N° 11200 du rôle Inscrit le 18 mars 1999 Audience publique du 24 mars 1999
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Recours formé par Monsieur … MENDE KONGA contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 1999 par Maître Dean SPIELMANN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MENDE KONGA, de nationalité congolaise, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er mars 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard, cette requête contenant en outre une demande d’effet suspensif tendant à voir prononcer le sursis à exécution de la décision précitée du ministre de la Justice;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal le 22 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Veerle WILLEMS, en remplacement de Maître Dean SPIELMANN et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Par lettre datée du 16 janvier 1997, entrée au ministère de la Justice le 3 mars 1997, Monsieur … MENDE KONGA, né le 27 décembre 1950, de nationalité congolaise, déclarant demeurer à L-…, introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour au Luxembourg.
Par lettre du 28 mars 1997, le ministre de la Justice sollicita des justificatifs relativement à des moyens d’existence personnels et une copie du passeport de l’intéressé.
Suite à l’introduction d’une nouvelle demande en date du 23 octobre 1997, le ministre de la Justice refusa, par lettre du 4 décembre 1997, l’octroi d’une autorisation de séjour au motif que Monsieur MENDE KONGA n’était pas en possession d’un visa d’entrée requis pour l’entrée au Luxembourg. Par le même courrier, Monsieur MENDE KONGA fut invité à quitter le territoire luxembourgeois.
1 Suite à une intervention de l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés, ci-après dénommée « ASTI », auprès des services du ministère de la Justice, le ministre de la Justice confirma le 27 mai 1998 sa décision de refus de délivrer une autorisation de séjour en faveur de l’intéressé, au motif qu’il était démuni du visa d’entrée requis et qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels et suffisants. Monsieur MENDE KONGA fut à nouveau invité à quitter le territoire luxembourgeois.
Suite à un recours gracieux introduit par l’ASTI, le ministre de la Justice reconfirma le 5 janvier 1999 sa décision négative antérieure.
Il ressort d’un rapport n°… établi le 1er mars 1999 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale que Monsieur MENDE KONGA a été convoqué le 9 novembre 1998 dans les locaux du service de police judiciaire, qu’il n’a pas été en mesure de présenter un passeport valable « déclarant ne plus savoir, où se trouvait celui-ci », qu’« interrogé sur le fait qu’il ne disposait toujours pas de visa pour un séjour régulier au Luxembourg, MENDE déclarait avoir entamé des demandes afférentes en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour », qu’« en ce qui concerne son domicile, il résultait de nos recherches, que MENDE occupait une chambre à l’hostellerie « … » situé dans la rue … à Luxembourg-ville et qu’il payait un loyer de 15.000 flux par mois.
Des mêmes recherches découlait, que MENDE n’était pas connu de la sécurité sociale, et que de ce fait il n’avait pas d’occupation professionnelle rémunérée à ce moment là, ni à un autre moment donné. MENDE affirme pourtant avoir loué ses services, dans le domaine de l’informatique, à la firme « Arthur Anderson Consulting » et ceci sous le statut de « freelands » [sic]. Ceci n’équivaut certainement pas à une activité professionnelle régulière, apportant une rémunération fixe, puisque d’après les déclarations de l’hébergeur, MENDE lui devait plus ou moins la somme de 45.000 Flux, équivalant au loyer de 3 mois.
(…) Suite à la correspondance du Ministère de la Justice, en date du 22.10.1998, MENDE était invité, vu sa situation, à quitter le pays délibérément, ce que ce dernier promettait de faire.
A la suite d’une nouvelle requête de la part du Ministère de la Justice, en date du 05 février 1999, et après avoir rencontré MENDE par un cas fortuit, au quartier de la Gare, le soussigné entreprenait une nouvelle recherche au fichier d’hébergement de la Gendarmerie, d’après laquelle MENDE occuperait toujours encore la chambre à l’hostellerie « … ».
Le 01 mars 1999, le soussigné, accompagné du commissaire-adjoint J. A., se présentait à l’adresse sus-indiquée et y trouvait MENDE pour lequel la situation, au Grand-
Duché de Luxembourg, n’avait guère changée.
Mis au courant des faits, le Ministère de la Justice, par le biais de M. W. S., émit une « Mesure de Placement » en vue de son prochain éloignement, au Centre Pénitentiaire à Schrassig. (…) 2 Quant aux doutes de la validité du passeport émis sous l’effigie de l’ancienne République du Zaire, une recherche auprès de l’ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles, donnait, que ledit passeport était bel et bien valable, si la date d’expiration était respectée. (Pp valable jusqu’au 13.07.1999) (…) ».
Par arrêté du ministre de la Justice du 1er mars 1999, Monsieur MENDE KONGA a été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:
« Considérant que l’intéressé a été invité à quitter le pays à plusieurs reprises alors qu’il y séjourne toujours illégalement;
- qu’il n’est pas en possession d’un visa requis;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence propres;
Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».
Par requête déposée le 18 mars 1999, Monsieur MENDE KONGA a introduit un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement du 1er mars 1999.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 1er mars 1999. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
La demande en annulation de la décision de placement, présentée en ordre subsidiaire, est partant à déclarer irrecevable, étant donné qu’en vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient que son incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig serait illégale car prise en violation de l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, ainsi que des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le délégué du gouvernement reproche au demandeur de ne pas avoir précisé en quoi consisterait la prétendue violation des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Soutenant que le demandeur, en omettant de fournir des éléments concrets sur lesquels il se base pour établir l’illégalité alléguée, mettrait le tribunal dans l’impossibilité d’analyser in concreto la légalité de la décision critiquée, il demande le rejet dudit moyen.
3 Par ailleurs, le représentant étatique soutient que le placement dans une partie déterminée des locaux du Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig serait légalement justifiée.
Dans sa réplique, le demandeur précise qu’il ne serait pas un criminel, de sorte que le fait de le mettre en prison équivaudrait à le soumettre à un traitement dégradant et inhumain prohibé par la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour le surplus, le Centre Pénitentiaire ne constituerait pas un établissement approprié tel qu’exigé par ladite convention ainsi que par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il estime que le moyen fondé sur les articles 3 et 5 de la convention précitée serait formulé de manière suffisamment précise et que l’argumentation afférente du délégué ne serait pas fondée.
Lors des plaidoiries et sur question du tribunal, le délégué du gouvernement a confirmé que Monsieur MENDE KONGA est en possession d’un passeport valable. Il a encore ajouté que si un refoulement dans le pays d’origine du demandeur pourrait en principe être organisé sans difficultés et sans contretemps significatifs, la famille du demandeur, qui résiderait légalement en Belgique, aurait contacté les services du ministère de la Justice et le ministre se serait déclaré d’accord à renoncer à un rapatriement au pays d’origine et de le refouler en Belgique si, soit le demandeur, soit ses proches, documenteraient que l’intéressé est autorisé à séjourner en Belgique.
Concernant la justification, au fond, de la mesure de placement, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressé est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « …. 2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour; … 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis … ».
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif, notamment du rapport de la gendarmerie grand-ducale précité du 1er mars 1999 que le demandeur séjourne depuis un certain temps au Grand-Duché sans être en possession d’un visa d’entrée au pays et sans justifier de l’existence de moyens personnels suffisants.
Le défaut du visa requis par la loi ainsi que le défaut d’être en possession de moyens personnels sont des motifs légaux justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de 4 base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur MENDE KONGA était sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.
La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.
Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.
Force est de relever que la mesure de placement a été prise le 1er mars 1999 et que le demandeur a été incarcéré le même jour au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig et qu’à l’heure actuelle, il est toujours incarcéré audit Centre Pénitentiaire soit depuis 24 jours.
Force est encore et surtout de constater que le demandeur est titulaire d’un passeport valable permettant ainsi un rapatriement rapide dans son pays d’origine, après organisation des modalités pratiques nécessaires. Or, jusqu’à ce jour, aucune démarche n’a été entreprise par le ministre de la Justice en vue d’un éloignement de l’intéressé dans son pays d’origine.
L’argumentation du délégué du gouvernement consistant à soutenir que le ministre attendrait des pièces justificatives relativement à un droit de séjour en Belgique, ne saurait justifier une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat et de maintenir le demandeur en prison en attendant une clarification d’une éventuelle possibilité de refoulement vers la Belgique. Dans ce contexte, le tribunal constate, sur base des éléments du dossier et des informations à sa disposition que le ministère de la Justice a été contacté par la famille du demandeur par lettre du 12 mars 1999 et que jusqu’à cette date, aucune démarche n’a été entreprise par le ministre en vue d’organiser le rapatriement du demandeur soit dans son pays d’origine, soit en Belgique où réside sa famille, et qu’après avoir été approché par la famille de Monsieur MENDE KONGA, la seule diligence faite par le ministre a consisté dans un courrier adressé en date du 15 mars 1999 à la fille du demandeur lui demandant de fournir la preuve que son père est légalement admissible en Belgique, sans entreprendre une quelconque autre démarche, notamment auprès des autorités belges afin de connaître notamment le statut du demandeur en Belgique. L’attente, passive, des autorités nationales d’informations sur le statut du demandeur en Belgique, ne saurait, en l’absence de démarches appropriées, justifier une privation de liberté prolongée de l’intéressé par son incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, d’autant plus qu’il dispose d’un passeport valable permettant son éloignement vers son pays d’origine.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le défaut de prendre des mesures appropriées dès que le placement a été ordonné afin d‘assurer que l’intéressé puisse être éloigné du pays dans les meilleurs délais et afin d’écourter au maximum sa privation de liberté et le défaut de justifier l’existence de faits rendant un éloignement immédiat impossible établissent que la condition légalement requise, à savoir l’impossibilité de l’exécution d’une décision de refoulement en raison de circonstances de fait, n’est pas remplie et la mesure de placement à l’encontre de Monsieur MENDE KONGA n’est pas justifiée.
5 Le recours est fondé sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur à l’appui de son recours. Il y a partant lieu d’ordonner la mise en liberté immédiate du demandeur.
Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur a encore demandé qu’il soit sursis à l’exécution de la décision critiquée. Il ressort encore des précisions apportées dans son mémoire en réplique que le demandeur ne se limite pas à conclure à ce qu’en attendant à ce que le tribunal ait statué sur le fond, le tribunal ordonne un effet suspensif du recours, pareille demande étant devenue sans objet en raison du fait que le tribunal est amené à statuer en même temps sur le fond, mais qu’au-delà du jugement à intervenir, le tribunal ordonne le sursis à exécution de ladite décision en attendant que soit son jugement devienne définitif soit que la Cour administrative ait statué - par un arrêt définitif - sur un éventuel appel.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de cette demande au motif que l’affaire serait en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
S’il est vrai qu’en vertu de l’article 3 de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable devant les juridictions administratives, le tribunal peut conférer un effet suspensif aux recours en annulation et en réformation, il n’en reste pas moins que l’article 99, 10 de la loi précitée du 7 novembre 1996 dispose que pendant le délai d’appel et l’instance d’appel il sera sursis à l’exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions litigieuses.
Il se dégage de la combinaison de ces deux textes que sous peine de violer l'interdiction de conférer aux jugements du tribunal administratif un effet provisoire pendant le délai et l'instance d'appel, l'effet suspensif dont se voit assorti un recours ne saurait perdurer au-delà de la date du jugement statuant sur le fond du recours auquel la demande d'effet suspensif se rattache. Il en découle encore que le tribunal ne saurait ordonner l'effet suspensif du recours au cas où il statue en même temps sur l'effet suspensif et le fond (trib. adm. 15 juillet 1997, Pas.
adm 1/99, et autre référence y citée).
Le tribunal étant amené à vider le fond du litige, la demande en effet suspensif est à abjuger.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
déclare le recours en annulation irrecevable;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare justifié;
partant annule la décision du ministre de la Justice du 1er mars 1999 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur MENDE KONGA;
6 déclare non fondée la demande en sursis d’exécution et en déboute, condamne l‘Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 24 mars 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 7