N° 113 / 2025 pénal du 10.07.2025 Not. 15381/15/CD Numéro CAS-2025-00001 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, dix juillet deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), alias PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Roumanie), actuellement détenu au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Crina NEGOITA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public et de PERSONNE2.), demeurant à F-ADRESSE2.), demanderesse au civil, défenderesse en cassation, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 20 novembre 2024 sous le numéro 60/24-Crim.
par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle ;Vu le pourvoi en cassation formé par PERSONNE1.), alias PERSONNE1.), suivant déclaration du 18 décembre 2024 au greffe du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 9 janvier 2025 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 13 janvier 2025 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Sur les conclusions du premier avocat général Nathalie HILGERT.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière criminelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef de séquestration et de viol à une peine de réclusion assortie du sursis partiel et prononcé l’interdiction à vie des droits énoncés à l’article 11 du Code pénal. Au civil, le demandeur en cassation avait été condamné à indemniser la partie civile.
La Cour d’appel, après avoir constaté qu’il y avait eu dépassement du délai raisonnable, a, par réformation, réduit la peine de réclusion, enlevé au demandeur en cassation le bénéfice du sursis à l’exécution de la peine de réclusion et confirmé pour le surplus le jugement au pénal et au civil.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, sinon d’une application erronée, sinon d’une fausse interprétation de la loi, in specie de l’article 109 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile ;
En ce que l’arrêt d’appel énonce :
rapport à ceux qui ont été soumis à l’examen de la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg et les juges de première instance ont fourni, sur base des éléments du dossier, une relation correcte et exhaustive des faits à laquelle la Cour se réfère. » Contrairement à ce qu’il a été retenu par la Cour d’appel, le conseil de Monsieur PERSONNE1.) a développé des faits et arguments nouveaux importants qui n’ont pas été exposés et plaidés en première instance, notamment :
Il est constant en cause que Madame PERSONNE2.) est toxicomane depuis une dizaine d’années. Au moment des présumés faits et de sa première audition, non seulement qu’elle était sous l’influence des drogues, notamment de l’héroïne et de la cocaïne, mais elle se trouvait également en état de sevrage, selon ses propres déclarations.
2 L’expert SCHILTZ ayant effectué le test de crédibilité de Madame PERSONNE2.), s’est exprimé uniquement sur les effets de la consommation de drogues par Madame PERSONNE2.), en ignorant complètement les symptômes de sevrage. L’expert a retenu que Or, le conseil de Monsieur PERSONNE1.) a argué et mis en évidence lors de l’audience de plaidoiries non seulement les effets d’une consommation de longue durée de ces deux drogues puissantes, mais aussi insisté sur les effets du sevrage sur l’état d’esprit de Madame PERSONNE2.) au moment des faits présumés ainsi que lors de sa première audition.
Un examen de la farde de pièces qui a été remise aux juges en instance d’appel et qui est annexée aux présentes (Pièce B.1.), le démontre aisément :
Les pièces 4-
consommation d’héroïne » et 5- mettent en exergue les symptômes que l’on retrouve chez une personne en état de sevrage, comme c’était le cas de Madame PERSONNE2.) au moment des faits ainsi que de sa première audition. Ces symptômes justifient le comportement bizarre et inexplicable de Madame PERSONNE2.) au moment des faits présumés ainsi que lors de sa première audition.
Monsieur PERSONNE1.) déplore que ces faits et arguments nouveaux, importants pour lui, qui n’ont pas été exposés et plaidés en première instance et ont été développés lors des débats oraux en appel, n’ont pas été pris en compte, cités ou contredits par la motivation de l’arrêt faisant l’objet du présent pourvoi en cassation qui est lacunaire sur ce point.
C’est ainsi à tort que la Cour d’appel a condamné le demandeur en cassation, l’arrêt du 20.11.2024 devant partant être cassé. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions visées au moyen en n’ayant pas tenu compte dans leur motivation des faits et arguments nouveaux, développés par lui en instance d’appel, relatifs aux effets d’une consommation de longue durée d’héroïne et de cocaïne et « du sevrage sur l’état d’esprit de Madame PERSONNE2.) au moment des faits présumés ainsi que lors de sa première audition. ».
Le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
Il résulte de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont énoncé les arguments et faits invoqués devant eux par le demandeur en cassation comme suit « [le demandeur en cassation] reproche au tribunal de s’être fondé, pour retenir la culpabilité de son mandant, sur de fausses déclarations de la prétendue victime et sur une expertise de crédibilité non probante. La prétendue victime serait une toxicomane connue de longue date, se trouvant au moment de sa première audition en manque auprès de la police, de sorte qu’on aurait dû examiner quelle influence ce manque aurait pu avoir sur la crédibilité de la prétendue victime, respectivement quelles conséquences ce manque aurait pu avoir sur le comportement de celle-ci.
(…) Par ailleurs, la défense a encore soulevé plusieurs contradictions dans les différentes déclarations de la prétendue victime, notamment concernant le moment précis où elle aurait eu l’intention d’aller se procurer des stupéfiants (avant de faire un client ou après), le soi-disant manque de confiance dans les personnes de l’est, sa prétendue peur à l’égard de ses agresseurs, la question de savoir qui des deux l’aurait déshabillée, l’emplacement des deux agresseurs dans la camionnette (un des deux prévenus ayant pris place à l’avant ou tous les deux ayant pris place à l’avant au moment d’aborder PERSONNE2.)), l’ouverture de la fenêtre (fenêtre entre-
ouverte ou ouverte à trois-quarts) ainsi que la question de savoir comment elle serait sortie de la camionnette.
La défense a encore exposé que la prétendue victime a soutenu que ses deux agresseurs ont paniqué à la vue de la voiture blanche arrivant sur le parking, croyant qu’il s’agissait d’une voiture de police. Or, bien au contraire, ce serait PERSONNE2.) qui aurait paniqué, faisant tout un théâtre, en sortant par la fenêtre de la camionnette.
Les seuls éléments constants en cause résideraient dans le fait qu’PERSONNE2.) travaillait comme prostituée et qu’elle était toxicomane.
La défense a ainsi mis en cause la valeur morale d’PERSONNE2.), laissant sous-entendre une altération de son discernement au vu de sa toxicomanie.
En droit, la mandataire de PERSONNE1.) a conclu qu’au vu des nombreuses contradictions, voir même mensonges de la prétendue victime, les éléments du dossier ne suffiraient pas pour retenir les infractions de séquestration et de viol ainsi que la circonstance aggravante du viol par plusieurs personnes prévue à l’article 377 du Code pénal. De manière générale, il n’existerait dans le dossier aucune preuve, mais beaucoup d’affirmations douteuses effectuées par une toxicomane.
En conséquence, au vu d’un doute sérieux, il y aurait lieu, par réformation du jugement entrepris, d’acquitter le prévenu des infractions retenues à sa charge par la juridiction de première instance. ».
En retenant, quant à la crédibilité des déclarations de la victime, « Au vu des contestations émises par la défense, la Cour se doit d’analyser en premier lieu la crédibilité des déclarations d’PERSONNE2.).
4 Il convient de rappeler que les expertises de crédibilité respectivement les expertises psychiatriques ou psychologiques ne constituent pas en elles-mêmes un mode de preuve, même si ces expertises participent à l’administration de la preuve.
Ces expertises ont pour objectif de mettre en relief des éléments fournis par le témoignage des victimes.
Dans le cas des affaires qui impliquent des relations intimes, ce sont en effet très fréquemment les déclarations des victimes qui constituent les principaux, sinon les seuls éléments de preuve sur lesquels les juges peuvent fonder leur intime conviction et la crédibilité de ces victimes est déterminante pour que leurs déclarations puissent être considérées comme établissant le bien-fondé des infractions reprochées, la crédibilité des victimes s’appréciant au regard de la personnalité des victimes et par rapport aux éléments objectifs du dossier dont les éventuels constats de la police et les témoignages recueillis. Pour pouvoir asseoir une condamnation, il faut que la version des victimes se trouve corroborée par d’autres circonstances de l’espèce et présente une certaine cohérence.
Concernant les déclarations faites par la victime PERSONNE2.), il faut constater à l’instar du tribunal, que celles-ci sont restées les mêmes tout au long de l’enquête policière, de l’expertise de crédibilité et de l’instruction à l’audience des juges de première instance. En effet, son récit sur le déroulement des faits de la nuit du 30 mai 2015 est resté, en grandes lignes, le même à l’exception de certains détails insignifiants.
La Cour renvoie ainsi aux déclarations d’PERSONNE2.) consignées dans l’annexe 2 du rapport de police numéro SREC-Lux-JDA-44498-26-SCPA du 30 juin 2015, par lesquelles celle-ci relate de manière très précise et sans aucune exagération le déroulement des faits: , de sorte qu’il faut constater que la victime est cohérente en ce qu’elle témoigne objectivement des faits qu’elle a subis et ce sans ressentiments de colère visibles vis-à-vis du prévenu.
En outre, la crédibilité des déclarations d’PERSONNE2.) est corroborée par sa réaction face à la photo de PERSONNE1.) lui montrée par les enquêteurs. A cet égard, il y a lieu de se rapporter aux observations de la police consignées dans le procès-verbal numéroNUMERO1.) du 30 mai 2015 : , respectivement dans le procès-verbal numéro SREC-
Lux -JDA-44498-2-SCPA du 2 juin 2015, à savoir: .
5 Par ailleurs, l’expert Robert SCHILTZ a retenu dans son rapport de crédibilité du 14 septembre 2015 qu’PERSONNE2.) présente des troubles post traumatiques, notant à ce propos : .
Finalement, l’expert Robert SCHILTZ a conclu que PERSONNE2.) ne souffre ni d’une psychose ni d’une maladie neurologique entravant l’appréhension de la réalité ou le fonctionnement de la mémoire. … Sa consommation excessive de drogues dures, n’a pas d’effet sur son discernement de la réalité, même si elle a pu se tromper en ce qui concerne quelques détails. » et « 2) L’examen du dossier de la présumée victime n’a pas mis en évidence d’éléments susceptibles de mettre en doute la crédibilité de fond de ses déclarations… ».
C’est partant à bon escient, et par une motivation que la Cour adopte, que les juges de première instance se sont basés sur les déclarations d’PERSONNE2.), ensemble les conclusions de l’expert Robert SCHILTZ, pour forger leur intime conviction par rapport à la culpabilité de PERSONNE1.). », les juges d’appel, qui ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont tenu compte des faits et des arguments développés par le demandeur en cassation et ont répondu à ses conclusions sur les points considérés.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 6 premier paragraphe de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit que Il est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir tiré les bonnes conséquences de la violation du délai raisonnable retenue par la Cour d’appel, alors que cette dernière n’a pas conclu à l’irrecevabilité des poursuites pour dépérissement des preuves, alors qu’il n’a pas été tenu compte de la demande de Monsieur PERSONNE1.) de saisir et exploiter les images des caméras de vidéosurveillance de la station-service SOCIETE1.) (cartier ADRESSE3.)), qui aurait pu constituer une preuve décisive dans son acquittement (Madame PERSONNE2.) avait déclaré qu’avant d’arriver sur le parking où le présumé viol aurait été commis- à la hauteur de la station essence SOCIETE2.)- elle aurait été conduite sur le parking à côté de la station essence SOCIETE1.) ;
Monsieur PERSONNE1.) a toujours nié d’y avoir été).
6 L’arrêt du 20.11.2024 encourt dès lors cassation pour la violation de l’article 6 premier paragraphe de la Convention européenne des droits de l’homme. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé la disposition visée au moyen en n’ayant pas déclaré les poursuites irrecevables en raison du dépassement du délai raisonnable ayant entraîné un dépérissement des preuves.
Il ne résulte pas de l’arrêt attaqué que le demandeur en cassation, qui avait soutenu « que le dépassement du délai raisonnable devrait être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de la peine », ait soulevé l’irrecevabilité des poursuites de ce chef.
Le moyen est dès lors nouveau et, en ce qu’il comporterait un examen des circonstances de fait liées au dépérissement des preuves, mélangé de fait et de droit.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation, les frais exposés par le Ministère public étant liquidés à 8 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, dix juillet deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du procureur général d’Etat adjoint Serge WAGNER et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.), alias PERSONNE1.) en présence du Ministère Public N° CAS-2025-00001 du registre Par déclaration faite le 18 décembre 2024 au greffe du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, PERSONNE1.), alias PERSONNE1.) (ci-après « PERSONNE1.) ») a déclaré son recours en cassation contre l’arrêt n° 60/24 - Crim. rendu le 20 novembre 2024 par la Cour d’appel, chambre criminelle.
Cette déclaration de recours a été suivie le 13 janvier 2025 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Crina NEGOITA, avocat à la Cour, et signifié préalablement à la partie civile PERSONNE2.)1.
Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme2 et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.
Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.
1 La signification a été faite en conformité avec l’article 388 du Code de procédure pénale dont le paragraphe 2, 2e alinéa, dispose que celui qui doit avoir signifié un acte de procédure dans un délai déterminé est réputé l’avoir fait dans ce délai si la remise de la lettre recommandée au bureau des postes a eu lieu avant l’expiration du délai. En l’espèce, il résulte des indications de l’exploit de signification que l’huissier instrumentant a transmis une copie de l’acte, par lettre recommandée avec avis de réception, à la partie civile en date du 9 janvier 2025.
2 La déclaration a été faite en conformité avec l’article 417, 4e alinéa, du Code de procédure pénale.
Faits et rétroactes Par jugement n°59/2019 du 24 octobre 2019 rendu contradictoirement à l’égard de PERSONNE1.) et par défaut à l’égard de PERSONNE3.), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre criminelle, a condamné PERSONNE1.) à une peine de réclusion de 15 ans dont 7 ans avec sursis et PERSONNE3.) à une peine de réclusion de 15 ans du chef de séquestration et de viol d’PERSONNE2.) avec la circonstance que le viol a été commis par plusieurs. Au civil, les deux prévenus ont été condamnés solidairement à payer à PERSONNE2.) la somme de 5.000 euros avec intérêts.
Par jugement du 11 février 2021, statuant sur l’opposition relevée par PERSONNE3.), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre criminelle, a condamné celui-ci à une peine de réclusion de 15 ans dont 10 ans ont été assortis du sursis probatoire. Sur appel du prévenu et du ministère public, la chambre criminelle de la Cour d’appel a, par arrêt du 6 juin 2023, ramené la peine de réclusion à une durée de 10 ans et a enlevé à PERSONNE3.) le bénéfice du sursis probatoire. Votre Cour a rejeté un pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt3.
Statuant sur l’appel interjeté par PERSONNE1.) au pénal et au civil et par le ministère public, la Cour d’appel a dit qu’il n’y a pas eu violation du principe de la présomption d’innocence, a constaté qu’il y a eu dépassement du délai raisonnable, a ramené la peine de réclusion prononcée à une durée de dix ans et a enlevé à PERSONNE1.) le sursis simple prononcée en première instance. Pour le surplus, elle a confirmé le jugement entrepris, tant au pénal qu’au civil. Le présent pourvoi est dirigé contre cet arrêt prononcé le 20 novembre 2024.
Quant au premier moyen de cassation :
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de l’application erronée, sinon de la fausse interprétation de l’article 109 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile.
Il est reproché aux magistrats d’appel d’avoir exposé que les débats en appel n’ont pas apporté de faits nouveaux par rapport à ceux qui ont été soumis à l’examen de la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg alors que le mandataire du demandeur en cassation aurait développé des faits et arguments nouveaux importants en instance d’appel. Ainsi aurait-il exposé qu’PERSONNE2.), toxicomane de longue date et consommatrice d’héroïne et de cocaïne, se serait trouvée en état de sevrage au moment des faits et lors de sa première audition policière, ce qui constituerait une explication de son comportement bizarre et inexplicable.
Il peut en être déduit que le demandeur en cassation critique les juges d’appel pour ne pas avoir pris position quant à son développement lié à l’état de sevrage de la victime.
3 Cass., 28 mars 2024, n° 58/2024 pénal, n° CAS-2023-00118.
Les plaidoiries du mandataire du demandeur en cassation ont été résumées comme suit par les juges d’appel :
« La mandataire de PERSONNE1.) a ainsi contesté que ce dernier a commis les infractions qui lui sont reprochées et qui ont été retenues à sa charge par la juridiction de première instance. Il reproche au tribunal de s’être fondé, pour retenir la culpabilité de son mandant, sur de fausses déclarations de la prétendue victime et sur une expertise de crédibilité non probante. La prétendue victime serait une toxicomane connue de longue date, se trouvant au moment de sa première audition en manque auprès de la police, de sorte qu’on aurait dû examiner quelle influence ce manque aurait pu avoir sur la crédibilité de la prétendue victime, respectivement quelles conséquences ce manque aurait pu avoir sur le comportement de celle-ci.
Or, une condamnation pénale à une peine privative de liberté de quinze ans devrait reposer sur des faits prouvés »4.
Le moyen vise un défaut de motivation, respectivement un défaut de réponse à conclusions qui est la forme la plus répandue du défaut de motifs5. Un tel moyen peut être tiré des articles 109 (ancien article 89) de la Constitution et de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile6.
Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
Il faut encore déterminer quels moyens exigent une réponse. Un tel moyen se distingue de l’argument ou de la simple allégation contenus dans des conclusions, en ce qu’il comporte trois éléments : un fait offert en preuve ou un texte, une déduction juridique, et un effet possible sur la solution du litige. Ainsi, le moyen peut être défini comme l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte, d’où, par un raisonnement juridique, elle prétend déduire le bien-fondé d’une demande ou d’une défense7.
Selon la Cour de cassation française, les juges du fond n’ont l’obligation de répondre qu’aux « moyens péremptoires » des conclusions et des mémoires des parties, ou des réquisitions du ministère public. Ils n’ont pas, en revanche, à suivre les parties dans le détail de leur argumentation8. Telle est également la position de Votre Cour9 ainsi que de la Cour Européenne des Droits de l’Homme10.
4 Arrêt attaqué, p. 21.
5 J. et L. BORÉ, La cassation en matière pénale, 4e édition, 2025/2026, p.
224, n° 82.20.
6 Cass., 23 janvier 2020, n° CAS-2019-00029 du registre.
7 BORÉ, ouvrage précité, p. 226, n° 82.41.
8 BORÉ, ouvrage précité, p. 226, n° 82.41 ; Cass. fr., ch. crim., 13 janvier 2009, n° 08-85.246.
9 Cass., 25 juin 2015, n°31/2015 pénal, n°3506 du registre ; Cass., 10 décembre 2015, n° 58/2015 pénal, n° 3566 du registre.
10 Aux termes de l’arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas, 1995, n° 61, « l’article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais il ne 10 Est considéré comme péremptoire, le moyen qui est de nature à influer sur la solution du litige ou de l’incident à trancher, qu’il s’agisse de la compétence ou du fond.
Toutefois, la réponse des juges à de tels motifs peut être globale si plusieurs moyens appellent une réfutation unique. De même, il est permis aux magistrats d’appel de répondre aux conclusions en adoptant les motifs des premiers juges, qui ont réfuté par avance les conclusions prises en cause d’appel11. La Cour de cassation française admet finalement, à côté du motifs exprès, la motivation indirecte ou implicite12. Ce procédé est admissible tant qu’un raisonnement simple, tiré des motifs même de l’arrêt, permet de dégager une motivation13.
En l’espèce, il résulte de la partie de l’arrêt citée ci-dessus que la question de la potentielle influence de l’état de manque de la partie civile au moment des faits14 sur sa crédibilité, respectivement sur son comportement, était soulevée. Le mandataire du demandeur en cassation a également versé des pièces à cet égard.
A la lecture de l’arrêt, il apparaît que les juges d’appel n’ont pas expressément pris position quant à cette question.
Aux termes de l’arrêt attaqué, « Concernant les déclarations faites par la victime PERSONNE2.), il faut constater à l’instar du tribunal, que celles-ci sont restées les mêmes tout au long de l’enquête policière, de l’expertise de crédibilité et de l’instruction à l’audience des juges de première instance. En effet, son récit sur le déroulement des faits de la nuit du 30 mai 2015 est resté, en grandes lignes, le même à l’exception de certains détails insignifiants.
La Cour renvoie ainsi aux déclarations d’PERSONNE2.) consignées dans l’annexe 2 du rapport de police numéro SREC-Lux-JDA-44498-26-SCPA du 30 juin 2015, par lesquelles celle-ci relate de manière très précise et sans aucune exagération le déroulement des faits: « C’est le convoyeur qui m’a obligé de me déshabiller. Donc en fait le conducteur n’était pas trop involvé dans cela. J’avais l’impression qu’il était là sans vraiment vouloir être là. C’est plutôt le convoyeur que le conducteur qui m’a forcé à lui faire une fellation. Le convoyeur a demandé au conducteur de me tenir par les bras… », de sorte qu’il faut constater que la victime est cohérente en ce qu’elle témoigne objectivement des faits qu’elle a subis et ce sans ressentiments de colère visibles vis-à-
vis du prévenu.
peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument.
De même, la Cour européenne n’est pas appelée à rechercher si les arguments ont été adéquatement traités ».
11 BORÉ, ouvrage précité, p. 227, n° 82.54.
12 BORÉ, ouvrage précité, p. 228, n° 82.55.
13 Idem.
14 Cet état de manque n’était pas contesté et résultait des éléments du dossier et notamment des déclarations de la partie civile elle-même.En outre, la crédibilité des déclarations d’PERSONNE2.) est corroborée par sa réaction face à la photo de PERSONNE1.) lui montrée par les enquêteurs. A cet égard, il y a lieu de se rapporter aux observations de la police consignées dans le procès-
verbal numéroNUMERO1.) du 30 mai 2015 : « Das Opfer war beim Eintreffen von Amtierenden nackt, hatte kein Kleidungsstück mehr auf sich, jedoch waren ihre sämtlichen Kleidungsstücke über die Strasse verteilt…. Das Opfer stand sichtlich unter Schock… », respectivement dans le procès-verbal numéro SREC-Lux -JDA-44498-2-
SCPA du 2 juin 2015, à savoir: « Nachdem PERSONNE2.) die erste Seite der Lichtbildmappe vorgelegt wurde, enfernte sie sich ruckartig mit ihrem Stuhl vom Tisch und brach in Tränen aus. Sie zitterte am ganzen Körper und war nicht mehr in der Lage zu antworten. Sie starrte das Foto auf der ersten Seite an und schluchzte „numéro1“…„c’est lui“…„c’est le convoyeur“… Sie verstarrte völlig und konnte ihren Blick nicht mehr von dem Foto wenden ».
Par ailleurs, l’expert Robert SCHILTZ a retenu dans son rapport de crédibilité du 14 septembre 2015 qu’PERSONNE2.) présente des troubles post traumatiques, notant à ce propos : « - Symptômes post-traumatiques : Madame PERSONNE2.) présente plusieurs symptômes d’un fonctionnement post-traumatique typique : Elle se fait des reproches, elle dit que sa vie n’est plus comme avant, elle se sent avilie, elle a peur de rencontrer ses agresseurs dans la rue, elle souffre de troubles du sommeil et elle se sent mal à l’aise dans les contacts sociaux. Sa consommation de drogues a augmenté considérablement ».
Finalement, l’expert Robert SCHILTZ a conclu que « 1) Madame PERSONNE2.) ne souffre ni d’une psychose ni d’une maladie neurologique entravant l’appréhension de la réalité ou le fonctionnement de la mémoire. … Sa consommation excessive de drogues dures, n’a pas d’effet sur son discernement de la réalité, même si elle a pu se tromper en ce qui concerne quelques détails. » et « 2) L’examen du dossier de la présumée victime n’a pas mis en évidence d’éléments susceptibles de mettre en doute la crédibilité de fond de ses déclarations… ».
C’est partant à bon escient, et par une motivation que la Cour adopte, que les juges de première instance se sont basés sur les déclarations d’PERSONNE2.), ensemble les conclusions de l’expert Robert SCHILTZ, pour forger leur intime conviction par rapport à la culpabilité de PERSONNE1.) »15.
En retenant que les déclarations de la partie civile sont restées les mêmes tout au long de l’enquête policière, de l’expertise de crédibilité et de l’instruction à l’audience des juges de première instance, en renvoyant aux circonstances entourant son témoignage (précision, cohérence et absence de ressentiments et d’exagération) et en mettant en avant la réaction de la partie civile face à la photo du demandeur en cassation, ensemble avec les conclusions de l’expert, les juges d’appel ont certes implicitement mais nécessairement retenu que l’état de manque de la partie civile au moment des faits n’a pas inhibé sa perception de la réalité.
15 Voir arrêt attaqué, p. 25 et 26.Le moyen tiré du défaut de réponse à conclusions est partant à rejeter.
Quant au second moyen de cassation :
Le second moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6, 1er paragraphe de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « Convention ») qui prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable (…) ».
Il est reproché aux juges d’appel « de ne pas avoir tiré les bonnes conséquences du dépassement du délai raisonnable retenue par la Cour d’appel, alors que cette dernière n’a pas conclu à l’irrecevabilité des poursuites pour dépérissement des preuves alors qu’il n’a pas été tenu compte de la demande de Monsieur PERSONNE1.) de saisir et exploiter les images des caméras de vidéosurveillance de la station-service SOCIETE1.) (quartier ADRESSE3.)), qui aurait pu constituer une preuve décisive dans son acquittement (…) ».
Aux termes de l’arrêt attaqué :
« Le délai raisonnable est celui dans lequel une action publique exercée à charge d’une personne doit être jugée. Ce délai prend cours au moment où l’intéressé est accusé du chef d’infractions faisant l’objet de l’action publique, c’est -à-dire le jour où la personne se trouve dans l’obligation de fait de se défendre.
Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure est fonction de la complexité de l’affaire en litige, du comportement du prévenu et de la manière dont les autorités judiciaires ont diligenté l’ensemble de la procédure. Ainsi, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause, lesquelles commandent une évaluation globale (CEDH, Boddaert c/Belgique). Par ailleurs, selon la même Cour, quand bien même des phases de la procédure se seraient déroulées à un rythme acceptable, la durée totale des poursuites peut néanmoins excéder un délai raisonnable (CEDH, Dobbertin c/ France).
En effet, il résulte des éléments du dossier qu’un délai de neuf ans s’est écoulé entre les faits du 30 mai 2015 et le 21 octobre 2024, date de l’audience en instance d’appel.
S’il ne résulte d’aucun élément du dossier qu’en raison de l’écoulement de ce délai le prévenu ait été privé de la possibilité de présenter utilement ses moyens de défense toujours est-il que ce délai est trop long, l’affaire en litige n’ayant présenté aucune complexité particulière.
Même s’il résulte des éléments du dossier que ce retard n’est pas imputable à la partie poursuivante, les deux prévenus ayant été en détention à l’étranger, la Cour retient qu’il y a manifestement eu dépassement du délai raisonnable dont il convient de tenir 13 compte dans le cadre de l’appréciation de la peine à prononcer à l’égard de PERSONNE1.).
Quant à la peine, le tribunal a retenu de manière correcte que les infractions retenues à charge du prévenu se trouvent en concours réel et que l'article 62 du Code pénal est applicable.
Le jugement est encore à confirmer en ce qu’il a retenu que la peine la plus forte est celle prévue pour l’infraction de séquestration et que la fourchette de la peine encourue par le prévenu se situe entre 15 et 25 ans de réclusion criminelle.
La Cour considère cependant, en l’espèce, qu’il existe certaines circonstances atténuantes, et notamment l’ancienneté des faits qui datent de 2015 ainsi que le dépassement du délai raisonnable manifeste, de sorte qu’il y a lieu, par réformation du jugement entrepris, de ramener la peine de réclusion prononcée en première instance à l’encontre de PERSONNE1.) à une durée de dix ans ».
Il ne résulte pas de ce passage, voire de l’arrêt dans son entièreté, que le mandataire du demandeur en cassation ait sollicité la saisie et l’exploitation des images des caméras de vidéosurveillance de la station-service SOCIETE1.), ni qu’il ait soulevé l’irrecevabilité des poursuites pour dépassement du délai raisonnable. Au contraire, il résulte de l’arrêt qu’« à titre subsidiaire, la défense a soutenu que le dépassement du délai raisonnable devrait être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de la peine à prononcer le cas échéant »16.
Il peut donc être conclu que le moyen est nouveau à cet égard et irrecevable en ce qu’il comporterait un examen des circonstances de fait17.
A titre subsidiaire, le moyen ne saurait être accueilli. En effet, il est bien établi en jurisprudence que l’appréciation, par les juges du fond, des conséquences à tirer de la constatation d’un dépassement du délai raisonnable, d’une part, sur la recevabilité des poursuites et, d’autre part, sur la peine à prononcer, relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de Votre Cour18.
16 Voir arrêt attaqué, p. 22.
17 Voir Cass., 3 avril 2025, n° 71/2025 pénal, n° CAS-2024-00117 du registre.
18 Cass., 9 juillet 2009, n° 2673 du registre ; Cass., 27 janvier 2011, n° 2817 du registre ; Cass., 7 juillet 2011, n° 2891 du registre ; Cass., 17 janvier 2019, n° 4066 du registre ; Cass., 30 avril 2020, n° 60 / 2020 pénal, n° CAS-
2019-00068 du registre ; Cass., 10 mars 2022, n° 39/2022 pénal, n° CAS-2021-00017 du registre ; Cass. 9 mars 2023, n°23/2023 pénal, n° CAS-2022-00071 du registre.
Conclusion Le pourvoi est recevable mais non fondé.
Pour le Procureur général d’Etat le premier avocat général Nathalie HILGERT 15