Nos 11735 et 11742 du rôle Inscrits les 22 et 23 décembre 1999 Audience publique du 14 janvier 2000
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I. Requête en sursis à exécution, subsidiairement en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par a) l'Association Luxembourgeoise des Employés de Banque et d'Assurance (ALEBA) a.s.b.l., établie à Luxembourg, sinon b) ALEBA syndicat professionnel, agissant par MM. …, sinon c) MM. …agissant en leur nom personnel, d) la fédération syndicale ALEBA-UEP, Luxembourg II. Requête en sursis à exécution introduite par l'Association des Banques et Banquiers (ABBL), a.s.b.l., Luxembourg, contre une décision du ministre du Travail et de l'Emploi en matière de convention collective de travail
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ORDONNANCE
I. Vu la requête déposée le 22 décembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'Association Luxembourgeoise des Employés de Banque et d'Assurance, en abrégé "ALEBA", association sans but lucratif, établie à L-…, agissant par son conseil d'administration, respectivement son comité exécutif actuellement en fonctions, sinon et subsidiairement au nom du syndicat professionnel ALEBA, agissant par MM. …, président, demeurant à …, …, 1er vice-président, demeurant à L-…, …, vice-président, demeurant à L-…, …, vice-président, demeurant à L-…, …, secrétaire général, demeurant à L-…, et …, trésorier, demeurant à L-…, sinon au nom de MM…., préqualifiés, agissant en leur nom personnel, ainsi qu'au nom de la fédération syndicale ALEBA-UEP, agissant par son comité directeur, sinon son bureau exécutif actuellement en fonctions, tendant à voir ordonner le sursis à l'exécution de la décision du ministre du Travail et de l'Emploi du 1er décembre 1999 portant refus du dépôt de la "Convention collective de travail des employés de banque 1999 - 2000 - 2001", signée le 29 avril 1999 entre, d'une part, l'Association des Banques et Banquiers (ABBL), a.s.b.l., Luxembourg, et, d'autre part, l'Association Luxembourgeoise des Employés de Banque et d'Assurance (ALEBA), a.s.b.l., préqualifiée, sinon de voir ordonner que les mesures prévues par ladite convention continuent à sortir leurs effets, en attendant une décision du tribunal administratif au fond dans le recours introduit le même jour et inscrit sous 2 le numéro 11734 du rôle, sinon encore d'abréger à quinze jours le délai du gouvernement pour déposer un mémoire en réponse dans l'affaire engagée au fond, Vu l'exploit de l'huissier Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 23 décembre 1999, portant signification de la prédite requête en sursis à exécution sinon en obtention d'une mesure de sauvegarde à l'Association des Banques et Banquiers (ABBL) a.s.b.l., II. Vu la requête déposée le 23 décembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître André ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'Association des Banques et Banquiers, en abrégé "ABBL", association sans but lucratif, établie à L-2010 Luxembourg, 20, rue de la Poste, tendant à conférer un sursis à l'exécution de la décision préqualifiée du ministre du Travail, en attendant une décision du tribunal administratif au fond dans le recours introduit le même jour et inscrit sous le numéro 11741 du rôle, Vu l'exploit de l'huissier Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 24 décembre 1999, portant signification de la prédite requête en sursis à exécution à l'Association Luxembourgeoise des Employés de Banque et d'Assurance et à la fédération syndicale ALEBA-U.E.P., préqualifiées, Vu les articles 5, 11 et 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï Maîtres Fernand ENTRINGER et André ELVINGER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 29 avril 1999, l'Association des Banques et Banquiers, en abrégé "ABBL", association sans but lucratif, établie à L-2010 Luxembourg, 20, rue de la Poste, agissant au nom et pour compte de cent soixante établissements membres, d'une part, et l'Association Luxembourgeoise des Employés de Banque et d'Assurance, en abrégé "ALEBA", association sans but lucratif, établie à L-…, cette dernière déclarant agir en son nom propre ainsi qu'en sa qualité de mandataire de la fédération syndicale ALEBA-U.E.P., d'autre part, signèrent une convention intitulée "Convention collective de travail des employés de banque 1999 - 2000 -
2001", ci-après dénommée "la convention collective". Le même jour, l'ABBL transmit un exemplaire de la convention collective au directeur de l'Inspection du Travail et des Mines aux fins de dépôt, conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi modifiée du 12 juin 1965 concernant les conventions collectives de travail.
Par arrêté du 1er décembre 1999, pris sur avis conforme du directeur de l'Inspection du Travail et des Mines du 29 novembre 1999, le ministre du Travail et de l'Emploi, refusa le dépôt de la convention collective, au motif que l'ALEBA est une organisation syndicale non représentative sur le plan national, n'ayant qu'une représentativité sectorielle, de sorte qu'elle n'est pas habilitée à faire partie d'une convention collective de travail, et que la fédération syndicale ALEBA-U.E.P ne saurait être considérée comme organisation syndicale au sens de la loi précitée du 12 juin 1965.
3 Par requête du 22 décembre 1999, inscrite sous le numéro 11734 du rôle, l'ALEBA, association sans but lucratif, préqualifiée, agissant par son conseil d'administration, respectivement son comité exécutif actuellement en fonctions, sinon et subsidiairement le syndicat professionnel ALEBA, agissant par MM. …, président, demeurant à L-…, …, 1er vice-président, demeurant à L-…, …, vice-président, demeurant à L-…, …, vice-président, demeurant à L-…, …, secrétaire général, demeurant à L-…, et…, trésorier, demeurant à L-…, sinon MM…., préqualifiés, agissant en leur nom personnel, ainsi que la fédération syndicale ALEBA-U.E.P., agissant par son comité directeur, sinon son bureau exécutif actuellement en fonctions, ont introduit un recours en réformation contre l'arrêté ministériel du 1er décembre 1999.
Par requête du même jour, les mêmes parties ont saisi le président du tribunal administratif d'une demande tendant à conférer un sursis à l'exécution de la décision ministérielle entreprise, sinon de voir ordonner que les mesures prévues par la convention collective continuent à sortir leurs effets, en attendant une décision du tribunal administratif au fond, sinon encore d'abréger à quinze jours le délai du gouvernement pour déposer un mémoire en réponse dans l'affaire engagée au fond.
Par requêtes du lendemain, l'ABBL, préqualifiée, a introduit respectivement un recours au fond, inscrit sous le numéro 11741 du rôle, tendant aux mêmes fins que celui introduit par l'ALEBA et ses consorts, et une demande en sursis à exécution de la décision ministérielle entreprise.
Les parties demanderesses estiment que la décision en question, qui risque de leur causer un préjudice grave et définitif, est illégale. A cet effet, elles invoquent notamment les moyens suivants:
- en déniant à l'ALEBA le droit de signer une convention collective de travail, l'arrêté ministériel violerait l'article 11, alinéa 5 de la Constitution qui garantit les libertés syndicales;
- il violerait encore les libertés syndicales garanties par la Convention n° 87 adoptée par la Conférence International du Travail en sa 31e session, le 9 juillet 1948 et approuvée par une loi du 10 février 1958, et plus particulièrement la liberté de signer des conventions collectives de travail, garantie par la Convention n° 98 adoptée par la même Conférence en sa 32e session le 1er juillet 1949, approuvée par la prédite loi du 10 février 1958. Dans la mesure où l'interdiction de signer une convention collective de travail résulterait de la loi modifiée du 12 juin 1965, l'application de cette dernière serait à écarter pour contrariété à la fois à la Constitution et aux traités internationaux précités;
- le critère de représentativité posé par l'article 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 12 juin 1965 serait rempli par l'ALEBA. Celle-ci serait représentée très fortement dans au moins deux secteurs de l'économie luxembourgeoise, à savoir ceux des banques et des assurances, ayant des structures différentes et étant soumis à des organes et mécanismes de contrôle différents, mais que l'administration réunirait arbitrairement dans un seul secteur, notion non définie légalement, pour lui enlever la représentativité pluri-sectorielle, une telle exigence ne résultant par ailleurs d'aucune disposition de la loi. Lors des dernières élections à la chambre des employés privés, elle aurait obtenu six sièges sur un total de 8, totalisant dans le groupe banques et assurances 68,19 % des voix. - Concernant sa représentativité sur le plan national, les parties soulignent que sur les 19.195 employés relevant des secteurs banques et assurances, pour un total de 94.412 employés tous secteurs confondus, selon un relevé établi 4 en 1998 par la chambre des employés privés, l'ALEBA aurait entre 9.000 et 10.000 adhérents.
Dans ce contexte, ce serait de manière malhonnête que le directeur de l'Inspection du Travail et des Mines, dans sa proposition au ministre ayant conduit à la décision entreprise du 1er décembre 1999, a relevé que le nombre d'adhérents de l'ALEBA ne représente que 9,7 % de la catégorie socio-professionnelle des employés, tous secteurs confondus, alors que selon une décision d'arbitrage intervenue le 10 novembre 1989, publiée à la Pasicrisie tome 24, page 386, invoquée à titre de décision de jurisprudence, un syndicat pourrait être considéré comme représentatif au plan national dès lors qu'il représenterait au moins 20 % des employés.
L'arbitrage en question ayant en réalité retenu qu'il suffirait que 20 % des syndiqués adhèrent à un syndicat pour que celui-ci puisse être considéré comme représentatif sur le plan national, pourcentage rempli par l'ALEBA, le directeur de l'Inspection du Travail et des Mines aurait faussement retenu que seuls 9,7 % des employés sont syndiqués dans l'ALEBA;
- en permettant à un syndicat représentatif sur le plan national, mais largement minoritaire dans un secteur, de signer une convention collective concernant ce secteur, tout en déniant ce droit à un syndicat dominant dans le secteur en question, l'administration violerait la règle selon laquelle une convention collective de travail conclue entre un employeur et une organisation syndicale qui ne représente pas la majorité représentative du personnel salarié de l'entreprise concernée et ne saurait donc engendrer un consentement collectif suffisamment caractérisé, cette règle ayant été affirmée par le Comité du contentieux du Conseil d'Etat dans un arrêt du 6 juillet 1988, publié à la Pasicrisie tome 27, page 294. Dans le secteur bancaire où l'ALEBA représente plus des deux tiers des salariés, cela aboutirait au résultat inadmissible qu'aucune convention collective de travail ne pourrait être signée.
La demande en sursis à exécution et en institution d'une mesure de sauvegarde introduite par l'ALEBA et ses consorts et celle en sursis à exécution introduite par l'ABBL d'autre part, dont le président du tribunal se trouve actuellement saisi, étant connexes pour se rapporter à la même décision ministérielle et pour tendre aux mêmes fins, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule et même ordonnance.
Le délégué du gouvernement soulève l'irrecevabilité de la demande en tant qu'elle émane de ALEBA a.s.b.l., celle-ci étant dépourvue de personnalité juridique, ses statuts ne contenant pas toutes les mentions obligatoires telles que prévues par l'article 2 de la loi modifiée du 28 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif. - Il estime pareillement irrecevable, pour défaut de personnalité juridique, la demande en tant qu'elle a été introduite par ALEBA, syndicat professionnel, et la fédération syndicale ALEBA-U.E.P.
Le présent litige a pour objet la prise de mesures provisoires en attendant une décision au fond concernant la régularité du dépôt d'une convention collective de travail.
En vertu de l'article 2, alinéas 2 et 3 de la loi modifiée du 12 juin 1965, précitée, ne peuvent être parties à une convention collective de travail, en dehors des employeurs pris individuellement et des groupements d'employeurs, que les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national. Sont considérées comme organisations syndicales, tous groupements professionnels pourvus d'une organisation interne et ayant pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de leurs membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence.
5 Aucun texte n'exige, par ailleurs, pour la reconnaissance légale d'organisations syndicales, que celles-ci soient constituées dans la forme prévue pour les associations sans but lucratif, leur faisant acquérir la personnalité juridique.
L'article 3, alinéa 3 de la même loi ouvre un recours juridictionnel aux parties à une convention collective de travail en cas de refus du dépôt de la convention en question par le ministre du Travail.
Il suit de ce qui précède que, du côté salarié, d'une part, les organisations syndicales, même dépourvues de personnalité juridique, peuvent signer des conventions collectives de travail et exercer le recours prévu par la loi en cas de refus du dépôt de ces conventions, et, d'autre part, ces organisations syndicales sont les seules habilitées à signer de telles conventions et à agir en justice pour leur reconnaissance administrative.
Il découle du principe ci-avant dégagé que l'a.s.b.l. ALEBA a qualité pour agir dans la présente affaire, non pas en tant qu'association sans but lucratif ayant adopté les structures de la loi modifiée du 28 avril 1928, mais en tant qu'organisation syndicale, à condition de remplir les conditions légales pour constituer une telle organisation, à savoir d'être dotée d'une organisation interne, et d'avoir pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de ses membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence.
Il ressort des statuts de l'ALEBA a.s.b.l. qu'elle a pour objet "la défense des intérêts professionnels, et la représentation de ses membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions l'existence." Elle est par ailleurs pourvue d'une structure interne.
Il s'en dégage que dans le contexte du présent litige, ALEBA a.s.b.l. est à considérer comme organisation syndicale ayant qualité et capacité pour agir.
Les demandes formées par ALEBA syndicat professionnel et MM. GLESENER et consorts agissant en nom personnel ayant été présentées à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de statuer sur leur recevabilité.
La demande, en tant que formée par la fédération syndicale ALEBA-UEP, est à son tour recevable sous l'aspect de qualité et de capacité, l'organisation en question satisfaisant à son tour aux conditions de l'article 2, alinéa 2 de la loi modifiée du 12 juin 1965. La question de la représentativité de la fédération en question, notamment à travers l'aspect de son indépendance, non abordée par le délégué du gouvernement mais déniée à la fédération par l'arrêté ministériel entrepris, concerne le fond du litige et n'est pas toisée par la présente ordonnance et ne saurait l'être par ailleurs, sous peine de porter préjudice au principal.
Le délégué du gouvernement soulève encore l'irrecevabilité des demandes en tant qu'elles tendent à un sursis à exécution, un tel sursis n'étant pas possible concernant une décision négative comme celle entreprise par les requêtes dont le président du tribunal est actuellement saisi.
Il est vrai qu'une décision administrative négative qui ne modifie pas une situation de fait ou de droit antérieure ne saurait faire l'objet d'une mesure de sursis à exécution (trib. adm.
6 mai 1998, Pas. adm. n° 2/1999, V° Procédure contentieuse, n° 83, p. 249).
6 Les parties demanderesses soutiennent que la décision ministérielle de refus du dépôt, intervenue le 1er décembre 1999, constituerait une décision positive autonome intervenue postérieurement à l'acte de dépôt, accompli dès le 29 avril 1999.
Il se dégage de l'article 3 de la loi modifiée du 12 juin 1965 que le dépôt d'une convention collective de travail ne constitue pas un simple fait matériel, mais un acte juridique complexe impliquant, successivement, le dépôt matériel de la convention auprès de l'Inspection du Travail et des Mines, son examen par le directeur de l'administration en question, une proposition concernant l'acceptation ou le refus d'acceptation par celui-ci, et finalement la décision du ministre du Travail.
Il s'ensuit que le simple dépôt matériel d'une convention collective de travail sans acceptation juridique - expresse ou tacite - et, a fortiori, suivi d'un refus d'acceptation du dépôt par le ministre du ressort, ne vaut pas dépôt de la convention au sens de la loi. En décider autrement rendrait impossible le refus du dépôt, car le dépôt serait forcément effectif dès avant l'intervention du ministre.
Il s'en dégage encore que le refus d'acceptation ne saurait être considéré comme acte positif autonome consécutif au dépôt valant retrait d'une décision préalable d'acceptation du dépôt. Le refus du dépôt est partant à considérer comme décision négative.
Les demanderesses estiment encore que le refus du dépôt modifierait une situation de fait ou de droit antérieure, de sorte que même à admettre que le refus revête le caractère d'une décision négative, il serait susceptible de faire l'objet d'une mesure de sursis à exécution.
Ce raisonnement est encore à écarter, étant donné que le refus du dépôt n'a modifié ni la situation de droit antérieure, la convention collective n'ayant pas été juridiquement applicable, au sens de l'article 3, alinéa 2 de la loi précitée du 12 juin 1965, dès son dépôt matériel le 29 avril 1999, ni la situation de fait existante, étant donné qu'il ne se dégage pas des pièces versées que l'administration ait, dès le 29 avril 1999, provisoirement acquiescé à la création d'une telle situation qu'elle ait entendu remettre en question par un revirement de son attitude se matérialisant dans l'arrêté ministériel du 1er décembre 1999.
Il s'ensuit que le président du tribunal, statuant au provisoire dans le cadre de l'article 11 de la loi du 21 juin 1999, précitée, ne saurait ordonner le sursis à exécution de l'arrêté ministériel du 1er décembre 1999 portant refus du dépôt de la convention collective.
La requête introduite par l'ABBL se bornant à solliciter le sursis à exécution de l'arrêté ministériel, sa demande est irrecevable.
La demande introduite par les autres parties tend subsidiairement à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant à ordonner que les mesures prévues par la convention collective continuent à sortir leurs effets.
La demande afférente répondant par ailleurs aux conditions de forme et de délai, elle est recevable.
En vertu de l'article 12 de la loi précitée du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder 7 les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution d'une affaire dont est saisi le tribunal administratif, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Sous peine de vider de sa substance l'article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu'à la double condition que, d'une part, l'exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d'autre part, les moyens invoqués à l'appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d'admettre que l'institution d'une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l'appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d'une décision administrative alors même que les conditions posées par l'article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l'article 12 n'excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.
En l'espèce, il se dégage des pièces versées et des renseignements fournis que les parties contractantes exécutent les mesures prévues à la convention collective depuis son dépôt matériel. Par son inaction pendant sept mois comme suite au dépôt matériel de la convention collective, l'autorité administrative a laissé se créer un état de fait qui a entre-
temps généré des faits accomplis, des traitements ayant été ajustés, des primes ayant été payées, des programmes de formation, de réorientation et de perfectionnement s'étant déroulés. La non-applicabilité de la convention collective risque partant de causer aux salariés concernés un préjudice grave et définitif, des salaires devant le cas échéant être recalculés, ou des primes restituées. De plus, il se dégage d'un courrier adressé par l'Inspection du Travail et des Mines à une banque faisant partie de l'ABBL et exécutant la convention collective, que l'administration en question a exprimé des menaces de saisine du ministère public en vue de poursuites pénales en cas d'exécution de certaines stipulations de la convention collective.
Il suit de ce qui précède que l'exécution de l'arrêté ministériel entrepris risque de causer aux parties à la convention collective un préjudice grave et définitif.
D'autre part, les moyens invoqués à l'appui de leurs demandes au fond respectives par les parties et ci-avant exposés, apparaissent comme suffisamment sérieux pour qu'une mesure de sauvegarde soit ordonnée.
Au vu de la situation de fait qu'a laissé se créer l'autorité administrative, le trouble à l'ordre public éventuellement occasionné par l'applicabilité provisoire d'une convention collective qui serait déclarée non applicable par le tribunal statuant au fond, est sans commune mesure avec le préjudice qui serait causé aux parties à la convention collective si ladite convention cessait d'être appliquée pendant l'instruction de l'affaire au fond et que le juge du fond la déclarait finalement applicable, il y a lieu d'ordonner l'applicabilité provisoire des mesures prévues à la convention collective en attendant que le tribunal, statuant au fond, et sans que sa décision à intervenir, concernant les conditions de représentativité des organisations syndicales parties à la convention collective, soit préjudiciée.
La mesure emportant l'applicabilité provisoire de la convention collective ne préjuge pas de la légalité des disposition y contenues, étant donné qu'elle est prise dans le seul cadre du refus du dépôt de la convention, ce refus ne pouvant intervenir, conformément à l'article 3, alinéa 3 de la loi modifiée du 12 juin 1965, que pour cause d'absence de qualité des parties à une convention collective de travail, mais non pour cause d'illégalité des stipulations y contenues.
8 Il n'y a pas lieu d'ordonner, à ce stade, la mise en intervention d'autres organisations syndicales, étant donné qu'il s'agit d'une procédure d'urgence qui ne saurait subir aucun retard et que l'objet du litige se limite à des mesures provisoires ne préjudiciant pas la solution à intervenir au fond.
Par ces motifs, le soussigné président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, joint les demandes introduites sous les numéros respectifs 11735 et 11742 du rôle, déclare irrecevable la demande introduite par l'ABBL, condamne celle-ci aux frais de sa demande, déclare irrecevable la demande introduite par ALEBA a.s.b.l. et la fédération syndicale ALEBA-U.E.P. en tant qu'elle tend au sursis à exécution de la décision ministérielle entreprise au fond, la déclare recevable et justifiée en tant qu'elle tend à l'institution d'une mesure de sauvegarde, partant, par provision, en attendant que le tribunal administratif se prononce sur la légalité de l'arrêté ministériel du 1er décembre 1999 portant refus du dépôt de la "Convention collective de travail des employés de banque 1999 - 2000 - 2001", déclare applicable entre parties ladite convention, réserve les frais de la demande introduite par ALEBA a.s.b.l. et la fédération syndicale ALEBA- U.E.P.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 14 janvier 2000 par M. Ravarani, président du tribunal administratif, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Ravarani