existe des indices qui font craindre que le prévenu abuse de sa liberté pour obscurcir les preuves, à récidiver ou se soustraire à la justice, des mesures provisoires appropriées peuvent être prises, y compris des mesures de sécurité strictes lorsque ces dangers sont particulièrement caractérisés, ces mesures ne portant pas atteinte à la présomption d'innocence mais répondant seulement à la gravité du danger que le prévenu ne prête pas son concours à la justice.

Le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la Convention qui interdit les traitements inhumains et dégradants ne paraît pareillement pas suffisamment sérieux. En Belgique, où un système similaire est en vigueur, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 mai 1993 (Revue trimestrielle des droits de l'homme 1994, n° 20, p. 587), a estimé que les dispositions permettant le placement des détenus en quartiers de sécurité renforcée ne laissent pas présumer qu'elles permettraient d'infliger à quelque détenu que ce soit des traitements inhumains ou dégradants.

8 Finalement, la mesure ne paraît pas contraire à l'égalité des citoyens, consacrée par l'article 10 bis de la Constitution, puisqu'elle n'établit pas de distinction non justifiée entre la situation de citoyens se trouvant dans une situation objectivement comparable.

L'affirmation de Monsieur … qu'il n'a pas encore comparu une seule fois devant le juge d'instruction depuis sa mise en régime cellulaire strict n'est pas de nature à affecter le bien-

fondé de la décision prise par la commission qui n'a eu à connaître que de la dangerosité du prévenu et non de la longueur de la durée de sa détention ou de la conduite de l'instruction, problèmes qui relèvent des juridictions appelées à connaître de la question du principe de la détention et de son corollaire, la mise en liberté provisoire.

Il suit des considérations qui précèdent que les moyens invoqués à l'appui du recours ne paraissent pas, en l'état, suffisamment sérieux pour permettre au président du tribunal administratif d'ordonner le sursis à exécution par rapport à la décision attaquée ou à instituer une mesure de sauvegarde.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, se déclare compétent pour connaître du recours, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 25 février 2002 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de Mme Wealer, greffière assumée.

s. Wealer s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 14569
Date de la décision : 25/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-25;14569 ?

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