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27/06/2001 | LUXEMBOURG | N°13580

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2001, 13580


Tribunal administratif N° 13580 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2001 Audience publique du 27 juin 2001

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Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, épouse …, contre une décision du ministre de l'Intérieur et l'administration communale de … en matière d'emploi

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Anja REISDOERFER, avo

cat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …,...

Tribunal administratif N° 13580 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2001 Audience publique du 27 juin 2001

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Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, épouse …, contre une décision du ministre de l'Intérieur et l'administration communale de … en matière d'emploi

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ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Anja REISDOERFER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, employée par la Ville de … et chargée du cours de danse de jazz au Conservatoire de la Ville de …, demeurant à F-…, tendant à conférer un effet suspensif au recours en réformation, subsidiairement en annulation introduit le 26 janvier 2001, portant le numéro 12818 du rôle, dirigé contre une décision du ministre de l'Intérieur du 30 octobre 2000, portant refus de dispenser la demanderesse de l'épreuve dans les trois langues administratives du pays, à savoir le luxembourgeois, le français et l'allemand, imposée aux chargés de cours de l'enseignement musical, sinon d'ordonner une mesure de sauvegarde consistant à la maintenir dans sa situation d'emploi actuelle jusqu'à dessaisissement du juge appelé à connaître du fond du litige;

Vu l'exploit de l'huissier de justice suppléant Carlos CALVO, demeurant à Esch-sur-

Alzette, du 19 juin 2001, portant signification de la prédite requête en effet suspensif sinon en obtention d'une mesure de sauvegarde à l'administration communale de …;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï Maître Anja REISDOERFER, Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER et Maître Louis BERNS, avocat constitué pour l'administration communale de …, en leurs plaidoiries respectives.

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Le 25 avril 2000, le ministre de l'Intérieur adressa aux administrations communales, syndicats et établissements publics placés sous la surveillance des communes une circulaire, dans laquelle il rendit attentif aux dispositions du règlement grand-ducal du 25 septembre 1998 fixant les conditions de formation, d'admission aux emplois et de rémunération des chargés de cours des établissements d'enseignement musical du secteur communal, et en particulier à celle exigeant que les chargés de cours fassent preuve d'une connaissance adéquate des trois langues administratives du pays.

Après avoir été informée du contenu de la circulaire en question par son employeur – la Ville de … – Madame …, épouse …, sollicita une entrevue avec les responsables communaux pour leur expliquer qu'en raison de son ancienneté de service – dix-neuf ans – et du caractère non rétroactif du règlement grand-ducal imposant l'épreuve de connaissance des trois langues, elle estimait ne pas être obligé de se soumettre aux dites épreuves. Elle adressa par ailleurs, le 20 octobre 2000, par l'intermédiaire de son mandataire, au ministre de l'Intérieur une demande tendant à obtenir une dispense complète de l'épreuve dans les trois langues administratives.

Par lettre du 30 octobre 2000, le ministre répondit d'une part que Madame … n'avait pas encore adressé de demande à la commission de contrôle en vue de bénéficier d'une éventuelle dispense de l'examen dans l'une ou l'autre langue, de sorte qu'il ne pouvait pas confirmer les dispenses telles que souhaitées, et, d'autre part, qu'il tenait à l'informer qu'une dispense totale des épreuves n'est légalement pas possible.

Par requête déposée le 26 janvier 2001, Madame … a introduit devant le tribunal administratif un recours tendant principalement à voir constater, par réformation, au vu de sa qualité d'employée communale à durée indéterminée non résiliable avec droit à l'application du régime de pension des fonctionnaires communaux, que le ministre de l'Intérieur est tenu de l'exempter de l'épreuve de contrôle des connaissances des trois langues administratives, sinon qu'il est tenu de lui accorder un délai supplémentaire de trois ans en vue de la préparation de l'épreuve de contrôle des connaissances, et subsidiairement à voir annuler la décision ministérielle du 30 octobre 2000.

Par requête déposée le 15 juin 2001, Madame … sollicite du président du tribunal administratif d'ordonner un sursis à exécution par rapport à la décision négative du ministre de l'Intérieur du 30 octobre 2000, sinon d'ordonner une mesure de sauvegarde consistant à la maintenir dans sa situation d'emploi actuelle jusqu'à dessaisissement du juge appelé à connaître du fond du litige.

L'Etat et la Ville de … contestent en premier lieu la compétence des juridictions administratives à connaître du litige.

En vertu de l'article 11.1. du règlement grand-ducal modifié du 26 mai 1975 portant assimilation du régime des employés communaux à celui des employés de l'Etat, les contestations résultant du contrat d'emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond.

La compétence des juridictions administratives et, par voie de conséquence, du président du tribunal administratif, est partant conditionnée par la qualité d'employé communal de l'agent qui est en litige avec une commune concernant son contrat d'emploi, étant entendu que les contestations résultant des contrats d'emploi conclus avec les employés auprès des communes qui ne bénéficient pas du statut d'employés communaux tel que prévu par le règlement grand-ducal du 26 mai 1975 portant assimilation du régime des employés communaux à celui des employés de l'Etat et par la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux relèvent de la compétence des juridictions du travail de l'ordre judiciaire.

Alors qu'en principe, à la différence du fond de l'affaire qu'il ne saurait préjuger, le président du tribunal doit examiner et soit affirmer, soit nier sa compétence à connaître du litige, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, sa compétence dépend directement d'une question de fond, auquel cas il doit se borner à examiner le sérieux des moyens pouvant amener le juge du fond à constater sa compétence, et ordonner des mesures provisoires compatibles avec une compétence hypothétique du tribunal ainsi que, par voie de conséquence, de sa propre juridiction.

Madame … entend tirer sa qualité d'employée communale du fait qu'elle est aux services de la commune depuis le 1er septembre 1982 de façon ininterrompue, qu'elle fut engagée à chaque reprise aux termes d'une délibération du conseil communal et que les délibérations font référence aux textes réglementaires et législatifs relatifs aux fonctionnaires et employés communaux.

La Ville de … rétorque qu'il se dégage des différentes délibérations du conseil communal que les nominations successivement intervenues étaient essentiellement provisoires comme ne dépassant pas la durée de l'année scolaire en cours, une telle relation de travail à durée déterminée étant inconciliable avec le statut d'employé communal. Elle ajoute que l'absence d'engagement de la demanderesse sous la dénomination formelle d'employée communale étaye la qualification d'employée privée de la demanderesse, ce qui entraînerait l'incompétence des juridictions administratives à connaître du litige.

En vertu de la jurisprudence des juridictions administratives, l'article 6, alinéa 2 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, qui dispose qu'à défaut d'écrit ou d'écrit spécifiant que le contrat de travail est conclu pour une durée déterminée, celui-ci est présumé être conclu pour une durée indéterminée, et l'article 10 de la même loi, qui prévoit que si la relation de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-

ci devient un contrat à durée indéterminée, sont applicables aux employés publics (trib. adm.

30 juillet 1997, n° 9937 du rôle). L'exigence d'un écrit s'applique tant au premier engagement de l'employé public que, dans le cadre d'une succession de contrats à durée déterminée, à chaque contrat d'engagement subséquent considéré isolément (trib. adm. 14 juillet 1999, nos.

11079 et 11098 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 6 juillet 2000, n° 11498C du rôle).

En l'espèce, les pièces versées documentent une succession incomplète de contrats d'engagement à durée déterminée de Madame …. Seul est versé le contrat d'engagement pour l'année scolaire 1995/1996, signé le 9 janvier 1996. Ce contrat mentionne que la demanderesse est en service auprès du Conservatoire depuis le 1er septembre 1982 en qualité de chargée de cours de danse de jazz. Aux termes du contrat en question, celui-ci est régi tant par la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, que par le règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des articles 5, 8, 34 et 41 de la loi précitée. Le même contrat se réfère encore au règlement communal concernant l’occupation et la rémunération des chargés de cours du conservatoire de musique du 12 juillet 1991, approuvé par le ministre de l’Intérieur en date du 1er août 1991, mais excepte l'applicabilité de l'article 3 dudit règlement qui dispose en son alinéa 3 que les chargés de cours du conservatoire de musique de la Ville de … “ jouissent du statut de l’employé communal avec contrat de louage de services à durée déterminée conformément à la législation en vigueur sur le contrat de travail." Une délibération du conseil communal du 25 novembre 1996, relative à l'année scolaire 1996/1997, la seule versée, précise cependant bien que les personnes concernées sont engagées comme "chargés de cours", et se réfère par ailleurs de manière expresse au règlement communal du 12 juillet 1991, mais sans se référer à l'article 3 pour en excepter l'applicabilité.

Il est vrai que le règlement communal en question est considéré comme illégal par la jurisprudence administrative (trib. adm. 18 novembre 1999, n° 11003 du rôle), mais la délibération du conseil communal du 25 novembre 1996 est susceptible de constituer un des éléments d'appréciation pouvant conduire le juge du fond à conclure à l'existence d'un statut d'employée communale dans le chef de la demanderesse.

Il se dégage par ailleurs de la jurisprudence administrative qu'une personne qui n'accomplit qu'une tâche à temps partiel au sein d'une administration communale, peut avoir la qualité d'employé communal, qu'elle dispose d'un contrat à durée déterminée ou d'un contrat à durée indéterminée (trib. adm. 18 novembre 1999, précité; 19 juillet 2000, n° 11124 du rôle).

Il suit des considérations qui précèdent que Madame … invoque des éléments suffisamment sérieux pour qu'il soit possible que le tribunal administratif, siégeant au fond, se reconnaisse compétent pour connaître du litige, et que, par voie de conséquence, le président du tribunal soit lui-même compétent pour statuer sur les mesures provisoires demandées dans ce cadre.

Le délégué du gouvernement et la Ville de … soulèvent encore l'irrecevabilité de la demande au motif que le recours ne serait pas dirigé contre une décision administrative faisant grief, la prétendue décision du ministre de l'Intérieur du 30 octobre 2000 ne constituant qu'une simple information d'une situation légale. Ils font valoir en ordre subsidiaire qu'il s'agirait en l'occurrence d'une décision négative qui ne saurait faire l'objet d'un sursis à exécution.

La lettre du ministre de l'Intérieur du 30 octobre 2000 fait suite à une demande adressée par la mandataire de la demanderesse tendant à se voir accorder une dispense totale de l'épreuve de connaissance des trois langues administratives. Le ministre y répond en exposant la situation légale et réglementaire telle qu'il l'envisage. Quant à la demande de dispense totale de l'épreuve de langues, il répond: "A titre d'information, je vous signale qu'une dispense totale de l'examen en question n'est pas prévue mais que les dispenses sont accordées au cas par cas et au vu des pièces jointes à la demande." Ce passage de la lettre du ministre formule de manière suffisamment claire un refus du ministre d'accorder à la requérante une dispense totale de l'épreuve. Il est vrai que le ministre se place dans le cadre des dispenses pouvant être légalement accordées à ceux qui justifient autrement la connaissance de l'une ou de l'autre des trois langues, et que la demanderesse a sollicité une telle dispense en se prévalant de son statut devant la dispenser de l'intégralité de l'épreuve, indépendamment de l'état concret de ses connaissances des trois langues. Toujours est-il que le ministre lui signale clairement son refus de la dispenser de l'épreuve.

Dans ce sens, sa lettre du 30 octobre 2000 a les apparences suffisantes pour constituer une décision administrative faisant grief et contre laquelle Madame … a pu exercer un recours contentieux sans devoir attendre de se voir appliquer, après l'écoulement du délai prévu pour passer l'épreuve de langues, les conséquences légales découlant d'un refus de s'y soumettre.

En ce que la décision ministérielle critiquée, encore qu'elle cause préjudice à Madame …, constitue cependant une décision négative qui ne modifie pas sa situation de droit ou de fait antérieure, celle-ci n'étant susceptible d'être modifiée que par les conséquences tirées ultérieurement par l'administration communale du refus de la demanderesse de se soumettre à l'épreuve de langues, elle ne saurait faire l'objet d'une mesure de sursis à exécution. Elle est en revanche susceptible de faire l'objet d'une mesure de sauvegarde.

En vertu de l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils. Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

Concernant la condition du risque d'un préjudice grave et définitif, il y a lieu de constater que dans l'hypothèse où le tribunal administratif se déclarerait compétent pour connaître de la demande, il aurait nécessairement reconnu la qualité d'employée communale à la demanderesse. Cette qualité implique que la résiliation du contrat d'engagement ne peut être prononcée, en vertu de l'article 6 du règlement grand-ducal du 26 mai 1975, précité, que pour les conditions qui, à l'égard des fonctionnaires, entraînent la perte de l'emploi, du titre et des droits à la pension. La loi modifiée du 24 décembre 1985 ne prévoit pas, au titre des causes de cessation des fonctions, l'absence de connaissance des trois langues administratives du pays, et le règlement grand-ducal du 25 septembre 1998 qui impose aux chargés de cours des établissements d'enseignement musical du secteur communal la connaissance de ces trois langues ainsi que des épreuves afférentes, ne prévoit à son tour pas de résiliation du contrat d'engagement au cas où l'agent ne ferait pas preuve de la connaissance des trois langues en question.

Il s'ensuit qu'au cas où la commune aurait résilié le contrat d'engagement de Madame … et que la qualité d'employée communale serait reconnue à celle-ci par le tribunal, cette résiliation serait sans effet et elle aurait droit, rétroactivement, à un paiement ininterrompu de sa rémunération.

Il s'ensuit encore que, dans cette hypothèse, la demanderesse n'aurait pas subi de préjudice définitif, étant donné qu'elle pourrait rentrer pleinement dans ses droits. Or, le président du tribunal administratif ne saurait ordonner une mesure provisoire qu'au cas où l'administré risque de subir un préjudice grave et définitif.

Si, en revanche, le tribunal administratif se déclarait incompétent, il dénierait par là même à la demanderesse la qualité d'employée communale, de sorte que ce serait à tort que celle-ci a revendiqué l'application de mesures découlant du statut en question, des mesures provisoires ordonnées dans ce cadre se révélant alors injustifiées car ordonnées par un juge incompétent.

Il suit des considérations qui précèdent que les conditions pour la prise d'une mesure de sauvegarde ne sont pas remplies, que la demanderesse bénéficie ou non du statut d'employée communale.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, se déclare compétent pour connaître de la demande, déclare la demande en sursis à exécution irrecevable, déclare la demande en institution d'une mesure de sauvegarde non justifiée et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 27 juin 2001 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 13580
Date de la décision : 27/06/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-06-27;13580 ?

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