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12/06/2025 | LUXEMBOURG | N°103/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 12 juin 2025, 103/25


N° 103 / 2025 pénal du 12.06.2025 Not. 1012/20/XD Numéro CAS-2025-00005 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Grèce), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 décembre 2024 sous le numéro 417/24 X. par la

Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correc...

N° 103 / 2025 pénal du 12.06.2025 Not. 1012/20/XD Numéro CAS-2025-00005 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Grèce), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 décembre 2024 sous le numéro 417/24 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation au pénal formé par Maître Joël MARQUES, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 9 janvier 2025 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 10 février 2025 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Simone FLAMMANG.

Entendu Maître Fränk ROLLINGER, qui a eu la parole en dernier, et l’avocat général Bob PIRON.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail à une peine d’emprisonnement et à une amende.

La Cour d’appel, réformant, a déchargé le demandeur en cassation de la peine d’amende et a confirmé le jugement pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « L’arrêt du 11 décembre 2024 rendu par la dixième chambre de la Cour d’appel n’a pas motivé, sinon n’a pas motivé de manière suffisante, l’effet de l’application de l’article 71-1 du Code pénal au niveau de la peine, de sorte que la dixième chambre de la Cour d’appel a violé l’article 109 de la Constitution, l’article 195 du Code de procédure pénale ainsi que de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Aux motifs que :

La Cour considère que la durée de la peine d’emprisonnement prononcé par la juridiction de première instance est légale et adéquate, ceci notamment au vu de la gravité des faits, faits qui restent d’ailleurs toujours contestés par le prévenu, ce dernier se trouvant dans un déni total, mais pendant aussi en considération des dispositions de l’article 71-1 du Code pénal. La durée de la peine d’emprisonnement est dès lors à maintenir. » La dixième chambre de la Cour d’appel confirme le jugement de première instance qui énonce que :

En prenant en considération les éléments précédents, et notamment les troubles mentaux dont était atteinte le prévenu, le Tribunal estime que ce dernier est adéquatement puni d’une peine d’emprisonnement de trente moi, ainsi que d’une amende de 2.500, -euros. » Alors que l’article 109 de la Constitution dispose que Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique. » 2 De même, l’article 195 du Code de procédure pénale dispose que : Tout jugement définitif de condamnation sera motivé. Il déterminera les circonstances constitutives de l’infraction et citera les articles de la loi dont il est fait application sans en reproduire les termes (…). » Tant l’article 109 de la Constitution que l’article 195 du Code de procédure pénale imposent aux juridictions de motiver leur décision, dont notamment la peine prononcée à l’encontre d’un prévenu afin de comprendre les motifs qui justifient sa peine.

Il s’agit d’une garantie essentielle imposée aux juridictions et cette nécessité s’est naturellement imposée, car il est difficile dans le cas contraire de parler d’un procès équitable.

Un arrêt de la Cour de cassation belge explique que n’est pas légalement justifiée la décision de condamnation qui se limite à considérer la peine prononcée en instance comme légale et en relation avec les faits commis lorsque la peine n’a pas été motivée en instance » (Cass, belge, 14 décembre 1988, Pas., 1989, I, p.

418).

En outre, l’arrêt porte violation de l’article 6.1. de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales alors que, en ne prenant pas les conséquences requises par la violation dudit article, il viole inévitablement le droit du demandeur en cassation à un procès équitable.

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que :

La Cour européenne des droits de l’homme a à de multiples reprises indiqué que l’article 6§1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions. (CEDH, 19 avr.

1994, Van der Hurk c/ Pays-Bas, Série A n°288 §61, Justices 1996 p. 235 obs. J-F.

FLAUSS ; 27 sept. 2011, Hirvisaari c/ Finlande, n°49684/99, non publié, Europe 2002 Com. N°73 obs. V. LECHEVALLIER. ; L. BORE, La motivation des décisions de justice et la Convention européenne des droits de l’homme, JCP 2002-I-104, p.

121 s. Cf. aussi CEDH, 28 avr. 2005, Albina c/ Roumanie, n°57808/00, §36.) La Cour européenne des droits de l’homme énonce également fréquemment le principe que .

Ainsi, la motivation des décisions judiciaires, ce notamment en appel, doit permettre au prévenu de comprendre le sens et la portée de l’arrêt, mais également les motifs qui justifient la décision dont la peine.

En l’espèce, si la dixième chambre de la Cour d’appel a bien pris en compte l’article 71-1 du Code pénal et l’a appliqué en faveur de PERSONNE1.), elle n’a 3 pas pour autant développé dans quelle mesure cet article impacte la peine prononcée à l’encontre de PERSONNE1.).

La Cour d’appel n’a fait que prendre en considération ledit article sans même motiver dans quelle mesure cet article impacte la peine.

L’arrêt précité aurait dû finir son raisonnement en exprimant clairement l’effet de l’application dudit article au niveau de la peine, ce pour permettre à PERSONNE1.) de se rendre compte de l’impact de l’application de cet article au niveau de la peine, et d’appliquer de la sorte la peine à prononcer à la situation personnelle de PERSONNE1.).

En clair, il aurait appartenu aux magistrats d’écrire au niveau de l’arrêt qu’elle aurait été la peine à prononcer à l’encontre de PERSONNE1.) si l’article 71-1 du Code pénal ne lui serait pas applicable et quelle réduction au niveau de la peine a été appliqué du fait de l’application de l’article 71-1 du Code pénal.

La chambre correctionnelle de la Cour d’appel n’a cependant pas motivé sa décision de telle manière, alors qu’elle, tout comme les premiers juges, ne motive aucunement, sinon de manière insuffisante, sur l’impact de l’article 71-1 du Code pénal au niveau de la peine de prison retenue.

Le mandataire de PERSONNE1.) avait pourtant expressément demandé à ce que la dixième chambre de la Cour d’appel détermine l’effet de l’application de cet article et applique de la sorte la peine à prononcer à la situation personnelle de PERSONNE1.), c’est-à-dire que la dixième chambre de la Cour d’appel individualise la peine de PERSONNE1.) en fonction de l’article 71-1 du Code pénal.

Les juges doivent veiller à personnaliser la peine et non renvoyer à des critères généraux, alors que la motivation de la peine est essentielle pour la validité de la décision judiciaire, le juge ne pouvant se contenter d’affirmer que les sanctions prononcées en première instance sont légales et qu’elles correspondent à une juste répression.

En agissant de la sorte, les magistrats n’indiquent pas de manière précise les raisons de leur choix de peine.

et aux cours d'appel une motivation plus étendue et plus précise que celle qui suffisait auparavant, le législateur cherchait notamment à éviter le risque d'arbitraire, risque créé par l'individualisation et la diversification des peines, à faciliter l'exécution de celles-ci et à augmenter la cohérence dans l'application du droit » (Cour d’Arbitrage belge, 14 juin 2000, n°71, It., 2000, p. 806) Ce manque de motivation porte incontestablement préjudice au demandeur en cassation, alors que l’arrêt précité ne lui permet pas d’une part, de comprendre la peine prononcée à son encontre et, d’autre part, de savoir dans quelle mesure cet article a eu un impact sur sa peine.

4 Par conséquent, l’arrêt rendu par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel en date du 11 décembre 2024 encourt la cassation pour ne pas avoir respecté ni l’article 109 de la Constitution, ni l’article 195 du Code de procédure pénale, ni l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions visées au moyen en n’ayant pas motivé l’effet de l’application de l’article 71-1 du Code pénal au niveau de la peine.

En tant que tiré de la violation de l’article 109 de la Constitution, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme. Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En confirmant les juges de première instance qui avaient retenu « Dans l’appréciation du quantum de la peine à prononcer à l’égard du prévenu, la chambre correctionnelle tient compte d’une part de la gravité objective des faits mis à sa charge et d’autre part de sa situation personnelle.

Au vu des deux rapports d’expertise prémentionnés, il y a lieu de conclure que les troubles mentaux, dont était atteint PERSONNE1.) au moment des faits, n’ont pas aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Il y a toutefois lieu de retenir que le prévenu était atteint de troubles mentaux ayant altéré son discernement et entravé le contrôle de ses actes, de sorte qu’il y a lieu de faire application de l’article 71-1 du Code pénal au moment de déterminer la peine.

En prenant en considération les éléments qui précèdent, et notamment les troubles mentaux dont était atteint le prévenu, le Tribunal estime que ce dernier est adéquatement puni d’une peine d’emprisonnement de trente mois, ainsi que d’une amende de 2.500,- euros » et en retenant par une motivation propre « Au vu des deux expertises neuropsychiatriques effectuées sur la personne de PERSONNE1.), attestant une jalousie maladive dans son chef, ayant altéré son discernement et entravé le contrôle de ses actes au moment des faits, c’est à juste titre que les juges de première instance ont retenu l’application de l’article 71-1 du Code pénal.

La Cour considère que la durée de la peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction de première instance est légale et adéquate, ceci notamment au vu de la gravité des faits, faits qui restent d’ailleurs toujours contestés par le prévenu, ce dernier se trouvant dans le déni total, mais prenant aussi en considération l’application des dispositions de l’article 71-1 du Code pénal. La durée de la peine d’emprisonnement est dès lors à maintenir.

5 Il résulte du casier judiciaire de PERSONNE1.) que ce dernier a été condamné en 2018 pour des faits similaires à l’égard de son épouse à une peine d’emprisonnement de quarante mois assortis d’un sursis partiel probatoire de vingt-

deux mois.

Le jugement est partant à confirmer en ce que la juridiction de première instance a retenu qu’aucun aménagement de la peine d’emprisonnement n’est possible. », les juges d’appel, qui ne sont pas tenus de quantifier l’incidence d’éventuels troubles mentaux d’un prévenu ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes sur la peine à prononcer, ont motivé leur décision sur le point considéré.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « La chambre correctionnelle de la Cour d’appel a violé le principe de la légalité en retenant la circonstance aggravante d’incapacité de travail et en interprétant, pour la retenir, extensivement les dispositions de l’article 399 du Code pénal.

Aux motifs que :

sens de l’article 399 du Code pénal, on entend parler de l’impossibilité de se livrer à un travail corporel. Aucune disposition n’impose qu’une incapacité de travail soit prouvée par un certificat médical ou une expertise, le juge du fond disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation souverain.

Au vu des déclarations faites par les deux femmes de ménage, ensemble celles de la fille commune PERSONNE2.), il est constant en cause que le visage de PERSONNE3.) était gonflé et parsemé de hématomes, voire de taches noires.

Ainsi, au vu de la gravité des blessures infligées à PERSONNE3.), la Cour considère que c’est à bon escient, et par des motifs que la Cour adopte, que la juridiction de première instance a retenu la circonstance aggravante que les coups et blessures ont entraîné une incapacité de travail personnel dans le chef de PERSONNE3.). » Alors que l’article 399 du Code pénal est à interpréter strictement.

Les articles 2 et 14 de la Constitution établissent le principe de la légalité, duquel découle le principe d’interprétation stricte de la loi pénale par les juridictions.

6 Il s’agit d’un principe fondamental du droit pénal par lequel les juges doivent interpréter strictement la loi pénale et qui leur interdit toute interprétation extensive des termes employés par le législateur.

L’article dispose que ou une incapacité de travail personnel, le coupable sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500€ à 2.500€. » L’article ne fait que mention d’une incapacité de travail personnel, ce qui veut dire une incapacité de travailler.

Or, en l’espèce la chambre correctionnelle de la Cour d’appel interprète ce terme de façon large, en disant qu’il s’agit , et en se basant uniquement sur les blessures de PERSONNE3.).

Néanmoins, PERSONNE3.) n’était pas en situation d’incapacité de travail alors qu’elle a effectivement travaillé, tel que documenté dans le dossier, pour le compte de son employeur.

Aucun certificat médical d’incapacité de travail n’a de plus été communiqué.

Pour retenir avec certitude l’existence d’une incapacité de travail pour la période visée, il aurait fallu chercher, soit auprès de l’employeur, soit auprès de la plaignante, notamment sur les supports informatiques, si PERSONNE3.) a travaillé les deux jours pour lesquels elle a demandé de travailler en mode home office.

En interprétant l’article 399 du Code pénal de la sorte comme ils l’ont fait, les magistrats de la chambre correctionnelle ont fait une interprétation extensive de cet article, en retenant une incapacité de travail dans une situation où la personne concernée a réellement travaillé.

Le droit pénal devant être interprété strictement, une interprétation comme celle reprise par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel viole le principe de la légalité alors que cette interprétation aboutit le cas échéant à des condamnations par des juridictions luxembourgeoises de faits avec circonstances aggravantes d’incapacité de travail, alors que les victimes étaient tout à fait en capacité médicale de travailler, respectivement ont, comme en l’espèce, travaillé.

Cette mauvaise interprétation porte incontestablement préjudice au demandeur en cassation alors que l’arrêt précité retient la circonstance aggravante d’incapacité de travail à l’encontre de PERSONNE1.), aggravant ainsi la réalité des faits.

De ce fait, l’arrêt de la Cour d’appel viole le principe de la légalité et encours cassation. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé la disposition visée au moyen en ayant retenu la circonstance aggravante d’incapacitéde travail personnel, alors que la victime aurait travaillé pour son employeur et qu’aucun certificat médical n’avait été versé.

Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges d’appel, des éléments factuels leur soumis, qui les ont amenés à retenir que les faits reprochés au demandeur en cassation ont entraîné une incapacité de travail personnel, appréciation qui est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 4,75 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public (n° CAS-2025-00005 du registre)

________________________________________________________________________

Par déclaration faite le 9 janvier 2025 au greffe de la Cour Supérieure de Justice, Maître Joël MARQUES, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, forma un recours en cassation, au nom et pour le compte de PERSONNE1.), contre un arrêt rendu le 11 décembre 2024 sous le numéro 417/24 X. par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours fut suivie en date du 10 février 2025 du dépôt d’un mémoire en cassation, signé par Maître Sandrine OLIVEIRA, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, au nom et pour le compte de PERSONNE1.).

Le pourvoi respecte le délai d’un mois courant à partir du prononcé de la décision attaquée dans lequel la déclaration de pourvoi doit, conformément à l’article 41 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, intervenir. Il respecte en outre le délai d’un mois1, prévu par l’article 43 de la loi du 18 février 1885, dans lequel la déclaration du pourvoi doit être suivie du dépôt du mémoire en cassation.

Conformément à l’article 43 de la loi précitée, ce mémoire a été signé par un avocat à la Cour, contient des moyens de cassation et précise les dispositions attaquées de l’arrêt.

Le pourvoi est donc recevable.

1 Le délai d’un mois aurait en principe expiré le 9 février 2025. Etant donné qu’il s’agissait cependant d’un dimanche, le délai était prorogé jusqu’au jour ouvrable suivant, c’est-à-dire jusqu’au lundi 10 février 2025.Faits et rétroactes :

Par jugement contradictoire rendu le 25 novembre 2021 par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, PERSONNE1.) a été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois ainsi qu’à une amende de 2.500 euros du chef de deux épisodes de coups et blessures volontaires sur la personne de son épouse, dont une fois avec la circonstance aggravante qu’il en est résulté une incapacité de travail personnel pour la victime.

La Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, par un arrêt du 11 décembre 2024, a confirmé le jugement entrepris, sauf à décharger PERSONNE1.) de la peine d’amende prononcée en première instance.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Sur les moyens de cassation :

Quant au premier moyen de cassation tiré de la violation de l’article 109 de la Constitution, de l’article 195 du Code de procédure pénale ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que l’arrêt du 11 décembre 2024 rendu par la dixième chambre de la Cour d’appel n’a pas motivé, sinon n’a pas motivé de manière suffisante, l’effet de l’application de l’article 71-1 du Code pénal au niveau de la peine Aux termes de son premier moyen, le demandeur en cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir motivé la peine prononcée à son encontre du point de vue de l’impact de l’application de l’article 71-1 du Code pénal sur la sanction retenue.

Selon le moyen, il aurait appartenu aux magistrats d’appel d’énoncer d’abord la peine qu’ils auraient prononcé en principe, puis d’exposer en quelle mesure celle-ci doit être réduite au vu de l’article 71-1 précité.

Tiré du grief de défaut de motivation et en tant qu’il vise l’article 109 de la Constitution ainsi que l’article 195 du Code de procédure pénale, le moyen met en œuvre un vice de forme. Une décision de justice est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré. Ni l’article 195 du Code de procédure pénale, ni l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’imposent aux juges une obligation de motivation spéciale quant à l’incidence sur la peine de l’existence d’éventuels troubles mentaux ayant altéré le discernement ou entravé le contrôle des actes de la personne condamnée.Dans le jugement de première instance, auquel les magistrats d’appel se sont référés, la peine est motivée comme suit :

« Dans l’appréciation du quantum de la peine à prononcer à l’égard du prévenu, la chambre correctionnelle tient compte d’une part de la gravité objective des faits mis à sa charge et d’autre part de sa situation personnelle.

Au vu des deux rapports d’expertise prémentionnés, il y a lieu de conclure que les troubles mentaux, dont était atteint PERSONNE1.) au moment des faits, n’ont pas aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Il y a toutefois lieu de retenir que le prévenu était atteint de troubles mentaux ayant altéré son discernement et entravé le contrôle de ses actes, de sorte qu’il y a lieu de faire application de l’article 71-1 du Code pénal au moment de déterminer la peine.

En prenant en considération les éléments qui précèdent, et notamment les troubles mentaux dont était atteint le prévenu, le Tribunal estime que ce dernier est adéquatement puni d’une peine d’emprisonnement de trente mois, ainsi que d’une amende de 2.500,-

euros.

(…) Au vu du casier judiciaire du prévenu, renseignant une condamnation du prévenu en date du 15 novembre 2018 pour des faits similaires à une peine privative de liberté de 40 mois, aussi bien le sursis simple que le sursis probatoire sont exclus dans son chef. »2 En retenant :

« Au vu des deux expertises neuropsychiatriques effectuées sur la personne de PERSONNE1.), attestant une jalousie maladive dans son chef, ayant altéré son discernement et entravé le contrôle de ses actes au moment des faits, c’est à juste titre que les juges de première instance ont retenu l’application de l’article 71-1 du Code pénal.

La Cour considère que la durée de la peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction de première instance est légale et adéquate, ceci notamment au vu de la gravité des faits, faits qui restent d’ailleurs toujours contestés par le prévenu, ce dernier se trouvant dans le déni total, mais prenant aussi en considération l’application des dispositions de l’article 71-1 du Code pénal. La durée de la peine d’emprisonnement est dès lors à maintenir.

Il résulte du casier judiciaire de PERSONNE1.) que ce dernier a été condamné en 2018 pour des faits similaires à l’égard de son épouse à une peine d’emprisonnement de quarante mois assortis d’un sursis partiel probatoire de vingt-deux mois.

2 Arrêt attaqué, pages 9 et 10Le jugement est partant à confirmer en ce que la juridiction de première instance a retenu qu’aucun aménagement de la peine n’est possible. »3, la Cour d’appel a suffi à son obligation légale de motivation, sans violer les textes visés au moyen de cassation.

Par conséquent, le premier moyen de cassation n’est pas fondé.

Sous une autre optique, le moyen ne tend qu’à remettre en cause, sous le couvert de la violation des textes précités, l’appréciation souveraine des juges du fond quant à la fixation du quantum de la peine, relevant de surcroît de leur pouvoir discrétionnaire4, échappant au contrôle de Votre Cour.

A cet égard, le moyen ne saurait être accueilli.

Quant au deuxième moyen de cassation tiré de la violation du principe de la légalité en retenant la circonstance aggravante d’incapacité de travail et en interprétant, pour la retenir, extensivement les dispositions de l’article 399 du Code pénal Selon le second moyen de cassation, la Cour d’appel aurait violé le principe de légalité, consacré par les articles 2 et 14 de la Constitution, dont découlerait la règle selon laquelle le droit pénal est d’interprétation stricte.

En retenant la circonstance aggravante de l’incapacité de travail personnel dans une hypothèse où il résulterait du dossier que la victime se serait adonnée à une occupation professionnelle, les magistrats d’appel auraient interprété l’article 399 du Code pénal de façon extensive, en violation du principe général du droit en cause.

A noter tout d’abord que les articles 2 et 14 de la Constitution, visés au moyen, sont étrangers au grief mis en œuvre. L’article 2 concerne la forme de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, tandis que l’article 14 consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Le principe de légalité, auquel il est fait référence, se déduit de l’article 2 du Code pénal, ainsi que de l’article 19 de la Constitution, dans sa version actuellement en vigueur.

Ensuite, il faut constater que le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

Contrairement aux affirmations du demandeur en cassation, qui prétend que la victime, pour laquelle la circonstance aggravante de l’incapacité de travail personnel prévue par l’article 399 du Code pénal a été retenue, aurait en réalité travaillé les jours suivant l’agression, il se dégage de la motivation du jugement de première instance, adoptée par la Cour d’appel, que tel n’était pas le cas.

3 Arrêt attaqué, page 16, alinéas 2 à 5 4 Cass. 27 janvier 2011, n°2817 du registre ; BORE, La cassation en matière pénale, 4ème édition, n°81.42 En effet, les juges ont constaté « que les faits ont eu lieu le 25 octobre 2019, tombant sur un vendredi. »5 La victime n’a pas travaillé pendant les deux jours suivants, à savoir le samedi et le vendredi. Par après, la victime est également restée à son domicile et le jugement entrepris se lit à cet égard comme suit: « En date du lundi, 28 octobre 2019, PERSONNE3.) a envoyé un courriel à son employeur afin de se voir autoriser à rester en télétravail, en indiquant qu’elle se serait grièvement blessée au dos pendant le weekend.

Le lendemain, partant le mardi, 29 octobre 2019, PERSONNE3.) a envoyé un deuxième courriel à son patron, indiquant « Je suis toujours souffrante de mon dos et ne suis pas mobile. Pourriez-vous me remettre en télétravail encore ce jour svp ». PERSONNE3.) avait encore posé une demande de congé pour les mercredi, 30 octobre 2019 et jeudi, 31 octobre 2019. Comme le 1er novembre est un jour férié, qui tombait en l’année 2019 sur un vendredi, PERSONNE3.) a finalement seulement dû retourner au travail le lundi, 4 novembre, partant une dizaine de jours après la survenance des faits du 25 octobre 2019. »6 Par conséquent, du moins pour les deux jours qui ont suivi les actes de violence, il est tout simplement faux d’affirmer que la victime se serait adonnée à une occupation professionnelle. Le moyen manque donc en fait.

A titre subsidiaire, il n’est pas fondé.

Le principe de légalité, visé au moyen, implique que le droit pénal défavorable au prévenu est à interpréter de façon stricte. Il y a toutefois lieu de bien comprendre la portée de ce principe. En effet, ainsi qu’il résulte des travaux préparatoires du Code pénal belge, repris par le Code pénal luxembourgeois, « [l]e juge, qui est tenu d’interpréter les termes de la loi dans le sens que le législateur a voulu y attacher, doit les comprendre dans leur acception la plus étendue, même lorsqu’il s’agit d’une loi pénale, si telle est l’intention du législateur »7. En particulier, « [l]es dispositions dont les termes sont généraux répugnent à une interprétation stricte ou même restrictive »8.

La notion d’« incapacité de travail personnel », circonstance aggravante pour différentes infractions pénales, dont celle de coups et blessures volontaires, ne se trouve pas définie par la loi. Ainsi, s’agissant d’une expression formulée en des termes généraux, elle doit être interprétée par le juge.

5 Arrêt attaqué, page 6, dernier alinéa 6 Idem 7 Rapport relatif au titre VIII du livre II du Code pénal fait au nom de la Commission du gouvernement par J.J.

HAUS, Législation criminelle de la Belgique, Tome III, Bruxelles, Bruylant, page 242, n° 108, cité par :

Franklin KUTY, Principes généraux du droit pénal belge, Tome I, 3e édition, Bruxelles, Larcier, 2018, n° 335 et note de bas de page n° 1251, page 219.

8 KUTY, op.cit., loc.cit., note de bas de page n° 1250, citant : Cour de cassation de Belgique, 20 avril 1950, Pas.

belge, I, page 560, avec les conclusions conformes du Procureur général L. CORNIL.Il est par ailleurs évident qu’elle ne saurait s’interpréter dans le sens très restrictif indiqué par le demandeur en cassation, qui entend la limiter aux seuls cas où une victime ne peut effectivement pas travailler dans le cadre d’une occupation professionnelle. Une approche aussi réductrice mènerait à exclure d’office la circonstance aggravante pour des victimes qui ne s’adonnent pas à une occupation professionnelle, comme par exemple les personnes au chômage ou les étudiants, mais aussi les enfants. Or, l’article 401bis du Code pénal, incriminant les coups et blessures volontaires sur la personne d’un enfant âgé de moins de 14 ans accomplis, prévoit en son deuxième alinéa une aggravation de la peine en cas d’incapacité de travail personnel causée à l’enfant victime. Selon les règles du droit du travail, un enfant qui n’a pas atteint l’âge de 14 ans n’est pas autorisé à travailler.

Nonobstant, la loi prévoit une peine aggravée s’il se trouve en incapacité de travail personnel à cause des coups qu’il s’est vu infliger.

Il tombe donc sous le sens que l’interprétation restrictive proposée par le moyen doit être écartée, en ce qu’elle mènerait à des discriminations indues entre différentes catégories de victimes.

En l’espèce, la Cour d’appel a confirmé les premiers juges qui avaient retenu la circonstance aggravante de l’incapacité de travail personnel dans le chef de la victime, au vu de la gravité des blessures lui infligées. Elle a rappelé à juste titre que « par incapacité de « travail personnel » au sens de l’article 399 du Code pénal, on entend parler de l’impossibilité de se livrer à un travail corporel. Aucune disposition n’impose qu’une incapacité de travail soit prouvée par un certificat médical ou une expertise, le juge du fond disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation souverain. »9 Ce raisonnement se situe en ligne avec la jurisprudence de la Cour de cassation belge, selon laquelle « l’incapacité de travail personnel visée par l’article 399 du Code pénal consiste en l’incapacité pour la victime de se livrer à un travail corporel quelconque. Cette circonstance aggravante, qui n’a en vue que la gravité des blessures, sans égard à la position sociale de la victime ou à son travail habituel et professionnel, s’applique même si la victime, comme en l’espèce un enfant, n’exerce aucune activité rémunératrice et quelle que soit l’importance de l’incapacité. »10 Partant, c’est sans violer le principe de légalité et par une interprétation conforme à la loi que la Cour d’appel a décidé que la circonstance aggravante de l’incapacité de travail personnel était établie.

Le deuxième moyen de cassation doit donc être rejeté.

9 Arrêt attaqué, page 14, dernier alinéa 10 Cour de cassation belge, 19 avril 2006, arrêt n°F-20060419-17 (P.06.0040.F), publié sur stradalex.comConclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le Procureur général d’Etat adjoint Simone FLAMMANG 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 103/25
Date de la décision : 12/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2025-06-12;103.25 ?

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