N° 10208 du rôle Inscrit le 5 août 1997 Audience publique du 27 mai 1998
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Recours formé par Monsieur … MULLER et Monsieur … DOHN contre le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10208, déposée le 5 août 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître André LUTGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MULLER, demeurant à …, et de Monsieur … DOHN, demeurant à …, tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1983 émis le 3 mai 1993, des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 1984, 1985 et 1986 émis le 7 mai 1993, ainsi que des bulletins de l’impôt sur la fortune des années 1983, 1984 et 1985, émis le 7 mai 1993, en ce que leur réclamation afférente du 24 mai 1993 est restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, les bulletins déférés étant intervenu à tort au-delà de la période de prescription quinquennale applicable en la matière;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 1998 par Maître André LUTGEN au nom de Messieurs … MULLER et … DOHN;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître André LUTGEN, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Madame…, de son vivant épouse de Monsieur …… MULLER, mariés sous le régime de la séparation des biens, est décédée testat à Luxembourg en date du 16 septembre 1992, sans laisser d’héritier réservataire.
Par testament olographe du 16 mai 1968, elle avait disposé de l’intégralité de sa fortune en nue propriété en faveur de son cousin, Monsieur … DOHN, …, tout en attribuant l’usufruit à son mari …… MULLER,…. Sur base des articles 1003 et suivants du code civil, Monsieur … 1 DOHN est ainsi à considérer comme légataire universel, tandis que Monsieur … MULLER a la qualité de légataire à titre universel.
En date du 3 mai 1993, le bureau d’imposition … a notifié à « M. MULLER .., c./o.
Monsieur … DOHN, … », le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1983 et a fait parvenir par la suite en date du 7 mai 1993 suivant un libellé analogue du destinataire les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1984, 1985 et 1986, ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986, en assortissant chacun de ces bulletins de la mention « en vertu des dispositions de la loi générale des impôts (§144), le délai de prescription est de 10 ans».
Par lettre recommandée de leur conseil du 24 mai 1993, Messieurs … MULLER et … DOHN ont adressé une réclamation relative à tous les bulletins prévisés au directeur de l’administration des Contributions directes, celle-ci étant restée sans réponse.
Par requête déposée en date du 5 août 1997, Messieurs … MULLER et … DOHN, appelés ci-après les demandeurs, ont introduit un recours devant le tribunal de céans tendant principalement à la réformation, subsidiairement à l’annulation des bulletins ci-avant visés en ce que les impôts y réclamés seraient couverts par la prescription quinquennale applicable, couvrant les années 1983 à 1986 incluse.
Ils demandent également à se voir dispenser du paiement immédiat des impôts ainsi réclamés concernant les années 1983 à 1986 sur base des dispositions du paragraphe 251 de la loi générale des impôts, appelée ci-après « Abgabenordnung ».
Quant à la recevabilité Dans son mémoire en réponse le délégué du Gouvernement soulève d’abord le défaut de qualité dans le chef de Monsieur … DOHN pour intenter le présent recours, étant donné que les bulletins déférés ont été notifiés au seul Monsieur … MULLER, même si Monsieur … DOHN en a été le destinataire matériel pour les avoir vus envoyer à son adresse.
L’article 238 AO dispose que « befugt ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist. Für seine Vertretung gelten der §102 Absatz 2 und die §§103 bis 110. Stirbt jemand, der berechtigt ist, ein Rechtsmittel einzulegen, während eine Rechtsmittelfrist läuft, bevor er das Rechtsmittel eingelegt hat, so kann jeder Erbe das Rechtsmittel einlegen ».
Il est constant en cause que les bulletins d’imposition déférés ont tous été émis au nom de Monsieur … MULLER, imposable collectivement avec son épouse pour les exercices concernés, pour lesquels il explique ne jamais avoir déposé de déclaration du vivant de son conjoint prédécédé, avec lequel il reste néanmoins imposable collectivement pour les années en question.
Même si Monsieur … DOHN est à considérer comme légataire universel de son autrice, les bulletins d’imposition en question ne lui ont pas été notifiés en tant que tels, ses nom, prénom et adresse étant à chaque fois précédés de l’abréviation c/o, devant être lue pour « cash off » et s’analysant par conséquence en une modalité de mention d’adresse postale. Par 2 ailleurs, Monsieur DOHN n’a fait valoir aucun élément tendant à la représentation de sa part de la decujus sur base des paragraphes 102 à 110 AO visés par le paragraphe 238 AO précité.
De même, Madame… étant décédée avant l’émission des bulletins d’imposition déférés, l’hypothèse énoncée in fine dudit paragraphe 238 AO ne se trouve pas non plus être vérifiée en l’espèce, son décès n’étant pas intervenu à un moment où le délai de recours contre les bulletins d’imposition concernés était ouvert.
Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que malgré son statut de légataire universel, Monsieur … DOHN n’a pas eu qualité en l’espèce pour intenter le recours sous analyse, ni aux fins de réclamer contre lesdits bulletins, faute de notification intervenu dans le chef de sa personne, prise qualitate qua.
Le recours en réformation formé au nom de Monsieur … MULLER est de son côté recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délais prévus par la loi.
Par voie de conséquence le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est irrecevable en tant que tel.
Quant au fond Le recours est basé essentiellement sur l’argument que les dettes fiscales pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986 étaient prescrites aux dates d’émission des bulletins déférés, les 3 et 7 mai 1993, la prescription quinquennale étant applicable en l’espèce.
Les parties conviennent pour dire que c’est à tort que le bureau d’imposition a renvoyé au paragraphe 144 de l’Abgabenordnung et que les dispositions pertinentes se trouvent en l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau-de-vie et les cotisations d’assurance sociale telle que remise en vigueur et modifiée par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946, ainsi qu’en l’article 3 de la loi du 22 décembre 1951 portant prorogation du délai de prescription de certains impôts directs et précision des conditions dans lesquelles les prescriptions fiscales peuvent être interrompues.
Le délégué du Gouvernement insiste encore que la question de prescription de l’impôt est d’ordre public et doit être soulevée d’office par le tribunal.
L’article 144 AO invoqué par le bureau d’imposition à la base des bulletins déférés dispose que « die Verjährungsfrist beträgt … bei der Grundsteuer drei Jahre, bei den Ansprüchen auf die übrigen Steuern fünf Jahre; bei hinterzogenen Beträgen läuft sie zehn Jahre. Die übrigen Ansprüche verjähren in einem Jahr ».
L’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, précitée, tel qu’il a été modifié et remis en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946, pris en vertu de la loi du 27 février 1946 concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux est libellé comme suit: « la créance du Trésor se prescrit par 5 ans, toutefois, en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans.
3 Ces prescriptions s’appliquent à tous impôts, actes, cotisations, droits d’accise, amendes, frais et autres perceptions généralement quelconques dont été chargée l’administration des contributions, sauf la prorogation conventionnelle des droit du Trésor.
La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née».
L’article 3 de la loi du 22 décembre 1951 est venu préciser les modalités d’interruption des délais de prescription pour l’établissement et le recouvrement des impôts.
Il résulte de la juxtaposition des dispositions qui précèdent que la prescription en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune est régie par l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933, telle que remise en vigueur, sous certaines modifications et additions, par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946 qui, compte tenu de son libellé amendé, étendu et modifié, est à considérer in globo comme postérieure en date, par rapport à l’Abgabenordnung, même analysée sous le couvert de sa loi confirmative précitée du 27 février 1946, faisant que depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946 ces impôts ne sont plus à considérer parmi les « übrige Steuern » visées par le paragraphe 144 AO précité.
Il est constant en cause que Monsieur MULLER a invoqué la prescription quinquennale applicable aux créances du Trésor en vertu de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933 en question, faisant que le tribunal est dans l’obligation d’analyser la pertinence du moyen ainsi présenté à la fois dans la réclamation restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes et dans le recours introductif déposé, abstraction faite du caractère d’ordre public allégué de la prescription afférente.
Etant retenu sur base des affirmations concordantes des parties, que pour les années d’imposition en question aucune déclaration n’a jamais été déposée, la question est de savoir si le délai de prescription élargi de dix ans prévu par ledit article 10 « en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse», est applicable en l’espèce.
La partie demanderesse de soutenir qu’il appartient à l’administration de prouver qu’il y a eu déclaration incomplète ou inexacte et que cette preuve ne pourra cependant pas être rapportée, alors qu’il n’y a pas eu de déclaration du tout.
Le délégué du Gouvernement souligne dans un premier temps que le critère posé par l’article 10 en question n’est pas, comme en droit allemand, la fraude, mais l’imposition supplémentaire, cette dernière devant avoir sa cause dans une déclaration incomplète ou inexacte. Il conclut que dans la présente espèce il n’y avait apparemment ni déclaration, ni première imposition.
Les dispositions claires et non équivoques de l’article 10, tel qu’il a été remis en vigueur sous certaines modifications et additions, retiennent comme principe mis en exergue que les créances du Trésor se prescrivent par cinq ans, suivi de l’exception annoncée par le terme « toutefois » et circonscrite suivant un cas de figure précis. En effet, le texte poursuit en se référant au cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, sans autrement parler de l’hypothèse du défaut de déclaration, voire de celle généralement corollaire 4 de l’absence d’imposition antérieure en date, par rapport à celle ultérieure, considérée comme étant supplémentaire.
Il résulte ainsi du libellé même du texte de loi en question, n’appelant par ailleurs, de par son contenu aucun besoin supplémentaire d’interprétation ou d’explicitation, que la prescription décennale y est uniquement envisagée en cas d’imposition supplémentaire, supposant implicitement, mais nécessairement une imposition originaire préalable.
Dans la mesure où le même texte ne se réfère encore qu’au cas d’une déclaration incomplète ou inexacte, l’hypothèse même de l’absence de déclaration, en présence d’éléments de revenu ou de fortune soumis à l’obligation de déclaration, n’y est pas visée. Des arguments invoqués de manière orale à l’audience, tendant à souligner les conséquences inéquitables du point de vue de l’égalité devant l’impôt, quelle qu’en soit la pertinence en fait, ne sont pas de nature à voir changer la solution du litige en droit pour le cas d’espèce sous analyse. Il échet dès lors de retenir que la prescription décennale visée audit article 10 de la loi du 27 novembre 1933 vise uniquement le cas d’une imposition supplémentaire, non vérifié en l’espèce, de sorte que la prescription quinquennale, de principe, applicable aux créances du Trésor est à retenir dans la présente affaire, au regard du libellé clair et non équivoque du texte sous analyse.
L’interprétation ainsi retenue par le tribunal a par ailleurs été confirmée dans le rapport du directeur des Contributions du 19 octobre 1951 au ministre des Finances relativement à l’article 1er du projet de loi n° 7 (391) devant aboutir à la loi du 22 décembre 1951 précitée (compte rendu des séances de la Chambre des Députés, session ordinaire 1951-1952, annexes page 11, commentaire des articles, ad. art. 1er) en ce que « l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933 prévoit deux délais de prescription, un délai de cinq ans qui est le délai de droit commun et un délai de dix ans qui est un délai spécial, restreint aux impositions supplémentaires intervenant en cas de déclaration inexacte ou incomplète ».
Force est dès lors de constater qu’à défaut de déclaration pour les exercices 1983 à 1986, la prescription décennale prévue par l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933 est inapplicable en l’espèce. Aux dates d’émission des bulletins déférés des 3 et 7 mai 1993, les impôts sur le revenu ainsi que les impôts sur la fortune pour les exercices 1983, 1984, 1985 et 1986 se trouvaient être prescrits, de sorte que les bulletins afférents encourent l’annulation dans le cadre du recours en réformation introduit.
La demande basée sur le paragraphe 251 AO prévoyant que « die Behörde, die den Bescheid erlassen hat, kann die Vollziehung aussetzen, geeignetenfalls gegen Sicherheitsleistung », est irrecevable par saltum à défaut de saisine préalable des autorités compétentes.
Les frais sont à mettre à charge de l’Etat, aucune distraction au profit du mandataire de la partie demanderesse ne pouvant être opérée, en l’absence de disposition légale prévoyant pareil pouvoir du tribunal administratif, statuant en matière fiscale.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
5 dit le recours intenté par Monsieur … DOHN irrecevable;
dit le recours en réformation intenté par Monsieur … MULLER recevable et fondé;
partant annule les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986 ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune pour les mêmes années pour raison de prescription des impôts concernés;
déclare la demande basée sur le paragraphe 251 AO irrecevable;
condamne l’Etat aux frais à l’exception de ceux exposés par Monsieur … DOHN, laissés à charge de celui-ci.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 mai 1998 par:
M. Delaporte, premier vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge en présence de Monsieur Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 6