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15/03/2001 | LUXEMBOURG | N°12937C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mars 2001, 12937C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE N° 12937C du rôle Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 15 mars 2001 Recours formé par le ministre de la Justice contre les époux … Daragjati et … … en matière de statut de réfugié politique - Appel -

(jugement entrepris n° du rôle 12469a du 5 février 2001)

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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 19 février 2001 par le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter, en vertu d’un mandat exprès du ministre de la Justice du 19 févri

er 2001, contre un jugement rendu en matière de statut de réfugié politique par le tribunal admi...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE N° 12937C du rôle Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 15 mars 2001 Recours formé par le ministre de la Justice contre les époux … Daragjati et … … en matière de statut de réfugié politique - Appel -

(jugement entrepris n° du rôle 12469a du 5 février 2001)

______________________________________

Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 19 février 2001 par le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter, en vertu d’un mandat exprès du ministre de la Justice du 19 février 2001, contre un jugement rendu en matière de statut de réfugié politique par le tribunal administratif à la date du 5 février 2001, à la requête des époux … Daragjati et … … agissant tant en nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … contre le ministre de la Justice.

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 23 février 2001 par Maître Marc Elvinger, avocat à la Cour, au nom des époux … Daragjati et … ….

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris.

Ouï le conseiller rapporteur en son rapport et le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter ainsi que Maître Marc Elvinger en leurs observations orales.

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Par requête inscrite sous le numéro 12469a du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2000, Maître Marc Elvinger, avocat à la Cour, au nom des époux … Daragjati et … …, de nationalité albanaise, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … Daragjati, demeurant ensemble à L-5885 Hesperange, 307, route de Thionville, a demandé la réformation sinon l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 août 2000 par laquelle leur demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, et l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 août 2000 refusant de faire droit à la demande de … … de se voir restituer son permis de conduire remis aux services du ministre de la Justice au moment de l’introduction de sa demande d’asile.

Par jugement interlocutoire du 5 décembre 2000, le tribunal a sursis à statuer en attendant que l’instruction du recours soit complète.

1 Par jugement du 5 février 2001, le tribunal administratif, statuant contradictoirement, a reçu en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 7 août 2000 dans la mesure des moyens de légalité invoqués, au fond l’a dit justifié, partant a annulé la décision ministérielle déférée du 7 août 2000, a dit le recours en annulation au fond non justifié et en a débouté les demandeurs, a fait masse des frais et les a imposés pour trois quarts à l’Etat et pour un quart aux parties demanderesses.

Fort d’un mandat signé le 19 février 2001 par le ministre de la Justice, le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter a introduit le 19 février 2001 un acte d’appel à l’encontre du jugement du 5 février 2001.

Il reproche au tribunal d’avoir estimé qu’étant donné que le contenu de la disposition pertinente de l’article 10 (3) de la loi du 3 avril 1996, en ce qu’il dispose que « le Tribunal statue dans le mois de l’introduction de l’affaire » serait resté strictement inchangé par la modification législative intervenue le 18 mars 2000, cette phrase ayant déjà figuré dans cette même teneur dans la version originale de la loi du 3 avril 1996 et que l’article 12 de la nouvelle loi n’aurait fait qu’apporter des « amendements purement rédactionnels », ne modifiant « en rien le fond du texte », que le texte de la loi du 21 juin 1999 devrait l’emporter sur le texte pourtant postérieur du 18 mars 2000, alors que même si le législateur ne s’est pas expressément exprimé sur le maintien spécifique du délai d’un mois, il a néanmoins maintenu la distinction primordiale entre les demandes d’asile rejetées comme non-fondées et celles qui sont rejetées comme manifestement infondées, et le maintien du délai d’un mois s’inscrit dans le cadre d’un système logique.

Il reproche en outre au tribunal d’avoir estimé que les faits à la base de la motivation déterminante de la décision déférée ne seraient pas établis à suffisance de droit, alors que les premiers juges se seraient trouvés dans l’impossibilité d’apprécier l’information donnée par l’ambassade allemande à Tirana concernant le caractère falsifié d’un jugement du tribunal de Shkoder, dont on ne peut cependant mettre en doute les résultats obtenus suite à leur grande expérience dans la recherche de l’authenticité des documents présentés par des demandeurs d’asile d’origine albanaise, et il souligne une incohérence dans le raisonnement de l’intimé.

A titre subsidiaire, il demande à la Cour, si elle doute des informations fournies par l’ambassade d’Allemagne, d’ordonner au ministre de la Justice de la renseigner sur le caractère fiable du prédit jugement.

Le représentant étatique conclut en demandant à la Cour, par réformation de la décision entreprise, de dire que la décision ministérielle du 7 août 2000 n’est pas sujette à annulation.

Dans un mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 23 février 2001, Maître Marc Elvinger fait valoir que les premiers juges ont décidé à juste titre qu’au regard des délais que la loi du 21 juin 1999 reconnaît aux parties pour déposer des mémoires, le délai d’un mois prescrit par l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 ne pouvait plus être considéré comme opérant et que c’est à bon droit qu’ils ont annulé la décision du ministre de la Justice du 7 août 2000.

Il se rapporte à prudence de justice quant à la possibilité pour le ministre de la Justice de procéder, sur recours gracieux, à une reformatio in pejus, et souligne que du moment que le 2 ministre n’a pas pris sa décision dans le délai de deux mois prescrit par l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996, il ne peut plus rejeter la demande comme étant manifestement in-

fondée au sens de l’article 9.

Il relève aussi que le tribunal a, à juste titre annulé la décision entreprise au motif que les faits à la base de sa motivation ne sont pas établis à suffisance de droit et que cette décision est partant dépourvue de motivation valable et reproche aux autorités luxembourgeoises, concernant le jugement du tribunal de Shkoder du 20 mai 1999, de s’en remettre à des informations qui ne sont pas établies à suffisance de droit, tout en demandant à la Cour, au cas où il serait fait droit à la demande du Gouvernement de voir instituer une mesure d’instruction, de charger un expert neutre de se prononcer sur l’authenticité du prédit jugement.

L’acte d’appel ayant été introduit dans les formes et délai de la loi est recevable.

Il résulte des termes de l’acte d’appel que la Cour est saisie de l’ensemble du litige concernant la décision entreprise du ministre de la Justice du 7 août 2000, mais non de l’annulation d’une décision du prédit ministre du 24 août 2000 refusant de faire droit à la restitution du permis de conduire à … ….

Le recours portant, par rapport à la décision ministérielle du 7 août 2000, sur un refus en matière de statut de réfugié politique ayant qualifié la demande à sa base de manifestement infondée, les requérants disposaient, au regard de l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, applicable à cette demande, d’un seul recours en annulation, étant entendu que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels à la base de la décision attaquée et de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.

Le jugement entrepris est partant à réformer dans ce sens.

La Cour est ensuite amenée à examiner la légalité de la décision ministérielle du 7 août 2000.

Dans un premier temps, et par décision du 8 juillet 1999, le ministre de la Justice a déclaré la demande en obtention du statut de réfugié non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996.

Suite à un recours gracieux introduit par les requérants le 21 octobre 1999, au vu duquel le ministre a consenti à tenir sa décision initiale en suspens et à procéder à un réexamen du dossier, le ministre a, le 7 août 2000, déclaré la demande irrecevable comme étant manifeste-

ment infondée sur base de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996.

Le fait par le ministre de ne pas avoir statué dans le délai de deux mois prévu par l’article 10 (1) de la loi du 3 avril 1996 précitée n’entraîne pas la nullité de cette décision à défaut de sanction prévue par la loi. L’article prévisé, dans sa deuxième phase, institue par ailleurs une prolongation du délai, en stipulant que « toutefois, aucune décision ne sera prise avant le demandeur d’asile n’ait été entendu ».

Les intimés se rapportent à prudence de justice quant à la possibilité, pour le ministre de la Justice, de procéder de la sorte, sur recours gracieux, à une « reformatio in pejus ».

3 Or, contre les demandes d’asile considérées comme non fondées, introduites sur base de l’article 11, un recours en réformation est ouvert devant les juridictions administratives, tandis que contre les demandes d’asile considérées comme manifestement infondées, sur base de l’article 9, un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, ce qui constitue une décision plus défavorable pour les requérants, en empêchant un examen de l’affaire au fond, car le juge d’annulation est cantonné dans l’examen de la légalité formelle des décisions administratives, alors que dans le cas d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à vérifier la détermination de la qualité de réfugié faite par le ministre de la Justice en procédant à un réexamen du cas d’espèce en fait et en droit, en étant investie du même pouvoir d’appréciation que l’autorité administrative.

Lorsqu’elle est compétente pour statuer sur le recours, l’autorité administrative dispose de pouvoirs étendus pour réformer ou annuler l’acte critiqué, mais du moment que l’acte a été créateur des droits, comme en l’espèce le droit à pouvoir exercer un recours en réformation plus favorable au demandeur d’asile, la décision prise sur le recours gracieux ne peut pas être plus défavorable aux intéressés que l’acte initial, ce qui implique l’interdiction de la « reformatio in pejus » et a pour conséquence, en l’espèce, l’annulation, comme entachée d’illégalité, de la décision ministérielle du 7 août 2000 rejetant la demande d’asile comme manifestement infondée.

L’appelant reproche au tribunal d’avoir estimé que l’article 12 de la nouvelle loi intervenue le 18 mars 2000 n’ayant apporté que des amendements purement rédactionnels à la loi du 3 avril 1996 et ne modifiant en rien le fond, le texte de l’article 5 de la loi du 21 juin 1999 consacrant d’une manière générale des délais d’instruction plus étendus devait l’emporter sur le texte pourtant postérieur du 18 mars 2000 imposant au tribunal de statuer dans le mois de l’introduction de la requête.

Or, s’il est un fait que le délai d’un mois était prévu déjà dans la version originaire de la loi de 1996, il ne peut être considéré que l’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 a été implicitement abrogé par la loi du 21 juin 1999 réglementant la procédure devant les juridictions administratives et le tribunal a estimé à tort qu’en ne modifiant pas le texte initial, l’intention postérieure du législateur de maintenir le délai d’un mois dans lequel le tribunal doit statuer n’aurait pas été exprimée de façon certaine.

Le délai d’un mois pour statuer ayant été maintenu dans l’article 12 de la loi du 28 mars 2000 dont un des objectifs est de toiser les demandes d’asile au plus vite, article qui modifie l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 et qui dans son alinéa (3) dispose clairement que le tribunal doit statuer dans le mois de l’introduction de la requête, c’est à juste titre que l’appelant relève qu’il s’agit d’une loi spéciale postérieure à une loi générale, or « dans le droit, c’est toujours la règle particulière qui prime, ce qui laisse à la règle générale la valeur d’une règle résiduelle » (Pierre Pescatore, Introduction à la science de droit - Luxembourg - Centre Universitaire de l’Etat n° 220) Il s’ensuit que le tribunal aurait dû statuer dans le délai d’un mois prévu à la loi du 18 mars 2000, cette obligation n’étant cependant pas assortie de sanction.

Par ces motifs 4 la Cour administrative, statuant contradictoirement ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond le déclare partiellement fondé ;

par réformation du jugement entrepris :

déclare irrecevable le recours en réformation introduit le 6 novembre 2000 par les actuels intimés et recevable le seul recours en annulation ;

dit que les délais prévus à l’article 10 de la loi du 18 mars 2000 portant modification de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile sont applicables ;

annule la décision ministérielle déférée du 7 août 2000 pour « reformatio in pejus »;

condamne l’Etat aux frais des deux instances.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, vice-présidente Christiane Diederich-Tournay, conseiller, rapporteur Marc Feyereisen, conseiller et lu par la vice-présidente Marion LANNERS en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie WILTZIUS le greffier la vice-présidente 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12937C
Date de la décision : 15/03/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-03-15;12937c ?

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