N° 61 / 2025 du 27.03.2025 Numéro CAS-2024-00127 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre 1) PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), 2) PERSONNE2.), demeurant à F-ADRESSE2.), 3) PERSONNE3.), demeurant à F-ADRESSE3.), demanderesses en cassation, comparant par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-
ADRESSE4.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Glenn MEYER, avocat à la Cour.
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Vu l’arrêt attaqué numéro 33/24-IX-COM rendu le 7 mars 2024 sous le numéro CAL-2022-00867 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 14 août 2024 par PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « la SOCIETE1.) »), déposé le 16 août 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 9 octobre 2024 par la SOCIETE1.) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.), déposé le 11 octobre 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Bob PIRON ;
Entendu Maître Hervé HANSEN et Maître Gil BOVE, en remplacement de Maître Glenn MEYER, en leurs plaidoiries et Madame Joëlle NEIS, avocat général, en ses conclusions.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait débouté les demanderesses en cassation de leur demande tendant à voir engager la responsabilité délictuelle de la défenderesse en cassation pour manquement à ses obligations découlant de l’article 3, paragraphe 2, de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, dans sa version issue de la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, et à son devoir général de vigilance en relation avec un compte courant ouvert auprès de la défenderesse en cassation au nom de la société SOCIETE2.) (ci-après « la société SOCIETE2.) »), ayant facilité, selon elles, le détournement d’un certain montant provenant du compte bancaire suisse de feu PERSONNE4.) viré par ses héritières, les demanderesses en cassation, sur le compte courant de la société SOCIETE2.).
La Cour d’appel a confirmé le jugement.
2 Sur le deuxième moyen de cassation qui est préalable au premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de l’absence de réponse à conclusions, valant défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, volet civil, de la CEDH, de l’article 109 nouveau de la Constitution et des articles 249, paragraphe 1er, et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, précités, en ce que la Cour d’appel a, pour dire l’appel non fondé, retenu que :
Concernant d’abord l’obligation d’identification tant du client (SOCIETE2.)) que du bénéficiaire (PERSONNE5.)), soit les alinéas a) et b) de l’article 3 paragraphe 2 de la loi modifiée de 2004, c’est à juste titre que le tribunal a rejeté l’argumentation des consorts GROUPE1.).
La Cour renvoie sur ces points au raisonnement des juges de première instance pour le faire sien : en l’occurrence, une fiche d’ouverture du compte courant et du compte épargne a été remplie renseignant l’activité de SOCIETE2.) (3 février 2009) ; une fiche d’identification a été remplie renseignant les qualités du bénéficiaire (15 janvier 2009) ; la qualité du représentant légal de SOCIETE2.) du bénéficiaire a été vérifiée et a donné lieu à des régularisations (1er avril 2009) ;
SOCIETE1.) a disposé des statuts ainsi que d’un certificat d’incorporation de SOCIETE2.) (9 mars 2009) ; SOCIETE1.) a eu une entrevue personnelle avec le bénéficiaire et a établi un rapport de visite (28 janvier 2009).
S’il est vrai que toutes ces vérifications ne sont pas concomitantes à l’ouverture du compte courant et du compte épargne (15 janvier 2009), ce fait ne porte pas à conséquence dans le cadre de l’appréciation de l’accomplissement des obligations d’identification du client incombant à SOCIETE1.) comme l’a relevé correctement le tribunal. En tout état de cause, l’obligation d’identification en question était remplie dès avant le virement litigieux du 14 décembre 2009.
C’est encore à raison que les juges de premier degré ont retenu que les consorts GROUPE1.) restent en défaut d’indiquer en quoi les mesures prises par SOCIETE1.) pour identifier le client étaient inadaptées face à un risque de blanchiment et de financement du terrorisme, ni pour quelle raison SOCIETE1.) aurait dû se méfier des déclarations de PERSONNE5.) et aurait dû procéder à des vérifications supplémentaires, étant rappelé que cette personne a été introduite auprès de la banque par une cliente, depuis 2005, de SOCIETE1.) (cf. rapport de visite du 28 janvier 2009).
L’analyse faite à cet égard par les juges du premier degré et leur solution reste aussi, en l’absence de tout élément nouveau permettant d’énerver lesdites conclusions, correcte en appel.
[…] Dans ces conditions, la Cour approuve le tribunal d’avoir retenu qu’aucun manquement aux obligations imposées à SOCIETE1.) dans le cadre de son obligation d’identification du client et du bénéficiaire économique et de son obligation de surveillance au sens de l’article 3 (2) de la loi modifiée de 2004 n’est établi.
[…] Au regard des considérations qui précèdent, c’est donc à juste titre que le tribunal a retenu que les consorts GROUPE1.) ne justifient pas d’un manquement de SOCIETE1.) à une obligation prudentielle précise ni surtout sur base de quelle obligation prudentielle SOCIETE1.) aurait dû s’abstenir d’exécuter les transactions mises en causes.
[…] Il s’ensuit que l’appel est à rejeter comme non fondé et que la décision de première instance est à confirmer. », alors que la CourEDH a retenu que par l’article 6 § 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire.
La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 16, § 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment "entendues", c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi », que Votre Cour retient avec constance que conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme », que, pour démontrer que la partie défenderesse en cassation avait méconnu son obligation professionnelle de mettre en œuvre, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la loi du 12 novembre 2004 susdite, dans sa version en vigueur à l’époque des faits de l’espèce, les mesures de vigilance idoines tenant à l’identification, la vérification de l’identité et la connaissance du bénéficiaire effectif de sa cliente SOCIETE2.), Monsieur PERSONNE5.), les parties demanderesses en cassation ont invoqué, jusque dans les dernières conclusions prises en date par leur mandataire, des moyens et arguments pris de ce que la partie défenderesse en cassation avait négligé de vérifier de façon indépendante si Monsieur PERSONNE5.), lequel avait indiqué au moment de l’entrée en relation d’affaires qu’il était avocat en France sans pour autant cocher la case correspondante du contrat d’adhésion, était effectivement membre de cette profession réglementée et inscrit comme tel auprès d’un barreau français, que les juges d’appel ont conclu à l’absence d’infraction à ses obligations de vigilance à l’égard de la clientèle dans le chef de la partie défenderesse en cassation, en omettant d’examiner au préalable les prédits moyens et arguments des parties demanderesses en cassation qui viennent d’être rappelés, 4 qu’ils ont, dès lors, en méconnaissance des textes visés au moyen, manqué de répondre aux conclusions formulées par les parties demanderesses en cassation, que l’arrêt attaqué encourt la cassation de ce chef. ».
Réponse de la Cour Les demanderesses en cassation font grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à leurs conclusions tirées de ce que la défenderesse en cassation aurait négligé de vérifier au moment de l’entrée en relation d’affaires si le représentant de la société SOCIETE2.) était effectivement avocat en France, tel qu’il l’avait indiqué au moment de l’entrée en relation d’affaires avec la défenderesse en cassation.
Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme. Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, fût-elle incomplète ou viciée, sur le point considéré.
En retenant « Concernant d’abord l’obligation d’identification tant du client (SOCIETE2.)) que du bénéficiaire (PERSONNE5.)), soit les alinéas a) et b) de l’article 3 paragraphe 2 de la loi modifiée de 2004, c’est à juste titre que le tribunal a rejeté l’argumentation des consorts GROUPE1.).
La Cour renvoie sur ces points au raisonnement des juges de première instance pour le faire sien : en l’occurrence, une fiche d’ouverture du compte courant et du compte épargne a été remplie renseignant l’activité de SOCIETE2.) (3 février 2009) ; une fiche d’identification a été remplie renseignant les qualités du bénéficiaire (15 janvier 2009) ; la qualité du représentant légal de SOCIETE2.) du bénéficiaire a été vérifiée et a donné lieu à des régularisations (1er avril 2009) ;
SOCIETE1.) a disposé des statuts ainsi que d’un certificat d’incorporation de SOCIETE2.) (9 mars 2009) ; SOCIETE1.) a eu une entrevue personnelle avec le bénéficiaire et a établi un rapport de visite (28 janvier 2009).
S’il est vrai que toutes ces vérifications ne sont pas concomitantes à l’ouverture du compte courant et du compte épargne (15 janvier 2009), ce fait ne porte pas à conséquence dans le cadre de l’appréciation de l’accomplissement des obligations d’identification du client incombant à SOCIETE1.) comme l’a relevé correctement le tribunal. En tout état de cause, l’obligation d’identification en question était remplie dès avant le virement litigieux du 14 décembre 2009.
C’est encore à raison que les juges de premier degré ont retenu que les consorts GROUPE1.) restent en défaut d’indiquer en quoi les mesures prises par SOCIETE1.) pour identifier le client étaient inadaptées face à un risque de blanchiment et de financement du terrorisme, ni pour quelle raison SOCIETE1.) aurait dû se méfier des déclarations de PERSONNE5.) et aurait dû procéder à des vérifications supplémentaires, étant rappelé que cette personne a été introduite auprès de la banque par une cliente, depuis 2005, de SOCIETE1.) (cf. rapport de visite du 28 janvier 2009).
5 L’analyse faite à cet égard par les juges du premier degré et leur solution reste aussi, en l’absence de tout élément nouveau permettant d’énerver lesdites conclusions, correcte en appel.
A cet égard la Cour tient encore à relever que les démêlés judiciaires de PERSONNE5.) exposés par les consorts GROUPE1.), dont il n’est par ailleurs pas établi qu’ils aient été connus de SOCIETE1.) durant la relation d’affaires, étaient pour l’essentiel postérieurs à l’entrée en relation d’affaires avec la banque (cf. Cass.
Crim. Paris, N° 312 du 16 janvier 2013). », les juges d’appel, qui ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont motivé leur décision sur le point considéré.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation qui est préalable au premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré, (i) à titre principal, première branche, de la violation de la loi, par refus d’application, sinon fausse interprétation de celle-ci, in specie de l’article 6, paragraphe 1er, volet civil, de la CEDH précité, ensemble l’article 18, paragraphe 1er, nouveau de la Constitution en vertu duquel , l’article 4 du Code civil qui dispose que :
Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. », et l’article 54 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose que :
Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. », (ii) à titre subsidiaire, deuxième branche, du défaut de base légale, au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil précités combinés, (iii) toujours à titre subsidiaire, troisième branche, du défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, volet civil, de la CEDH, de l’article 109 nouveau de la Constitution et des articles 249, paragraphe 1er, et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, précités, et, s’agissant uniquement 6 de sa seconde sous-branche plus amplement développée ci-dessous, additionnellement de l’article 5 du Code civil suivant lequel , et (iv) à titre plus subsidiaire, quatrième et dernière branche, de la violation de la loi, in specie des articles 1382 et 1383 du Code civil précités combinés, par refus d’application, sinon fausse interprétation de la loi, sinon fausse qualification des faits, en ce que la Cour d’appel a, pour dire l’appel non fondé, retenu que :
Le banquier est toutefois également tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale.
[…] Au regard des considérations qui précèdent, c’est donc à juste titre que le tribunal a retenu que les consorts GROUPE1.) ne justifient pas d’un manquement de SOCIETE1.) à une obligation prudentielle précise ni surtout sur base de quelle obligation prudentielle SOCIETE1.) aurait dû s’abstenir d’exécuter les transactions mises en cause.
[…] Il s’ensuit que l’appel est à rejeter comme non fondé et que la décision de première instance est à confirmer. », alors que, * (i) à titre principal, première branche, après avoir rappelé à bon droit qu’un banquier, tel que la partie défenderesse en cassation, a l’obligation de surseoir à exécuter un ordre de virement le temps d’obtenir confirmation de la part du donneur d’ordre, tel que les parties demanderesses en cassation, à la moindre anomalie intellectuelle qui se présente à lui, la Cour d’appel, qui sous-entend pourtant que la partie défenderesse en cassation n’aurait pas en l’espèce selon ses propres termes , passe outre la question de savoir si l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009 comportait ou non une anomalie intellectuelle et si, dans l’affirmative, la partie défenderesse en cassation avait ou non manqué à la prédite obligation, 7 qu’en ne se prononçant pas sur cette question déterminante, la Cour d’appel, qui était pourtant appelée à tirer les conséquences légales de ses constatations et de la règle qu’elle venait d’énoncer, a opposé aux parties demanderesses en cassation un refus de statuer sur le bien-fondé de leurs prétentions, de sorte que la Cour d’appel a méconnu les règles de son office, * (ii) à titre subsidiaire, deuxième branche, au lieu de rechercher si l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009 présentait une anomalie intellectuelle apparente afin de déterminer, dans l’affirmative, si le comportement de la partie défenderesse en cassation était défectueux au regard de son obligation de s’abstenir d’exécuter ledit ordre de virement en attendant de recevoir une éventuelle confirmation des parties demanderesses en cassation, la Cour d’appel a, pour écarter toute faute ou négligence dans le chef de la partie défenderesse en cassation à cet égard, spéculé de manière inopérante sur la prétendue réaction que l’observance par la partie défenderesse en cassation de son devoir de prudence et de diligence aurait soi-disant entraîné dans le chef des parties demanderesses en cassation, qu’en se déterminant par ces motifs, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale, * (iii) toujours à titre subsidiaire, troisième branche, - prise en sa première sous-branche, il est impossible d’exclure comme l’ont fait les juges du fond que les parties demanderesses en cassation auraient renoncé purement et simplement à voir exécuter l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009 à la première alerte de quelque nature que ce soit de la partie défenderesse en cassation au sujet de la détection par celle-ci d’une anomalie intellectuelle, que, pour retenir le contraire, la Cour d’appel s’est fondée sur des supputations, probabilités et autres suppositions sur le comportement que les parties demanderesses en cassation auraient prétendument adopté si la partie défenderesse en cassation avait au contraire sursis à exécuter l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009, au lieu de constater les faits et d’en déduire les conséquences en découlant avec certitude, que la Cour d’appel s’est déterminée par un motif hypothétique impropre à justifier sa décision, qu’il y a lieu de prononcer la cassation de l’arrêt attaqué, - prise en sa seconde sous-branche, invoquée à titre subsidiaire par rapport à la première sous-branche de la troisième branche au moyen, le juge est tenu de se déterminer au regard des circonstances du litige qui lui est soumis, de sorte qu’il ne peut fonder sa décision sur des affirmations ou considérations d’ordre général, que la Cour d’appel a en l’espèce jugé que des particuliers, tels que les parties demanderesses en cassation, en cours de régularisation de la situation fiscale de leurs avoirs détenus à l’étranger moyennant les services d’un mandataire, auraient nécessairement, sur interrogation du banquier dudit mandataire bénéficiaire d’un virement bancaire portant sur lesdits avoirs litigieux et présentant une anomalie intellectuelle, tel que la partie défenderesse en cassation, objecté le fait que le prédit virement ne concernerait pas un blanchiment d’argent en vue de continuer l’exécution de l’ordre de virement qu’ils ont donné, que la Cour d’appel n’a pas pour autant dit pourquoi concrètement, sur base des éléments de l’espèce soumis à son appréciation, les parties demanderesses en cassation auraient soi-disant forcément fait preuve d’obstination à voir aboutir l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009, nonobstant une hypothétique alerte de la partie défenderesse en cassation tenant à la détection d’une anomalie intellectuelle à réception dudit ordre de virement par ses soins, que la Cour d’appel s’est, en conséquence, contentée d’un motif abstrait et général et n’a pas satisfait aux exigences des textes susvisés, que la décision déférée ne peut dès lors qu’être cassée, * (iv) à titre plus subsidiaire, quatrième branche, aucune disposition y visée n’exige, pour que la détection d’une anomalie intellectuelle déclenche l’obligation pour le banquier de suspendre l’exécution d’un ordre de virement litigieux, - première sous-branche, que ladite anomalie intellectuelle corresponde à un cas de blanchiment d’argent », pour reprendre les termes employés par les juges d’appel, et - seconde sous-branche, invoquée à titre subsidiaire par rapport à la première sous-branche de la quatrième branche du moyen, que soit rapportée la preuve que le donneur d’ordre n’aurait, en cas d’alerte par le banquier concerné dans l’exercice de son obligation de vigilance, pas néanmoins requis, en connaissance de cause, ledit banquier de poursuivre la réalisation du virement bancaire litigieux, que, pour statuer comme elle l’a fait, la Cour d’appel a toutefois subordonné la caractérisation de la violation par la partie défenderesse en cassation de son obligation de surveillance, telle qu’alléguée par les parties demanderesses en cassation, à la démonstration préalable, première sous-branche, que l’anomalie intellectuelle apparente à relever par la partie défenderesse en cassation résulte d’une situation de blanchiment d’argent, sinon, seconde sous-branche, qu’une hypothétique alerte des parties demanderesses en cassation par la partie défenderesse en cassation quant à l’anomalie intellectuelle apparente à relever aurait dissuadé les parties demanderesses en cassation de poursuivre l’exécution de l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009, 9 que la Cour d’appel a ainsi ajouté une condition non prévue par la loi et, partant, a violé les dispositions susvisées par refus d’application, sinon fausse interprétation de celles-ci, sinon fausse qualification des faits, * qu’il s’ensuit que la décision attaquée encourt la cassation sur la base, à titre principal, de la première branche du troisième et dernier moyen proposé, sinon à titre subsidiaire, de ses deuxième et troisième branches, sinon à titre plus subsidiaire, de sa quatrième et dernière branche. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Les demanderesses en cassation font grief aux juges d’appel de ne pas avoir statué « sur le bien-fondé de leurs prétentions » en ne s’étant pas prononcés sur « la question de savoir si l’ordre de virement litigieux (…) comportait ou non une anomalie intellectuelle et si, dans l’affirmative, la défenderesse en cassation avait ou non manqué à (…) [l’] obligation » de surseoir à exécuter l’ordre de virement en attendant d’obtenir confirmation de la part du donneur d’ordre.
Le grief tiré de ce que les juges d’appel n’auraient pas analysé la question relative à l’anomalie intellectuelle du virement est étranger au cas d’ouverture invoqué.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, est irrecevable.
Sur la deuxième branche du moyen Les demanderesses en cassation font grief aux juges d’appel d’avoir privé leur décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil en ce qu’ils auraient omis de rechercher « si l’ordre de virement (…) présentait une anomalie intellectuelle apparente afin de déterminer, dans l’affirmative, si le comportement de la défenderesse en cassation était défectueux (…) » et auraient « spéculé de manière inopérante sur la prétendue réaction » des demanderesses en cassation à une demande de confirmation du virement litigieux de la défenderesse en cassation.
Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil.
Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.
En retenant « SOCIETE1.), en tant que bénéficiaire du virement avec mandat d’achever l’exécution de ce virement, est le mandataire substitué du donneur d’ordre et a comme tel une obligation de prudence et de diligence pour exécuter l’opération aux fins voulues par le donneur d’ordre. Elle doit en cette qualité, avant d’exécuter le virement que le client lui demande de faire, en contrôler la régularité apparente, et 10 entre autres, s’assurer qu’il émane bien de son client. Toute anomalie de nature à éveiller un doute sur l’authenticité d’un ordre, commande, en principe, au banquier de surseoir à son exécution et de demander confirmation de son client. Le principe de non-ingérence de la banque dans les affaires de son client, ne la libère pas de son obligation de relever les anomalies apparentes, à savoir celles qui ne doivent pas échapper au banquier normalement prudent et vigilant. Il peut s’agir d’anomalies matérielles, telles qu’une signature différente du spécimen déposé, une rature, ou d’anomalies intellectuelles, correspondant à des opérations présentant un caractère inhabituel par rapport à la situation patrimoniale du client, à ses habitudes, en raison de leur fréquence, de leur montant ou de leur nature.
(…) Il convient de constater qu’en l’espèce, les éléments objectifs du contexte ne laissaient pas deviner une quelconque illicéité de l'opération demandée. De plus, l’ordre de virement ne contenait aucune correspondance, mettant ainsi SOCIETE1.) dans l’impossibilité de vérifier la cohérence de cette transaction.
Le banquier est toutefois également tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale. », les juges d’appel n’ont pas indiqué les éléments de fait les ayant amenés à écarter l’existence d’une faute ou négligence dans le chef de la défenderesse en cassation en relation avec une éventuelle anomalie intellectuelle de l’ordre de virement.
Les constatations de fait incomplètes ne permettant pas à la Cour d’exercer pleinement son contrôle de l’application de la loi, les juges d’appel ont privé leur décision de base légale.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt la cassation.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré, (i) première branche, du défaut de base légale, au regard de l’article 1382 du Code civil qui dispose que :
celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. », 11 ensemble l’article 1383 du même Code qui dispose que :
Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. », (ii) deuxième branche, invoquée à titre subsidiaire par rapport à la première, de la violation de la loi, par refus d’application, sinon fausse interprétation de celle-ci, in specie des articles 1382 et 1383 du Code civil précités combinés, et (iii) troisième et dernière branche, indépendante de tout rapport de subsidiarité, de la contradiction de motifs, valant défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, la ) qui dispose, sous son volet civil, que :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera […] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil […]. », ensemble l’article 109 nouveau de la Constitution d’après lequel jugement est motivé […]. », et les articles 249, paragraphe 1er, et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, lesquels disposent respectivement que et que , en ce que la Cour d’appel a, pour dire l’appel non fondé, retenu que :
Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que SOCIETE1.) ait été négligente dans ses vérifications tant lors de l’ouverture des comptes de SOCIETE2.) que durant le fonctionnement de la relation d’affaires, il n’en demeure pas moins que le rapport de causalité entre la ou les fautes et le préjudice n’existe que si ce dernier est une suite directe et nécessaire de l’événement fautif.
En l’occurrence, le préjudice allégué par les consorts GROUPE1.), constitué par la perte des fonds transférés, n’a pas pour cause un fait de SOCIETE1.), celle-
ci ayant réalisé leurs intentions telles qu’elles ont été manifestées, mais est dû exclusivement à la circonstance non imputable à SOCIETE1.) que les appelants ont, au mépris de toute prudence, procédé au virement litigieux au profit de PERSONNE5.) qu’ils qualifient eux-mêmes d’ami de longue date de la famille et qui a ensuite, toujours selon eux, détourné lesdits fonds.
Il s’ensuit que l’appel est à rejeter comme non fondé et que la décision de première instance est à confirmer. », alors que, * (i) première branche, il est de jurisprudence constante que constitue l’une des causes nécessaires du dommage, même si elle n’en est pas la cause exclusive, tout événement sans la survenance duquel ledit dommage ne serait pas intervenu ou aurait été moindre, que, s’agissant en particulier de responsabilité bancaire, il est admis que la faute ou la négligence d’un établissement de crédit ait pu au moins concourir au succès des agissements frauduleux d’un tiers et être l’une des conditions sine qua non du dommage en ayant résulté, que des auteurs luxembourgeois, que la Cour d’appel cite elle-même dans son arrêt du 7 mars 2024, , qu’il appartenait à la Cour d’appel, pour écarter ou retenir la causalité, de vérifier concrètement sur la base d’un raisonnement contrefactuel si, sans les défaillances reprochées par les parties demanderesses en cassation à la partie défenderesse en cassation, le dommage des parties demanderesses en cassation se serait ou non tout de même produit, respectivement aurait été identique ou au contraire réduit, que la Cour d’appel s’est cependant bornée à relever à titre surabondant que le préjudice allégué par les parties demanderesses en cassation trouvait exclusivement son origine dans leur prétendue imprudence et dans le détournement des fonds litigieux par Monsieur PERSONNE5.), que, partant, la Cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser une prétendue absence de lien de causalité entre l’éventuel comportement défectueux ou négligent de la partie défenderesse en cassation et le préjudice allégué par les parties demanderesses en cassation, que la Cour d’appel n’a donc pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés, * (ii) deuxième branche, invoquée à titre subsidiaire par rapport à la première, il incombe à Votre Cour, en matière de responsabilité délictuelle, de contrôler d’après les constatations de fait suffisantes des juges du fond la relation de cause à effet pouvant exister entre la faute commise et le dommage subi, 13 que l’arrêt énonce qu’aucune part de responsabilité ne pouvait être mise à la charge de la partie défenderesse en cassation aux seuls motifs pris de ce que les parties demanderesses en cassation avaient prétendument fait preuve d’imprudence et de ce que les sommes litigieuses avaient ensuite été détournées par Monsieur PERSONNE5.), que, toutefois, il n’est pas exclu que, si la partie défenderesse en cassation avait procédé aux diligences requises au moment de l’entrée en relation d’affaires avec SOCIETE2.) puis au cours cette dernière et avait alerté les parties demanderesses en cassation - manquements qui resteront à établir sur renvoi en appel après accueil des deuxième et troisième moyens en cassation exposés ci-
dessous -, les parties demanderesses en cassation auraient renoncé à effectuer le virement litigieux et Monsieur PERSONNE5.) n’aurait pas été mis en mesure de détourner les sommes leur appartenant, que, la Cour d’appel se refusant ainsi à tirer les conséquences légales des constatations qu’elle est tenue de faire, l’arrêt entrepris a été rendu en violation des dispositions susvisées, * (iii) troisième et dernière branche, indépendante des deux premières, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la ) a retenu que et qu’il , que Votre Cour retient avec constance que de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision », que la Cour d’appel avait préalablement retenu que :
ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale. », que, ce faisant, la Cour d’appel a implicitement reconnu que la partie défenderesse en cassation ne s’est pas rapprochée des parties demanderesses en cassation, en leur qualité de donneurs d’ordre, postérieurement à l’émission de l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009, 14 que la Cour d’appel ne pouvait subséquemment retenir, sans se contredire de manière flagrante, que la partie défenderesse en cassation se serait contentée dans cette affaire de , cependant que la Cour d’appel venait d’estimer que la partie défenderesse en cassation n’avait pas daigné demander confirmation aux parties demanderesses en cassation de leur volonté de poursuivre ou non l’exécution de l’ordre de virement litigieux du 14 décembre 2009, que cette contradiction entre des motifs de fait totalement incompatibles, ayant nécessairement affecté la pensée même de la Cour d’appel, a exercé une influence sur l’arrêt attaqué qui préjudicie aux parties demanderesses en cassation, en conséquence de quoi, le premier moyen est fondé en sa première, respectivement deuxième branche, comme en sa troisième branche, et la décision déférée encourt la cassation. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Les demanderesses en cassation font grief aux juges d’appel d’avoir privé leur décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil en ce qu’ils auraient relevé que le préjudice allégué trouvait exclusivement son origine dans leur imprudence et dans le détournement des fonds par le représentant de la société SOCIETE2.) sans vérifier si le dommage se serait réalisé, respectivement aurait été identique, en l’absence des fautes reprochées à la défenderesse en cassation.
Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil.
Il résulte de la réponse donnée à la deuxième branche du troisième moyen que les juges d’appel n’ont pas suffisamment motivé l’absence de faute ou négligence dans le chef de la défenderesse en cassation en relation avec une éventuelle anomalie intellectuelle de l’ordre de virement.
En retenant « Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que SOCIETE1.) ait été négligente dans ses vérifications tant lors de l’ouverture des comptes de SOCIETE2.) que durant le fonctionnement de la relation d’affaires, il n’en demeure pas moins que le rapport de causalité entre la ou les fautes et le préjudice n’existe que si ce dernier est une suite directe et nécessaire de l’événement fautif.
En l’occurrence, le préjudice allégué par les consorts GROUPE1.), constitué par la perte des fonds transférés, n’a pas pour cause un fait de SOCIETE1.), celle-
ci ayant réalisé leurs intentions telles qu’elles ont été manifestées, mais est dû exclusivement à la circonstance non imputable à SOCIETE1.) que les appelants ont, au mépris de toute prudence, procédé au virement litigieux au profit de PERSONNE5.) qu’ils qualifient eux-mêmes d’ami de longue date de la famille et qui a ensuite, toujours selon eux, détourné lesdits fonds. », les juges d’appel se sont prononcés par des constatations de fait incomplètes, en procédant par voie de simples affirmations, ne permettant pas à la Cour d’exercer pleinement son contrôle de l’application de la loi et ont ainsi privé leur décision de base légale.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt la cassation.
Sur les demandes en allocation d’indemnités de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des demanderesses en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chacune d’entre elles l’indemnité de procédure sollicitée de 1.500 euros.
La défenderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, ses demandes en allocation d’une indemnité de procédure sont à rejeter.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué numéro 33/24-IX-COM rendu le 7 mars 2024 sous le numéro CAL-2022-00867 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé, et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;
rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la défenderesse en cassation à payer à chacune des demanderesses en cassation une indemnité de procédure de 1.500 euros ;
la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de 1. PERSONNE1.), veuve PERSONNE4.), 2. PERSONNE2.), veuve PERSONNE6.), 3. PERSONNE3.), contre la société anonyme SOCIETE1.), (CAS-2024-00127 du registre) Par mémoire déposé au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg le 16 août 2024, PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt portant le numéro N° 33/24 - IX - COM, contradictoirement rendu entre parties le 7 mars 2024, par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale.
Les demanderesses en cassation ont déposé un mémoire, signé par un avocat à la Cour, signifié le 14 août 2024 à la partie adverse, antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans le délai1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Maître Glenn MEYER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, représentant la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, prise en sa qualité de mandataire de la société anonyme SOCIETE1.), a fait signifier le 9 octobre 2024, aux parties demanderesses en cassation un mémoire en réponse et l’a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 11 octobre 2024.
Faits et rétroactes Suite au décès de feu PERSONNE4.), qui était titulaire d’un compte bancaire auprès d’un institut bancaire suisse présentant le solde de 1.940.000 euros, les demanderesses en cassation, en leur qualité d’héritières de PERSONNE4.), ont contacté PERSONNE5.), gérant de la société française SOCIETE3.) et bénéficiaire économique de SOCIETE2.) LIMITED, filiale de SOCIETE3.), dans le but de « régulariser » la situation de ces fonds vis-à-vis de l’administration fiscale française.
1 A défaut d’acte de notification de l’arrêt dont pourvoi, versé au dossier, il doit être admis qu’aucun délai n’a commencé à courir.PERSONNE5.) a demandé le transfert des fonds en question sur le compte bancaire de la société française SOCIETE2.) ouvert auprès de la société anonyme SOCIETE1.), aux fins de la « régularisation » fiscale.
Après l’exécution du virement du montant de 1.940.000 euros sur le compte de la société SOCIETE2.), PERSONNE5.) aurait pris possession des fonds et les aurait détournés par plusieurs transactions, notamment vers des comptes bancaires ouverts auprès d’instituts financiers israéliens, en faveur de la société SOCIETE3.) et de la société de droit suisse SOCIETE4.) SA.
Les fonds n’auraient jamais été restitués aux demanderesses en cassation.
Le 20 août 2019, PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont assigné la société anonyme SOCIETE1.) devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, pour la voir condamner au paiement du montant total de 2.954.397 euros sur base de la responsabilité délictuelle.
Elles reprochaient à la société anonyme SOCIETE1.) d’avoir manqué à ses obligations découlant de l’article 3 (2) de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et d’avoir manqué à son devoir général de vigilance.
Elles faisaient valoir que les manquements de la société anonyme SOCIETE1.) seraient en lien causal direct avec le préjudice qu’elles ont subi du fait du détournement de leurs fonds.
Par jugement contradictoire n° 2022TALCH06/00545 du 28 avril 2022, le tribunal a dit non fondée la demande des consorts GROUPE1.). Le tribunal a encore débouté les consorts GROUPE1.) de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et a condamné les consorts GROUPE1.) à payer à la société anonyme SOCIETE1.) une indemnité de de procédure de 2.500 euros.
PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont interjeté appel dudit jugement par exploit d’huissier du 19 août 2022.
Par arrêt du 7 mars 2024, la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale, a confirmé le jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 28 avril 2022 et a condamné les consorts GROUPE1.) à payer à la société anonyme SOCIETE1.) une indemnité de de procédure de 3.500 euros.
Sur le premier moyen de cassation Sur le premier moyen pris en sa première branche Les demanderesses en cassation reprochent aux magistrats d’appel un défaut de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil en ce qu’ils se seraient bornés à relever que le préjudice allégué par les demanderesses en cassation trouvait exclusivement son origine dans l’imprudence de ces dernières alors qu’ils auraient, pour écarter ou retenir la causalité, dû vérifier si le dommage des demanderesses en cassation se serait réalisé, respectivement aurait été identique en l’absence de la faute reprochée à la défenderesse en cassation.
Il résulte de la motivation des magistrats d’appel qu’ils ont débouté les actuelles demanderesses en cassation de leur demande après avoir constaté, à l’instar des premiers juges, qu’elles n’avaient pas rapporté la preuve d’une faute dans le chef de la société anonyme SOCIETE1.).
La motivation de l’arrêt entrepris est très claire sur ce point, en ce qu’elle retient notamment ce qui suit :
« Dans ces conditions, la Cour approuve le tribunal d’avoir retenu qu’aucun manquement aux obligations imposées à SOCIETE1.) dans le cadre de son obligation d’identification du client et du bénéficiaire économique et de son obligation de surveillance au sens de l’article 3 (2) de la loi modifiée de 2004 n’est établi.
(…) Au regard des considérations qui précèdent, c’est donc à juste titre que le tribunal a retenu que les consorts GROUPE1.) ne justifient pas d’un manquement de SOCIETE1.) à une obligation prudentielle précise ni surtout sur base de quelle obligation prudentielle SOCIETE1.) aurait dû s’abstenir d’exécuter les transactions mises en cause ».
Après avoir fait le constat de l’absence d’une preuve d’une faute dans le chef de la défenderesse en cassation, la Cour d’appel a pris le soin de souligner de façon surabondante, que même à admettre, pour les besoins de la discussion, que la défenderesse en cassation aurait été négligente dans ses vérifications tant lors de l’ouverture des comptes de SOCIETE2.) que durant le fonctionnement de la relation d’affaires, il n’en demeure pas moins que le rapport de causalité entre la ou les fautes et le préjudice n’existe que si ce dernier est une suite directe et nécessaire de l’événement fautif.
Le constat de l’absence d’une faute dans le chef de la société anonyme SOCIETE1.) a été suffisant pour justifier la décision entreprise et ainsi débouter les actuelles demanderesses en cassation de leur demande en indemnisation.
Les magistrats d’appel, ont en outre choisi d’étayer leur motivation par l’ajout d’un motif supplémentaire, tiré de l’absence de lien causal entre la faute alléguée – mais non prouvée – par les demanderesses en cassation et le préjudice invoqué. Or, ce dernier motif n’était cependant pas indispensable au soutien du dispositif de l’arrêt attaqué.
Il en suit que le motif critiqué par les demanderesses en cassation est surabondant.
Le moyen est dès lors inopérant.
Sur le premier moyen pris en sa deuxième branche Les demanderesses en cassation reprochent en ordre subsidiaire aux magistrats d’appel une violation des articles 1382 et 1383 du Code civil en ce qu’ils auraient retenu qu’aucune part de responsabilité ne saurait être mise à la charge de la société anonyme SOCIETE1.) en raison de l’imprudence dont avaient fait preuve les actuelles demanderesses en cassation alors qu’ils auraient dû examiner si l’accomplissement par la défenderesse en cassation des diligences requises au moment de l’entrée en relation d’affaires avec la société SOCIETE2.) n’aurait pas été de nature à empêcher les consorts GROUPE1.) de virer la somme de 1.940.000 euros, sur le compte bancaire de la société française SOCIETE2.).
En substance, les demanderesses en cassation reprochent à l’arrêt entrepris, sous couvert de la violation des dispositions légales sous revue, d’avoir refusé de tirer les conséquences légales qui s’imposaient sur l’existence des fautes alléguées dans le chef de la société anonyme SOCIETE1.), se contentant de conclure à l’existence d’une faute d’imprudence dans le chef des actuelles demanderesses en cassation qui serait seule à l’origine du préjudice qui leur a été causé à la suite du détournement de la somme de 1.940.000 euros.
Il ressort de la lecture de l’arrêt entrepris que les juges d’appel ont retenu ce qui suit :
« En l’occurrence, le préjudice allégué par les consorts GROUPE1.), constitué par la perte des fonds transférés, n’a pas pour cause un fait de SOCIETE1.), celle-ci ayant réalisé leurs intentions telles qu’elles ont été manifestées, mais est dû exclusivement à la circonstance non imputable à SOCIETE1.) que les appelants ont, au mépris de toute prudence, procédé au virement litigieux au profit de PERSONNE5.) qu’ils qualifient eux-mêmes d’ami de longue date de la famille et qui a ensuite, toujours selon eux, détourné lesdits fonds ».
Les magistrats d’appel ont ainsi clairement conclu à l’existence d’une imprudence dans le chef des consorts GROUPE1.) et à l’absence d’une faute dans le chef de l’actuelle défenderesse en cassation.
Le premier moyen pris en sa deuxième branche, sous le couvert de griefs tirés de la violation, par non-application, sinon par fausse interprétation, des articles 1382 et 1383 du Code civil, ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine de la faute par les juges du fond.
Le moyen n’est dès lors pas fondé.
Sur le premier moyen pris en sa troisième branche Le premier moyen pris en sa troisième branche est tiré de la violation de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en ce que l’arrêt entrepris présenterait des motifs contradictoires alors que l’article en question implique notamment, à la charge du tribunal, l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments, offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre et qu’il oblige les tribunaux à motiver leurs décisions.
Il est rappelé que selon la formule consacrée par la Cour de Cassation française, « les arrêts qui ne contiennent pas de motifs sont nuls, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ». La raison en est simple : les motifs contradictoires « se détruisent et s’annihilent réciproquement », aucun d’entre eux ne pouvant alors être retenu comme fondement de la décision2.
La contradiction de motifs ne vicie la décision entreprise que si elle est réelle et profonde, c’est-à-dire s’il existe entre les deux motifs incriminés une véritable incompatibilité3.
Les demanderesses en cassation déduisent une motivation contradictoire de ce que les juges d'appel ont considéré que le banquier est tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement 2 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 6e édition, n° 77.101.
3 Idem, n° 77.112.et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle tout en retenant qu’il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale, reconnaissant ainsi que la société anonyme SOCIETE1.) ne s’est pas rapprochée des actuelles demanderesses en cassation.
La Cour d’appel aurait ainsi adopté des motifs contradictoires en constatant que la société anonyme SOCIETE1.) s’est contentée de réaliser les intentions des actuelles demanderesses en cassation telles qu’elles ont été manifestées après avoir constaté que l’actuelle défenderesse en cassation n’a pas interrogé les donneurs d’ordre du virement litigieux pour demander la confirmation de leur volonté.
La motivation de l’arrêt entrepris sur le point en discussion se lit comme :
SOCIETE1.), en tant que bénéficiaire du virement avec mandat d’achever l’exécution de ce virement, est le mandataire substitué du donneur d’ordre et a comme tel une obligation de prudence et de diligence pour exécuter l’opération aux fins voulues par le donneur d’ordre.
Elle doit en cette qualité, avant d’exécuter le virement que le client lui demande de faire, en contrôler la régularité apparente, et entre autres, s’assurer qu’il émane bien de son client.
Toute anomalie de nature à éveiller un doute sur l’authenticité d’un ordre, commande, en principe, au banquier de surseoir à son exécution et de demander confirmation de son client.
Le principe de non-ingérence de la banque dans les affaires de son client, ne la libère pas de son obligation de relever les anomalies apparentes, à savoir celles qui ne doivent pas échapper au banquier normalement prudent et vigilant. Il peut s’agir d’anomalies matérielles, telles qu’une signature différente du spécimen déposé, une rature, ou d’anomalies intellectuelles, correspondant à des opérations présentant un caractère inhabituel par rapport à la situation patrimoniale du client, à ses habitudes, en raison de leur fréquence, de leur montant ou de leur nature.
La Cour tient à ajouter que l’obligation de vérification du banquier est une obligation de moyens. Elle doit être interprétée de façon raisonnable, notamment au regard du nombre de virements que le banquier exécute quotidiennement. Il en résulte que la responsabilité du banquier n’est engagée que si le client donneur d’ordre rapporte la preuve d’une faute dans le chef du banquier (La responsabilité du banquier en droit bancaire privé luxembourgeois par Alex SCHMITT et Elisabeth OMES, Larcier 2006, Chap. II, Le banquier et l’exécution des services bancaires de base n° 161).
Il convient de constater qu’en l’espèce, les éléments objectifs du contexte ne laissaient pas deviner une quelconque illicéité de l'opération demandée. De plus, l’ordre de virement ne contenait aucune correspondance, mettant ainsi SOCIETE1.) dans l’impossibilité de vérifier la cohérence de cette transaction.
Le banquier est toutefois également tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale.
21 Les éléments soumis à la Cour par les consorts GROUPE1.), qui sont en grande partie restés les mêmes qu’en première instance, ne permettent également pas de décider que le tribunal s’est trompé en ce qui concerne les opérations subséquentes effectuées à partir des comptes bancaires de SOCIETE2.) en décidant qu’aucune discordance entre les transactions et l’activité client, renseignée lors de l’ouverture des comptes bancaires, ni aucune anomalie apparente ou incohérence de ces transferts n’étaient prouvées en cause.
Il en suit que les magistrats d’appel ont retenu, sans se contredire, qu’en l’absence de preuve d’une anomalie apparente ou d’une incohérence ayant affecté le transfert litigieux, la société anonyme SOCIETE1.) a pu se contenter de réaliser les intentions des actuelles demanderesses en cassation telles qu’elles ont été manifestées aux termes de l’ordre de virement et qu’elle n’avait pas besoin de demander la confirmation de la volonté des consorts GROUPE1.) d’effectuer le transfert en question.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen de cassation Les demanderesses en cassation reprochent aux magistrats d’appel une violation de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 109 de la Constitution et des articles 249, paragraphe 1er et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile en ce qu’ils auraient conclu à l’absence d’infraction à ses obligations de vigilance à l’égard de la clientèle dans le chef de la société anonyme SOCIETE1.) en omettant d’analyser les moyens et arguments tirés par les demanderesses en cassation du fait que l’actuelle défenderesse en cassation aurait négligé de vérifier de façon indépendante si PERSONNE5.) était effectivement avocat en France, tel qu’il l’avait indiqué au moment de l’entrée en relation d’affaires avec la banque.
Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
Par ailleurs, les juges ne sont tenus de répondre qu’aux véritables moyens et non aux simples arguments ou allégations. La Cour de cassation a maintes fois jugé que les juges du fond ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.4 Quant à la réponse que les juges doivent fournir, il faut souligner que le défaut de motifs étant un vice de forme, une réponse, même incomplète, suffit à l’écarter, et c’est alors vers d’autres ouvertures à cassation, notamment le défaut de base légale, que le demandeur au pourvoi doit s’orienter5.
Il ressort de la lecture de l’arrêt entrepris que les magistrats d’appel se sont référés à la motivation des juges de première instance tout en développant des motifs propres, et ont confirmé la décision de première instance, en ce qu’elle a retenu qu’une fiche de déclaration de bénéficiaire économique a été remplie au moment de l’ouverture des comptes bancaires, 4 Cour de cassation, 8 juin 2006, n°41/06 5 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, 6e édition, n°77.221.renseignant que PERSONNE5.) est le bénéficiaire économique de SOCIETE2.), indiquant l’adresse et le statut professionnel de PERSONNE5.), que la société anonyme SOCIETE1.) a eu une entrevue personnelle avec PERSONNE5.) lors de laquelle ce dernier a indiqué être avocat, que la société anonyme SOCIETE1.) a dès lors identifié le bénéficiaire économique de SOCIETE2.) et en ce qu’elle a retenu que les parties demanderesses restaient en défaut d’indiquer en quoi les mesures prises par la société anonyme SOCIETE1.) pour identifier PERSONNE5.) étaient inadéquates et inadaptées face à un risque de blanchiment et de financement du terrorisme, respectivement qu’elles restaient en défaut d’indiquer la raison pour laquelle la société anonyme SOCIETE1.) aurait dû se méfier des déclarations de PERSONNE5.) et aurait dû prendre des mesures supplémentaires pour son identification.
L’arrêt entrepris comporte ainsi une motivation au sujet du point soulevé par les actuelles demanderesse en cassation de sorte que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Sur le troisième moyen pris en sa première branche Les demanderesses en cassation reprochent en ordre subsidiaire aux magistrats d’appel une violation de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 18 paragraphe 1er de la Constitution, de l’article 4 du Code civil et de l’article 54 du Nouveau Code de procédure civile.
Il ressort de la lecture du troisième moyen, pris en sa première branche, que les demanderesses en cassation reprochent aux magistrats d’appel un déni de justice, en prétendant que la Cour d’appel aurait passé outre la question de savoir si le virement litigieux aurait comporté une anomalie intellectuelle et d’avoir ainsi omis de se prononcer sur une question déterminante dont elle était appelée à tirer des conséquences et aurait ainsi opposé aux actuelles demanderesses en cassation un refus de statuer.
L’arrêt entrepris retient sur le point considéré ce qui suit :
« Le banquier est toutefois également tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale.
Les éléments soumis à la Cour par les consorts GROUPE1.), qui sont en grande partie restés les mêmes qu’en première instance, ne permettent également pas de décider que le tribunal s’est trompé en ce qui concerne les opérations subséquentes effectuées à partir des comptes bancaires de SOCIETE2.) en décidant qu’aucune discordance entre les transactions et l’activité client, renseignée lors de l’ouverture des comptes bancaires, ni aucune anomalie apparente ou incohérence de ces transferts n’étaient prouvées en cause ».
En statuant ainsi, les juges du fond n’ont pas refusé de statuer ni de se prononcer sur une partie de la demande, mais ont simplement rejeté les prétentions des demanderesses en cassation par des motifs qui ne sauraient encourir le grief de déni de justice.
Il en suit que le troisième moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen pris en sa deuxième branche, développée en ordre subsidiaire Il ressort de la lecture du troisième moyen, pris en sa deuxième branche, que les demanderesses en cassation invoquent un défaut de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, en reprochant aux magistrats d’appel d’avoir omis de rechercher si l’ordre de virement présentait une anomalie apparente afin de déterminer, dans l’affirmative, si le comportement de la défenderesse en cassation était défectueux, en ayant spéculé de façon inopérante sur la supposée réaction des actuelles demanderesses en cassation sur une demande de confirmation du virement litigieux de la défenderesse en cassation.
Le défaut de base légale vise le cas où la décision entreprise comporte des motifs, de sorte que sa régularité formelle ne saurait être contestée, mais où les motifs sont imprécis ou incomplets à un point tel que la Cour de cassation est dans l’impossibilité de contrôler l’application de la loi6. Ce cas d’ouverture à cassation est défini comme étant l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit7.
L’arrêt dont cassation a retenu ce qui suit :
« Concernant ensuite l’obligation de surveillance au cours de la relation d’affaires avec SOCIETE2.), soit l’alinéa d) de l’article 3 paragraphe 2 de la loi modifiée de 2004, c’est également à bon droit et aux termes d’un examen exhaustif des pièces en leur possession, auquel la Cour renvoie, que les juges de première instance ont pu retenir que les consorts GROUPE1.) n’ont pas rapporté la preuve que le virement du montant de 1.940.000.- euros et les transactions subséquentes présentaient une discordance par rapport aux informations dont SOCIETE1.) disposait à l’égard du client et de son activité, ni que ces opérations présentaient un risque de blanchiment obligeant SOCIETE1.) à réagir.
La Cour tient à relever que les consorts GROUPE1.), à qui incombe la charge de la preuve d’un manquement à l’obligation de surveillance dans le chef de SOCIETE1.), ne fournissent pas d’éléments quant au mode de fonctionnement des comptes bancaires de SOCIETE2.) de nature à révéler le caractère prétendument anormal des opérations litigieuses par rapport aux autres mouvements sur ledit compte.
Il ressort au contraire des pièces versées par SOCIETE1.) que le compte courant a depuis sa création enregistré des opérations de compte à compte ainsi que des virements de plus ou moins grande importance au bénéfice soit de personnes physiques, soit de personnes morales établies en France, en Israël ou encore en Suisse.
Il y a encore lieu de préciser que l’allégation des consorts GROUPE1.) selon laquelle tant le Luxembourg que l’Etat d’Israël figuraient au moment de la survenance des opérations litigieuses sur la liste noire des Etats non-coopératifs en matière de blanchiment n’est toujours pas établie et ne ressort ni du rapport GAFI de février 2010, ni des articles de presse versés au dossier.
6J. et L. Boré, La cassation en matière civile, précité, n° 78.06, 78.07et 78.31.
7 Idem, n° 78.32.Dans ces conditions, la Cour approuve le tribunal d’avoir retenu qu’aucun manquement aux obligations imposées à SOCIETE1.) dans le cadre de son obligation d’identification du client et du bénéficiaire économique et de son obligation de surveillance au sens de l’article 3 (2) de la loi modifiée de 2004 n’est établi.
Les consorts GROUPE1.) font ensuite valoir à l’appui de leur appel que le droit commun de la responsabilité imposerait au banquier une obligation générale de surveillance, de vigilance et de conseil dans le traitement des opérations de virement. Dès lors, le banquier serait tenu de relever les anomalies apparentes et de prêter attention aux opérations qui présentent un caractère anormal.
La Cour se doit de relever d’emblée que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que la banque du bénéficiaire, en l’occurrence SOCIETE1.), intervient à l’opération de virement tout d’abord en tant que mandataire substitué du donneur d’ordre pour l’exécution du virement. En effet, lorsque le compte du bénéficiaire se trouve chez un banquier différent de celui du donneur d’ordre, tel qu’en l’espèce, ce deuxième banquier auquel est transmis l’ordre de virement, se substitue au premier pour achever l’exécution du virement. En tant que mandataire substitué, les mêmes obligations de prudence et de diligence s’imposent à lui (La responsabilité du banquier en droit privé français, Jack VEZIAN, éd. Litec 1983, n° 177).
SOCIETE1.), en tant que bénéficiaire du virement avec mandat d’achever l’exécution de ce virement, est le mandataire substitué du donneur d’ordre et a comme tel une obligation de prudence et de diligence pour exécuter l’opération aux fins voulues par le donneur d’ordre.
Elle doit en cette qualité, avant d’exécuter le virement que le client lui demande de faire, en contrôler la régularité apparente, et entre autres, s’assurer qu’il émane bien de son client.
Toute anomalie de nature à éveiller un doute sur l’authenticité d’un ordre, commande, en principe, au banquier de surseoir à son exécution et de demander confirmation de son client.
Le principe de non-ingérence de la banque dans les affaires de son client, ne la libère pas de son obligation de relever les anomalies apparentes, à savoir celles qui ne doivent pas échapper au banquier normalement prudent et vigilant. Il peut s’agir d’anomalies matérielles, telles qu’une signature différente du spécimen déposé, une rature, ou d’anomalies intellectuelles, correspondant à des opérations présentant un caractère inhabituel par rapport à la situation patrimoniale du client, à ses habitudes, en raison de leur fréquence, de leur montant ou de leur nature.
La Cour tient à ajouter que l’obligation de vérification du banquier est une obligation de moyens. Elle doit être interprétée de façon raisonnable, notamment au regard du nombre de virements que le banquier exécute quotidiennement. Il en résulte que la responsabilité du banquier n’est engagée que si le client donneur d’ordre rapporte la preuve d’une faute dans le chef du banquier (La responsabilité du banquier en droit bancaire privé luxembourgeois par Alex SCHMITT et Elisabeth OMES, Larcier 2006, Chap. II, Le banquier et l’exécution des services bancaires de base n° 161).
Il convient de constater qu’en l’espèce, les éléments objectifs du contexte ne laissaient pas deviner une quelconque illicéité de l'opération demandée. De plus, l’ordre de virement ne contenait aucune correspondance, mettant ainsi SOCIETE1.) dans l’impossibilité de vérifier la cohérence de cette transaction.
Le banquier est toutefois également tenu de surseoir à l’exécution d’un ordre de virement et de demander une confirmation pour une simple anomalie intellectuelle.
25 Il va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale.
Les éléments soumis à la Cour par les consorts GROUPE1.), qui sont en grande partie restés les mêmes qu’en première instance, ne permettent également pas de décider que le tribunal s’est trompé en ce qui concerne les opérations subséquentes effectuées à partir des comptes bancaires de SOCIETE2.) en décidant qu’aucune discordance entre les transactions et l’activité client, renseignée lors de l’ouverture des comptes bancaires, ni aucune anomalie apparente ou incohérence de ces transferts n’étaient prouvées en cause ».
Il ressort de la motivation de l’arrêt attaqué que les magistrats d’appel ont retenu que l’ordre de virement litigieux ne présentait pas un caractère anormal par rapport aux autres mouvements sur le compte en question et qu’il ne comportait pas d’anomalies matérielles, telles qu’une signature différente du spécimen déposé, une rature, ou des anomalies intellectuelles.
L’affirmation selon laquelle les consorts GROUPE1.) auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, si la société anonyme SOCIETE1.) les avait interrogés, constitue un motif surabondant, une fois que l’absence d’anomalie ayant affecté l’ordre de virement litigieux a été constatée et retenue par la Cour d’appel.
En effet, un motif peut ne pas être indispensable au soutien du dispositif, parce que l’arrêt comporte d’autres motifs qui suffisent à le justifier. Ce motif dit « surabondant » est détachable des autres motifs, n’est pas indispensable au soutien de la décision attaquée et reste sans influence sur la légalité de celle-ci8.
En l’espèce, le motif fondé sur l’absence d’anomalie intellectuelle et matérielle ayant entaché l’ordre de virement litigieux, notamment au regard des autres mouvements intervenus sur le compte bancaire en question, constitue un motif suffisant au soutien de la décision attaquée et le motif fondé sur la réaction des consorts GROUPE1.) face à d’éventuelles interrogations de la part de SOCIETE1.) au sujet du motif de l’opération litigieuse est de ce fait surabondant.
Il en suit que le moyen soulevé, en ce qu’il vise un motif surabondant, est inopérant.
Sur le troisième moyen pris en sa troisième branche, développée en ordre plus subsidiaire Il ressort de la lecture du troisième moyen, pris en sa troisième branche, que les demanderesses en cassation invoquent aux termes de la première sous-branche du moyen, un défaut de motifs, et aux termes de la deuxième sous-branche du moyen, une violation de l’article 5 du Code civil, en reprochant à la Cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur des suppositions concernant le comportement adopté par les consorts GROUPE1.) face à d’éventuelles interrogations de la part de la société anonyme SOCIETE1.) au sujet du motif de l’opération litigieuse, en ayant ainsi adopté un motif hypothétique impropre à justifier sa décision et en ayant jugé par adoption d’un motif abstrait et général, lequel n’aurait pas satisfait aux exigences de l’article 5 du Code civil.
Le soussigné renvoie à ses développements faits au sujet du troisième moyen pris en sa deuxième branche et constate que les critiques visent un motif surabondant qui n’a pas été 8 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, idem, n° 83.63.
indispensable au soutien de la décision attaquée et reste sans influence sur la légalité de celle-
ci.
Il en suit que le moyen soulevé, en ce qu’il vise un motif surabondant, est inopérant.
Il peut encore être ajouté que la deuxième sous-branche du troisième moyen vise le cas où le juge, tout en statuant sur un litige qu’il est compétent pour trancher, empiète sur les attributions du pouvoir législatif, en statuant par voie générale et réglementaire en violation de l’article 5 du Code civil.
Selon la doctrine, il y a alors excès de pouvoir lorsque le juge a cessé de faire œuvre juridictionnelle pour se conduire en législateur, en administrateur ou pour commettre un abus de force lorsqu’il méconnaît les principes sur lesquels repose l’organisation de l’ordre judiciaire.
Or, en retenant qu’« [i]l va de soi que si SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, à savoir, les consorts GROUPE1.), ces derniers auraient affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale», les juges d’appel ne se sont à aucun moment arrogé les pouvoirs du législateur.
Si le moyen ne devait pas être considéré comme inopérant, il conviendrait de retenir qu’il manque en fait.
Sur le troisième moyen pris en sa quatrième branche, développée en dernier ordre de subsidiarité Aux termes du troisième moyen pris en sa quatrième branche, les demanderesses en cassation font valoir une violation des articles 1382 et 1383 du Code civil, en reprochant aux magistrats d’appel, aux termes de la première sous-branche, d’avoir décidé que l’anomalie intellectuelle correspondait à une situation de blanchiment d’argent et en reprochant aux magistrats d’appel, aux termes de la deuxième sous-branche, d’avoir subordonné la caractérisation de la faute de la banque à la démonstration préalable que l’anomalie intellectuelle représente une situation de blanchiment d’argent.
Il ressort de la lecture de l’arrêt entrepris que les magistrats d’appel ont retenu que l’obligation de vérification du banquier est une obligation de moyens qui doit être interprétée de façon raisonnable, notamment au regard du nombre de virements que le banquier exécute quotidiennement, de sorte qu’il en résulte que la responsabilité du banquier n’est engagée que si le client donneur d’ordre rapporte la preuve d’une faute dans le chef du banquier.
La Cour d’appel a ensuite constaté que l’ordre de virement litigieux ne contenait aucune correspondance, mettant ainsi la société anonyme SOCIETE1.) dans l’impossibilité de vérifier la cohérence de cette transaction.
L’arrêt entrepris a enfin retenu qu’aucune discordance entre les transactions et l’activité client, renseignée lors de l’ouverture des comptes bancaires, ni aucune anomalie apparente ou incohérence de ces transferts n’étaient prouvées en cause.
La Cour a déduit l’absence d’anomalie intellectuelle laissant deviner ou supposer une illicéité de l’opération en question de ces éléments.
Sur base de toutes ces considérations, les magistrats d’appel ont retenu que les consorts GROUPE1.) n’ont pas justifié d’un manquement de la société anonyme SOCIETE1.) à une obligation prudentielle ni sur base de quelle obligation prudentielle, la société anonyme SOCIETE1.) aurait dû s’abstenir d’exécuter les transactions mises en cause.
L’arrêt entrepris n’a dès lors pas limité la mise en œuvre de la responsabilité du banquier à hypothèse d’une anomalie intellectuelle affectant l’ordre de virement, correspondant à une situation de blanchiment d’argent, ni n’a subordonné la caractérisation de la faute de la banque à la démonstration préalable que l’anomalie intellectuelle représente une situation de blanchiment d’argent.
Les magistrats d’appel ont simplement retenu, aux termes d’une motivation surabondante, que si la société anonyme SOCIETE1.) avait interrogé le donneur d’ordre, ce dernier aurait affirmé que l’on n’est pas dans un cas de blanchiment d’argent, le motif allégué de l’opération étant selon eux une régularisation fiscale.
Ils n’ont cependant pas décidé que l’anomalie intellectuelle affectant l’ordre de virement se limiterait nécessairement à l’hypothèse d’un blanchiment d’argent.
Le moyen procède dès lors d’une lecture erronée de l’arrêt critiqué de sorte qu’il manque en fait.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
Pour le Procureur général d’Etat, L’avocat général, Bob PIRON 28