N° 10042 du rôle Inscrit le 2 juin 1997 Audience publique du 30 juillet 1997
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Recours formé par … … DOS SANTOS FONSECA contre le ministre de la Justice en matière d'expulsion
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Vu la requête déposée le 2 juin 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre THIELEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … DOS SANTOS FONSECA, tendant au sursis à exécution d'une décision du ministre de la Justice du 26 février 1997 ordonnant l'expulsion du requérant, ainsi qu'à l'annulation de ladite décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 21 juillet 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé le lendemain au nom du demandeur;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Pierre THIELEN ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Se basant sur une condamnation de Monsieur DOS SANTOS FONSECA, de nationalité portugaise, du 13 juillet 1995 par la chambre criminelle du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, à un emprisonnement de deux ans et une amende de 20.000,- francs du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail personnel, et estimant que par son comportement, celui-ci présente un danger certain pour l'ordre public, le ministre de la Justice, après avoir recueilli l'avis conforme de la commission consultative en matière de police des étrangers, a ordonné son expulsion par arrêté du 26 février 1997.
Par requête du 2 juin 1997, Monsieur DOS SANTOS FONSECA a introduit un recours tendant au sursis à exécution de ladite décision ministérielle, ainsi qu'à son annulation.
A l'appui de sa demande, il se prévaut du caractère disproportionné de la mesure ordonnée à son encontre par rapport à la condamnation encourue. A cet effet, il fait exposer que hormis les faits ayant conduit à sa condamnation, il a toujours fait preuve d'un comportement irréprochable depuis son arrivée au Luxembourg, à l'âge de 2 15 ans, et que son comportement actuel, qu'il y aurait seul lieu de prendre en considération pour apprécier s'il constitue un danger pour l'ordre public, ne saurait fonder un quelconque reproche à son encontre. Dans ce contexte, il fait exposer qu'il a une situation professionnelle stable et que ses revenus lui ont permis d'indemniser partiellement la victime. Il reproche à la décision ministérielle de se baser sur l'avis de la commission consultative en matière de police des étrangers qui a déduit son caractère dangereux de la seule condamnation dont il a fait l'objet, ainsi que du fait qu'il se promenait toujours avec un couteau et qu'il ne montre pas de regret envers sa victime, ces faits n'étant pas, à son avis, de nature à établir dans son chef un caractère actuellement dangereux à tel point que son expulsion serait justifiée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de la demande en sursis à exécution, l'affaire étant en état d'être plaidée au fond. - Concernant le fond, il répond qu'une seule condamnation pénale peut dénoter, le cas échéant, un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l'ordre public. Il estime que le jugement prononcé à l'encontre de Monsieur DOS SANTOS FONSECA prouve à suffisance son caractère dangereux autorisant le ministre à ordonner son expulsion. Il relève qu'il a été reproché au demandeur d'avoir porté des coups moyennant l'emploi d'une batte de base-ball et d'un couteau à une tierce personne et ce à cause d'une altercation verbale sur une question de priorité en matière de circulation, sa réaction intempestive et démesurée face à un incident sans importance dénotant dans son chef un caractère irascible et dangereux.
Le représentant étatique estime par ailleurs que le ministre n'a pas commis de violation de la loi, alors que la mesure d'expulsion a été prise sur base de motifs légaux et de faits matériellement exacts, dont l'appréciation échappe à la compétence du juge de l'excès de pouvoir.
Dans sa réplique, le demandeur critique la régularité de la décision ministérielle en tant que basée sur l'avis de la commission consultative en matière de police des étrangers, cet avis étant vicié en ce qu'il ne renseignerait ni l'identité des membres la composant, ni le nombre de voix exprimées en faveur de l'avis donné.
Concernant la condamnation qu'il a subie, il fait relever, d'une part, que les faits gisant à sa base n'auraient pas été établis à l'exclusion de tout doute, et, d'autre part, qu'il a intégralement exécuté la peine prononcée à son encontre, en grande partie sous le régime de la semi-liberté et en bénéficiant d'un congé pénal prolongé, ce qui dénoterait qu'il ne constitue pas un danger pour l'ordre public.
Il fait exposer finalement qu'il vit en communauté de vie avec une femme et son enfant, qu'il a pris des engagements financiers à cet effet et souhaite fonder, sous peu, une famille avec sa compagne.
Le recours, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
La demande en sursis à exécution de la mesure d'expulsion est devenue sans objet, l'affaire étant en état de recevoir une solution au fond.
3 En vertu de l'article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l'emploi de la main-
d'oeuvre étrangère, l'étranger qui, par sa conduite compromet la tranquillité, l'ordre ou la sécurité publics, peut être expulsé du territoire.
Une condamnation pénale, sans constituer une cause péremptoire d'expulsion d'un étranger, peut cependant, de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public et justifier une mesure d’expulsion du territoire.
En l'espèce, les faits qui ont été retenus à charge de Monsieur DOS SANTOS FONSECA sont d'une gravité certaine, et il n'appartient pas au tribunal de remettre en doute ce qui a été définitivement jugé par la juridiction compétente. Il a ainsi été retenu que, le 6 novembre 1993, suite à une discussion provoquée par un conflit de priorité ayant dégénéré en rixe, le demandeur a porté à son adversaire un coup de couteau.
Pour apprécier si ce comportement justifie une mesure d'expulsion, il y a cependant lieu de le placer dans le contexte de la personnalité et des antécédents de l'étranger.
Ce faisant, le tribunal ne contrôle pas l'opportunité d'une décision d'expulsion, mais procède à la vérification du caractère légal et réel des motifs invoqués à son appui.
Il se dégage des pièces du dossier que Monsieur DOS SANTOS FONSECA, âgé actuellement de 31 ans, se trouve au Grand-Duché de Luxembourg depuis l'âge de 15 ans et n'a eu, ni avant, ni après les faits commis le 6 novembre 1993, un comportement l'ayant mis en conflit avec la loi pénale. Il en ressort encore que sa situation concernant l'emploi a été stable, qu'il s'est toujours adonné à un travail rémunéré, qu'il a travaillé pendant une dizaine d'années au restaurant "Italia", qu'il avait été gérant d'une pizzeria avant de perdre ce poste comme suite à son incarcération due à la condamnation du 13 juillet 1995, et qu'il a de nouveau retrouvé un emploi comme serveur dans un restaurant.
Face à la longueur du séjour de Monsieur DOS SANTOS FONSECA au Luxembourg, l'absence de conflit avec la loi pénale pendant toute la période précédant le 6 novembre 1993, et la stabilité de sa situation concernant son emploi, le tribunal estime que la condamnation dont il a fait l'objet le 13 juillet 1995 ne dénote pas, dans son chef, un caractère dangereux tel qu'il constituerait un danger pour l'ordre public.
La décision d'expulsion étant basée sur la seule condamnation du 13 juillet 1995 qui, à elle seule, ne dénote pas dans le chef de Monsieur DOS SANTOS FONSECA un comportement tel qu'il constituerait un danger pour l'ordre public, les conditions posées par l'article 9 de la loi du 28 mars 1972 pour justifier l'expulsion, ne sont pas remplies.
La décision ministérielle du 26 février 1997 est partant à annuler pour violation de la loi.
4 Par ces motifs, le tribunal administratif, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, déclare la demande en sursis à exécution sans objet, déclare la demande en annulation justifiée, partant annule l'arrêté ministériel d'expulsion du 26 février 1997, renvoie l'affaire devant le ministre de la Justice, condamne l'Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président, rapporteur M. Schockweiler, vice-président, Mme Lenert, premier juge, et lu à l'audience publique du 30 juillet 1997 par M. Schockweiler, délégué à cette fin, en présence du greffier.
Wiltzius Ravarani greffier assumé président