La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/05/2001 | LUXEMBOURG | N°13446

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mai 2001, 13446


Tribunal administratif N° 13446 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2001 Audience publique du 28 mai 2001

===========================

Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution de mesures de sauvegarde introduite par 1) European Fund Administration S.A., Luxembourg, 2) à 4) … contre l'article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg, et contre une décision du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001

--------------------------------------


ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 mai

2001 au greffe du tribunal administratif par Maîtres Jean WELTER et Marc ELVINGER, avocats à la C...

Tribunal administratif N° 13446 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2001 Audience publique du 28 mai 2001

===========================

Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution de mesures de sauvegarde introduite par 1) European Fund Administration S.A., Luxembourg, 2) à 4) … contre l'article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg, et contre une décision du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001

--------------------------------------

ORDONNANCE

Vu la requête déposée le 15 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maîtres Jean WELTER et Marc ELVINGER, avocats à la Cour, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, domicile ayant été élu en l'étude de Me Jean WELTER, avocat constitué, au nom des sociétés de droit luxembourgeois 1) European Fund Administration S.A., Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1122 Luxembourg, 2, rue d'Alsace, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, 2) à 4) …, tendant à conférer un effet suspensif au recours en en annulation introduit le même jour, portant le numéro 13445 du rôle, dirigé d'une part contre l'alinéa 2 de l'article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg, adopté le 26 mars 2001 par le conseil communal, publié le 9 mai 2001, sinon contre l'article 48 dans son ensemble, sinon et, pour autant que de besoin, contre ce règlement dans son intégralité, et d'autre part contre une décision du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001, refusant de saisir le Grand-Duc d'une réclamation que les quatre demanderesses lui avaient adressée le 11 avril 2001, sur base de l'article 103 de la loi communale du 13 décembre 1988, sinon d'ordonner une mesure de sauvegarde;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 22 mai 2001, portant signification de la prédite requête en sursis à exécution sinon en obtention d'une mesure de sauvegarde à l'administration communale de la Ville de Luxembourg;

Vu les articles 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;

Vu les pièces versées et notamment les règlement communal et décision ministérielle attaqués;

Ouï Maîtres Jean WELTER et Marc ELVINGER pour les demanderesses, Maître Jean KAUFFMAN pour l'administration communale de la Ville de Luxembourg, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

2

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 26 mars 2001, le conseil communal de la Ville de Luxembourg adopta un nouveau règlement général de police, dont l'article 48 est libellé comme suit:

"Dans l'intérêt de la sécurité et de la commodité des usagers de la voie publique, de la salubrité et de la tranquillité publiques, il est interdit à toute personne de s'exposer sur la voie publique en vue de la prostitution.

Par dérogation à ce qui précède, cette interdiction ne s'applique pas entre 20.00 heures et 3.00 heures dans les rues limitativement énumérées ci-après, à condition que ni la sécurité et la commodité du passage ni la salubrité et la tranquillité publiques ne s'en trouvent affectées:

- rue d'Alsace, tronçon compris entre la Place de la Gare et la rue Wenceslas Ier, - rue Wenceslas Ier." Le 11 avril 2001, les sociétés European Fund Administration S.A., … et …, firent adresser au ministre de l'Intérieur une réclamation demandant que le Grand-Duc, conformément à l'article 103 de la loi communale, annulât l'article 48 précité du règlement général de police de la Ville de Luxembourg comme étant contraire aux articles 382 et 563 du code pénal, au principe d'égalité devant les charges publiques, ainsi qu'à l'article 6 de la Convention de New York sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

Par lettre du 27 avril 2001, le ministre de l'Intérieur informa les mandataires des quatre sociétés de son refus de saisir le Grand-Duc en vue de l'annulation de la disposition incriminée du règlement général de police.

Le 15 mai 2001, les quatre sociétés préqualifiées ont alors introduit un recours en annulation, inscrit sous le numéro 13445 du rôle, dirigé, d'une part, contre l'alinéa 2 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg du 26 mars 2001, sinon contre l'article 48 dans son intégralité, sinon, et pour autant que de besoin, contre le règlement de police dans son intégralité, et, d'autre part, contre la décision du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001.

Par requête déposée le même jour, elles ont présenté une demande tendant à conférer un effet suspensif au recours en annulation, sinon d'ordonner une mesure de sauvegarde consistant à son tour dans la suspension de l'application de la disposition incriminée, en attendant la solution du litige au fond.

COMPETENCE En vertu de l'article 18 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal ou le magistrat qui le remplace peut ordonner l'effet suspensif d'un recours dirigé contre un acte administratif à caractère réglementaire dans les conditions et selon la procédure de l'article 11 de la même loi.

Il se dégage de cette disposition que si le président du tribunal est bien compétent pour ordonner le sursis à exécution d'un acte réglementaire, la loi ne lui confère pas de compétence pour ordonner, dans la matière des actes réglementaires, des mesures de sauvegarde, à l'instar 3 de la compétence afférente qu'il tire de l'article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 en matière d'actes à portée individuelle.

Il s'ensuit que le soussigné est incompétent pour connaître de la demande en institution d'une mesure de sauvegarde demandée en ordre subsidiaire.

RECEVABILITE La commune et l'Etat soulèvent l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'intérêt à agir dans le chef des sociétés …, au motif que ces entreprises ne sont pas situées dans le secteur défini par l'article 48, alinéa 2 du règlement de police dans lequel il est permis de s'exposer sur la voie publique en vue de la prostitution.

Ce moyen n'est fondé à l'égard d'aucune des trois sociétés visées.

En effet, en ce qui concerne la société …, l'entrée de l'entreprise est située à moins de cent mètres du secteur défini par le règlement de police incriminé, et ses avocats ont exposé, sans être contredits par les mandataires des défenderesses, que les activités des prostitués déborde le secteur en question pour s'exercer également devant l'entrée de la société en question. S'il est par ailleurs vrai que les deux autres entreprises ne sont pas situées dans la zone d'impact immédiate, il faut se rendre à l'évidence que ses salariés et autres personnes voulant y accéder aux heures définies par l'article 48, alinéa 2 du règlement de police, devront passer par la zone litigieuse, sinon, à tout le moins, risquent de se voir incommodés par les débordements d'activités qui se dégagent inéluctablement du périmètre extrêmement réduit tel que défini par la disposition attaquée.

La reconnaissance d'un intérêt à agir contre la disposition réglementaire incriminée ne saurait être contestée dans le chef des sociétés en question au motif qu'elles ne sont pas riverains immédiats de la portion de la voie publique litigieuse et que le juge administratif est appelé à contrôler la légalité d'un acte administratif et non ses conséquences pratiques, voire les conséquences dues à son non-respect, étant donné que le juge administratif, même appelé à apprécier la légalité d'un acte administratif, ne saurait le considérer de manière totalement abstraite et doit envisager ses conséquences concrètes qui s'en dégagent nécessairement ou normalement.

Etant donné que les quatre demanderesses ont un intérêt à agir suffisamment caractérisé et que la requête répond par ailleurs aux exigences légales de forme et de délai, leur demande est recevable.

FOND Concernant le fond de la procédure de sursis à exécution de la disposition incriminée du règlement de police de la Ville de Luxembourg, les demanderesses font valoir que la disposition attaquée serait illégale et que son application serait de nature à leur causer un préjudice grave et définitif. Concernant la gravité du préjudice, elles font exposer qu'elles occupent dans leur ensemble plus de 1300 personnes, que le travail est organisé par équipes dans les quatre sociétés et que de nombreux salariés, quittant leur travail et d'autres le rejoignant sont tenus de passer en revue les prostitués des deux sexes. Elles font ajouter que 4 de même, leur clientèle, leurs fournisseurs et autres visiteurs ne peuvent que s'interroger sur le milieu dans lequel ces entreprises sont établies, ce qui entraînera une dégradation de leur image dans les yeux du public en général et de leurs clients en particulier, et augmentera leurs difficultés de recruter un personnel exigeant dans un marché de l'emploi de plus en plus compétitif. Concernant le caractère définitif du préjudice, elles soulignent que par l'effet de la réglementation critiquée, le phénomène de la prostitution de rue s'étant manifesté à d'autres endroits de la ville s'est déplacé et concentré, en l'espace de 48 heures, devant les immeubles occupés par elles. Elles estiment que le seul moyen pour éviter que pareille situation de fait ne s'installe et ne perdure par la suite au-delà de l'annulation des dispositions critiquées, consisterait à suspendre la réglementation afférente dans ses effets. Elles ajoutent qu'en toute occurrence, le préjudice subi jusqu'à la suspension, sinon l'annulation de la disposition incriminée l'est et le sera de manière définitive.

Ainsi qu'il vient d'être souligné plus haut, en vertu de l'article 18 de la loi précitée du 21 juin 1999, le président du tribunal peut ordonner l'effet suspensif du recours dirigé contre un acte à caractère réglementaire dans les conditions et selon la procédure de l'article 11 de la même loi. L'article 11 en question prévoit dans son alinéa 2 que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.

Un préjudice est grave au sens de la disposition précitée lorsqu'il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu'impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.

Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l'acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d'un préjudice définitif.

Pour l'appréciation du caractère définitif du dommage, il n'y a pas lieu de prendre en considération le dommage subi pendant l'application de l'acte illégal et avant son annulation ou sa réformation. Admettre le contraire reviendrait à remettre en question le principe du caractère immédiatement exécutoire des actes administratifs, car avant l'intervention du juge administratif, tout acte administratif illégal cause en principe un préjudice qui, en règle, peut être réparé ex post par l'allocation de dommages-intérêts. Ce n'est que si l'illégalité présumée cause un dommage irréversible dans le sens qu'une réparation en nature, pour l'avenir, un rétablissement de la situation antérieure, ne sera pas possible, que le préjudice revêt le caractère définitif tel que prévu par l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999.

En l'espèce, il est vrai que le préjudice invoqué par les demanderesses est grave, car il rompt l'équilibre devant les charges publiques, l'administration communale s'étant résignée à gérer, plutôt que d'ignorer, une réalité indésirable et ayant déchargé sur les quatre sociétés en question et un certain nombre d'autres riverains un des aspects les plus apparents de la prostitution, la solution de la délocalisation vers un espace non seulement inhabité, mais non occupé par des entreprises travaillant la nuit, n'ayant pas été retenue.

5 En revanche, ce préjudice n'est pas définitif. En effet, en cas d'annulation de la réglementation incriminée, un rétablissement de la situation antérieure est immédiatement réalisable. Il y a lieu, à cet effet, de se rapporter aux propres déclarations des mandataires des parties demanderesses selon lesquelles lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, le phénomène de la prostitution de rue s'est délocalisé dans les 48 heures vers la zone nouvellement définie par l'autorité communale. On doit admettre qu'en cas d'annulation du seul alinéa 2 de l'article 48 du règlement de police, conformément à la demande principale pendante au fond, les forces de l'ordre prendront les mesures nécessaires pour donner effet à la légalité telle qu'elle se dégagera de la décision du juge administratif, et qu'en cas d'annulation de l'article 48 dans son intégralité, le phénomène de la prostitution de rue se délocalisera et s'éparpillera suivant les anciennes habitudes.

Il s'ensuit que l'une des conditions cumulativement posées par l'article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 fait défaut, de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande en sursis à exécution, sans qu'il faille par ailleurs examiner le sérieux des moyens présentés à l'appui de la demande en annulation de la réglementation attaquée.

Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit le recours en effet suspensif en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, se déclare incompétent pour connaître de la demande en institution d'une mesure de sauvegarde, condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 28 mai 2001 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 13446
Date de la décision : 28/05/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-05-28;13446 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award