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12/06/2025 | LUXEMBOURG | N°102/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 12 juin 2025, 102/25


N° 102 / 2025 pénal du 12.06.2025 Not. 2654/23/CD Numéro CAS-2025-00008 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de 1) PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Chine), demeurant à L-

ADRESSE2.), 2) la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE3.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), prévenus, demandeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR G

RASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau ...

N° 102 / 2025 pénal du 12.06.2025 Not. 2654/23/CD Numéro CAS-2025-00008 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de 1) PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Chine), demeurant à L-

ADRESSE2.), 2) la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE3.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), prévenus, demandeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 18 décembre 2024 sous le numéro 434/24 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation au pénal formé par Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.) et de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), suivant déclaration du 13 janvier 2025 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 12 février 2025 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Nathalie HILGERT ;

Entendu Maître Henry DE RON, qui a eu la parole en dernier, et Monsieur Bob PIRON, avocat général.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le ministre ayant le travail dans ses attributions avait prononcé des amendes administratives contre la demanderesse en cassation sub 2) pour avoir employé plusieurs ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier en violation de l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail.

Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, après avoir rejeté le moyen tiré du principe non bis in idem, avait condamné les demandeurs en cassation à des amendes du chef d’infractions à l’article L. 572-5 du Code du travail pour avoir employé les mêmes personnes et du chef d’infractions aux articles L. 222-2, L. 222-9 et L. 222-10 du même code pour leur avoir versé des rémunérations inférieures aux taux applicables. Il avait, en outre, condamné le demandeur en cassation sub 1) à une peine d’emprisonnement assortie du sursis.

La Cour d’appel a confirmé le jugement.

Sur la recevabilité du pourvoi Le Ministère public conclut à l’irrecevabilité du pourvoi formé par le demandeur en cassation sub 1) pour défaut d’intérêt à agir.

Un pourvoi en cassation est irrecevable, faute d’intérêt dans le chef du demandeur en cassation, lorsqu’il est dirigé contre une décision qui ne lui fait pas grief.

Le moyen unique du demandeur en cassation sub 1), tiré de la violation de l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention »), est dirigé contre la décision de rejet de la fin de non-recevoir tirée du principe non bis in idem à l’égard de la demanderesse en cassation sub 2).

Le moyen du demandeur en cassation sub 1) est dès lors dirigé contre une décision qui ne lui fait pas grief.

Il s’ensuit que le demandeur en cassation sub 1) n’a pas d’intérêt à agir et que son pourvoi en cassation est irrecevable.

Le pourvoi en cassation de la demanderesse en cassation sub 2), introduit suivant les forme et délai de la loi, est recevable.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, en l’espèce de l’article :

- 4 du Protocole n°7 à la Convention EDH qui dispose que :

1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. » DISCUSSION Selon la jurisprudence constante de la CourEDH, l’existence ou non d’une doit s’apprécier sur la base de trois critères désignés couramment sous le nom de .

Le premier critère est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé.

Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale. La notion de peine contenue dans l’article 7 de la Convention EDH est identique.

(1) Première branche :

En ce qui concerne la qualification de l’infraction.

L’article 572-4 (1) du Code du travail dispose :

Est puni d’une amende administrative de 2.500 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’employeur qui a employé un ou plusieurs 3 ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’amende est prononcée par le ministre ayant le travail dans ses attributions ou par son délégué, sur base d’un rapport qui lui est transmis par le Directeur de l’Inspection du travail et des mines ».

L’article 572-5 (1) du Code du travail dispose :

Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 2.501 à 20.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ou d’une de ces peines seulement, l’employeur qui a employé un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, dans une des circonstances suivantes :

1. l’infraction est répétée de manière persistante ;

2. l’infraction a trait à l’emploi simultané d’un nombre significatif de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

3. l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives ;

4. l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains ;

5. l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ».

Il est constant que l’article 572-4 (1) du Code du travail sanctionne l’emploi d’un ou de plusieurs ressortissants en séjour irrégulier et que l’article 572-5 (1) du Code du travail sanctionne les circonstances aggravantes de l’emploi d’un ou de plusieurs ressortissants en séjour irrégulier.

Il s’agit de circonstances qui doivent être précisées par un texte. Les cinq circonstances prévues par l’article 572-5 du Code du travail .

Ainsi, même si la sanction associée à une violation de l’article 572-4 du Code du travail est administrative et que la sanction associée à une violation de l’article 572-5 du Code du travail est de nature pénale, toujours est-il que l’articulation des articles 572-4 (1) et 572-5 (1) du Code du travail est à qualifier de .

Dès lors, les faits à la base de l’infraction demeurent les mêmes et l’action publique a été engagée après que la sanction administrative ait été prononcée.

En retenant qu’il s’agit de faits complémentaires, alors qu’en vertu du principe de la saisine in rem toute juridiction pénale a le droit et même le devoir d’examiner la qualification des faits qui lui sont soumis et au besoin de donner aux faits leur qualification exacte, le juge répressif, au lieu de déclarer son incompétence, a prononcé, sous le couvert de faits complémentaires, une sanction pénale et a de ce fait violé l’article 4 du Protocole n°7 à la Convention EDH.

4 Partant, il y a lieu de retenir une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention EDH.

Par conséquent, l’arrêt encourt cassation sur ce point.

(2) Deuxième branche :

Les juges du fond retiennent que l’existence de aggravantes » serait de nature à changer l’infraction et qu’en substance aucun principe juridique ne s’opposait pas à l’application consécutive des deux dispositions en cause. Celles-ci présenteraient un caractère et un objet différents :

tandis que l’article 574-4 du Code du travail sanctionnerait uniquement l’emploi d’un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l’article 574-5 du Code du travail, tend à réprimer ces circonstances aggravantes, tel que notamment la persistance de l’infraction, l’emploi simultané d’au moins deux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ou encore les conditions de travail particulièrement abusives.

Il convient de noter que l’ITM n’a pas jugé opportun de saisir le Procureur d’état dès le début de la constatation des faits en application de l’article 23 (2) du Code de procédure pénale qui retient que l’obligation de donner et a attendu après que des amendes administratives aient été prononcées en date des 16 et 22 décembre 2022 pour un montant de 10.000,00 EUR et de 25.000,00 EUR avant de saisir le Procureur d’Etat pour invoquer que les faits constatés et sanctionnés constituaient des circonstances aggravantes. Le Procureur d’Etat aurait pu, pour faire jouer l’article 572-5 du Code du travail, retenir qu’une amende administrative avait été prononcée.

La Cour n’ignorera pas que les dispositions en cause se distinguent non seulement sur le plan de l’appellation des infractions mais aussi sur celui, plus fondamental, de leur nature et de leur but. Elle relèvera en outre que l’infraction punie par l’article 572-4 du Code du travail ne représente qu’un aspect du délit sanctionné par l’article 572-5 du Code du travail. Néanmoins, les deux décisions de sanction administrative et les décisions des juridictions répressives se fondent sur le même comportement.

Partant, il y a lieu de retenir une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention EDH.

Par conséquent, l’arrêt encourt cassation sur ce point. ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies La demanderesse en cassation sub 2) fait grief aux juges d’appel d’avoir violé le principe ne bis in idem consacré par l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention en ce qu’elle aurait été sanctionnée deux fois pour les mêmes faits, d’une part, dans le cadre de deux procédures administratives, et, d’autre part, dans le cadre d’une procédure pénale.

Vu l’article 4, paragraphe 1, du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. » Cette disposition consacre le principe ne bis in idem et énonce les composantes de celui-ci, à savoir que les deux procédures doivent être de nature « pénale », qu’elles doivent viser les mêmes faits et qu’il doit s’agir d’une répétition des poursuites.

L’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur base des critères définis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » que risque de subir l’intéressé, les deuxième et troisième critères étant alternatifs et pas nécessairement cumulatifs.

La demanderesse en cassation sub 2) a été sanctionnée par des amendes administratives sur base de l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail et condamnée pénalement sur base de l’article L. 572-5, paragraphe 1, du même code.

L’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail, dans sa version applicable au moment des faits, dispose « Est puni d’une amende administrative de 2.500 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’employeur qui a employé un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’amende est prononcée par le ministre ayant le travail dans ses attributions ou par son délégué, sur base d’un rapport qui lui est transmis par le Directeur de l’Inspection du travail et des mines. » L’article L. 572-5, paragraphe 1, du Code du travail, dans sa version applicable au moment des faits, dispose « Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 2.501 à 20.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ou d’une de ces peines seulement, l’employeur qui a employé un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, dans une des circonstances suivantes :

1. l’infraction est répétée de manière persistante ;

2. l’infraction a trait à l’emploi simultané d’un nombre significatif de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

3. l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives ;

4. l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains ;

6 5. l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier. » Le droit national qualifie la sanction prévue à l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail d’« amende administrative » par opposition aux sanctions pénales prévues à l’article L. 572-5, paragraphe 1, du même code.

La rédaction même des deux dispositions, employant à chaque fois les termes « est puni », et leur juxtaposition dans le chapitre du Code du travail interdisant l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier établissent qu’elles ont toutes les deux pour objectifs la répression et la dissuasion de l’emploi illégal de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, partant des finalités pénales.

L’amende administrative de l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail est perçue au profit de l’Etat, tout comme l’amende correctionnelle de l’article L. 572-5, paragraphe 1, du même code, et n’a partant aucun objectif réparateur à l’égard de la victime. Le fait qu’elle s’applique de manière générale à tous les citoyens, tout comme la sanction pénale de l’article L. 572-5 précité, exclut tout objectif disciplinaire.

S’agissant du degré de sévérité de la sanction administrative de l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail, le caractère fixe de l’amende et la multiplication de celle-ci par le nombre de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière employés, permettent de la caractériser de sévère.

Il s’ensuit que la procédure prévue à l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail est à qualifier de « pénale » au sens de l’article 4, paragraphe 1, du Protocole additionnel n° 7 à la Convention.

Il résulte de l’arrêt attaqué que le même comportement de la même personne et au même moment a été en cause aussi bien dans les procédures administratives basées sur l’article L. 572-4, paragraphe 1, du Code du travail, que dans la procédure pénale fondée sur l’article L. 572-5 du même code, la qualification juridique donnée dans les procédures ne différant que par rapport au degré de gravité des faits. Les accusations pénales portées contre la demanderesse en cassation sub 2) englobaient les faits constitutifs de l’infraction administrative dans son ensemble et, à l’inverse, les faits constitutifs de l’infraction administrative ne contenaient pas d’éléments étrangers à l’infraction pénale dont la demanderesse en cassation sub 2) avait été accusée.

Il s’ensuit que tant les procédures administratives que la procédure pénale engagées à l’encontre de la demanderesse en cassation sub 2) ont visé des faits qui doivent être considérés comme étant en substance les mêmes aux fins de la disposition visée au moyen.

Il n’existe pas de lien particulier entre les procédures administratives et pénale, les décisions administratives, non attaquées par la demanderesse en cassation sub 2), étant devenues définitives avant que la procédure pénale n’ait été engagée. La sanction pénale, qui n’a pas tenu compte des amendes administratives, s’est ajoutée à celles-ci.

La demanderesse en cassation sub 2) a, dès lors, été sanctionnée deux fois pour des faits qui étaient en substance les mêmes.

En rejetant la fin de non-recevoir tirée du principe ne bis in idem, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare irrecevable le pourvoi formé par le demandeur en cassation sub 1) ;

reçoit le pourvoi formé par la demanderesse en cassation sub 2) ;

casse et annule l’arrêt attaqué numéro 434/24 X. rendu le 18 décembre 2024 sous le numéro de notice 2654/23/CD par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, en ce qu’il a rejeté le moyen d’irrecevabilité des poursuites tiré du principe ne bis in idem consacré par l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

dans cette mesure, déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

laisse les frais de l’instance en cassation à charge de l’Etat ;

ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de l’arrêt annulé.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) et SOCIETE1.) s.à r.l.

en présence du Ministère Public N° CAS-2025-00008 du registre Par déclaration faite le 13 janvier 2025 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Henri DE RON, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) et de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) s. à r.l., un recours en cassation contre un arrêt n° 434/24 X. rendu le 18 décembre 2024 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours a été suivie le 12 février 2025 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Henri DE RON.

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique. Le pourvoi a, par ailleurs, été fait dans la forme et le délai de la loi. Le mémoire en cassation, prévu à l’article 43 de la loi précitée du 18 février 1885, a également été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Il s’ensuit que le pourvoi est recevable en la pure forme.

Se pose toutefois la question de l’intérêt à agir dans le chef du demandeur en cassation PERSONNE1.). Pour y répondre, il y a lieu de rappeler les faits et rétroactes de l’affaire.

Par jugement n° 558/2024 du 29 février 2024 du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), en sa qualité d’employeur, a été condamnée à 7 amendes de 5.000 euros chacune et PERSONNE1.), en sa qualité de gérant unique de la société SOCIETE1.), à 7 amendes de 3.000 euros chacune ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de 9 mois, assortie du sursis intégral, pour avoir comme auteurs, entre le 13 mai 2022 et le 2 décembre 2022, en infraction à l’article L. 572-5 du Code du travail, employé sept ressortissants d'un pays tiers en séjour irrégulier, avec la circonstance que l'infraction a été répétée de manière persistante, qu’elle a trait à l'emploi simultané d'un nombre significatif de ressortissantsde pays tiers en séjour irrégulier et qu’elle s'accompagne de conditions de travail particulièrement abusives notamment au niveau de la rémunération. Le tribunal a encore retenu les prévenus dans les liens de la prévention d’avoir, en infraction aux articles L. 222-2, L. 222-9 et L. 222-10 du Code du travail, versé des rémunérations inférieures au salaire social minimum légal, tel que fixé par l'article L. 222-9, alinéa 1er du même code.

Par l’arrêt attaqué du 18 décembre 2024, la Cour d’appel a déclaré non fondés les appels interjetés par les demandeurs en cassation et le ministère public.

Tant en première instance qu’en appel, les deux prévenus1 se sont prévalus du principe non bis in idem au vu du fait que la société SOCIETE1.) avait payé deux amendes administratives respectivement de 7.500 euros et de 10.000 euros prononcées sur la base de l’article L. 572-4 du Code du travail.

La Cour d’appel a motivé son arrêt à ce sujet comme suit :

« Par décision du 17 mai 2022, l’ITM a ordonné la cessation immédiate du travail des salariés PERSONNE2.), PERSONNE3.) et PERSONNE4.) en application des articles L.573-4 et L.614-5 du Code du travail. Par décision du 18 mai 2022, le Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire a prononcé une amende administrative de 7.500 euros à l’égard de la société SOCIETE1.), en sa qualité d’employeur, pour avoir employé illégalement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, à savoir PERSONNE2.), PERSONNE3.) et PERSONNE4.), le tout en application de l’article L. 572-4 paragraphe 1er du Code du travail.

À la suite d’un deuxième contrôle en date du 2 décembre 2022, l’ITM a ordonné par décision du 9 décembre 2022, la cessation immédiate du travail de PERSONNE5.), PERSONNE6.), PERSONNE7.) et PERSONNE8.) et une amende administrative de 10.000 euros a été prononcée par décision du 21 décembre 2022 en application de l’article L.572-4 paragraphe 1er du Code de travail pour emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

C’est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont déclaré le moyen d’irrecevabilité présenté par PERSONNE1.) non fondé vu qu’il n’a pas fait l’objet des sanctions administratives et n’en était pas visé.

La société SOCIETE1.), en revanche, a fait l’objet, en application de l’article 572-4 du Code du travail, de deux sanctions administratives pour avoir « employé un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ».

1 En instance d’appel, la soussignée s’est ralliée au moyen d’irrecevabilité, dans le chef de la société SOCIETE1.), découlant du principe non bis in idem. C’est ainsi par erreur qu’il a été résumé que le représentant du ministère public « conclut à la confirmation du jugement entrepris. Les faits actuellement poursuivis par la voie pénale seraient différents de ceux sanctionnés par les amendes administratives, prononcées d’ailleurs contre la seule société SOCIETE1.), pour constituer des infractions différentes et des infractions aggravées. Le principe « non bis in idem » ne s’appliquerait dès lors pas ».

La sanction administrative est prononcée par une autorité administrative pour sanctionner des manquements à des règles administratives ou réglementaires dans le but de déjudiciariser certains comportements avec l’objet de veiller à l’ordre public et de veiller au respect des réglementations administratives.

Il est en principe possible de cumuler une sanction administrative et une sanction pénale pour les mêmes faits, à condition que ce cumul respecte le principe de proportionnalité et ne constitue pas une double peine, une personne ne pouvant être condamnée deux fois pour les mêmes faits. Le cumul doit être justifié par des finalités différentes et la personne ne doit pas être excessivement sanctionnée.

L’article L.572-4 du Code du travail sanctionne l’emploi d’un ou de plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, d’une amende administrative tandis que l’article L.572-5 du même code sanctionne pénalement, conformément à la directive européenne 2009/52CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009, l’emploi d’un ou de plusieurs ressortissants en séjour irrégulier, aggravé par l’une des cinq circonstances limitativement énumérées par la directive et repris dans la loi du 21 décembre 2012.

La Cour rejoint dès lors le tribunal lorsqu’il retient que le législateur a voulu prévoir et réprimer deux comportements différents : la sanction administrative prévue par l’article L. 572-4 sanctionne l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, alors que l’article L. 572-5 sanctionne l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, accompagné d’une des circonstances aggravantes prévues par la même disposition.

Les faits poursuivis en l’espèce contre la société SOCIETE1.) sont complémentaires aux faits, qui ont été sanctionnés par l’octroi de deux amendes administratives prononcées à l’encontre de la société SOCIETE1.) ».

Il a donc été jugé que PERSONNE1.), non visé par les sanctions administratives prononcées contre la seule société SOCIETE1.), ne pouvait pas se prévaloir du principe non bis in idem. Or, le moyen de cassation formulé par PERSONNE1.) ne critique pas ce raisonnement, mais il est identique à celui formulé par la société SOCIETE1.) et porte sur les conditions d’application de ce principe, en particulier celle de l’identité des faits.

S’il est évident que le demandeur en cassation ne peut se pourvoir que contre les décisions qui lui font grief, l’intérêt à agir s’apprécie également en fonction du moyen de cassation présenté par lui2. Ainsi, le demandeur en cassation ne peut-il invoquer une illégalité qui n’affecte pas son sort, qui a été commise au préjudice d’un co-inculpé ou qui ne lui a causé aucun grief. Tel est le cas en l’espèce. En effet, le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde 2 J. BORE et L. BORE, La cassation en matière pénale, 2025/2026, p. 98, n° 33.31.des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « Convention ») en ce que, en résumé, la Cour d’appel a considéré que la sanction administrative payée par la société SOCIETE1.) et la sanction pénale la concernant visent des faits complémentaires et que, dès lors, il n’y avait pas de double sanction pénale. Or, PERSONNE1.) ne formule aucun reproche quant aux motifs qui ont conduit les juges d’appel à écarter l’application du principe non bis in idem à son égard. L’accueil du moyen de cassation ne pourrait donc pas lui bénéficier.

Le pourvoi en cassation de PERSONNE1.) est partant à déclarer irrecevable3. Celui de la société SOCIETE1.) est recevable.

Quant à l’unique moyen de cassation formulé par la société SOCIETE1.) :

L’unique moyen de cassation, divisé en deux branches, est tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention.

Dans le cadre de la première branche du moyen, il est exposé que si la violation de l’article L. 572-4 du Code du travail est sanctionnée par une amende administrative et la violation de l’article L. 572-5 du Code du travail est sanctionnée pénalement, il resterait que l’articulation de ces deux dispositions du Code du travail serait à qualifier de « circonstance aggravante » et que les faits à la base de l’infraction seraient les mêmes.

Dans le cadre de la deuxième branche du moyen, la demanderesse en cassation invoque que l’infraction punie par l’article L. 572-4 du Code du travail ne représenterait qu’un aspect du délit sanctionné par l’article L. 572-5 du même code.

En résumé, la demanderesse en cassation estime qu’au vu des sanctions administratives payées pour les mêmes faits punissables, la Cour d’appel aurait dû faire application du principe consacré par la disposition visée au moyen.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter que par deux arrêts des 11 et 25 mars 2025, la cinquième chambre de la Cour d’appel a jugé, dans des cas similaires au cas d’espèce, qu’en vertu du principe non bis in idem, les poursuites pénales du chef de l’infraction prévue à l’article L. 572-5 du Code de travail contre la société (ayant fait l’objet d’une sanction administrative sur la base de l’article L. 572-4 du Code du travail) sont irrecevables4. La motivation exhaustive de la Cour d’appel a été calquée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les deux chambres correctionnelles de la Cour ne sont dès lors pas alignées quant à cette question juridique.

3 Voir pour un exemple analogue : Cass., 24 novembre 2022, n° 39/2022 pénal, n° CAS-2022-00001 du registre.

4 Cour d’appel, 11 mars 2025, n° 109/25 V, p. 17 ; Cour d’appel, 25 mars 2025, n° 133/25 V, p. 21. Par arrêt du 26 février 2015 et sur conclusions conformes du parquet général, la Chambre du conseil de la Cour d’appel a également déclaré irrecevables les poursuites pénales engagées contre une société du chef d’infractions aux articles 2-2, alinéas 1er, 3 et 5 (1) de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme en application du principe non bis in idem. Cette société avait préalablement été sanctionnée par la Commission de surveillance du secteur financier au paiement d’une amende administrative de 170.000 euros sur la base des articles 2-1, paragraphe (1), et 8-4, paragraphes (1) (2) et (3) de la loi précitée de 20045.

Avant d’aborder le moyen de cassation proprement dit, l’origine des dispositions du Code du travail en cause en l’espèce mérite d’être exposée.

Les articles L. 572-4 et L. 572-5 ont été introduits dans le Code du travail par une loi du 21 décembre 20126. Au moment des faits litigieux7, ils étaient de la teneur suivante :

5 Cour d’appel, chambre du conseil, 26 février 2025, n° 106/25 Ch.c.C. XI.

6 Loi du 21 décembre 2012 portant modification :

1) du Code du travail ;

2) du Code pénal ;

3) de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat;

4) de la loi modifiée du 27 juillet 1993 ayant pour objet 1. le développement et la diversification économiques, 2. l’amélioration de la structure générale et de l’équilibre régional de l’économie;

5) de la loi modifiée du 30 juin 2004 portant création d’un cadre général des régimes d’aides en faveur du secteur des classes moyennes ;

6) de la loi du 15 juillet 2008 relative au développement économique régional ;

7) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration;

8) de la loi du 5 juin 2009 relative à la promotion de la recherche, du développement et de l’innovation;

9) de la loi du 18 février 2010 relative à un régime d’aides à la protection de l’environnement et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles.

7 Les dispositions précitées ont été modifiées par la loi du 7 août 2023 portant modification : 1° du Code du travail ; 2° de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ; 3° de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire.

L’article L. 572-4 du Code du travail dispose actuellement que :

(1) Est puni d’une amende administrative de 10.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’employeur qui a employé un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’amende est prononcée par le ministre ayant le travail dans ses attributions ou par son délégué, sur base d’un rapport qui lui est transmis par le Directeur de l’Inspection du travail et des mines.

La notification de l’amende à l’employeur ou à son délégué s’effectue moyennant lettre recommandée ou contre signature apposée sur le double de la décision. L’amende devient immédiatement exigible à l’expiration d’un délai de trente jours.

Article L. 572-4 du Code du travail :

« 1. Est puni d’une amende administrative de 2.500 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, l’employeur qui a employé un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’amende est prononcée par le ministre ayant le travail dans ses attributions ou par son délégué, sur base d’un rapport qui lui est transmis par le Directeur de l’Inspection du travail et des mines.

L’amende due est à verser dans les 30 jours à compter de la notification de la décision du ministre par lettre recommandée à la poste. Le montant est versé au Trésor.

L’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA est chargée du recouvrement des amendes administratives qui lui sont communiquées par le directeur de l’Inspection du travail et des mines par la transmission d’une copie des décisions de fixation. Le recouvrement est poursuivi comme en matière d’enregistrement.

(2) Aux fins de l’application du paragraphe (1) et sans préjudice des pouvoirs appartenant au ministère public, les rapports relatifs à des infractions à l’article L. 572-1 établis par les organes de contrôle mentionnés à l’article L. 573-1, alinéa 1 er sont adressés au Directeur de l’Inspection du travail et des mines.

L’article L.572-5 du Code du travail dispose actuellement:

(1) Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 2.501 à 125.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ou d’une de ces peines seulement, l’employeur qui a occupé un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, dans une des circonstances suivantes:

1. l’infraction est répétée de manière persistante;

l’infraction a trait à l’emploi simultané d’au moins deux 2. ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier;

l’infraction s’accompagne de conditions de travail 3. particulièrement abusives;

l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays tiers en 4. séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains;

l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur 5. ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier.

(2) Le Procureur général d’Etat informe les ministres ayant respectivement le Travail, l’Economie, les Classes moyennes, la Recherche et les Finances dans leurs attributions des condamnations prononcées contre les employeurs pour infraction aux dispositions interdisant le travail clandestin et l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

2. Aux fins de l’application du paragraphe (1) et sans préjudice des pouvoirs appartenant au ministère public, les rapports relatifs à des infractions à l’article L.

572-1 établis par les organes de contrôle mentionnés à l’article L. 573-1, alinéa 1er sont adressés au Directeur de l’Inspection du travail et des mines ».

Article L. 572-5 du Code du travail :

« 1. Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 2.501 à 20.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ou d’une de ces peines seulement, l’employeur qui a employé un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, dans une des circonstances suivantes :

1. l’infraction est répétée de manière persistante ;

2. l’infraction a trait à l’emploi simultané d’un nombre significatif de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier;

3. l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives;

4. l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains;

5. l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier.

2. Le Procureur général d’Etat informe les ministres ayant respectivement l’Economie, les Classes moyennes, la Recherche et les Finances dans leurs attributions des condamnations prononcées contre les employeurs pour infraction aux dispositions interdisant le travail clandestin et l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ».

Cette loi tendait principalement à transposer la directive 2009/52/CE prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (ci-après la « Directive »).

L’article 3 de la Directive prévoit que « 1. Les États membres interdisent l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. 2. Les infractions à cette interdiction sont passibles des sanctions et des mesures fixées dans la présente directive. 3. Un État membre peut décider de ne pas appliquer l’interdiction visée au paragraphe 1 aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dont l’éloignement a été reporté et qui sont autorisés à travailler conformément au droit national ».

Aux termes de son article 5 relatif aux sanctions financières :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que les violations de l’interdiction visée à l’article 3 sont passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre de l’employeur concerné.

2. Les sanctions infligées en cas de violation de l’interdiction visée à l’article 3 comportent:

a) des sanctions financières dont le montant augmente en fonction du nombre de ressortissants de pays tiers employés illégalement; et 16 b) le paiement des frais de retour des ressortissants de pays tiers employés illégalement dans les cas où une procédure de retour est engagée. Les États membres peuvent alternativement décider de refléter au moins les coûts moyens du retour dans les sanctions financières prises conformément au point a).

3. Les États membres peuvent prévoir une réduction des sanctions financières lorsque l’employeur est une personne physique qui emploie un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier à ses fins privées et lorsqu’il n’y a pas de conditions de travail particulièrement abusives ».

L’article 9 intitulé « infraction pénale » et l’article 10 intitulé « sanctions pénales » de la Directive disposent que :

« 1. Les États membres veillent à ce que l’infraction à l’interdiction visée à l’article 3 constitue, lorsqu’elle est intentionnelle, une infraction pénale dans chacune des circonstances suivantes, conformément à la législation nationale:

a) l’infraction est continue ou répétée de manière persistante;

b) l’infraction a trait à l’emploi simultané d’un nombre significatif de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier;

c) l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives;

d) l’infraction est commise par un employeur qui, tout en n’ayant pas été accusé d’une infraction établie conformément à la décision-cadre 2002/629/JAI ni condamné pour celle-ci, utilise le travail ou les services d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains;

e) l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur.

2. Les États membres veillent à ce que le fait d’encourager, de faciliter et d’inciter à commettre intentionnellement les actes visés au paragraphe 1 soit passible de sanctions pénales ».

et « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les personnes physiques qui commettent l’infraction pénale visée à l’article 9 soient passibles de peines effectives, proportionnées et dissuasives.

2. À moins que les principes généraux du droit8 l’interdisent, les sanctions pénales prévues au présent article peuvent, en application de la législation nationale, être appliquées sans préjudice d’autres sanctions ou mesures de nature non pénale, et peuvent s’accompagner de la publication de la décision judiciaire relative à l’affaire en question ».

Il résulte des documents parlementaires de la loi précitée du 21 décembre 20129 qu’il était proposé de rédiger l’article L. 572-4 comme suit :

8 Parmi lesquels figure le principe non bis in idem.

9 Doc. parl. 6404.« Est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 251 à 20.000 euros ou d’une de ces peines seulement, l’employeur qui a employé un ressortissant de pays tiers non muni d’une autorisation de séjour ou d’un titre de séjour.

Les faits suivants sont considérés comme circonstances aggravantes:

1. l’infraction est répétée de manière persistante;

2. l’infraction a trait à l’emploi simultané d’un nombre significatif de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier;

3. l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives;

4. l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains;

5. l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ».

Le commentaire des articles précisait que « cet article reprend les termes de l’article 144 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration – article qui est abrogé par l’article VI du présent projet de loi. S’y ajoutent cinq circonstances aggravantes telles qu’elles sont prévues par l’article 9 de la directive 2009/52/CE »10.

Dans son avis, le Conseil d’État a relevé que « la Chambre de commerce souligne à juste titre que la directive n’exige l’introduction d’une sanction pénale que dans ces cinq cas de figure. Or, dans la mesure où le libellé de l’alinéa 1er figure déjà dans notre cadre législatif, la réduction de la sanction pénale aux seules situations visées par la directive constituerait un changement législatif in mitius. Les auteurs du projet ne semblent pas avoir voulu s’engager dans cette voie. Certains pénalistes avaient pourtant salué la possibilité offerte par la directive de réprimer l’emploi illégal „simple“ par des sanctions administratives exclusivement en limitant le recours aux sanctions pénales à des infractions commises dans les circonstances visées à l’article 9, paragraphe 1er de la directive 2009/52/CE. Cette approche constitue une application du principe de nécessité qui dérive du principe de proportionnalité en matière pénale.

Le recours à des sanctions administratives en cas d’emploi d’un ressortissant de pays tiers en situation irrégulière, en dehors des circonstances aggravantes, a l’avantage d’une plus grande flexibilité. La directive, en ce qu’elle dispose que seules les infractions visées à l’article 9 pourront être sanctionnées pénalement, exige clairement l’instauration d’un système de sanctions administratives pour les infractions moins graves ne rentrant pas dans ces catégories. Ce système permettra de respecter l’article 5, paragraphe 2, point a) de la directive 2009/52/CE en instituant une amende augmentée en fonction du nombre de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière employés, ainsi que l’article 8 de la même directive prévoyant une solidarité financière entre l’employeur sous-traitant et l’entrepreneur principal. Dans la mesure où cette disposition n’est pas transposée correctement, le Conseil d’Etat insiste sous peine d’opposition formelle à voir introduire le système des sanctions administratives, en dehors des cinq cas visés à l’article 9 de la directive et pour lesquels une sanction 10 Doc. parl. 6404, p. 11.pénale est exigée. Il y a partant lieu de convertir les sanctions pénales existantes en sanctions administratives »11.

Au vu de cette opposition formelle du Conseil d’État, les sanctions administratives ont par la suite été introduites dans le projet de loi.

Cela étant exposé, il y a lieu d’aborder les conditions d’application du principe de l’exception de la chose jugée au pénal, qui se traduit par l’adage non bis in idem, et qui constitue un principe général du droit et est consacré notamment12 par l’article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention13 et par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »)1415.

Étant donné que les dispositions nationales litigieuses résultent de la transposition d’une directive de l’Union européenne et que la lettre de l’article 4, paragraphe 1er, du Protocole n° 7 de la Convention est reprise par l’article 50 de la Charte, la question se pose de savoir s’il appartient au juge national, en tant que juge de droit commun de l’Union européenne, de contrôler lesdites dispositions exclusivement au regard de la Charte. En effet, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et dès lors que le droit de l’Union est mis en œuvre, il incombe au juge national de respecter les droits, d’observer les principes et d’en promouvoir l’application conformément à ses compétences. Par ailleurs, le Grand-Duché de Luxembourg, qui est à la fois un État membre de l’Union européenne et un État partie signataire à la Convention, reconnaît la suprématie de la réglementation européenne et des traités internationaux au sein de son ordre interne.

Il y a tout d’abord lieu de rappeler que bien que l’Union européenne ne soit toujours pas partie à la Convention, la Cour de justice a reconnu très tôt16que les dispositions des traités engendraient des droits que « les juridictions nationales doivent sauvegarder ».

En outre, la Cour de Strasbourg a également admis la possibilité de mettre en cause les États membres, signataires de la Convention, pour des mesures nationales d’application 11 Doc. parl. 6404-5, p. 5.

12 Le principe non bis in idem est également consacré par l’article 14 paragraphe 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies, ainsi que par l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985.

13 Aux termes de cet article : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

14 Aux termes de cet article : «Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».

15 Pour un aperçu complet du principe non bis in idem, référence peut être faite aux conclusions de Madame le premier avocat général Monique SCHMITZ dans l’affaire de cassation n° 4019 du registre (arrêt du 25 octobre 2018, n° 94 / 2018 pénal).

16 CJUE, arrêt du 30 avril 1974, Giuseppe Sacchi, n° aff. 155/73.du droit de l’Union européenne17. En somme, elle contrôle a posteriori le droit de l’Union européenne par le biais des litiges introduits devant elle impliquant des réglementations et/ou des législations nationales, lesquelles peuvent mettre en œuvre le droit de l’Union notamment par la transposition des directives, afin de garantir la protection effective des droits que la Convention consacre.

À cet égard, il y a également lieu de relever que la Charte contient de nombreux droits correspondant à des droits garantis par la Convention, comme c’est notamment le cas avec l’article 50 de la Charte et l’article 4 du Protocole n° 7, et qu’en conséquence, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux conférés par la Convention18, même s’il est vrai que, dans leur application, des différences subtiles peuvent subsister.

Par conséquent, il peut être conclu que le juge national, saisi, comme en l’espèce, d’un recours en cassation dont l’objet a trait au contrôle interne de dispositions nationales litigieuses transposant une directive européenne vis-à-vis de la Convention, a l’obligation de l’exercer dans la limite de sa saisine, sans être tenu de contrôler lesdites dispositions vis-à-vis de la Charte dès lors que celle-ci n’a pas été directement invoquée19.

17 Voir, affaire Étienne Tête c. France, décision de la Commission du 9 décembre 1987 citée dans la fiche thématique «Jurisprudence relative à l’Union européenne », décembre 2022, p. 2.

18 L’article 52, paragraphe 3 de la Charte dispose que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leu confère ladite Convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

19 Toutefois, si le juge national devait contrôler les dispositions nationales litigieuses vis-à-vis de l’article 50 de la Charte, il conviendrait de rappeler qu’une limitation dudit principe, au titre de l’article 52 de ladite charte, peut être justifiée à la condition, notamment et également, que la loi nationale assure que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul soient limitées au strict nécessaire afin de réaliser l’objectif visé, et ce par une coordination des procédures et des sanctions. S’agissant plus particulièrement de la condition du « non bis », la Cour de Justice de l’Union européenne a dégagé un certain nombre de critères afin de permettre la pleine applicabilité de l’article 50 de la Charte. Elle a ainsi retenu dans son arrêt du 20 mars 2018 (Luca Menci, C-524/15, point n° 63) que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens « qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une personne pour omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée due dans les délais légaux, alors que cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que cette réglementation :

-

vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts complémentaires, 20 L’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention consacre le droit fondamental en vertu duquel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné20.

En d’autres termes, un même fait pénal, ayant déjà fait l’objet d’un jugement définitif au fond, c’est-à-dire passé en force de chose jugée, ne peut pas faire l’objet de nouvelles poursuites.

Les trois composantes clés du principe non bis in idem sont :

1. les deux procédures doivent être de nature « pénale », 2. elles doivent viser la même infraction, et 3. il doit s’agir d’une répétition des poursuites.

En l’espèce, les juges d’appel ont considéré que les procédures administrative et pénale ne visaient pas la même infraction. Ils ne se sont pas prononcés sur les autres conditions.

Dans un souci d’exhaustivité, les trois conditions composantes du principe seront néanmoins analysées.

Ad 1) La nature pénale des deux procédures. En relation avec la détermination de la nature pénale d’une affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que la qualification juridique de la procédure en droit interne ne saurait être le seul critère pertinent pour l’applicabilité du principe non bis in idem au regard de l’article 4, paragraphe 1er du Protocole n° 7. Elle a précisé que les termes « procédure pénale » doivent être interprétés à la lumière des principes généraux applicables aux expressions « accusation en matière pénale » et « peine » figurant respectivement à l’article 6 et à l’article 7 de la Convention. Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, que l’on désigne couramment sous le nom de « critères Engel »21.

Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième, la nature même de l’infraction et le troisième, le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche toutefois pas l’adoption d’une approche -

contienne des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d’un cumul de procédures, et -

prévoie des règles permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée ».

De plus, la Cour a indiqué (point n° 64) qu’il appartenait à « la juridiction nationale de s’assurer, compte tenu de l’ensemble des circonstances au principal, que la charge résultant concrètement pour la personne concernée de l’application de la réglementation nationale en cause au principal et du cumul des poursuites et des sanctions que celle-ci autorise n’est pas excessive par rapport à la gravité de l’infraction commise ». En d’autres termes, la condition du « non bis » doit également être regardée sous le prisme du principe de proportionnalité, tel qu’il découle de l’article 52, paragraphe 2 de ladite Charte.

20 Cass., 23 mars 2023, n° 35/2023 pénal, n° CAS-2022-00005 du registre.

21 Engel et autres c. Pays-Bas, 1976.cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale22.

Comme relevé ci-dessus, les auteurs du projet de loi ayant abouti à la loi de 2012 ont repris l’article 144 de la loi modifiée du 29 aout 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration qui prévoyait des sanctions pénales23. Ce n’est qu’à la suite de l’opposition formelle du Conseil d’État que cette sanction pénale a été convertie en une sanction administrative. On peut en conclure que le but même de ces sanctions, à savoir punir un comportement repréhensible, n’a pas changé. Les objectifs de répression et de dissuasion de l’infraction constituent des caractéristiques des sanctions pénales24.

À cela s’ajoute le montant potentiellement élevé des sanctions financières encourus. En effet, la coloration pénale d’une instance est subordonnée au degré de gravité de la sanction dont est a priori passible la personne concernée25.

De l’avis de la soussignée, il peut donc être retenu qu’en l’espèce les amendes administratives relèvent de la notion de sanction pénale.

Ad 2). Il faut encore déterminer si les deux procédures visent la même infraction.

En effet, le principe non bis in idem interdit de poursuivre ou de juger à nouveau une personne pour la « même infraction ». Dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie de 200926, la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir examiné la portée de ce principe, tel qu’énoncé dans différents instruments internationaux (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Convention américaine relative aux droits de l’homme), a considéré que l’article 4 du Protocole n° 7 devait être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci avait pour origine des faits identiques ou des faits qui étaient « en substance » les mêmes que ceux de la première infraction27.

Elle a précisé que le point de départ pour l’examen de la question de savoir si les faits des deux procédures étaient identiques ou étaient en substance les mêmes devait être la comparaison de l’exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle le requérant avait déjà été jugé avec celui se rapportant à la seconde infraction dont il était accusé.

Elle a souligné que peu importait quelles parties de ces nouvelles accusations étaient finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure puisque l’article 4 du Protocole n° 7 énonçait une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second 22 Guide sur l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, p. 7/30, n° 9 et voir, notamment, arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie, 2009, n° 53 et ss.

23 Article 144 (abrogé depuis lors) de la loi précitée: « est puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 251 à 20.000 euros ou d'une de ces peines seulement, l'employeur qui a embauché un travailleur étranger non muni de l'autorisation de séjour pour travailleur salarié prévue par la présente loi ou d'une autorisation de travail si celle-ci est requise ».

24 Voir notamment arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie, 2009, n° 55.

25 CEDH, Grande Stevens et autres c. Italie, 2014, n° 94 et suiv.

26 Points n°79-82.

27 Voir aussi arrêt A et B c. Norvège, 2016, n° 108.acquittement. Elle a dit qu’elle devait donc faire porter son examen sur ces faits qui constituaient un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même auteur et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace28.

Dans une affaire qui concernait la répétition de poursuites – amende administrative et procédure pénale – pour un comportement socialement offensif ayant troublé l’ordre public, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté qu’était en cause le même comportement, de la part de la même personne et au même moment. Elle a relevé que la qualification juridique donnée dans les deux procédures ne différait que sur un aspect, à savoir le degré de gravité des troubles. Toutefois, à la lumière des éléments dont elle disposait, la Cour a jugé que les accusations pénales portées contre le requérant englobaient les faits constitutifs de l’infraction administrative dans son ensemble et qu’à l’inverse, les faits constitutifs de l’infraction administrative ne contenaient pas d’éléments étrangers à l’infraction pénale dont le requérant avait été accusé. Ainsi, les faits constitutifs des deux infractions devaient être considérés comme étant en substance les mêmes aux fins de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention29.

De l’avis de la soussignée, tel est également le cas en l’espèce. En effet, tout emploi d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier tombe dans le champ d’application de l’article L. 572-4 du Code du travail et est potentiellement sanctionnable par une amende administrative tandis que, si cet emploi s’accompagne de l’une des circonstances visées par l’article L. 572-5 du même code et qui peuvent être qualifiées de circonstances aggravantes, il est pénalement sanctionné. Il en découle que tout comportement sanctionné pénalement englobe ipso facto le comportement sanctionnable par une amende administrative. Un seul comportement répréhensible donne ainsi potentiellement lieu à deux sanctions, l’une administrative et l’autre pénale.

Dans ce contexte de l’appréciation de la question de l’existence ou non de faits identiques, il faut clarifier la portée du contrôle exercé par Votre Cour.

Étant donné que la France a émis une réserve d’interprétation aux termes de laquelle « seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du […] Protocole [n° 7] »30, la référence à la jurisprudence française n’est guère concluante.

En effet, si la conformité de cette réserve à la Convention a pu être débattue, elle n’a néanmoins jamais fait l’objet d’un examen in se par la Cour européenne des droits de l’homme (alors même qu’une partie de la doctrine pénaliste considère que la réserve française devrait, notamment à la suite de l’arrêt du 23 octobre 1995, Gradinger c.

Autriche, « être privée d’effet31 »).

28 Guide sur l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention des droits de l’homme, p 13/30, n° 31 et 32.

29 Vasile Sorin Marin c. Roumanie, 2024, n° 46-51, 30 Voir notamment : L. Gamet, « Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit du travail », Droit social, 2024, p. 706 et ss.

31 D. Gutmann, « Le cumul entre sanctions fiscales et pénales en droit français », R.G.C.F., 2016/3, p. 165 et références citées.

La Cour de cassation, tout en rappelant la réserve avec constance32, relève que cette dernière n’est pas en contradiction avec sa jurisprudence aux termes de laquelle « les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation 33» et juge de manière constante que « l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif 34». Selon le Conseil constitutionnel français, il y cependant lieu à application du principe de proportionnalité qui implique « qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues35 ».

La Cour de cassation belge juge, quant à elle, que « par faits identiques ou substantiellement les mêmes, il est entendu un ensemble de circonstances de fait concrètes concernant un même suspect et qui sont indissociablement liées entre elles dans le temps et dans l'espace. Le juge apprécie souverainement si les faits qui font l'objet d'une seconde poursuite sont identiques ou substantiellement les mêmes que ceux ayant fait l'objet d'une première poursuite à laquelle une décision irrévocable d'acquittement ou de condamnation a mis un terme » 36.

Dans deux arrêts de 2015, elle a précisé que si le juge décide souverainement si les faits qui font l’objet des poursuites sont identiques ou substantiellement identiques, elle « examine toutefois si le juge n’a pas déduit des faits constatés par lui des conséquences qui y sont étrangères ou qu’ils ne peuvent justifier »37.

Ad 3). En dernier lieu, il s’agit de déterminer s’il y a répétition de procédures.

Il est constant en cause qu’en l’espèce les amendes administratives ont été payées.

Aux termes de son arrêt A. et B. c. Norvège, rendu le 15 novembre 2016, par la Grande Chambre, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que « pour convaincre la Cour de l’absence de répétition de procès ou de peines proscrite par l’article 4 du Protocole n°7, l’Etat défendeur doit établir de manière probante que les procédures mixtes en question étaient liées par un « lien matériel et temporel suffisamment 32 Voir, à titre d’exemple, Cass. fr., Chambre criminelle, 13 septembre 2017, 15-84.823, publié au bulletin.

33 Cass. fr., Assemblée plénière, 15 avril 2011, 10-17.049, publié au bulletin.

34 Cass. fr., Chambre criminelle, 11 septembre 2019, 18-82.430, publié au bulletin.

35 Conseil constitutionnel français, Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.

36 Cass. b., 20 mai 2014, n° P.13.00026.N.

37 Cass. b., 24 avril 2015 RG F.14.0045. N, Pas. b. 2015, n° 275, p. 1047 ; Cass. b., 17 février 2015, P.14.1509.N., Pas. b., 2015, n° 122.étroit »38. Elle a élaboré quatre critères conditionnant l’admissibilité du cumul de procédures et de sanctions et les a résumés comme suit :

-

les buts des différentes procédures doivent être complémentaires et concerner des aspects différents de l’acte préjudiciable, -

la mixité des procédures est une conséquence prévisible du même comportement réprimé, -

les procédures doivent avoir été conduites de manière à éviter autant que possible toute répétition dans le recueil et l’appréciation des éléments de preuve, -

la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier doit être prise en compte dans la procédure qui prend fin en dernier et le montant global de toutes les peines prononcées doit être proportionné.

En outre, les procédures ne doivent pas s’étaler trop dans le temps pour que le justiciable ne soit pas en proie à l’incertitude et à des lenteurs39.

Ces conditions ne paraissent pas être établies en l’espèce40.

38 cf. n° 130 de l’arrêt A et B c. Norvège du 15 novembre 2016, n° 24130/11 et 29758/11.

39 cf. n° 131 et suiv. de l’arrêt A et B c. Norvège du 15 novembre 2016.

40 Voir également la motivation de l’arrêt précité de la Cour d’appel du 11 mars 2025 :« En l’espèce, il est indéniable que l’objectif poursuivi par les articles L. 572-4 et L.572-5 du Code du travail est à qualifier d’intérêt général en ce que ces dispositions visent la lutte contre l’emploi illégal de travailleurs en situation irrégulière. Il est également permis de retenir que différents aspects de l’acte préjudiciable sont visés par la procédure administrative (qui ne vise que le « simple » fait d’employer des personnes ressortissantes de pays tiers en situation irrégulière) et par la procédure pénale proprement dite qui elle peut être intentée dans des cas aggravés, donc si au moins une des circonstances aggravantes prévues par l’article L. 572-5 du Code du travail est susceptible d’être retenue. Sous cet aspect, la procédure pénale peut être considérée comme venant complémenter la procédure administrative.

Cependant, non seulement les buts poursuivis et les moyens utilisés pour y parvenir doivent être en substance complémentaires et présenter un lien temporel, mais les éventuelles conséquences découlant d’une telle organisation du traitement juridique du comportement en question doivent également être proportionnées et prévisibles pour le justiciable.

Il est difficile, voire impossible d’appréhender dans quelle mesure la mixité des procédures et surtout les conséquences de cette mixité peuvent être prévisibles pour le justiciable. En l’espèce, ce dernier, soit la société (…), se voit en pratique contrôler par l’Inspection du travail et des mines qui ordonne la cessation de travail des personnes concernées, qui dresse un 25 En conclusion, si Votre Cour juge que l’appréciation de la condition d’application du principe de non bis in idem relative à l’existence de mêmes faits relève du pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond, le moyen de cassation, pris dans ses deux branches, ne saurait être accueilli.

Si tel n’est pas le cas, le moyen est, de l’avis de la soussignée, fondé.

À titre subsidiaire, quant à l’unique moyen de cassation formulé par PERSONNE1.) :

Pour autant que pourvoi de PERSONNE1.) est recevable, le moyen de cassation est inopérant pour lui être étranger.

procès-verbal et qui continue le dossier au Ministre compétent qui prononce une amende administrative. Le dossier est ensuite transmis au ministère public et le justiciable fait l’objet d’une enquête policière et se voit citer devant les juridictions répressives pour, au moins à ses yeux, strictement le même comportement.

Par ailleurs, il n’existe en droit interne aucune règlementation assurant une coordination entre l’Inspection du travail et des mines, respectivement le Ministre compétent et le ministère public, si ce n’est la simple transmission du dossier en vertu de l’article L. 614-12 (3) du Code du travail (« Les procès-

verbaux visés au paragraphe (1) qui précède sont déposés entre les mains du Procureur d’Etat par le directeur de l’Inspection du travail et des mines. ») et encore l’information sur la suite réservée au dossier ainsi transmis en vertu de l’article L. 614-

12 (4) du Code du travail (« Le ministre et le directeur de l’Inspection du travail et des mines seront informés par le ministère public des suites réservées aux procès-verbaux déposés, en vertu de sa prérogative d’appréciation de l’opportunité des poursuites. »).

Une coordination au niveau de l’établissement des faits, de la collection et de l’appréciation des preuves et surtout au niveau des amendes administratives et des peines pénales prononcées n'est pas prévue.

Tel qu’exposé ci-dessus, l’article L. 572-4 du Code de travail prévoit une amende administrative de 2.500 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier et l’article L. 572-5 du même code prévoit une amende pénale de 2.501 à 20.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier. Si les juridictions répressives sont évidemment libres de prendre en compte, dans l’appréciation de la peine d’amende à prononcer, l’acquittement antérieur par le justiciable d’éventuelles amendes administratives, aucun mécanisme compensatoire pour assurer que le montant global de toutes les peines prononcées est proportionné n’est cependant prévu ».

Conclusion Le pourvoi en cassation de PERSONNE1.) est irrecevable ;

À titre subsidiaire, le moyen de cassation est inopérant ;

Le pourvoi en cassation de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) s.à r.l. est recevable ;

Le moyen de cassation ne saurait être accueilli ;

À titre subsidiaire, il est fondé.

Pour le Procureur général d’Etat le premier avocat général Nathalie HILGERT 27


Synthèse
Numéro d'arrêt : 102/25
Date de la décision : 12/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2025-06-12;102.25 ?

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