N° 74 / 2025 du 24.04.2025 Numéro CAS-2024-00132 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-quatre avril deux mille vingt-cinq.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Antoine SCHAUS, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Claude COLLARINI, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1) PERSONNE2.), demeurant professionnellement à L-ADRESSE2.), 2) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE3.), 3) la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE2.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défendeurs en cassation, comparant par Maître David YURTMAN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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Vu l’arrêt attaqué numéro 039/24-VII-CIV rendu le 20 mars 2024 sous le numéro CAL-2022-01018 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 20 août 2024 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), à PERSONNE3.) et à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), déposé le 23 août 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 11 octobre 2024 par PERSONNE2.), PERSONNE3.) et la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), déposé le 18 octobre 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Claude HIRSCH.
Sur la recevabilité du pourvoi Les défendeurs en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi pour violation de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, au motif que le mémoire en cassation n’indiquerait pas les dispositions attaquées de l’arrêt.
Les dispositions attaquées de l’arrêt figurent au point II du mémoire, intitulé « Dispositions de l’arrêt attaqué ».
Il s’ensuit que le pourvoi, introduit dans les forme et délai de la loi, est recevable.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, saisi d’une demande des défendeurs en cassation en paiement d’un certain montant au titre d’une clause pénale, dirigée contre le demandeur en cassation, avait dit non fondée la demande reconventionnelle du demandeur en cassation tendant à la résolution de la promesse de vente aux torts exclusifs des défendeurs en cassation et fondée la demande des défendeurs en cassation sub 1) et 2) en résolution de la promesse de vente aux torts exclusifs du demandeur en cassation, et avait condamné ce dernier à leur payer le montant réclamé au titre de la clause pénale. La Cour d’appel a confirmé le jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation des articles 109 de la Constitution et 249 du Nouveau Code de procédure civile L’article 109 de la Constitution dispose que :
L’article 249, alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile dispose que :
d’Etat, s’il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l’exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements. » Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions précitées alors que Première branche En ayant retenu que :
pour le 1er août 2019 ne pouvait finalement intervenir dans la mesure où la vente entre PERSONNE1.) et PERSONNE4.), épouse PERSONNE5.), condition sine qua non pour réaliser la vente entre PERSONNE1.), d’un côté, et PERSONNE2.) et PERSONNE3.), respectivement la société substituée, d’un autre côté, n’était pas réalisée au 1er août 2019 mais que les parties intimées disposaient au contraire déjà d’un accord bancaire. Le notaire a reporté la date de l’authentification de la promesse de vente au 19 septembre 2019, date à laquelle la signature de l’acte de vente a encore une fois été reportée pour la même raison que PERSONNE1.) n’était pas propriétaire de l’immeuble qu’il s’apprêtait à vendre. », la Cour d’appel a omis de prendre position sur le moyen avancé par le demandeur en cassation selon lequel la condition suspensive stipulée au contrat a défailli du fait de l’expiration du délai prévu pour sa réalisation sans que les parties acquéreuses n’aient justifié de la réalisation de la condition suspensive, à savoir l’obtention du financement, et sans qu’il n’ait été établi que les parties aient, antérieurement à l’arrivée du terme du 1er août 2019, prorogé d’un commun accord le terme prévu pour la réalisation de la condition suspensive.
La Cour d’appel a plus particulièrement omis de répondre aux conclusions du demandeur en cassation figurant à la page 9 de son acte d’appel desquelles il résulte que la condition suspensive devait être réalisée au moment de la passation de l’acte notarié devant intervenir au plus tard le 1er août 2019, et que, par ailleurs, aucune prorogation tacite du délai prévu pour la réalisation de la condition ne résultait de faits antérieurs à l’arrivée du terme fixé, les juges de première instance n’ayant pu valablement se référer à lequel était postérieur à l’arrivée du terme stipulé pour la réalisation de la condition suspensive.
Le passage en question de l’acte d’appel introduit par le demandeur en cassation se lit en effet comme suit :
civil, censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé. La défaillance de la condition suspensive dans le délai prévu empêche l’obligation de prendre naissance, les parties sont dans la même situation que si elles n’avaient pas contracté. Une condition qui a fait défaut ne peut plus revivre pour être utilement accomplie.
Suivant la jurisprudence, les parties à un contrat de vente conclu sous condition suspensive peuvent renoncer aux conséquences juridiques du dépassement du délai prévu pour la réalisation de la condition, mais cette renonciation qui peut être implicite, ne se présume toutefois pas du seul fait que les parties se sont abstenues de réagir à l’échéance de la date.
A cet égard, la Cour de cassation a été amenée à préciser que la prorogation tacite du terme d’une convention, d’un commun accord des parties, ne peut se déduire que des faits intervenus antérieurement à l’arrivée du terme fixé.
Conformément aux stipulations contenues dans la "promesse de vente" du 6 juillet 2019, l’acte de vente devait être passé devant notaire au plus tard le 1er août 2019, de sorte que la condition suspensive litigieuse aurait elle-même dû se réaliser avant cette date au plus tard.
Dans leur mise en demeure du 15 novembre 2019, les sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont d’ailleurs affirmé, sans la moindre réserve, que :
"L’acte notarié devait être dressé au plus tard le 1er août 2019 par devant Maître Henri HELLINCKX, notaire de résidence à Luxembourg (…)".
Il importe de constater qu’aucun "report" de la date de signature de l’acte notarié n’a été invoqué dans cette mise en demeure.
A la page 2 de leur assignation, les consorts GROUPE1.) ont encore souligné, toujours sans la moindre réserve, que "l’acte notarié devait être signé au plus tard le 1er août 2019 par devant Maître Henri HELLINCKX (…)".
A la page 5 de leurs conclusions récapitulatives notifiées en première instance, les parties intimées ont finalement fait référence à la "date limite du 1er août 2019".
Il ne ressort nullement des éléments du dossier que Monsieur PERSONNE1.) et les sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) auraient entendu proroger tacitement le délai prévu dans la "promesse de vente" pour la réalisation de la condition suspensive, étant rappelé que la prorogation tacite du terme d’une convention, d’un commun accord, ne peut se déduire que de faits intervenus antérieurement à l’arrivée du terme fixé.
Dans ce contexte, "l’échange de correspondance entre le notaire Henri HELLINCKX et PERSONNE1.)" auquel les premiers juges se sont référés ne saurait nullement être interprété comme une quelconque preuve de prolongation du délai de réalisation de la condition suspensive puisque le 20 septembre 2019, date de cet échange, la condition suspensive contractuellement convenue entre parties avait déjà défailli. » Deuxième branche La Cour d’appel a également omis de statuer sur le moyen suivant développé par le demandeur en cassation à la page 8 de son acte d’appel, passage qui se lit comme suit :
prétendument disposé d’un tel financement, les parties intimées sub. 1) et 2) avaient versé et s’étaient retranchées en première instance derrière un "certificat bancaire de la banque SOCIETE2.) du 1er août 2019".
Or, une telle pièce démontrait qu’en date du 1er août 2019, il n’existait qu’un simple "intérêt de principe" (qui ne saurait au demeurant être assimilé à un accord de principe) de la banque SOCIETE2.) d’accorder un prêt, de surcroît non pas aux sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) mais à la société SOCIETE1.) S.à r.l, laquelle n’était pas partie à la "promesse de vente".
Les premiers juges ayant retenu qu’aucun élément du dossier ne permettait de retenir que la société SOCIETE1.) S.à r.l. s’était substituée dans les droits et obligations des sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.), il en résulte que la condition suspensive du financement bancaire n’a dès lors jamais pu être levée par la production du prédit certificat de la banque SOCIETE2.) daté du 1er août 2019. » Il ne résulte en effet nullement de la motivation de l’arrêt attaqué que la Cour d’appel a pris position sur le moyen avancé par le demandeur en cassation au terme duquel le fait de produire en cause un certificat bancaire daté du 1er août 2019 émis par la banque SOCIETE2.) mentionnant qu’à cette date, il existait un intérêt de principe de la part de cette banque d’accorder le financement à la société SOCIETE1.) S.àr.l. n’a pas pu avoir pour effet de réaliser la condition suspensive alors que, d’une part, la seule déclaration d’un intérêt de principe n’équivaut pas à l’obtention d’un financement et que, d’autre part, cet intérêt de principe avait été émis au bénéfice de la société SOCIETE1.) S.àr.l. dont il était établi que cette dernière ne s’était, du moins à cette date, pas substituée dans les droits et obligations des sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) résultant du compromis de vente.
L’arrêt attaqué encourt partant la cassation. ».
Réponse de la Cour Sur les première et deuxième branches du moyen réunies Le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.
Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré, fût-elle incomplète ou viciée.
En retenant « La Cour rejoint encore les juges de première instance lorsqu’ils concluent que les parties étaient liées par une promesse synallagmatique de vente correspondant à un compromis de vente, point non contesté en instance d’appel.
L’article 1176 du Code civil dispose que contractée sous la condition qu’un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé.».
La simple défaillance de la condition suspensive empêche l’obligation de prendre naissance, les parties étant dans la même situation que si elles n’avaient pas contracté, tandis que la réalisation de la condition fait rétroagir la convention conclue.
Il est de principe que pour satisfaire à la condition suspensive de l’obtention d’un prêt bancaire, la partie acquéreuse doit déployer toutes les diligences nécessaires pour que la condition puisse s’accomplir comme prévu au contrat.
Lorsque le débiteur, obligé sous une condition suspensive, en empêche l’accomplissement, celle-ci est réputée accomplie. L’article 1178 du Code civil impose ainsi à charge du débiteur qui s’engage sous une condition suspensive, une véritable obligation de coopérer loyalement afin que la condition puisse se réaliser.
Le débiteur doit dès lors entreprendre tout son possible pour que l’opération puisse aboutir et la jurisprudence récente met à charge du débiteur l’obligation d’établir qu’il a accompli les diligences normales ou de justifier des raisons pour lesquelles il n’a pu surmonter les obstacles mis à la réalisation de la condition.
En l’occurrence, si la promesse de vente du 6 juillet 2019 prévoit que compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière du Luxembourg », aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019.
Il résulte des pièces versées que la conclusion de l’acte notarié prévue pour le 1er août 2019 ne pouvait finalement intervenir dans la mesure où la vente entre PERSONNE1.) et PERSONNE4.), épouse PERSONNE5.), condition sine qua non pour réaliser la vente entre PERSONNE1.), d’un côté, et PERSONNE2.) et PERSONNE3.), respectivement la société substituée, d’un autre côté, n’était pas réalisée au 1er août 2019 mais que les parties intimées disposaient au contraire déjà d’un accord bancaire. Le notaire a reporté la date de l’authentification de la promesse de vente au 19 septembre 2019, date à laquelle la signature de l’acte de vente a encore une fois reportée pour la même raison que PERSONNE1.) n’était pas propriétaire de l’immeuble qu’il s’apprêtait à vendre.
A l’approche du 27 septembre 2019, le notaire mandaté a demandé à la banque SOCIETE2.) de ne pas procéder au virement des fonds sur le compte de l’étude et de tenir l’opération en suspens, la vente GROUPE2.), ne s’était pas réalisée.
Il résulte des faits tels que repris ci-avant que PERSONNE2.) et PERSONNE3.) avaient obtenu l’accord de principe de la part de la banque SOCIETE2.) le 1er août 2019 pour financer l’acquisition de la maison, par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.), et que la signature du contrat de prêt proprement dit a eu lieu le 9 août 2019.
PERSONNE1.), au contraire, n’est pas le propriétaire de l’immeuble qu’il s’est engagé à vendre et à délivrer à PERSONNE2.) et PERSONNE3.), respectivement à la société que ces derniers se seraient substitués.
Il s’ensuit que les juges de première instance ont dès lors correctement retenu que la vente est résolue aux torts exclusifs de PERSONNE1.), ce qui autorise PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à réclamer le paiement de la clause pénale prévue au contrat. », les juges d’appel, qui ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont motivé leur décision sur les points considérés.
Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1175 du Code civil Il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu que la condition suspensive stipulée au compromis de vente n’aurait été enfermée dans aucun délai et d’avoir par conséquent déclaré qu’elle aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.àr.l., d’un intérêt de principe de la banque SOCIETE2.) en date du 1er août 2019 au motif que :
compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière du Luxembourg", aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019 » alors que :
L’article 1175 du Code civil dispose que :
vraisemblablement voulu et entendu qu’elle le fût. ».
Le compromis de vente signé entre parties prévoit que :
millions cent cinquante mille euros) payable comme suit à l’acte notarié. » et que par ailleurs :
Hellinckx notaire de résidence à L-1319 Luxembourg, 101, rue Cents. ».
Dès lors que les parties avaient en l’espèce prévu au compromis de vente que l’acte notarié serait signé au plus tard le 1er août 2019, il en découle qu’elles ont implicitement mais nécessairement retenu la date du 1er août 2019 comme date limite pour l’obtention d’un prêt bancaire par les parties acquéreuses et donc pour la réalisation de la condition suspensive, puisque le prix de vente était payable à la passation de l’acte notarié, ce dont il résulte qu’à la date du 1er août 2019, les parties acquéreuses auraient dû transférer les fonds nécessaires au paiement du prix de vente sur le compte bancaire du notaire.
Or, il résulte des faits de l’espèce qu’il n’existait à la date du 1er août 2019 qu’un intérêt de principe octroyé par une banque et que le contrat de prêt n’a été signé qu’en date du 9 août 2019, soit postérieurement à la date limite prévue par les parties pour l’obtention d’un prêt bancaire.
En application de l’article 1175 du Code civil, la Cour d’appel aurait donc dû arriver à la conclusion selon laquelle les parties acquéreuses n’avaient pas obtenu le prêt dans le délai requis, de sorte que la condition suspensive stipulée au compromis de vente avait défailli, entraînant par voie de conséquence la caducité dudit compromis du chef des parties acquéreuses.
En retenant au contraire que la condition suspensive liée à l’obtention d’un prêt n’aurait été enfermée dans aucun délai et qu’elle aurait été réalisée du fait de l’obtention d’un intérêt de principe en date du 1er août 2019 et de la signature d’un contrat de prêt en date du 9 août 2019, la Cour d’appel a violé l’article 1175 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Il résulte de la motivation reprise dans la réponse donnée au premier moyen, que les juges d’appel n’ont pas retenu « que la condition stipulée aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.àr.l., d’un intérêt de principe de la banque SOCIETE2.) en date du 1er août 2019 ».
Après avoir constaté qu’aucun délai pour l’obtention d’un crédit n’avait été stipulé, ils ont retenu que les défendeurs en cassation disposaient en date du 1er août 2019 d’un accord de principe de la part de la Banque SOCIETE2.), la signature du contrat ayant eu lieu le 9 août 2019, alors que le demandeur en cassation n’était toujours pas propriétaire de l’immeuble qu’il s’était engagé à vendre et à délivrer aux défendeurs en cassation.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1134 du Code civil Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que la condition suspensive stipulée au compromis de vente aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.àr.l., d’un intérêt de principe à la date du 1er août 2019 et via la signature d’un contrat de prêt en date du 9 août 2019 au motif que :
compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière du Luxembourg", aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019 » alors que :
L’article 1134 du Code civil dispose que :
faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. ».
Le compromis de vente signé entre parties prévoit en l’espèce ce qui suit :
Prix de vente et modalités de paiement :
Cette vente se fait moyennant et pour le prix de 2.150.000 euros (deux millions cent cinquante mille euros) payable comme suit à l’acte notarié.
Compte du notaire :
(…) L’acte notarié sera signé au plus tard le 1/8/2019 par-devant Me Henri Hellinckx notaire de résidence à L-1319 Luxembourg, 101, rue Cents.
(…) Le compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière au Luxembourg.
Il résulte des termes clairs du compromis de vente que les parties ont prévu que le prix de vente serait payable à la passation de l’acte notarié devant être signé au plus tard le 1er août 2019.
Il s’ensuit que les parties ont donc nécessairement entendu fixer un délai fixe pour la réalisation de la condition suspensive, soit le 1er août 2019.
La dénaturation a été considérée comme étant établie dès lors que du fait, au lieu d’interpréter un acte obscur, dénature la partie d’une clause absolument claire et précise qui ne comporte pas d’interprétation, et substitue ainsi une convention nouvelle à celle qui avait été conclue par les parties. » En retenant que le compromis de vente ne prévoyait aucun délai pour l’obtention d’un crédit par les parties acquéreuses alors que le prédit compromis stipulait que le prix de vente était payable au moment de l’acte notarié pour la passation duquel les parties avaient convenu d’une date butoir au 1er août 2019, la Cour d’appel a dénaturé les termes clairs de la condition suspensive stipulée au prédit compromis et a ce faisant violé l’article 1134 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir dénaturé les termes du compromis de vente en retenant que la condition suspensive s’était valablement réalisée, alors qu’il aurait résulté des termes clairs dudit compromis que les parties avaient prévu que le prix de vente serait payable à la passation de l’acte notarié, qui devait être signé le 1er août 2019 au plus tard.
En retenant « En l’occurrence, si la promesse de vente du 6 juillet 2019 prévoit que aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019. », les juges ont procédé à une interprétation souveraine, hors toute dénaturation, des termes du compromis de vente que leur ambiguïté rendait nécessaire.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1176 du Code civil Il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu que la condition suspensive, dont le compromis de vente prévoyait qu’elle devait être réalisée au moment de l’acte notarié qui lui-même devait être passé au plus tard le 1er août 2019, aurait été valablement réalisée au motif que :
PERSONNE3.) avaient obtenu l’accord de principe de la part de la banque SOCIETE2.) le 1er août 2019 pour financer l’acquisition de la maison, par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la SOCIETE SOCIETE1.), et que la signature du contrat de prêt proprement dit a eu lieu le 9 août 2019 ».
alors que :
Première branche L’article 1176 du Code civil dispose que :
arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé. S’il n’y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n’est censée défaillie que lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas. » Si, comme en l’espèce, les parties ont prévu un terme pour la réalisation de la condition suspensive liée à l’obtention d’un financement au plus tard à la passation de l’acte notarié, à savoir le 1er août 2019, et s’il s’avère qu’au terme fixé pour la réalisation de la condition suspensive, les parties acquéreuses, par l’intermédiaire d’une société non encore constituée, ne disposaient en fait que d’un intérêt de principe de la part d’une banque de sorte que, concrètement, elles n’étaient pas en mesure de mettre les fonds à disposition du vendeur sur le compte bancaire du notaire comme elles s’y étaient engagées, il s’ensuit que le terme prévu au compromis de vente est arrivé à échéance avant que la condition suspensive ne se soit réalisée.
Par application de l’article 1176 du Code civil, il convenait de constater la non-réalisation de la condition suspensive à l’expiration du terme qui avait été fixé par les parties et partant la défaillance de celle-ci.
Il s’ensuit qu’en ayant retenu que les parties acquéreuses auraient valablement réalisé la condition suspensive en ayant obtenu un accord de principe à la date du 1er août 2019 et ayant signé le contrat de prêt le 9 août 2019, la Cour d’appel a violé l’article 1176 du Code civil.
Deuxième branche La défaillance de la condition suspensive du fait de sa non réalisation endéans le délai prévu ayant pour effet de replacer les parties dans leur état antérieur comme si elles n’avaient jamais contracté, il en résulte qu’une prorogation du terme pour la réalisation de la condition suspensive ne peut se déduire que de faits antérieurs à l’arrivée du terme.
En l’espèce, les pièces auxquelles la Cour d’appel a eu égard consistent en des emails qui ont tous été échangés postérieurement à la date du 1er août 2019, donc postérieurement à la caducité du compromis de vente.
La Cour d’appel, en ayant indiqué que le notaire a reporté la date de l’authentification de la promesse de vente au 19 septembre 2019, s’est en effet plus particulièrement référée à un email envoyé le 16 septembre 2016 par le notaire.
Le prédit email du notaire du 16 septembre 2019 étant postérieur à la date limite du 1er août 2019 prévue au compromis de vente, le prédit email n’a pas pu avoir pour effet de faire revivre le compromis de vente qui avait entre-temps été frappé de caducité eu égard à l’expiration du terme sans que la condition suspensive ne se soit réalisée.
En ayant basé sa décision sur des éléments de fait postérieurs au terme fixé au compromis de vente et ayant omis de rechercher si les parties avaient, avant l’arrivée du terme qu’elles avaient fixé au compromis de vente, marqué leur accord à voir proroger ledit terme, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1176 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Sous le couvert de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges d’appel, des clauses contractuelles et circonstances factuelles leur soumises qui les ont amenés à retenir que la condition suspensive s’était réalisée, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, ne saurait être accueilli.
Sur la seconde branche du moyen Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, les juges d’appel n’ayant pas retenu que le délai pour la réalisation de la condition suspensive avait été prorogé, mais qu’aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention d’un crédit n’avait été stipulé.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, manque en fait.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure.
Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 3.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare le pourvoi recevable ;
le rejette ;
rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 3.500 euros ;
le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître David YURTMAN, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Christian ENGEL et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre 1) PERSONNE2.) 2) PERSONNE3.) 3) La société à responsabilité SOCIETE1.) SARL (affaire n° CAS-2024-00132 du registre) Par dépôt, en date du 23 août 2024 au greffe de la Cour supérieure de justice, d’un mémoire signé par Maître Claude COLLARINI, avocat à la Cour, la partie demanderesse en cassation s’est pourvue contre l’arrêt n° 039/24-VII-CIV, numéro CAL-2022-01018 du rôle, rendu contradictoirement le 20 mars 2024 par la septième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière civile.
I.
Sur la recevabilité du pourvoi en la pure forme Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.
Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci- après « loi de 1885 »).
Il est partant recevable.
II.
Sur les faits Aux termes d’un acte intitulé « promesse de vente » signé le 6 juillet 2019, PERSONNE1.) a déclaré vendre à PERSONNE2.) et PERSONNE3.) « ou toute autre société à constituer » une maison sise à L-ADRESSE4.). Ledit document indiquait que l’acte notarié serait signé au plus tard le 1er août 2019, contenait une clause pénale de 10% du prix de vente du bien immobilier en cause ainsi qu’une disposition aux termes de laquelle « [l]e compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière du Luxembourg ».
Faute de signature de l’acte notarié de vente immobilière, PERSONNE1.) n’étant pas devenu propriétaire de l’immeuble en question, les défendeurs en cassation l’ont assigné devant le 1 Selon le mémoire en cassation (p. 4 ; la copie de l’acte de signification faisant partie de la pièce V versée à l’appui du mémoire en cassation est illisible notamment au niveau de la date de signification), l’arrêt contradictoire a été notifié le 25 juin 2024 à la partie demanderesse en cassation, laquelle réside au Grand-Duché de Luxembourg. Comme le pourvoi a été formé le 23 août 2024, le délai de recours de deux mois, prévu par l’article 7, alinéa 1er de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation a été respecté.
2 La partie demanderesse a déposé un mémoire en cassation signé par un avocat à la Cour et signifié le 20 août 2024 aux parties défenderesses en cassation avant d’être déposé le 23 août 2024 au greffe de la Cour supérieure de justice. Ces formalités imposées par l’article 10 de la loi de 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ont partant été respectées.
tribunal d’arrondissement afin de le voir condamner à leur payer la somme de 215.000 euros au titre de la clause pénale.
Les juges de première instance ont dit fondée la demande de PERSONNE2.) et de PERSONNE3.) tendant à la résolution de la promesse de vente du 6 juillet 2019 aux torts exclusifs de PERSONNE1.) et ont condamné ce dernier à leur payer la somme de 215.000 euros avec les intérêts légaux.
Le tribunal d’arrondissement a déclaré la demande de la société SOCIETE1.) non fondée étant donné qu’à défaut de substitution à PERSONNE2.) et PERSONNE3.), elle n’avait pas qualité pour agir contre le demandeur en cassation.
Par l’arrêt entrepris du 20 mars 2024, la Cour d’appel a confirmé le jugement.
III. Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen de cassation, divisé en deux branches, est tiré de la violation des articles 109 de la Constitution et 249 du Nouveau code de procédure civile (ci-après « NCPC »).
Il résulte des deux branches du moyen de cassation que le demandeur reproche à la Cour d’appel un défaut de réponse à conclusions, partant un défaut de motifs qui est un vice de forme3.
Or, une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré, fût-elle incomplète ou viciée4. Le défaut de motifs suppose donc l’absence de toute motivation sur le point5. Les juges d’appel ne sont en outre pas tenus de rentrer dans le détail de l’argumentation des parties6.
A. Sur la première branche Dans la première branche, le demandeur en cassation critique les juges d’appel en ce qu’ils ont confirmé la décision de première instance constatant la résolution de la « promesse de vente » aux torts exclusifs du demandeur en cassation et le condamnant à payer aux premier et deuxième défendeurs en cassation le montant de la clause pénale, aux motifs que « la conclusion de l’acte notarié prévue pour le 1er août 2019 ne pouvait finalement intervenir »7 à défaut pour le demandeur en cassation d’avoir été propriétaire de l’immeuble en cause à cette date, que les défendeurs en cassation « disposaient au contraire déjà d’un accord bancaire à cette date »8 et que le notaire a reporté à deux reprises la date pour l’authentification de la promesse de vente sans que le défendeur en cassation ne soit devenu propriétaire de l’immeuble qu’il s’était engagé à vendre, alors que le demandeur en cassation avait formulé un moyen « selon lequel la condition suspensive stipulée au contrat a défailli du fait de l’expiration du délai prévu pour sa 3 3 Cass., 30 novembre 2023, n° 131/2023, CAS-2023-00020 (réponse à la quatrième branche du troisième moyen de cassation).
4 Cass., 30 mai 2024, n° 89/2024, CAS-2023-00125 (réponse à la première branche du cinquième moyen de cassation).
5 J. BORE, L. BORE, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 2023, p. 415, n° 77.41.
6 Cass., 30 novembre 2023, n° 131/2023, CAS-2023-00020 (réponse à la quatrième branche du troisième moyen de cassation).
7 Mémoire en cassation, p. 5.
8 Ibidem, p. 5.
réalisation »9 qui aurait dû se faire avant « la passation de l’acte notarié devant intervenir au plus tard le 1er août 2019 »10.
Il s’agirait plus précisément du passage suivant de son acte d’appel :
« Une condition suspensive est, conformément à l'article 1176 du Code civil, censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé. La défaillance de la condition suspensive dans le délai prévu empêche l’obligation de prendre naissance, les parties sont dans la même situation que si elles n’avaient pas contracté. Une condition qui a fait défaut ne peut plus revivre pour être utilement accomplie.
Suivant la jurisprudence, les parties à un contrat de vente conclu sous condition suspensive peuvent renoncer aux conséquences juridiques du dépassement du délai prévu pour la réalisation de la condition, mais cette renonciation qui peut être implicite, ne se présume toutefois pas du seul fait que les parties se sont abstenues de réagir à l’échéance de la date11.
A cet égard, la Cour de cassation a été amenée à préciser que la prorogation tacite du terme d’une convention, d’un commun accord des parties, ne peut se déduire que des faits intervenus antérieurement à l’arrivée du terme fixé12.
Conformément aux stipulations contenues dans la "promesse de vente" du 6 juillet 2019, l’acte de vente devait être passé devant notaire au plus tard le 1er août 2019, de sorte que la condition suspensive litigieuse aurait elle-même dû se réaliser avant cette date au plus tard.
Dans leur mise en demeure du 15 novembre 2019, les sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont d’ailleurs affirmé, sans la moindre réserve que :
"L’acte notarié devait être dressé au plus tard13 le 1er août 2019 par devant Maître Henri HELLINCKX, notaire de résidence à Luxembourg (…)".
Il importe de constater qu’aucun "report" de la date de signature de l’acte notarié n’a été invoqué dans cette mise en demeure.
A la page 2 de leur assignation, les consorts GROUPE1.) ont encore souligné, toujours sans la moindre réserve, que "l’acte notarié devait être signé au plus tard le 1er août 2019 par devant Maître Henri HELLINCKX (…)".
A la page 5 de leurs conclusions récapitulatives notifiées en première instance, les parties intimées ont finalement fait référence à la "date limite du 1er août 2019".
Il ne ressort nullement des éléments du dossier que Monsieur PERSONNE1.) et les sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) auraient entendu proroger tacitement le délai prévu dans la "promesse de vente" pour la réalisation de la condition suspensive, étant rappelé que la prorogation tacite du terme d'une convention, d’un commun accord, ne peut se déduire que de faits intervenus antérieurement à l’arrivée du terme fixé.
Dans ce contexte, "l’échange de correspondance entre le notaire Henri HELLINCKX et PERSONNE1.)" auquel les premiers juges se sont référés ne saurait nullement être interprété comme une quelconque preuve de prolongation du délai de réalisation de la condition suspensive puisque le 20 septembre 2019, date de cet échange, la condition suspensive contractuellement convenue entre parties avait déjà défailli. »14 9 Ibidem, p. 5, avant-dernier alinéa.
10 Ibidem, p. 5, dernier alinéa.
11 Cour d’appel, 12 décembre 2007, Pasicrisie 34, p. 81.
12 Cour de cassation, 29 juin 2000, Pasicrisie 31, p. 440.
13 Souligné par nos soins.
14 Mémoire en cassation, pp. 6 et 7.
Il y a lieu de constater que la Cour d’appel s’est exprimée notamment comme suit :
« La Cour rejoint encore les juges de première instance lorsqu’ils concluent que les parties étaient liées par une promesse synallagmatique de vente correspondant à un compromis de vente, point non contesté en instance d’appel.
L’article 1176 du Code civil dispose que "Lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu’un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé." La simple défaillance de la condition suspensive empêche l’obligation de prendre naissance, les parties étant dans la même situation que si elles n’avaient pas contracté, tandis que la réalisation de la condition fait rétroagir la convention conclue.
Il est de principe que pour satisfaire à la condition suspensive de l’obtention d’un prêt bancaire, la partie acquéreuse doit déployer toutes les diligences nécessaires pour que la condition puisse s’accomplir comme prévu au contrat. Lorsque le débiteur, obligé sous une condition suspensive, en empêche l’accomplissement, celle-ci est réputée accomplie. L’article 1178 du Code civil impose ainsi à charge du débiteur qui s’engage sous une condition suspensive, une véritable obligation de coopérer loyalement afin que la condition puisse se réaliser. Le débiteur doit dès lors entreprendre tout son possible pour que l’opération puisse aboutir et la jurisprudence récente met à charge du débiteur l’obligation d’établir qu’il a accompli les diligences normales ou de justifier des raisons pour lesquelles il n’a pu surmonter les obstacles mis à la réalisation de la condition.
En l’occurrence, si la promesse de vente du 6 juillet 2019 prévoit que "le compromis devient caduc en cas de refus de crédit par une banque de la place financière du Luxembourg", aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019. »15 En jugeant que la promesse de vente du 6 juillet 2019 ne prévoyait « aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit », les juges d’appel ont implicitement mais nécessairement répondu au moyen du demandeur en cassation qui avait comme prémisse que la condition suspensive était assortie de la date limite du 1er août 2019.
La première branche n’est partant pas fondée.
B. Sur la deuxième branche Dans la deuxième branche, le demandeur en cassation critique les juges d’appel en ce qu’ils ont confirmé la décision de première instance constatant la résolution de la « promesse de vente » aux torts exclusifs du demandeur en cassation et le condamnant à payer aux premier et deuxième défendeurs en cassation le montant de la clause pénale sans prendre en considération son moyen aux termes duquel la condition suspensive n’aurait pas été réalisée étant donné que le certificat bancaire émis le 1er août 2019 par la banque SOCIETE2.) et formalisant un accord de principe au bénéfice de la société SOCIETE1.) n’équivaudrait pas à l’obtention d’un financement au profit de PERSONNE2.) et PERSONNE3.), la société SOCIETE1.), à cette date, n’ayant pas encore été substituée dans les droits et obligations résultant pour PERSONNE2.) et PERSONNE3.) de la « promesse de vente », alors que la Cour d’appel a ainsi omis de répondre à ces conclusions.
15 Arrêt attaqué, pp. 8 et 9.
Il s’agirait plus précisément du passage suivant de son acte d’appel :
« Pour tenter d’étayer leur affirmation selon laquelle elles auraient prétendument disposé d’un tel financement, les parties intimées sub. l) et 2) avaient versé et s’étaient retranchées en première instance derrière un "certificat bancaire de la banque SOCIETE2.) du 1er août 2019".
Or, une telle pièce démontrait qu’en date du 1er août 2019, il n’existait qu’un simple "intérêt de principe" (qui ne saurait au demeurant être assimilé à un accord de principe) de la banque SOCIETE2.) d’accorder un prêt, de surcroît non pas aux sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) mais à la société SOCIETE1.) S.à r.116, laquelle n’était pas partie à la "promesse de vente".
Les premiers juges ayant retenu qu’aucun élément du dossier ne permettait de retenir que la société SOCIETE1.) S.à r.l. s’était substituée dans les droits et obligations des sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.), il en résulte que la condition suspensive du financement bancaire n’a dès lors jamais pu être levée par la production du prédit certificat de la banque SOCIETE2.) daté du 1er août 2019. » La bonne compréhension du grief impose de resituer dans l’acte d’appel le passage cité par le demandeur en cassation dans son mémoire. Un extrait plus large dudit acte d’appel se lit comme suit :
« 3. Les parties intimées sub. l) et 2) avaient en l’espèce l’obligation d’entreprendre les diligences nécessaires en vue de l'obtention d’un prêt bancaire avant le 1er août 2019.
Dans le cadre de leur action en justice, il appartenait dès lors aux consorts GROUPE1.) de rapporter la preuve qu’ils ont accompli toutes les diligences en leur pouvoir pour assurer les chances de succès à l’obtention d’un crédit dans le délai contractuellement prévu.
Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, cette preuve n'a toutefois jamais été rapportée en l’espèce.
Il ne résulte en effet d’aucun élément du dossier que les parties intimées auraient disposé d’un quelconque financement bancaire avant le 1er août 2019, date butoir pour la signature de l’acte notarié de vente.
Les parties adverses n’ont d’ailleurs jamais versé la moindre pièce documentant l’introduction par leurs soins d’une demande de crédit avant le 1er août 2019.
4. Pour tenter d’étayer leur affirmation selon laquelle elles auraient prétendument disposé d'un tel financement, les parties intimées sub. 1) et 2) avaient versé et s’étaient retranchées en première instance derrière un "certificat bancaire de la banque SOCIETE2.) du 1er août 2019".
Or, une telle pièce démontrait qu’en date du 1er août 2019, il n’existait qu’un simple "intérêt de principe" (qui ne saurait au demeurant être assimilé à un accord de principe) de la banque SOCIETE2.) d’accorder un prêt, de surcroît non pas aux sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) mais à la société SOCIETE1.) S.à r.117, laquelle n’était pas partie à la "promesse de vente".
16 « Nous certifions par la présente que nous avons marqué notre intérêt de principe pour consentir à la société SOCIETE1.) SARL (…) un prêt et ceci aux conditions et contre constitution des garanties convenues entre parties suivant l’accord d’intérêt de principe daté du 1er août 2019 ».
17 « Nous certifions par la présente que nous avons marqué notre intérêt de principe pour consentir à la société SOCIETE1.) SARL (…) un prêt et ceci aux conditions et contre constitution des garanties convenues entre parties suivant l’accord d’intérêt de principe daté du 1er août 2019 ».
Les premiers juges ayant retenu qu’aucun élément du dossier ne permettait de retenir que la société SOCIETE1.) S.à r.l. s’était substituée dans les droits et obligations des sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.), il en résulte que la condition suspensive du financement bancaire n’a dès lors jamais pu être levée par la production du prédit certificat de la banque SOCIETE2.) daté du 1er août 2019.
5. A défaut d’obtention d’un prêt bancaire par les sieurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.), la condition suspensive prévue dans la promesse de vente a par conséquent défailli au 1er août 2019 au plus tard. »18 Le moyen développé par le demandeur en cassation dans le cadre de son acte d’appel s’inscrit donc dans un raisonnement qui se base sur la prémisse que la condition suspensive en cause était assortie de la date limite du 1er août 2019.
Or, en jugeant, tel qu’exposé ci-dessus au titre de la première branche du moyen, que la « promesse de vente » du 6 juillet 2019 ne prévoyait « aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit (…), seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a[ayant] été convenu, à savoir le 1er août 2019 »19, les juges d’appel ont implicitement mais nécessairement répondu au moyen formulé par le demandeur en cassation dans le cadre de son acte d’appel.
La seconde branche n’est partant pas fondée.
IV. Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1175 du Code civil », en ce que la Cour d’appel a « retenu que la condition stipulée au compromis de vente n’aurait été enfermée dans aucun délai et [a] par conséquent déclaré qu’elle aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.à r.l., d’un intérêt de principe de la banque SOCIETE2.) en date du 1er août 2019 »20, alors que les parties, en retenant dans la « promesse de vente » que l’acte notarié devait être signé au plus tard le 1er août 2019, avaient « implicitement mais nécessairement retenu la date du 1er août 2019 comme date limite pour l’obtention d’un prêt bancaire par les parties acquéreuses et donc pour la réalisation de la condition suspensive »21.
À titre principal, il y a lieu de constater que les juges d’appel n’ont pas « déclaré qu[e la condition stipulée] aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.à r.l., d’un intérêt de principe de la banque SOCIETE2.) en date du 1er août 2019 ».
En effet, la Cour d’appel a d’abord rappelé que « pour satisfaire à la condition suspensive de l’obtention d’un prêt bancaire, la partie acquéreuse doit déployer toutes les diligences nécessaires pour que la condition puisse s’accomplir comme prévu au contrat »22 et que 18 Acte d’appel, p. 8 (pièce IV déposée par la partie demanderesse en cassation à l’appui de son pourvoi).
19 Arrêt attaqué, p. 9, deuxième alinéa.
20 Mémoire en cassation, p. 7, dernier alinéa.
21 Ibidem, p. 8, dixième alinéa.
22 Arrêt attaqué, p. 8, dernier alinéa.
l’acquéreur a « l’obligation d’établir qu’il a accompli les diligences normales ou de justifier des raisons pour lesquelles il n’a pu surmonter les obstacles mis à la réalisation de la condition »23.
Ensuite, après avoir conclu qu’ « aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019 »24, elle a constaté que « PERSONNE2.) et PERSONNE3.) avaient obtenu l’accord de principe de la part de la banque SOCIETE2.) le 1er août 2019 pour financer l’acquisition de la maison, par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.), et que la signature du contrat de prêt proprement dit a eu lieu le 9 août 2019 »25, alors que PERSONNE1.) « n’[était] pas le propriétaire de l’immeuble qu’il s’[était] engagé à vendre et à délivrer à PERSONNE2.) et PERSONNE3.) respectivement à la société que ces derniers se seraient substitués »26.
Ce faisant, les juges d’appel ont constaté que les défendeurs en cassation avaient obtenu un prêt bancaire, partant réalisé la condition suspensive – qui, selon l’appréciation souveraine des juges d’appel, n’était pas circonscrite par la date du 1er août 2019 – alors que PERSONNE1.) était dans l’impossibilité de remplir ses obligations contractuelles.
Le deuxième moyen de cassation manque partant en fait et ne saurait être accueilli.
À titre subsidiaire, il y a lieu de retenir que, sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des clauses contractuelles qui les ont amenés à retenir que la condition suspensive s’était réalisée, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation27.
Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.
V.
Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1134 du Code civil », en ce que les juges d’appel ont dénaturé les « termes clairs du compromis de vente »28 en « reten[ant] que la condition suspensive stipulée au compromis de vente aurait été valablement réalisée du fait de l’obtention par les consorts PERSONNE2.) et PERSONNE3.) par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.) S.à r.l., d’un intérêt de principe à la date du 1er août 2019 et via la signature d’un contrat de prêt en date du 9 août 2019 »29, au motif qu’ « aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a[urait] toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a[yant] été convenu, à savoir le 1er août 2019 »30, alors qu’ « il résulte[rait] des termes clairs du compromis de vente que les parties [auraient] prévu que le prix de vente serait payable à la passation de l’acte notarié devant être 23 Ibidem, p. 9, premier alinéa.
24 Ibidem, p. 9, deuxième alinéa.
25 Ibidem, p. 9, cinquième alinéa.
26 Ibidem, p. 9, sixième alinéa.
27 Cass., 10 décembre 2020, n° 166/2020, CAS-2019-00176 (réponse aux premier, deuxième, troisième et quatrième moyens de cassation).
28 Mémoire en cassation, p. 9, avant-dernier alinéa.
29 Ibidem, p. 9, premier alinéa.
30 Ibidem, p. 9, troisième alinéa.
signé au plus tard le 1er août 2019 »31, de sorte « que les parties [auraient] donc nécessairement entendu fixer un délai fixe pour la réalisation de la conditions suspensive, soit le 1er août 2019 »32.
A. Sur la question de savoir si la dénaturation de l’écrit constitue un cas d’ouverture à cassation en droit luxembourgeois En France, la dénaturation de l’écrit – théorie qui trouve son fondement dans les articles 1134 et 1341 du Code civil33 et dans les articles 4 et 534 ou 48035 du Code de procédure civile36 – consiste dans « la méconnaissance par le juge du fond du sens d’un écrit clair et précis »37. Pour qu’il y ait dénaturation, l’écrit doit être clair et précis et exclure toute discussion38. Or, un acte n’est clair que s’il est, « pour un esprit éclairé, susceptible d’un seul sens »39.
La question de savoir si la dénaturation constitue un cas d’ouverture à cassation en droit luxembourgeois a pendant longtemps reçu une réponse négative40.
Un arrêt du 31 octobre 201941 de votre Cour a été interprété comme constituant un revirement de jurisprudence, mais des arrêts rendus par la suite par votre Cour n’ont pas confirmé cette tendance42.
31 Ibidem, p. 9, avant-dernier alinéa.
32 Ibidem, p. 9, dernier alinéa.
33 J. BORE, L. BORE, op. cit., p. 459, n° 79.74.
34 Les articles 4 et 5 du Code de procédure civile français concernent l’objet du litige et correspondent aux articles 53 et 54 NCPC.
35 L’article 480 du Code de procédure civile français concerne l’autorité de la chose jugée.
36 J. BORE, L. BORE, op. cit., p. 454, n° 79.05, et p. 459, n° 79.76.
37 J. BORE, L. BORE, ibidem, p. 454, n° 79.11.
38 J. BORE, L. BORE, ibidem, p. 455, n° 79.22.
39 J. BORE, L. BORE, ibidem, p. 467, n° 79.141.
40 P. KINSCH, note sous Cass., 8 mars 2018, n° 19/2018, J.T.L., 2018, p. 86 ; J. PETRY, note sous Cass., 30 juin 2011, Pas. 35, p. 815. Voy. également les références citées dans la note de bas de page n° 11 de la note de J.
PETRY suivant Cass., 31 octobre 2019, n° 138/2019, CAS-2018-00097, Pas. 40, p. 149.
41 Cass., 31 octobre 2019, n° 138/2019, CAS-2018-00097, Pas. 40, p. 149, avec note J. PETRY, et J.T.L., 2020, p.
39, avec observations P. KINSCH.
42 Voy. à titre d’exemple :
- Cass., 30 novembre 2023, n° 130/2023, CAS-2023-00004 (réponse au troisième moyen de cassation, « tiré de la violation de la loi par dénaturation de l’écrit clair, cas d’ouverture tiré de la dénaturation de l’écrit clair et de la violation de l’article 56 sinon 61 du Nouveau code de procédure civile », moyen qui n’a pas été accueilli car ne tendant qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond du contenu et de la portée d’un rapport de fin de travaux) ; il y a cependant lieu de remarquer que le moyen invoquait les articles 56 sinon 61 NCPC ;
- Cass., 12 octobre 2023, n° 100/2023, CAS-2022-00127 (réponse au premier moyen de cassation « tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil », moyen qui n’a pas été accueilli car ne tendant qu’à remettre en discussion l’interprétation souveraine d’une convention par les juges du fond) ;
- Cass., 13 octobre 2022, n° 119/2022, CAS-2021-00124 (réponse aux quatrième, cinquième et sixième moyens de cassation réunis, « tiré[s] de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit », moyens qui n’ont pas été accueillis car ne tendant qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments de fait) ;
- Cass., 19 mai 2022, n° 71/2022, CAS-2021-00060 (réponse au second moyen « tiré de la dénaturation par les juges du fond des documents de la cause et notamment du rapport d’expertise judiciaire leur soumis », moyen qui n’a pas été accueilli car ne tendant qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de la valeur probante d’un rapport d’expertise) ;
- Cass., 10 décembre 2020, n° 166/2020, CAS-2019-00176 (réponse au premier moyen de cassation tiré « d’une violation de l’article 1134 du Code civil, sinon fausse application, sinon encore fausse interprétation de cet article », moyen qui n’a pas été accueilli car ne tendant qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, Plusieurs arrêts rendus par votre Cour au cours de l’année 2024 me semblent cependant pouvoir être lus comme admettant la dénaturation de l’écrit comme cas d’ouverture à cassation au Luxembourg.
En effet, dans l’arrêt n° 21/2024 du 1er février 2024, répondant à la seconde branche du moyen de cassation tirée « de la violation de l’article 1134 du Code civil par dénaturation du contrat », votre Cour a retenu que par la motivation qu’ils ont fournie, « les juges d’appel ont procédé à une interprétation souveraine, hors toute dénaturation, des termes de la convention de concession du 16 juin 2006 que leur ambiguïté rendait nécessaire »43.
Dans l’arrêt n° 81/2024 du 16 mai 2024, répondant au sixième moyen de cassation, « tiré de la violation de l’article 1134, alinéa 1er du Code civil », votre Cour a jugé que par la motivation de leur arrêt, « les juges d’appel n’ont fait qu’appliquer, hors toute dénaturation, les termes clairs de l’accord d’investissement qui ne nécessitaient aucune interprétation »44.
Les arrêts nos 21/2024 et 81/2024 font tout d’abord la distinction entre l’écrit ambigu – qui nécessite une interprétation qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond –, et l’écrit clair et précis – qui ne nécessite aucune interprétation et qui seul peut faire l’objet d’une dénaturation selon la jurisprudence de la Cour de cassation française.
Ensuite, ces deux arrêts utilisent la formule « hors toute dénaturation » qui est employée par la Cour de cassation française pour répondre à des moyens tirés du cas d’ouverture à cassation de la dénaturation de l’écrit45.
Finalement, votre Cour a déclaré les moyens non fondés et les a donc accueillis.
Il est dès lors possible de déduire de ces arrêts que la dénaturation de l’écrit n’est plus exclue comme cas d’ouverture à cassation.
Cette conclusion me semble se trouver confortée par deux autres arrêts de votre Cour.
En effet, dans l’arrêt n° 80/2024 rendu en date du 16 mai 2024, répondant à la deuxième branche du moyen de cassation unique tirée de « de la dénaturation d’un écrit clair, au regard de l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble l’article 53 du Nouveau code de procédure civile » – qui correspond à l’article 4 du Code de procédure civile français46 – et de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, votre Cour a jugé que « [e]n retenant, par la motivation reproduite dans la réponse donnée à la branche précédente, que les juges de première instance n’ont pas ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter, les juges d’appel ont tranché, hors toute dénaturation, le par les juges du fond, des clauses contractuelles qui les ont amenés à retenir que les deux conditions suspensives s’étaient réalisées de sorte à rendre le contrat de vente parfait).
43 Cass., 1er février 2024, n° 21/2024, CAS-2023-00095.
44 Cass., 16 mai 2024, n° 81/2024, CAS-2023-00124.
45 Voy. à titre d’exemple (arrêts consultés sur www.legifrance.gouv.fr) : Cass. F. 2e ch. civ., 21 mars 2019, n° 18-14.773 ; Cass. F., 1ère ch. civ., 3 octobre 2018, n° 17-13.113 ; Cass. F., 1ère ch. civ., 18 janvier 2017, n° 15-
26.105 ; Cass. F., 1ère ch. civ., 30 avril 2014, n° 13-15.882 ; Cass. F., 1ère ch. civ., 29 mai 2013, n° 12-17.172 ;
Cass. F., 2e ch. civ., 4 avril 2013, n° 12-13.025 ; Cass. F., 2e ch. civ., 24 novembre 2011, n° 10-25.635 ; Cass. F., 2e ch. civ., 6 octobre 2011, n° 10-25.547 ; Cass. F., 2e ch. civ., 5 juin 2008, n° 06-16.563.
46 Voir ci-dessus.
litige conformément aux principes directeurs du procès ». Votre Cour a déclaré la deuxième branche du moyen non fondée et l’a donc accueillie47.
Ensuite, dans l’arrêt n° 169/2024 du 21 novembre 2021, votre Cour, en réponse au quatrième moyen de cassation, « tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil » et soutenant que « si l’interprétation d’une convention relève du pouvoir d’appréciation souverain du juge du fond, il ne peut dénaturer les clauses de celle-ci en y ajoutant un élément ou une condition qu’elles ne contiennent pas », a jugé que par la motivation de leur arrêt, « les juges d’appel ont, par une appréciation souveraine, hors toute dénaturation, conclu à l’absence de pertinence du rapport (…) pour établir l’apparence suffisante de certitude de la créance invoquée ». Le moyen a été déclaré non fondé et a donc été accueilli48.
Un autre arrêt ne peut cependant être passé sous silence : dans l’arrêt n° 106/2024 du 4 juillet 2024, et en réponse à la seconde branche du premier moyen de cassation, « tirée de la dénaturation de l’écrit clair et de la violation de la loi, in specie des articles 56, sinon 61 du Nouveau code de procédure civile », votre Cour a répondu que « sous le couvert du grief tiré de la violation des dispositions visées à la branche du moyen » la branche ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve leurs soumis. La seconde branche du premier moyen de cassation n’a partant pas été accueillie49.
Au vu des développements qui précèdent, j’arrive à la conclusion que votre Cour n’exclut plus la dénaturation de l’écrit comme cas d’ouverture à cassation, au moins si le moyen est tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil ou de l’article 53 NCPC.
B. Sur le moyen de cassation Au vu des développements qui précèdent, le troisième moyen de cassation, en ce qu’il invoque le cas d’ouverture de la dénaturation de l’écrit, est à accueillir.
Il n’est cependant pas fondé étant donné que la « promesse de vente » ne peut être qualifiée d’écrit clair et précis. En effet, le demandeur en cassation entend déduire du délai fixé pour la passation de l’acte notarié l’existence d’une date limite pour la réalisation de la condition suspensive, et ce alors que ces deux dispositions poursuivent des buts différents. Les juges du fond étaient dès lors obligés de décider si la condition suspensive, qui n’était assortie d’aucun délai explicite, était limitée par la date prévue pour la passation de l’acte notarié.
La « promesse de vente » n’étant partant pas à qualifier d’écrit clair et précis, mais de document ambigu, il appartenait aux juges du fond de l’interpréter, ce qui relève de leur pouvoir souverain.
Le moyen n’est dès lors pas fondé.
VI. Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen de cassation, divisé en deux branches, est « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application de l’article 1176 du Code civil »50, et 47 Cass., 16 mai 2024, n° 80/2024, CAS-2023-00123.
48 Cass., 21 novembre 2024, n° 169/2024, CAS-2024-00015.
49 Cass., 4 juillet 2024, n° 106/2024, CAS-2023-00109. Voy. également Cass., 30 novembre 2023, n° 130/2023, CAS-2023-00004, précité.
50 Mémoire en cassation, p. 10.
reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir constaté la non-réalisation de la condition suspensive et d’avoir à tort conclu à une prorogation du terme pour la réalisation de la condition suspensive.
A. Sur la première branche Le demandeur en cassation critique tout d’abord à la Cour d’appel en ce qu’elle a jugé que la condition suspensive était valablement réalisée aux motifs que « PERSONNE2.) et PERSONNE3.) avaient obtenu l’accord de principe de la part de la banque SOCIETE2.) le 1er août 2019 pour financer l’acquisition de la maison par l’intermédiaire d’une société spécialement créée, la société SOCIETE1.), et que la signature du contrat de prêt proprement dit a eu lieu le 9 août 2019 »51, alors que les parties à la « promesse de vente » avaient « prévu un terme pour la réalisation de la condition suspensive liée à l’obtention d’un financement au plus tard à la passation de l’acte notarié, à savoir le 1er août 2019 »52 et qu’à cette date « les parties acquéreuses, par l’intermédiaire d’une société non encore constituée, ne disposaient en fait que d’un intérêt de principe de la part d’une banque »53 et n’étaient donc « pas en mesure de mettre les fonds à disposition du vendeur sur le compte bancaire du notaire »54, de sorte que « le terme prévu au compromis de vente [était] arrivé à échéance avant que la condition suspensive ne se soit réalisée »55.
À titre principal, il y a lieu de constater que sous le grief tiré d’une violation de l’article 1176 du Code civil, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des clauses contractuelles, qui les ont amenés à retenir que la condition suspensive s’était réalisée, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation56.
La première branche du moyen ne saurait partant être accueillie.
À titre subsidiaire, il y a lieu de rappeler que la condition suspensive prévoyait la caducité du compromis « en cas de refus de crédit par un banque de la place financière du Luxembourg ».
En l’espèce, il n’y a jamais eu refus de la banque SOCIETE2.), cette dernière ayant bien au contraire marqué en date du 1er août 2019 « son intérêt de principe » pour accorder à la société SOCIETE1.) le prêt demandé qui a finalement été signé le 9 août 2019.
En ce qu’il soutient que « la condition suspensive [était] liée à l’obtention d’un financement », la branche sous rubrique manque dès lors en fait.
Elle ne saurait partant être accueillie.
B. Sur la deuxième branche Dans sa deuxième branche, le moyen critique les juges d’appel en ce qu’ils ont conclu à une prorogation du délai pour la réalisation de la condition suspensive au motif que « le notaire a 51 Ibidem, p. 10, cinquième alinéa.
52 Ibidem, p. 10, dernier alinéa.
53 Ibidem, p. 10, dernier alinéa.
54 Ibidem, p. 10, dernier alinéa.
55 Ibidem, p. 10, dernier alinéa.
56 Cass., 10 décembre 2020, n° 166/2020, CAS-2019-00176 (réponse aux premier, deuxième, troisième et quatrième moyens de cassation).
reporté la date de l’authentification de la promesse de vente au 19 septembre 2019 »57, alors que pour arriver à cette conclusion, la Cour d’appel s’est « plus particulièrement référée à un email envoyé le 16 septembre 2016 par le notaire »58 et donc à un acte postérieur « à la date limite du 1er août 2019 prévue au compromis de vente »59, faisant de ce fait « revivre le compromis de vente qui avait entretemps été frappé de caducité »60.
À titre principal, il y a lieu de retenir que la deuxième branche manque en fait étant donné que la Cour d’appel n’a pas conclu à une prorogation du délai mais a jugé qu’ « aucun délai pour le dépôt de la demande ou pour l’obtention du crédit n’a toutefois été stipulé, seul un délai pour la conclusion de l’acte notarié a été convenu, à savoir le 1er août 2019 »61.
La deuxième branche du moyen ne saurait partant être accueillie.
À titre subsidiaire, il y a lieu de constater que sous le grief tiré d’une violation de l’article 1176 du Code civil, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des clauses contractuelles, qui les ont amenés à retenir que la condition suspensive s’était réalisée, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation62.
La deuxième branche du moyen ne saurait partant être accueillie.
Conclusion Le pourvoi en cassation est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur Général d’Etat, L’Avocat général Claude HIRSCH 57 Mémoire en cassation, p. 11, cinquième alinéa.
58 Ibidem, p. 11, cinquième alinéa.
59 Ibidem, p. 11, sixième alinéa.
60 Ibidem, p. 11, sixième alinéa.
61 Arrêt attaqué, p. 9, deuxième alinéa.
62 Cass., 10 décembre 2020, n° 166/2020, CAS-2019-00176 (réponse aux premier, deuxième, troisième et quatrième moyens de cassation).