Tribunal administratif N° 14107 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2001 Audience publique du 5 novembre 2001 Requête en sursis à exécution introduite par Monsieur (A1) et consorts, … contre un règlement grand-ducal du 27 octobre 2000 ainsi que contre l'exécution de travaux entamés le 29 octobre 2001
ORDONNANCE
Vu la requête déposée le 30 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître (B1), avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), …, et de son épouse, Madame (A2), …, les deux demeurant à L-8041 Bertrange, 222, rue des Romains, ainsi qu'en son nom propre et de celui de son épouse, Madame (B1), …, les deux demeurant à …, tendant à ordonner le sursis à exécution 1) du règlement grand-ducal du 27 octobre 2000 portant approbation des plans des parcelles sujettes à emprise et des listes des propriétaires de ces parcelles en vue de la construction de la route de liaison (N 34) entre la route d'Arlon (N 6) et la rue de l'Industrie à Bertrange/Strassen et l'exécution des différents actes ayant fait partie de la procédure, et 2) des travaux entamés le 29 octobre 2001 par l'entreprise (AA) à l'initiative du ministre des Travaux publics en vue de la route de liaison en question;
Vu les articles 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment le règlement critiqué;
Ouï Maître (B1), ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.
Par requête déposée le 4 avril 2001, inscrite sous le numéro 13173 du rôle, Monsieur (A1), …, et son épouse, Madame (A2), …, les deux demeurant à …, ainsi que Monsieur (B1), avocat à la Cour, et son épouse, Madame (B1), …, les deux demeurant à …, ont sollicité la réformation, et subsidiairement l'annulation de la procédure et notamment du règlement grand-ducal du 27 octobre 2000 portant approbation des plans des parcelles sujettes 2 à emprise et des listes des propriétaires de ces parcelles en vue de la construction de la route de liaison (N 34) entre la route d'Arlon (N 6) et la rue de l'Industrie à Bertrange/Strassen.
Se plaignant de ce que, le 29 octobre 2001, l'entreprise de construction (AA) a entamé, à l'initiative de l'Etat et plus spécifiquement du ministère des Travaux publics, des travaux d'excavation en rapport avec la route en question, les consorts (A) et (B) ont déposé, le 30 octobre 2001, une requête, inscrite sous le numéro 14107 du rôle, tendant à voir ordonner le sursis à exécution du règlement attaqué, par conséquent y inclus de la décision des pouvoirs publics de construire sur les terrains sujets à emprise la route de liaison litigieuse, jusqu'au moment de l'obtention d'une décision de justice irrévocable ayant force de chose jugée. La même requête tend encore au sursis à exécution des différents actes ayant fait partie de la procédure en vue de la construction de la RN 34 jusqu'au moment de l'obtention d'une décision de justice irrévocable ayant force de chose jugée, ainsi qu'à la suspension des travaux de construction de la route en question jusqu'au moment de l'obtention d'une décision de justice irrévocable ayant force de chose jugée.
Les demandeurs expliquent qu'outre l'existence de moyens sérieux au fond, la demande est justifiée par le risque d'un préjudice grave et définitif dans leur chef en cas de continuation de la procédure et des travaux de construction. Ils concèdent que l'affaire au fond est en état d'être plaidée à brève échéance devant le tribunal administratif — en fait, elle a été actuellement plaidée et prise en délibéré —, mais qu'elle n'est pas en état d'être jugée dans ce même délai, étant donné que, indépendamment de la question de savoir s'ils obtiendront gain de cause devant le tribunal administratif, une décision irrévocable ayant force de chose jugée n'est pas envisageable avant plusieurs mois voire une année, puisqu'en cas de gain de cause par les demandeurs, un appel de la part de l'Etat avec continuation des travaux pendant la période où une décision définitive ne sera pas intervenue est probable, et qu'en cas d'échec de la demande en première instance, les demandeurs interjetteront appel, mais sans avoir la possibilité de solliciter, devant aucune instance juridictionnelle, un sursis à exécution. Pendant toute cette période, les travaux pourront continuer, de sorte qu'au moment où une décision juridictionnelle définitive interviendra, les travaux de construction, d'une durée prévisionnelle de 450 jours ouvrables, seront achevés.
Le délégué du gouvernement déclare ne pas contester la compétence du président du tribunal en ce qui concerne la demande de sursis à exécution du règlement grand-ducal du 27 octobre 2000. Il soulève en revanche l'irrecevabilité de la demande en tant qu'elle est dirigée contre les différents actes autres que le règlement grand-ducal précité, "ayant fait partie de la procédure", ainsi qu'en tant qu'elle est fondée sur l'intérêt financier des demandeurs "en leur qualité de contribuables." Il estime par ailleurs que les moyens invoqués à l'appui de la demande au fond ne sont pas sérieux, et que le risque d'un préjudice grave et définitif n'est pas donné. Il insiste plus particulièrement sur ce que le recours au fond a d'ores et déjà été plaidé, de sorte que la demande de sursis à exécution devrait en tout état de cause être rejetée.
Telle que la demande est formulée, elle relève pour partie de l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, et pour partie de l'article 12 de la même loi. En effet, en tant que dirigée contre le règlement grand-ducal du 27 octobre 2000 et la procédure administrative subséquente, elle tend à un sursis à exécution tel qu'envisagé par l'article 11 de la loi en question — auquel renvoie l'article 18 de la même loi en cas d'actes administratifs à caractère 3 réglementaire — , et en tant qu'elle tend à voir ordonner l'arrêt des travaux entamés le 29 octobre 2001, elle a pour objet l'institution d'une mesure de sauvegarde, régie par l'article 12.
En vertu de l'article 11, (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l'affaire est en état d'être plaidée et décidée à brève échéance.
En vertu de l'article 12 de la même loi, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice, des moyens invoqués à l'appui du recours et de l'impossibilité d'obtenir un jugement sur le fond dans un bref délai. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
Les pouvoirs du président pour statuer au provisoire sont nettement circonscrits par la loi précitée du 21 juin 1999. Ils ne s'étendent qu'aux actes administratifs à caractère réglementaire ainsi qu'aux décisions administratives, à l'exclusion des jugements rendus par le tribunal administratif. En vertu de l'article 11 (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée, ils s'épuisent dès lors que le tribunal a tranché le principal ou une partie du principal. A partir de cet instant, c'est le tribunal lui-même qui, en vertu de l'article 35 de la loi du 21 juin 1999, peut ordonner l'effet suspensif du recours pendant le délai et l'instance d'appel. Dès que le tribunal statue au fond, il est seul compétent pour conférer ou non un effet suspensif au recours porté devant lui et réciproquement, le président du tribunal est incompétent pour conférer aux mesures qu'il ordonne un effet allant au-delà du jugement à rendre par le tribunal.
Le volet de la demande tendant respectivement à ordonner le sursis à exécution du règlement grand-ducal du 27 octobre 2000 et la procédure subséquente, et à ordonner la suspension des travaux de construction entamés le 29 octobre 2001, au-delà de la date du jugement à rendre au fond par le tribunal administratif, jusqu'à l'intervention d'une décision définitive coulée en force de chose jugée, est à rejeter en raison de l'incompétence du président du tribunal.
Par ailleurs, puisque l'affaire est en état d'être jugée, à tel point qu'elle a déjà été plaidée au fond à l'heure actuelle, le président du tribunal ne saurait ordonner les mesures sollicitées en attendant que le juge du fond ait statué.
Il est vrai que le pouvoir du président du tribunal d'ordonner une mesure provisoire ne s'épuise pas toujours dès lors que l'affaire au fond est en état d'être plaidée. En effet, la disposition faisant interdiction au président du tribunal d'ordonner une mesure provisoire au cas où l'affaire est en état d'être plaidée s'inscrit étroitement dans le contexte du risque d'un 4 préjudice grave et définitif, dans ce sens qu'en général, un tel préjudice ne risque pas de se produire au cas où l'affaire peut être plaidée au fond dans un délai rapproché. Il en découle cependant qu'il y a lieu d'excepter l'hypothèse dans laquelle un préjudice grave et définitif risque de se réaliser intégralement avant le jugement au fond, ce qui serait le cas, p. ex., de travaux de démolition d'un immeuble pouvant être entamés et achevés, le cas échéant, en une seule journée. En l'espèce cependant, la réalisation de travaux d'excavation pendant la durée du délibéré de l'affaire ne comporte pas un tel risque. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner de sursis à exécution ni de mesure de sauvegarde en attendant que le tribunal administratif ait rendu son jugement.
Il y a cependant lieu de réserver l'hypothèse où le tribunal ne rendrait pas un jugement tranchant le principal ou une partie du principal au sens de l'article 11 (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée, c'est-à-dire s'il rendait un jugement exclusivement avant dire droit. Dans ce cas, l'affaire ne serait pas en état d'être jugée à brève échéance et elle pourrait faire l'objet d'un réexamen devant le président du tribunal, statuant dans le cadre des articles 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999, précitée.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, se déclare incompétent pour connaître du recours en sursis à exécution et pour ordonner des mesures provisoires en tant que l'effet de ces mesures doit se prolonger au-delà d'un jugement tranchant le principal ou une partie du principal à rendre par le tribunal administratif, déclare le recours, en l'état, non justifié pour le surplus, dit qu'au cas où le jugement que le tribunal administratif rendra ne tranchera pas le principal ou une partie du principal, le président dudit tribunal pourra être saisi à nouveau du litige sur simple demande de la partie la plus diligente, réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 5 novembre 2001 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani