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18/06/1998 | LUXEMBOURG | N°10617,10618

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 1998, 10617,10618


Nos 10617 et 10618 du rôle Inscrits le 17 mars 1998 Audience publique du 18 juin 1998

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Recours formés par M. … HOSTERT contre le ministre des Affaires étrangères en matière d'affectation

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10617 du rôle, déposée le 17 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître André ELVINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HOSTERT, ministre plénipotentiaire ayant sa résidence à â

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Nos 10617 et 10618 du rôle Inscrits le 17 mars 1998 Audience publique du 18 juin 1998

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Recours formés par M. … HOSTERT contre le ministre des Affaires étrangères en matière d'affectation

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10617 du rôle, déposée le 17 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître André ELVINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HOSTERT, ministre plénipotentiaire ayant sa résidence à …, tendant à l’annulation d’une décision matérialisée par une lettre signée le 23 janvier 1998 par le ministre des Affaires étrangères, portant rappel du demandeur, actuellement en poste à l'ambassade luxembourgeoise de Rome, au ministère des Affaires étrangères, avec effet au 1er août 1998, pour y être chargé des affaires juridiques et culturelles sous l'autorité du Secrétaire général;

Vu la requête inscrite sous le numéro 10618 du rôle, déposée le même jour au greffe du tribunal administratif par Maître André ELVINGER au nom du même demandeur, tendant à ordonner qu'en attendant qu'il soit statué sur le recours déposé sous le numéro 10617 du rôle, il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée par ledit recours;

Vu les mémoires en réponse respectifs déposés au greffe du tribunal administratif le 24 avril 1998 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom du ministre des Affaires étrangères;

Vu les exploits de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 24 avril 1998, portant signification des mémoires en réponse respectifs à Monsieur … HOSTERT, déposés au greffe du tribunal administratif le 4 mai 1998;

Vu les mémoires en réplique respectifs déposés le 11 mai 1998 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur … HOSTERT;

Vu les mémoires en duplique déposés respectivement le 4 juin 1998 au greffe du tribunal administratif au nom du ministre des Affaires étrangères;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Carlos CALVO, huissier de justice suppléant, demeurant à Luxembourg, du 4 juin 1998, portant signification desdits 2 mémoires en duplique à Monsieur … HOSTERT, déposés au greffe du tribunal administratif le 11 juin 1998;

Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport ainsi que Maîtres André ELVINGER et François MOYSE en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 janvier 1998, le ministre des Affaires étrangères adressa à Monsieur … HOSTERT, ministre plénipotentiaire en poste à l'ambassade luxembourgeoise à Rome, une lettre de la teneur suivante:

"Monsieur l'Ambassadeur, Objet: Nouvelle affectation J'ai l'honneur de vous informer que le Conseil de Gouvernement a ratifié ma proposition de vous rappeler au Ministère pour y être chargé des affaires juridiques et culturelles sous l'autorité du Secrétaire Général.

Je vous serais obligé de bien vouloir prendre vos dispositions en vue d'assumer vos nouvelles fonctions le 1er août 1998.

Tout en vous exprimant mes remerciements pour votre coopération passée, et cela notamment lors de la Présidence, je tiens à vous dire que je compte sur une excellente collaboration avec vous dans l'accomplissement des nouvelles tâches qui vous seront confiées.

Veuillez agréer, Monsieur l'Ambassadeur, l'expression de ma haute considération.

s. Jacques F. Poos." N'étant pas disposé à donner suite à cette invitation, Monsieur HOSTERT a fait introduire, par requête du 17 mars 1998, à son encontre un recours en annulation pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.

Par requête du même jour, il a encore fait introduire une demande tendant à voir ordonner qu'en attendant qu'il soit statué sur le recours en annulation précité, il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée par ledit recours.

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour raison de connexité, il y a lieu de joindre les deux demandes pour y statuer par un seul et même jugement.

3 Quant à la requête inscrite sous le numéro 10617 du rôle Recevabilité L'Etat soulève l'irrecevabilité du recours au motif que la requête n'indique pas l'énonciation du domicile du demandeur.

En vertu de l'article 1er de l'arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d'Etat, applicable devant le tribunal administratif, la requête introductive d'instance doit contenir, entre autres, les noms et demeures des parties.

Le but de cette disposition est de permettre l'identification sans équivoque des parties au litige. Son inobservation n'entraîne la nullité de la requête introductive d'instance qu'au cas où elle n'a pas permis à la partie défenderesse d'identifier son adversaire et de se défendre utilement, violant ainsi ses droits de la défense.

En l'espèce, l'identité du demandeur ressort de manière certaine, sans risque de confusion possible, des énonciations de la requête introductive d'instance. Le contenu des mémoires déposés au nom de l'Etat montre qu'il ne s'est pas trompé sur l'identité du demandeur et a pu utilement préparer sa défense, de sorte que le moyen d'irrecevabilité de la demande tirée de l'inobservation de l'article 1er de l'arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866, précité, est à écarter.

L'Etat soulève encore l'irrecevabilité du recours au motif qu'il viserait une simple décision d'information envoyée par le ministre des Affaires étrangères à son ambassadeur à Rome, la décision administrative attaquable par voie d'un recours contentieux devant se matérialiser ultérieurement par un arrêté grand-ducal.

L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l'objet d'un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief (trib. adm. 18 mars 1998 n° 10286 du rôle, Biever).

En vertu de l'article 6, 2., alinéa 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après appelée "le statut général", le changement d'affectation du fonctionnaire est opéré par le chef de l'administration dont le fonctionnaire relève.

L'Etat lui-même considère la lettre incriminée du 23 janvier 1998, par laquelle le demandeur est rappelé à Luxembourg pour s'y occuper des affaires juridiques et culturelles comme opérant un changement d'affectation, la lettre mentionnant expressément qu'il s'agit d'une "nouvelle affectation." Ainsi qualifiée, la décision 4 afférente relève partant de la compétence du ministre des Affaires étrangères, et non du Grand-Duc.

Dans ce sens, la lettre constitue une décision finale de nature à affecter la situation personnelle du demandeur et comme telle susceptible d'un recours contentieux.

Dans la mesure où la décision afférente serait à qualifier comme constituant une mesure autre qu'un changement d'affectation, cette circonstance ne saurait lui enlever le caractère de décision administrative finale susceptible d'un recours, étant donné que selon la qualification lui attribuée par l'autorité ayant pris la décision, celle-ci constituait une décision finale de nature à produire des effets juridiques. - Il y a lieu d'ajouter, dans ce contexte, qu'il importe peu que l'acte soit fondé ou non sur une base légale dès lors que, dans l'intention de son auteur, il devait sortir des effets juridiques.

Or, dans la lettre du 23 janvier 1998, Monsieur HOSTERT a été invité à se mettre en conformité avec la décision le concernant pour le 1er août 1998, sans qu'on lui ait annoncé qu'un arrêté grand-ducal formaliserait la décision afférente, et, d'autre part, depuis le 23 janvier 1998, aucun arrêté grand-ducal concernant la nouvelle situation du demandeur n'a été pris. Au contraire, l'agrément de son successeur comme ambassadeur en Italie a été demandé et obtenu.

Le moyen d'irrecevabilité tiré de l'absence d'une décision administrative susceptible d'un recours contentieux est partant à écarter à son tour.

L'Etat soulève finalement l'absence d'intérêt à agir dans le chef du demandeur, au motif que s'il est vrai que celui-ci se voit chargé d'un nouveau poste au Luxembourg au lieu de l'étranger, il garde son titre d'ambassadeur ainsi que son grade et reçoit de nouvelles prérogatives.

Ce moyen est à écarter, étant donné que le rappel d'un ambassadeur en poste à l'étranger au Luxembourg, modifiant nécessairement et de manière profonde sa situation professionnelle, affecte dès lors les intérêts de celui-ci, même si ces intérêts ne sont pas de nature patrimoniale, et l'autorise à faire contrôler la décision afférente par le juge.

Le recours, répondant par ailleurs aux exigences de forme et de délai, est partant recevable.

Fond Quant au moyen d'incompétence de l'autorité ayant pris la décision attaquée Le demandeur fait valoir que la décision incriminée émanerait d'une autorité incompétente, étant donné qu'en matière de changement d'affectation, mesure qui, d'après la formulation de la lettre du 23 janvier 1998, constitue l'objet de la décision y contenue, la décision appartient au chef de l'administration dont le fonctionnaire relève, donc, en l'espèce, du ministre des Affaires étrangères, alors que, d'après le contenu 5 même de la lettre incriminée, ce n'est pas le ministre compétent qui a pris la décision attaquée, mais le conseil de gouvernement qui a "ratifié" la "proposition" du ministre des Affaires étrangères.

Monsieur HOSTERT soutient d'autre part que la mesure prise à son égard ne constitue pas un changement d'affectation, mais un changement de fonction appartenant, en vertu de l'article 6, 3. du statut général, non au chef de l'administration, mais à l'autorité investie du pouvoir de nomination du fonctionnaire, c'est-à-dire, en l'espèce, au Grand-Duc.

En se prévalant de la disposition de l'article 1er, 4. (et non, comme indiqué erronément dans le mémoire en réponse, de l'article 4) du statut général, en vertu de laquelle ledit statut s'applique sous réserve des dispositions spéciales établies pour certains corps de fonctionnaires par les lois et règlements, l'Etat conclut à l'inapplicabilité de la disposition légale invoquée par le demandeur, étant donné que le statut des agents diplomatiques serait régi par la loi du 30 juin 1947 portant organisation du Corps diplomatique et le "règlement" grand-ducal du 28 mai 1948 relatif à l'organisation des services extérieurs du Ministère des Affaires Etrangères et du Commerce extérieur.

En vertu de l'article 6 de la loi du 30 juin 1947, les membres du personnel diplomatique, se composant d'envoyés extraordinaires et de ministres plénipotentaires, de conseillers de légation, de secrétaires de légation et d'attachés de légation sont nommés par le Grand-Duc. Pareillement, les articles 6 à 11 de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948 prévoient des conditions de nomination spécifiques concernant les différentes catégories du personnel diplomatique.

S'il est vrai, ainsi, que l'un et l'autre de ces textes prévoient des dispositions spécifiques au sujet des nominations aux différentes fonctions de la carrière diplomatique, ils ne contiennent des dispositions particulières, ni concernant les changements d'affectation, ni encore concernant la distinction entre changement de fonction et changement d'affectation, de sorte que, par application de l'article 1er, 4.

du statut général, en vertu duquel le statut général s'applique aux fonctionnaires dans toutes les situations qui ne sont pas réglées spécialement par un autre texte, les dispositions afférentes du statut général sont applicables. Cette conclusion découle encore de l'article 23 de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948, précité, qui dispose que pour autant que l'arrêté en question ou d'autres dispositions spéciales n'y dérogent pas, les agents diplomatiques sont soumis aux lois et règlements en vigueur concernant les droits et devoirs des fonctionnaires publics.

Selon l'article 6, 2. dudit statut, par changement d'affectation, il y a lieu d'entendre l'assignation au fonctionnaire d'un autre emploi correspondant à la fonction dont il est investi au sein de son administration. - L'article 6, 3. définit le changement de fonction comme la nomination du fonctionnaire à une autre fonction de la même carrière et du même grade, au sein de son administration. - Tout en reconnaissant que les deux notions sont voisines et que la distinction entre changement d'affectation et changement de fonction peut se révéler malaisée (v. doc. parl n° 3029, avis du Conseil d'Etat), aucune des instances ayant collaboré à l'élaboration des dispositions législatives en question n'a fourni des précisions quant à la distinction entre l'une et l'autre notion.

6 Monsieur HOSTERT fait partie du personnel diplomatique et occupe la fonction de ministre plénipotentiaire, telle que prévue par l'article 1er de la loi du 30 juin 1947. Conformément à l'article 11 de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948, précité, il a été nommé à cette fonction par arrêté grand-ducal.

Il ressort de l'ensemble des dispositions de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948, et en particulier de son article 20, que les agents diplomatiques peuvent occuper indifféremment un poste à l'étranger ou, pour des raisons de service, être affectés au ministère des Affaires étrangères ou mis à la disposition d'un autre département ministériel. Hormis le cas de la mise à la disposition d'un autre département ministériel, qui constitue un changement d'administration, en tout cas si elle est définitive, les agents diplomatiques peuvent donc, sans changer de fonction, être rappelés d'un poste à l'étranger pour être affectés à un poste au sein du ministère des Affaires étrangères.

Un tel changement de poste constitue partant un changement d'affectation au sens de l'article 6, 2. du statut général, qui est de la compétence du chef de l'administration dont le fonctionnaire relève, donc, en l'espèce, du ministre des Affaires étrangères.

Le demandeur reproche encore à la décision attaquée d'émaner du conseil des ministres, organe incompétent pour prendre la décision.

Il est vrai que, selon les termes mêmes de la lettre du 23 janvier 1998, le conseil de gouvernement "a ratifié" la "proposition" du ministre des Affaires étrangères de rappeler le demandeur à Luxembourg.

Les termes employés sont à placer dans le contexte de l'article 8, alinéa 3 de l'arrêté grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du Gouvernement grand-ducal, qui dispose que "chaque membre du Gouvernement a le droit de provoquer une décision du Conseil sur les affaires de son département", ce qui implique que si un ministre soumet une proposition de décision concernant une affaire relevant de son département au conseil de gouvernement et que celui-ci la ratifie, la décision n'émane pas pour autant du gouvernement, mais bien du ministre compétent, le gouvernement en conseil se bornant à y adhérer.

Il suit des considérations qui précèdent qu'en dépit des termes équivoques de la lettre du 23 janvier 1998, la décision qui fait l'objet du présent recours a été prise par le ministre des Affaires étrangères, organe compétent pour la prendre.

Quant au moyen tiré de la violation des formes destinées à protéger les intérêts privés Le demandeur reproche à la décision attaquée d'être intervenue en violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, en particulier de celles prévues par l'article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, en ce que la décision omet 7 d'indiquer les motifs sur lesquels elle repose, et l'article 6, alinéa 5 du statut général, en ce qu'il n'a pas été entendu préalablement en ses observations.

Concernant le moyen tiré de la violation de l'article 14 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979, précité, l'Etat conclut à l'inapplicabilité du texte en question aux motifs, d'une part, que celui-ci, ayant une vocation subsidiaire dans ce sens qu'il ne s'applique que dans la mesure où un texte particulier n'organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l'administré, serait tenu en échec, en l'espèce, par les textes spéciaux relatifs à l'organisation du ministère des Affaires étrangères, et, d'autre part, que le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n'est pas applicable aux fonctionnaires, ceux-ci n'étant pas à considérer comme administrés dans leurs rapports statutaires avec leur propre administration.

Dans ses relations avec sa propre administration, le fonctionnaire est à considérer comme administré, de sorte qu'en principe, les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 lui sont applicables dans la mesure où les règles spécifiques régissant son statut ne présentent pas pour lui des garanties équivalentes (trib. adm. 14 juillet 1997, Pas. adm. 1/1998, V° Fonction publique, n° 47, p. 74; v. par analogie, J.P.

Luxembourg 22 janvier 1997, n° 468/97, qui a refusé d'écarter les fonctionnaires du champ d'application de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques).

Par application de l'article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 s'appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n'organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l'administré.

L'article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est invoqué à tort par le demandeur pour reprocher à la décision attaquée de ne pas être motivée, étant donné qu'il prévoit l'indication obligatoire des voies de recours contre les décisions administratives. En revanche, l'article 6, alinéa 2 du même règlement grand-ducal prévoit que lorsqu'une décision modifie une décision antérieure, elle doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

En l'espèce, la décision attaquée ne contient aucune motivation, ni en fait ni en droit.

Cependant, la sanction de l'obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l'administration peut produire les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (v. Cour administrative 8 juillet 1997, Pas. adm. n° 1/1998, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 18, p. 110, et les autres références y citées).

Il s'ensuit que le défaut de motivation de la décision du 23 janvier 1998 n'est pas de nature à entraîner son annulation.

8 Concernant l'article 6, alinéa 5 du statut général, l'Etat conclut à son inapplicabilité, en présence d'un texte spécial existant en la matière, à savoir l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948, précité. Il ajoute qu'avant que la mesure ne fût prise, le personnel diplomatique avait été informé des postes devenant vacants dans un proche avenir, avec invitation de faire connaître ses préférences en vue des nouvelles affectations, et que M. HOSTERT, ainsi informé de ce que le poste d'ambassadeur en Italie devenait vacant, a fait parvenir au ministère ses desiderata.

Ainsi qu'il vient d'être relevé plus haut, il se dégage tant de l'article 1er, 4. du statut général que de l'article 23 de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948, précité, que pour autant que l'arrêté en question ou d'autres dispositions spéciales n'y dérogent pas, les agents diplomatiques sont soumis aux lois et règlements en vigueur concernant les droits et devoirs des fonctionnaires publics.

En vertu de l'article 6, 5. du statut général, avant toute mesure opérée d'office comportant un changement d'affectation, de fonction ou d'administration, le fonctionnaire concerné doit être entendu en ses observations. Aucune disposition de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1948 ne comportant une disposition afférente dérogatoire, l'article 6, 5. du statut général s'applique en principe aux agents diplomatiques.

Il y a lieu d'examiner, en plus, si la disposition afférente du statut général présente des garanties au moins équivalentes pour l'administré que les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Le demandeur étant en l’espèce destinataire d’une décision administrative individuelle prise en dehors de sa propre initiative, la disposition de l’article 9 dudit règlement, qui impose à l’autorité qui se propose de prendre une telle décision, d’informer la personne concernée de son intention, cette communication se faisant par lettre recommandée et ouvrant un délai d’au moins 8 jours pour permettre à la partie en cause de présenter ses observations ou d’être entendue en personne, a vocation à s'appliquer.

Dans la mesure où la procédure spéciale non contentieuse prévue au point 5 de l’article 6 précité du statut général se limite à exiger que le fonctionnaire concerné soit entendu en ses observations et ne présente partant pas de garanties équivalentes pour l’administré, l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable au cas d'espèce.

En l'espèce, avant de recevoir la lettre du 23 janvier 1998 l'informant de son rappel à Luxembourg et l'invitation d'assumer sa nouvelle tâche dès le 1er août 1998, Monsieur HOSTERT n'avait pas été informé de l'intention de ses supérieurs hiérarchiques de le charger des affaires juridiques et culturelles au ministère des Affaires étrangères. S'il est vrai qu'une lettre circulaire datée du 15 octobre 1997 informait l'ensemble du personnel diplomatique des postes susceptibles de changer dans le cadre du mouvement diplomatique de l'été 1998, et que le poste d'ambassadeur en Italie figurait sur la liste, le demandeur ayant par ailleurs effectivement fait parvenir ses desiderata au ministère, ces circonstances ne sont pas de nature à constituer l'exécution de l'obligation d'entendre le fonctionnaire avant de procéder d'office à un 9 changement d'affectation à son égard. En effet, d'une part, tous les changements des postes - nombreux - énumérés dans la lettre circulaire du 15 octobre 1997 étaient hypothétiques, aucun titulaire n'étant assuré, en vertu de cette lettre, que le poste occupé par lui serait retenu en définitive pour un changement. D'autre part et surtout, la lettre circulaire ne permettait pas au demandeur de prendre connaissance du nouveau poste auquel il serait ultérieurement affecté. Par ailleurs, dans les préférences qu'il faisait connaître au ministère, le poste auquel il fut finalement destiné ne figurait pas.

Il s'ensuit que la décision attaquée a été prise en violation, tant de l'article 6, 5.

du statut général, que de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Dans la mesure où la décision attaquée impliquait, de la part de l'autorité administrative, des appréciations dépassant le cadre de la pure légalité, l'inobservation des formalités prévues aux textes précités a porté atteinte aux intérêts du demandeur qui n'a pas pu présenter son point de vue, en fait autant qu'en droit, en vue de la décision à prendre.

Quant aux motifs de la décision attaquée Le demandeur soutient que la décision de le rappeler à Luxembourg n'était pas motivée par les besoins du service.

L'Etat souligne qu'au contraire, de tels besoins se trouvent à l'origine de la décision. Il explique que les qualités de juriste de Monsieur HOSTERT ont toujours été reconnues durant sa carrière, que le ministère "a souhaité faire appel à un spécialiste du droit pour s'occuper des affaires juridiques, ainsi qu'à un fonctionnaire possédant une culture générale étendue pour s'occuper des affaires culturelles" et que c'est donc dans l'avantage du service que ce changement a eu lieu.

En vertu de l'article 20 de l'arrêté grand-ducal du 28 mai 1968, précité, un agent diplomatique en service peut être affecté au département des Affaires étrangères pour des raisons de service.

Si le droit de l'administration d'apprécier l'existence et l'étendue des besoins de service, ainsi que de choisir le personnel qui, à ses yeux, remplit le mieux ces besoins, est discrétionnaire, il n'en est pas pour autant soustrait à tout contrôle juridictionnel dans ce sens que sous peine de consacrer un pouvoir arbitraire, le juge administratif, saisi d'un recours en annulation, doit se livrer à l'examen de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (cf.

Cour administrative 17 juin 1997, Pas. adm. n° 1/1998, V° Recours en annulation, n° 4, p. 115).

En l'espèce, la lettre du 23 janvier 1998 adressée par le ministre des Affaires étrangères au demandeur ne contient aucune indication des motifs à la base de la décision y contenue.

10 En cours d'instance, l'Etat a expliqué que le rappel de Monsieur HOSTERT à Luxembourg s'est effectué pour des raisons de service, et il a ajouté que le ministre a souhaité faire appel à un spécialiste du droit pour s'occuper des affaires juridiques, ainsi qu'à un fonctionnaire possédant une culture générale pour s'occuper des affaires culturelles.

A ce sujet, au vu des pièces mises à sa disposition, le tribunal constate que selon l'organigramme 1998 du ministère des Affaires étrangères, il existe une "Direction I, Affaires Politiques et Culturelles", et une "Direction III, Protocole, Chancellerie et Affaires Juridiques," de sorte qu'a priori, les affaires culturelles et les affaires juridiques sont traitées au niveau des directions respectives. Or, il ressort de la décision attaquée qu'il n'était prévu d'affecter Monsieur HOSTERT ni à l'une, ni à l'autre de ces directions. - Il se dégage d'autre part d'une note adressée le 13 octobre 1997 par le secrétaire général au ministre qu'il n'était pas envisagé de créer une nouvelle direction des affaires juridiques. Il en découle que le rappel à Luxembourg du demandeur ne tendait ni au renforcement des directions compétentes dans les matières qui, selon la lettre ministérielle du 23 janvier 1998, constituent la spécialité du demandeur, ni à le mettre au service d'une nouvelle direction, destinée à traiter spécialement les affaires juridiques et les affaires culturelles, de sorte qu'il se trouvait rappelé pour occuper un poste qui n'existait pas au moment où la décision de le rappeler a été prise.

En rappelant le demandeur à Luxembourg pour traiter des affaires juridiques et culturelles, alors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que les directions compétentes devraient être renforcées ou qu'une nouvelle direction devrait être créée, mais qu'en revanche, ce rappel a eu lieu avant même qu'un poste répondant à des besoins spécifiques ait été créé, et que, de plus, il n'était pas prévu de créer un poste afférent, l'Etat n'a pas prouvé l'existence des raisons de service de nature à justifier légalement la décision prise.

Il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que la décision du 23 janvier 1998 encourt l'annulation.

Quant à la requête inscrite sous le numéro 10618 du rôle Estimant que l'exécution de la décision attaquée risque de lui causer un préjudice grave et définitif, Monsieur HOSTERT a sollicité, par requête séparée, qu'en attendant qu'il ait été statué sur le recours en annulation, il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée.

La requête remplit les exigences de forme et de délai et n'est d'ailleurs pas critiquée à cet égard par la partie défenderesse, de sorte qu'elle est recevable.

Il ressort des précisions fournies dans son mémoire en réponse que le demandeur ne se borne pas à conclure à ce qu'en attendant que le fond soit toisé, le tribunal ordonne un effet suspensif du recours, cette demande étant devenue sans objet en raison du fait que le tribunal est amené à statuer en même temps sur le fond, mais 11 qu'au-delà, le tribunal ordonne qu'en attendant que son jugement devienne définitif, il ordonne qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée du 23 janvier 1998.

Une telle demande revient donc en réalité à solliciter du tribunal d'ordonner l'exécution provisoire de son jugement au fond, en attendant qu'il soit coulé en force de chose jugée ou qu'il soit réformé par un arrêt de la Cour administrative.

En vertu de l'article 3 de l'arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d'Etat, applicable devant les juridictions administratives en vertu de l'article 98 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif peut conférer un effet suspensif aux recours en annulation ou en réformation.

L'article 99, 10. de la loi du 7 novembre 1996, précitée, dispose que pendant le délai et l'instance d'appel il sera sursis à l'exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions attaquées.

Il se dégage de la combinaison de ces deux dispositions que sous peine de violer l'interdiction de conférer aux jugements du tribunal administratif un effet provisoire pendant le délai et l'instance d'appel, l'effet suspensif dont se voit assorti un recours ne saurait perdurer au-delà de la date du jugement statuant sur le fond du recours auquel la demande d'effet suspensif se rattache. Il en découle encore que le tribunal ne saurait ordonner l'effet suspensif du recours au cas où il statue en même temps sur l'effet suspensif et le fond.

Le tribunal étant amené à vider le fond du litige, la demande en effet suspensif est à abjuger.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation, introduit sous le numéro 10617 du rôle, et la demande en sursis d'exécution, introduite sous le numéro 10618 du rôle en la forme, joint les deux rôles, au fond déclare justifié le recours en annulation, partant annule la décision du ministre des Affaires étrangères du 23 janvier 1998 et renvoie l'affaire devant ledit ministre, déclare non fondée la demande en sursis d'exécution et en déboute, condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

12 M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l'audience publique du 18 juin 1998 par le président en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Numéro d'arrêt : 10617,10618
Date de la décision : 18/06/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-06-18;10617.10618 ?

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