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12/05/1999 | LUXEMBOURG | N°11277

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 1999, 11277


N° 11277 du rôle Inscrit le 4 mai 1999 Audience publique du 12 mai 1999

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Recours formé par Madame … AYOUMENIE contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 1999 par Maître Nora B. GAERTNER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … AYOUMENIE, ayant été placée au Centre Pénitentiaire

de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du mi...

N° 11277 du rôle Inscrit le 4 mai 1999 Audience publique du 12 mai 1999

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Recours formé par Madame … AYOUMENIE contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 1999 par Maître Nora B. GAERTNER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … AYOUMENIE, ayant été placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 avril 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nora B. GAERTNER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre du 28 août 1997, à l’adresse du ministre de la Justice, ci-après dénommé le « ministre », Madame … AYOUMENIE, née …, de nationalité camerounaise, introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour lui permettre de poursuivre des études au Centre Universitaire de Luxembourg.

Par lettre du 23 septembre 1997, le ministre sollicita différentes pièces et renseignements supplémentaires.

Le 6 mars 1998, le ministre refusa l’autorisation sollicitée au motif que Madame AYOUMENIE n’était pas en possession du visa requis pour l’entrée et le séjour au Grand-

Duché de Luxembourg. Par la même décision, le ministre l’invita à quitter le pays dans les meilleurs délais.

1 Suite à un recours gracieux, introduit le 11 mai 1998 par le mandataire de Madame AYOUMENIE, le ministre confirma sa décision initiale et réitéra son invitation de quitter le territoire luxembourgeois.

Le 13 avril 1999, le ministre demanda au Service de Police Judiciaire - section des étrangers - de contrôler si Madame AYOUMENIE séjournait toujours au pays et, dans l’affirmative, de l’inviter à quitter le pays.

Il ressort d’un procès-verbal n°6/865/99 du 22 avril 1999 établi par le service de police judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux, de la gendarmerie grand-ducale, que « Am 22. April 1999 gegen 07.30 Uhr begaben sich Unterzeichnete nach Luxemburg/Hamm, 200 A rue de Hamm, um hier im Rahmen eines Gesuches des Justizministeriums eine Ueberprüfung betreffend AYOUMENIE … zu tätigen.

Als Unterzeichnete mit dem Dienstkraftwagen an vorgenannter Adresse vorfuhren, bemerkten sie eine Frau von afrikanischer Herkunft in der Nähe der Wohnung. Sie wurde aufgefordert sich auszuweisen und behauptete AYOUMENIE …zu sein, indem sie uns eine luxemburgische Sozialversicherungskarte tragend den Namen AYOUMENIE …vorzeigte. Sie gab an ihre weiteren Papiere würden sich in der Wohnung befinden und wurde daraufhin aufgefordert, Unterzeichnete zu ihrer Wohnung zu begleiten, welcher Aufforderung sie dann auch nachkam.

Bevor sie dann jedoch die Wohnungstür öffnen sollte, fing sie laut an zu schreien, dies offensichtlich, um eine andere, sich in der Wohnung befindeten Person zu warnen.

Die Frau weigerte sich mehrmals, die Tür zu öffnen, willigte dann aber freiwillig ein, Unterzeichnete zum Büro zu begleiten. Der Aufforderung, in den Dienstkraftwagen zu steigen, kam sie schliesslich nach einem kurzen Fluchtversuch nach.

Der Inhaber der Wohnung, Herr S. D. aus Luxemburg, wurde daraufhin telefonisch von diesem Vorfall in Kenntnis gesetzt, und kurze Zeit später wurde er in Hamm vorstellig. Er sagte der Frau, sie solle ihm die Wohnungsschlüssel geben, welcher Aufforderung sie auch nachkam.

Zusammen mit Herr S. und der Einwilligung der Frau afrikanischer Herkunft, ging dann Unterzeichneter in die Wohnung, wo in einem Schrank versteckt AYOUMENIE Fabienne, geboren am 12. 05. 1976, angetroffen wurde. Dieselbe wurde aufgefordert, Unterzeichnete mit zum Büro zu begleiten, welcher Aufforderung sie dann auch nachkam.

Bei einer ersten Vernehmung von AYOUMENIE …gab diese an, ihr Name sei LELL Marie Laure, geboren am 08. 01. 1974 in Douale/Kamerun (…). Sie sei wohnhaft in Paris, 38, rue des carrières. Eine Nachfrage bei der Dienststelle der DDCILECC Thionville ergab, dass es tatsächlich eine Frau LELL Marie Louise in Frankreich gibt, diese würde sich aber zur Zeit in Frankreich befinden.

Daraufhin angesprochen gab AYOUMENIE …schlussendlich zu, falsche Angaben gemacht zu haben. (…) Ihre wahre Identität sei AYOUMENIE Fabienne, geboren am 12. 05.

1976 in Bafoussam/Kamerun. Die Frau LELL Matagne sei eine Freundin aus Paris. Sie sei nicht im Besitz einer Aufenthaltsermächtigung für Luxemburg, und ihr Reisepass aus 2 Kamerun befände sich bei ihrem Anwalt Frau Nora GAERTNER. Die Frau, welche seitens Unterzeichnetem kontrolliert wurde, sei NGO TCHEMIE Julie. NGO TCHEMIE würde sie aus Kamerun kennen, und sie hätte NGO im Dezember/Januar in Luxemburg wiedergesehen.

Fest steht, dass sowohl AYOUMENIE …sowie NGO TCHERY Julienne falsche Angaben zu ihrer Person machten, und beide versuchten zu fliehen, respektiv sich zu verstecken. Der Reisepass von AYOUMENIE …befindet sich nach deren Angaben bei ihrem Anwalt Frau Nora GAERTNER, und der Reisepass von NGO bei einem Bekannten in Paris.

(…) » Par arrêté du 22 avril 1999, notifié le même jour, le ministre ordonna le placement de Madame AYOUMENIE au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressée a été invitée à quitter le pays en date du 6 mars et 16 juillet 1998 alors qu’elle y séjourne illégalement;

- qu’elle n’est pas en possession du visa requis;

- qu’un éloignement immédiat n’est pas possible;

Considérant qu’un risque de fuite réel nécessite que l’intéressée soit placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».

Par requête déposée le 4 mai 1999, Madame AYOUMENIE a introduit un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle de placement du 22 avril 1999.

En date du 5 mai 1999, le ministre s’adressa à l’ambassade de la République du Cameroun à Bruxelles pour solliciter la délivrance d’un titre d’identité ou un laissez-passer permettant son rapatriement au Cameroun.

Il se dégage encore d’un rapport n°6/974/99 daté au 5 mai 1999, établi par le service de police judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux, de la gendarmerie grand-ducale que, lors d’une audition supplémentaire de Madame AYOUMENIE, en date du même jour, celle-ci a notamment déclaré ne pas être disposée à retourner dans son pays d’origine.

Quant aux faits, la demanderesse fait notamment préciser dans son recours qu’en date du 21 août 1997, elle serait arrivée en France munie d’un visa Schengen valable du 6 août 1997 jusqu’au 17 septembre 1997. Le 25 août 1997, elle serait venue au Luxembourg aux fins de s’inscrire au Centre Universitaire de Luxembourg. A cette fin, elle aurait déposé, le 26 août 1997, une somme de 100.000.- francs à titre de garantie envers le ministère de la Justice sur un compte bancaire et, le 28 août 1997, elle aurait introduit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du ministère de la Justice. Le 30 août 1997, elle se serait inscrite au département « Lettres et Sciences Humaines, section Lettres Romanes - Français » audit Centre Universitaire et que ce dernier aurait confirmé son admission par lettre du 5 septembre 1997.

3 A l’appui de son recours, la demanderesse soutient en premier lieu que son incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg constituerait un traitement dégradant et inhumain, contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ce contexte, elle expose qu’elle serait venue au Luxembourg dans la seule et unique intention de poursuivre des études et qu’aucun reproche ne pourrait lui être fait, étant précisé qu’elle aurait régulièrement suivi ses cours et payé son loyer.

Elle soutient encore que le Centre Pénitentiaire ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère.

Par ailleurs, elle soutient que le ministre ne saurait se baser sur des circonstances de fait qui rendraient impossible la mise en exécution immédiate de son éloignement. Dans ce contexte, elle fait état de ce qu’elle serait « en possession d’un passeport muni du visa Schengen qui aurait permis de mettre en oeuvre immédiatement la première décision du Ministre de la Justice du 6 mars 1998, respectivement celle du 16 juillet 1998 ».

Enfin, la demanderesse demande au tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision litigieuse en attendant qu’il soit statué au fond.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours en annulation au motif qu’un recours en réformation serait prévu par la loi.

Concernant la demande de sursis à exécution, il conclut à son non fondé au motif que l’affaire serait en état d’être plaidée et jugée à brève échéance.

Le représentant étatique estime encore que les conditions d’application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 seraient remplies en l’espèce.

Dans cet ordre d’idées, il soutient que la demanderesse se trouverait en séjour illégal au Luxembourg, que son éloignement immédiat serait impossible, étant donné qu’elle ne serait pas en possession de « son passeport national valable » et que l’indication faite, lors de son contrôle du 22 avril 1999, que son passeport se trouverait entre les mains de son avocat, se serait révélée fausse par la suite, de sorte qu’à défaut d’un passeport, le ministère de la Justice serait dans l’impossibilité d’organiser l’éloignement immédiat de l’intéressée. Le délégué estime encore qu’il appartiendrait à la seule demanderesse de transmettre son passeport aux services du ministère afin de permettre son éloignement immédiat et qu’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice une quelconque inaction « alors que la durée de la détention dépend directement de la volonté de coopérer de Madame Ayoumenie ».

Concernant le risque de fuite, le délégué relève que la demanderesse n’aurait pas donné de suite à deux invitations à quitter le territoire luxembourgeois, que lors de son contrôle en date du 22 avril 1999 elle aurait fait usage d’une fausse identité et qu’elle aurait essayé à plusieurs reprises de prendre la fuite. Eu égard à ces faits, ensemble son refus de coopérer, un risque de fuite serait dès lors établi.

Par ailleurs, à défaut d’autres locaux appropriés, le placement dans une partie déterminée des locaux du Centre Pénitentiaire de Luxembourg ne serait pas illégal.

4 Enfin, le délégué du gouvernement ajoute que le placement ne constituerait pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Au contraire, l’article 5 de ladite Convention prévoirait expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours.

QUANT A LA RECEVABILITE Encore que la demanderesse entend exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision litigieuse. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 22 avril 1999. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demande en annulation de la décision de placement est partant à déclarer irrecevable.

QUANT A LA DEMANDE DE SURSIS A EXECUTION S’il est vrai qu’en vertu de l’article 3 de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable devant les juridictions administratives, le tribunal peut conférer un effet suspensif aux recours en annulation et en réformation, il n’en reste pas moins que l’article 99, 10 de la loi précitée du 7 novembre 1996 dispose que pendant le délai d’appel et l’instance d’appel il sera sursis à l’exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions litigieuses.

Il se dégage de la combinaison de ces deux textes que sous peine de violer l'interdiction de conférer aux jugements du tribunal administratif un effet provisoire pendant le délai et l'instance d'appel, l'effet suspensif dont se voit assorti un recours ne saurait perdurer au-delà de la date du jugement statuant sur le fond du recours auquel la demande d'effet suspensif se rattache. Il en découle encore que le tribunal ne saurait ordonner l'effet suspensif du recours au cas où il statue en même temps sur l'effet suspensif et le fond (trib. adm. 15 juillet 1997, Pas.

adm 1/99, V° Procédure contentieuse, V Effet suspensif, n°67, et autre référence y citée).

Le tribunal étant amené à vider le fond du litige, la demande en effet suspensif est à abjuger.

QUANT AU FOND 5 Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressée est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « …. 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-

ci est requis … ».

Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.

En l’espèce, il ressort des procès-verbaux précités des 22 avril 1999 et 5 mai 1999 de la gendarmerie grand-ducale que la demanderesse n’était pas en possession de papiers de légitimation valables et de visa requis, étant rappelé qu’elle est de nationalité camerounaise.

Le défaut de papiers de légitimation valables et de visa requis est un motif légal justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la demanderesse était sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que l’exécution de la mesure d’éloignement était impossible en raison du fait que la demanderesse n’était en possession ni de documents d’identité ni d’un titre de séjour, que ce soit pour un Etat membre de l’Union Européenne ou encore pour un Etat tiers, de sorte que le rapatriement de la demanderesse nécessite notamment la délivrance par l’ambassade de son pays d’origine d’un laissez-passer en vue de la rapatrier dans ledit pays. Il ressort encore du dossier que l’identité de la demanderesse n’est pas absolument certaine, en raison notamment de la fausse identité empruntée, tel que cela ressort du procès-verbal précité du 22 avril 1999, de sorte que l’administration est en droit de procéder en outre à des mesures de vérification supplémentaires, notamment auprès des autorités de son prétendu pays d’origine, en l’espèce le Cameroun. Comme ces mesures requièrent un certain délai, il a valablement pu être estimé que sur base de toutes les circonstances de fait exposées ci-avant, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement était rendue impossible.

6 Une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe encore dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure.

En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que la demanderesse, lors du contrôle, ci-avant relaté, du 22 avril 1999 s’est cachée et, dans un premier temps, a fait usage d’une fausse identité et qu’il ressort du procès-verbal du 5 mai 1999 qu’elle n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine.

Il existe partant, dans le chef de la demanderesse, un risque qu’elle essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure.

Il convient encore d’analyser si, en l’espèce, le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig constitue l’« établissement approprié » tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972. En effet, l’incarcération dans un centre pénitentiaire, sans que l’intéressé ne soit poursuivi ou condamné pour une infraction pénale, même si, dans la présente matière, elle ne constitue pas, en elle-même, une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne se justifie qu’au cas où, en outre, cette personne constitue un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. La privation de liberté par l’incarcération dans un centre pénitentiaire doit constituer une mesure d’exception, à appliquer seulement en cas d’absolue nécessité et il échet d’éviter une telle mesure dans tous les cas où la personne visée par une mesure de placement ne remplit pas les conditions précitées et qu’elle peut être retenue et surveillée par le gouvernement d’une autre manière afin d’éviter qu’elle se soustraie à son éloignement ultérieur.

S’il est vrai que le placement des étrangers concernés dans une partie déterminée des locaux du Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, où ils seraient séparés des autres détenus et soumis à un régime spécial, adapté à leur situation spécifique, serait, le cas échéant, de nature à constituer un établissement approprié au sens de l’article 15 précité, le tribunal doit cependant constater qu’à l’heure actuelle, les étrangers placés au Centre Pénitentiaire ne sont pas installés dans une telle structure déterminée et spéciale dans l’enceinte dudit Centre Pénitentiaire, mais qu’ils se trouvent parsemés dans les différents quartiers de la prison, mélangés avec les autres détenus et soumis au régime applicable à ceux-ci.

Ceci se dégage du rapport d’activité pour l’année 1998 concernant l’administration des établissements pénitentiaires et la politique pénologique du 16 décembre 1998 du délégué du procureur général d’Etat (publié dans le rapport d’activités 1998 du ministère de la Justice), aux termes duquel « 5. Les étrangers placés au CPL par décision du Ministre de la Justice.

(…) Les structures actuelles du CPL et la surpopulation sévère qui y sévit depuis des années n’a pas permis de prévoir des structures spéciales pour les étrangers placés. Ils sont mélangés - dans tous les quartiers de la prison - à la population pénale et soumis au même régime que les autres détenus.

Cette situation est inacceptable.

Dès que des nouveaux bâtiments seront prêts, je prendrai les mesures nécessaires pour réserver un quartier spécial aux étrangers placés où ils seront soumis à un régime ouvert 7 beaucoup plus souple que le régime des détenus de droit commun et je prendrai les mesures qui s’imposent pour y voir affecter un personnel spécialement formé à cet effet. (…) ».

En l’absence d’indications soit, en général, quant à un changement de cet état des choses, soit, en l’espèce, quant à un traitement spécifique de l’intéressée, et comme les éléments du dossier n’établissent pas à suffisance de droit que la demanderesse constitue un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, c’est-à-dire à défaut d’une dangerosité particulière dans son chef, son placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, ensemble avec des personnes condamnées par une juridiction correctionnelle ou criminelle ou en détention provisoire sur base d’une poursuite pénale, n’est pas approprié.

L’argumentation consistant à soutenir que l’absence d’un autre établissement approprié justifierait une incarcération systématique des personnes visées au Centre Pénitentiaire ne saurait emporter la conviction du tribunal et est à écarter.

En l’absence d’un établissement approprié existant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, il appartient au tribunal de décider, par réformation d’une décision ministérielle de placement, ce qu’il faut entendre par établissement approprié, au sens de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972. Au vu des faits de l’espèce, il convient d’ordonner le placement de la demanderesse dans une chambre d’un foyer ou dans tout autre local similaire approprié, à surveiller par la force publique afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

déclare le recours en annulation irrecevable;

déclare non fondée la demande en sursis à exécution et en déboute;

au fond déclare le recours en réformation partiellement justifié;

partant annule la décision ministérielle du 22 avril 1999 dans la mesure où elle a, en plus du placement de Madame AYOUMENIE, ordonné son incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig et, par réformation, ordonne le placement de l’intéressée dans un établissement approprié, tel une chambre d’un foyer ou tout autre local similaire approprié, à surveiller par un agent des forces de l’ordre afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure du territoire luxembourgeois et renvoie le dossier au ministre de la Justice pour prosécution;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

8 M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 12 mai 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11277
Date de la décision : 12/05/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-05-12;11277 ?

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