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23/08/2000 | LUXEMBOURG | N°12202

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 août 2000, 12202


N° 12202 du rôle Inscrit le 4 août 2000 Audience publique du 23 août 2000

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Recours formé par Monsieur … MUJAJ contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12202 du rôle, déposée le 4 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

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N° 12202 du rôle Inscrit le 4 août 2000 Audience publique du 23 août 2000

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Recours formé par Monsieur … MUJAJ contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12202 du rôle, déposée le 4 août 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUJAJ, né le … à …(Kosovo), étudiant, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sarah TURK ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … MUJAJ, né le … à … (Kosovo), étudiant, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 12 mai 2000 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi qu’en date du 24 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur MUJAJ, par lettre du 16 juin 2000, notifiée en date du 11 juillet 2000, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Il résulte de vos déclarations que vous êtes entré dans l’UCK en janvier 1999 et que vous avez “ déserté ” début mars 1999 en raison des mauvaises conditions matérielles, en particulier le logement. Vous êtes alors rentré à la maison.

Quand les bombardements par l’OTAN ont commencé, des paramilitaires seraient venus à Pec et auraient rassemblé les habitants dans des halls de sport. Vous vous trouviez avec votre famille dans un hall relié à une caserne. Par la suite, les paramilitaires auraient commencé l’embarquement des gens pour les envoyer en Albanie.

Ceux pour qui il n’y avait plus de place et dont vous faisiez partie, étaient envoyés à Rozaje. Vous êtes resté jusqu’en septembre au Monténégro et ensuite rentré au Kosovo.

La maison de votre famille était brûlée et vous avez trouvé un logement chez votre oncle dans un village voisin de Pec.

Vous indiquez comme raison pour votre départ que, le conflit armé au Kosovo ayant pris fin, la situation n’est plus sûre là-bas. Toutes sortes de groupes, comme les communistes, se seraient formés, cambrioleraient les maisons et se mettraient à la recherche des “ déserteurs ”. Votre famille souhaitait alors que vous quittiez le Kosovo, ce que vous avez fait en février 2000.

Vous affirmez que vous ne pouvez pas rentrer pour l’instant, parce qu’il n’y a pas de sûreté au Kosovo. Vous avez peur des Albanais, qui se combattent actuellement entre eux. Vous avez aussi peur d’une vengeance sur vous comme conséquence de votre “ désertion ”.

Force est de constater qu’au moment où vous avez quitté le Kosovo, le conflit armé avait pris fin depuis longtemps et les forces onusiennes étaient installées. Vous n’apportez aucun élément ou motif permettant de conclure que ces forces internationales ne soient pas capables de vous assurer un niveau de protection suffisant dans le cadre de luttes internes entre différents groupes albanais.

Quant à votre prétendue crainte de persécution due au fait que vous auriez déserté de l’armée de libération du Kosovo, il ressort toutefois de vos déclarations que vous avez pu rentrer en septembre 1999 au Kosovo et prendre votre temps pour ramasser l’argent nécessaire pour quitter le pays, ceci seulement des mois après votre retour au Kosovo. Vous n’établissez ni des actes de persécution commis à votre encontre à la suite de cette prétendue désertion, ni en quoi vous risqueriez de subir de tels actes de persécution, ni les raisons pour lesquelles vous ne pourriez pas rechercher, au cas où vous devriez subir de tels actes de persécution, la protection des autorités en place dans votre pays d’origine, ni encore des éléments de fait permettant d’établir que ces autorités ne seraient pas en mesure ou n’auraient pas la volonté de poursuivre de tels actes. La seule indication d’une prétendue désertion de l’UCK ne suffit pas pour établir une crainte de persécution.

Par ailleurs, il ressort de votre déclaration manuscrite faite au bureau d’accueil pour les demandeurs d’asile le 11 février 2000, jour de votre arrivée au Luxembourg, que le principal, sinon l’unique motif de votre demande d’asile est d’obtenir un droit d’asile temporaire pour des raisons économiques. En conséquence, votre récit quant à un 2 risque pour votre vie résultant de votre prétendue désertion de l’armée de libération du Kosovo soulève des problèmes sérieux quant à sa crédibilité.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour un des motifs invoqués par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Vous êtes invité à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la présente décision. Dans le cas où vous exerceriez un recours devant les juridictions administratives, vous devrez quitter le territoire dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée. En cas de non-respect des délais prescrits, un rapatriement sera organisé soit vers votre pays d’origine, soit vers tout autre pays où vous serez légalement admissible.(…) ”.

Par requête du 4 août 2000, Monsieur MUJAJ a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 16 juin 2000.

Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une appréciation inexacte non seulement de la situation actuelle existant au Kosovo mais également de sa situation personnelle. Il fait exposer dans ce contexte que son récit, suivant lequel il existerait un risque pour sa vie résultant de sa désertion de l’armée de l‘UCK, ne pourrait être mis en doute en raison du seul fait que lors de son arrivée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, en date du 11 février 2000, il a fait une déclaration manuscrite au bureau d’accueil des demandeurs d’asile en vue d’obtenir un droit d’asile temporaire pour des raisons économiques. Il déclare à cet égard que le contenu de cette déclaration serait dû “ à une confusion suite au conseil prodigué par [son] père qui lui avait dit de demander l’asile économique dès qu’il arriverait dans un pays étranger ”, et qui aurait eu pour conséquence qu’il aurait formulé sa demande d’asile d’une manière “ inexacte ”, alors qu’au contraire, il aurait souhaité présenter une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Il expose encore avoir fait partie de l’armée de libération du Kosovo au cours des mois de janvier et février 1999 et avoir déserté l’armée de l‘UCK en mars 1999 “ ceci pour diverses raisons et entre autres pour des raisons liées aux conditions de vie 3 particulièrement difficiles et à l’absence de munitions ”. Il aurait ensuite rejoint sa famille “ avant de se faire déporter ensemble avec tous les habitants de son village par des troupes paramilitaires déguisées et armées ”. Il relève encore qu’à cette occasion “ de nombreuses personnes [auraient] été tuées ” et que “ la maison familiale [aurait] été entièrement brûlée ”.

Le demandeur, tout en admettant ne pas avoir fait l’objet de persécutions personnelles, estime , d’une manière générale, que le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève ne devrait pas être réservé exclusivement aux personnes ayant vécu des persécutions personnelles, mais également à celles “ qui veulent éviter de se retrouver dans une situation où elles pourraient l’être ”. Ainsi, il expose qu’en sa qualité de déserteur de l’UCK, il serait considéré comme étant un “ traître ” qui risquerait d’être maltraité, voire tué “ par des anciens membres de l’UCK, sinon par d’autres groupes qui se sont formés par la suite et qui n’appréciaient pas l’action de l’UCK pendant la guerre ”. Le demandeur déclare encore ne plus pouvoir “ tolérer des intimidations de toutes sortes de groupes comme les communistes qui cambriolent les maisons et se mettent à la recherche des déserteurs ”.

Il soutient en outre que la seule présence des forces armées onusiennes sur le territoire du Kosovo ne permettrait pas pour autant d’assurer une sécurité absolue dans cette région de la Yougoslavie et que ce serait partant à bon droit qu’il ne s’y sentirait pas en sécurité et qu’il y craindrait pour sa vie.

Dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur sollicite encore l’annulation de “ la décision [l’] invitant (…) à quitter le territoire luxembourgeois ”.

Le délégué du gouvernement estime tout d’abord que le demandeur ne serait pas crédible dans ses explications fournies au sujet de la déclaration effectuée en date du 11 février 2000, dans laquelle il avait invoqué des motifs économiques à la base de sa demande d’asile.

En ce qui concerne, d’autre part, les motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile et tirés des craintes de persécution qu’il risquerait d’encourir lors d’un retour éventuel au Kosovo du fait de sa désertion de l’armée de libération de l’UCK, le représentant étatique soutient que des actes de revanche isolés de la part de certains anciens membres de l’UCK ne sauraient en aucun cas être considérés comme une persécution au sens de la Convention de Genève. Il conteste encore l’existence d’un quelconque agent de persécution au Kosovo et il conclut partant au non fondé du recours en ce que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile 4 pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte ne soit pas manifestement dénuée de fondement.

Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent d’être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte invoquée de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, et sans qu’il y ait lieu d’analyser plus en détail les motifs qui ont pu inciter le demandeur à déclarer, en date du 11 février 2000, avant son introduction formelle, en date du 12 mai 2000, d’une demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, que celle-ci serait basée sur des raisons économiques, il échet de relever que tant lors de son audition du 24 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice que dans son recours contentieux, le demandeur a fait état de sa crainte de subir des persécutions du fait de sa prétendue désertion de l’armée de l’UCK en mars 1999 et de ce que les forces armées mises en place par l’ONU ne seraient pas en mesure d’assurer sa sécurité au Kosovo. Il expose dans ce contexte qu’il craignait d’être considéré comme étant un traître et risquerait à ce titre d’être maltraité voire tué par des anciens membres de l’UCK sinon par d’autres groupes qui se seraient formés par la suite et qui “ n’appréciaient pas ” l’action de l’UCK pendant “ la guerre ”. Il fait encore état d’intimidations de la part de “ toutes sortes de groupes comme les communistes ” qui lui feraient craindre des persécutions à son encontre.

Il appert de l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile que celui-ci allègue des faits et raisons personnelles suffisamment précis et crédibles de nature à tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève et de constituer une crainte justifiée de persécution au sens de ladite Convention au cas où la crainte de persécution ainsi alléguée serait établie. Le ministre de la Justice s’est ainsi vu soumettre des éléments suffisamment précis lui permettant d’apprécier la réalité de la crainte invoquée par le demandeur. En effet, le demandeur lui a soumis, au-delà des explications fournies quant à la situation générale existant dans sa région d’origine, à savoir le Kosovo, des précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait non seulement de la situation y existant, mais également de son activité au sein de l’armée de l’UCK.

Il suit de ce qui précède que c’est à tort que le ministre de la Justice a déclaré la demande introduite par Monsieur MUJAJ comme étant manifestement infondée, alors qu’il aurait dû analyser, quant au fond, la pertinence des faits et raisons invoqués par le 5 demandeur afin d’examiner, en plus de la situation générale existant au Kosovo, la situation particulière de Monsieur MUJAJ et vérifier concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’être persécuté dans son pays d’origine. Il y a partant lieu d’annuler la décision incriminée et de renvoyer le dossier au ministre de Justice afin qu’il puisse faire procéder à une instruction de la demande de Monsieur MUJAJ quant au fond.

Au vu de ce qui précède, la demande tendant à l’annulation d’une prétendue décision portant sur une invitation adressée au demandeur à quitter le territoire luxembourgeois devient sans objet.

Par ces motifs le tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare justifié, partant annule la décision du 16 juin 2000 par laquelle la demande en obtention du statut de réfugié politique de Monsieur … MUJAJ a été déclarée manifestement infondée ;

renvoie le dossier pour prosécution de cause au ministre de la Justice ;

déclare sans objet la demande tendant à l’annulation d’une prétendue décision portant sur une invitation adressée au demandeur à quitter le territoire luxembourgeois ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président Mme. Lenert, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 23 août 2000 par le vice-président, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.

May Schockweiler 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12202
Date de la décision : 23/08/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-08-23;12202 ?

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