N° 48 / 2025 du 20.03.2025 Numéro CAS-2024-00094 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt mars deux mille vingt-cinq.
Composition:
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître François COLLOT, avocat à la Cour, et la société anonyme coopérative SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à F-
ADRESSE2.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Metz sous le numéroNUMERO1.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Alexandre DILLMANN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
Vu l’arrêt attaqué numéro 64/24-IV-COM rendu le 26 mars 2024 sous le numéro CAL-2023-00119 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 21 juin 2024 par PERSONNE1.) à la société anonyme coopérative SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) »), déposé le même jour au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 12 août 2024 par la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), déposé le 20 août 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait condamné le demandeur en cassation au paiement d’une certaine somme au titre de deux billets à ordre qu’il avait avalisés respectivement au profit de la société de droit français SOCIETE2.) et de la société de droit français SOCIETE3.). La Cour d’appel a reçu l’intervention volontaire du Fonds Commun de Titrisation (ci-après « SOCIETE4.) »), a déclaré l’appel irrecevable pour autant qu’il visait la demande reconventionnelle en dommages et intérêts du demandeur en cassation et, par réformation, a déclaré l’assignation introductive de première instance nulle en ce qui concerne la demande en paiement relative à l’aval donné par le demandeur en cassation au profit de la société SOCIETE3.). Elle a partant déchargé le demandeur en cassation d’une partie du montant auquel il avait été condamné en première instance et elle a confirmé le jugement pour le surplus, sauf à dire que le SOCIETE4.) était venu aux droits de la société SOCIETE1.) à l’égard du demandeur en cassation.
Sur la recevabilité du pourvoi La défenderesse en cassation et le Ministère public soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi alors qu’il n’a pas été signifié au SOCIETE4.), auquel la société SOCIETE1.) avait cédé, le 1er août 2023, conformément aux articles L.214-169 à L.214-175 du Code monétaire et financier français, ses créances à l’encontre des sociétés SOCIETE2.) et SOCIETE3.).
Les dispositions concernant la recevabilité du pourvoi en cassation sont d’ordre public et s’apprécient au jour de l’introduction du recours qui est consommé par le dépôt au greffe des documents requis.
Il est établi au vu des actes de procédure et des pièces auxquels la Cour peut avoir égard que le pourvoi n’a pas été signifié au SOCIETE4.).
La condamnation ayant été prononcée par l’arrêt attaqué au profit du SOCIETE4.), seul ce dernier avait qualité pour défendre à l’instance de cassation dirigée contre ledit arrêt de sorte que le pourvoi en cassation aurait dû être dirigé à son encontre.
Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable ;
condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Alexandre DILLMANN, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Joëlle NEIS et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre la société anonyme coopérative de droit français SOCIETE1.) N° CAS-2024-00094 du registre Le pourvoi en cassation, introduit à la requête de PERSONNE1.), signifié en date du 21 juin 2024 à la société anonyme coopérative SOCIETE1.) et déposé le 21 juin 2024 au greffe de la Cour, est dirigé contre un arrêt rendu le 26 mars 2024 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2023-00119 du rôle.
L’arrêt en cause a été signifié le 25 avril 2024 à PERSONNE1.).
Le pourvoi, déposé dans les forme et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est recevable de ce point de vue.
Le mémoire en réponse de la SOCIETE1.), signifié le 12 août 2024 à PERSONNE1.) en son domicile élu et déposé le 20 août 2024 au greffe de la Cour, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.
Quant à la recevabilité du pourvoi qui est contestée Dans son mémoire en réponse, la partie défenderesse en cassation invoque l’irrecevabilité du pourvoi pour deux raisons.
Tout d’abord, elle fait valoir que la créance au paiement de laquelle l’actueldemandeur en cassation a été condamné a été cédée au Fonds Commun de Titrisation « SOCIETE4.) », qui est donc venu aux droits de la SOCIETE1.) (ci-
après « la Banque ») à l’égard du débiteur et qui est intervenu volontairement au présent litige en instance d’appel. Etant donné que le Fonds Commun de Titrisation, dont l’intervention volontaire a été déclarée recevable par l’arrêt attaqué, n’est pas partie à l’instance de cassation, le mémoire en cassation ne lui ayant pas été signifié, le pourvoi serait irrecevable.
Il se dégage du dispositif de l’arrêt attaqué du 26 mars 2024 que l’intervention volontaire du Fonds Commun de Titrisation a effectivement été déclarée recevable et que le jugement entrepris se trouve en partie confirmé, « sauf à dire que le FONDS COMMUN DE TITRISATION « SOCIETE4.) » est venu aux droits de la BANQUE SOCIETE1.) à l’égard de PERSONNE1.) »1.
Comme la partie défenderesse en cassation le fait correctement remarquer, le mémoire en cassation n’a pas été signifié au Fonds Commun de Titrisation, alors qu’il s’agit du créancier actuel du demandeur en cassation. Au vu de cette omission, le présent pourvoi est pour le moins inopposable à cette partie. Reste à savoir si elle entraine l’irrecevabilité du pourvoi dans son ensemble.
En droit français, si la créance litigieuse est cédée à un tiers entre la formation du pourvoi et le dépôt du mémoire ampliatif2 et que cette cession est régulièrement signifiée au demandeur au pourvoi, celui-ci doit diriger son mémoire ampliatif contre le cessionnaire et non contre le cédant, sous peine d’irrecevabilité3.
En l’espèce, la cession de créance, dont la régularité n’a pas été contestée, a eu lieu au cours de l’instance d’appel, de sorte que le Fonds Commun de Titrisation « SOCIETE4.) » était partie à cette instance, suite à son intervention volontaire jugée recevable. Par conséquent, le pourvoi aurait dû le viser et le mémoire en cassation aurait dû lui être signifié antérieurement à son dépôt au greffe.
Si, en principe, un pourvoi peut être dirigé contre certaines des parties ayant participé à l’instance d’appel4, et ne pas en viser d’autres, cette possibilité n’existe pas en cas de pluralité de défendeurs ayant un intérêt indivisible5. Une telle indivisibilité existe lorsqu’il serait impossible d’exécuter simultanément les deux décisions qui interviendraient, si les deux demandes n’étaient pas instruites 1 Arrêt attaqué, page 12, alinéa 2 2 Le mémoire ampliatif en droit français correspond au mémoire en cassation en droit luxembourgeois 3 J. et L. BORE, la cassation en matière civile, Ed. Dalloz 2023/2024, page 210, n°45.23 et page 211, n°45.33 4 Idem, page 213, n°45.61 5 Idem, page 214, n°45.71et jugées par la même juridiction6.
Tel serait le cas en l’espèce, à supposer que Votre Cour déclare le pourvoi fondé :
l’arrêt attaqué du 26 mars 2024 se trouverait coulé en force de chose jugée à l’égard du Fonds Commun de Titrisation, cessionnaire de la créance litigieuse, alors que l’arrêt serait annulé vis-à-vis de la Banque, cédant de la créance. Une exécution simultanée des deux décisions serait impossible, de sorte que l’on se trouve donc ici en présence de parties qui partagent un intérêt indivisible.
On peut même se demander si le pourvoi n’aurait pas dû être dirigé contre le seul cessionnaire de la créance en cause, puisque ce dernier a repris tous les droits du cédant vis-à-vis de l’actuel demandeur en cassation.
En tout état de cause, le pourvoi est irrecevable à l’égard du Fonds Commun de Titrisation, vu que celui-ci ne se trouve pas visé par le mémoire en cassation qui ne lui a pas non plus été signifié. Il pourrait donc, dès à présent, procéder à l’exécution de l’arrêt attaqué. Quelle serait dès lors l’utilité du pourvoi, exclusivement dirigé contre une partie qui n’est plus titulaire de droits à l’égard du demandeur en cassation ? La soussignée estime par conséquent que le pourvoi est irrecevable.
Etant donné que la soussignée a conclu à l’irrecevabilité du pourvoi, tous les développements qui suivent, concernant tant la recevabilité que le fond, n’ont qu’un caractère subsidiaire, pour le cas où Votre Cour ne devait pas suivre ce raisonnement.
La défenderesse en cassation fait encore exposer que le pourvoi serait irrecevable en raison d’un libellé obscur, dès lors que dans le dispositif du mémoire en cassation, il serait demandé à Votre Cour de « casser et d’annuler le jugement entrepris du 26 mars 2024 dans toutes ses dispositions attaquées » et de « remettre les parties au même état qu’avant le jugement attaqué ». En visant le jugement, et non pas l’arrêt du 26 mars 2024, il ne serait pas clair quelle serait la décision réellement visée par le pourvoi.
Or, le mémoire en cassation, dans sa partie « objet du recours »7, mentionne très clairement que la décision attaquée est bien l’arrêt n°64/24 IV COM rendu le 26 mars 2024 par la quatrième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière commerciale, sous le numéro CAL-2023-00119 du rôle. De même, la date de la décision visée dans le dispositif est celle du 26 mars 2024, partant la date du 6Idem, page 214, n°45.72 7 Mémoire en cassation, page 2prononcé de l’arrêt précité.
Il est donc évident que le pourvoi vise l’arrêt de la Cour d’appel du 26 mars 2024 et non pas le jugement de première instance du 14 juillet 2022. La partie défenderesse ne s’est d’ailleurs pas méprise à cet égard, puisqu’elle a pris position par rapport aux griefs formulés dans le mémoire en cassation en citant des passages de l’arrêt et en se référant au raisonnement de la Cour d’appel. Sa défense ne s’en est donc pas trouvée compromise.
La simple erreur consistant à utiliser le terme de « jugement » au lieu de celui d’« arrêt » ne permet pas de retenir que le mémoire en cassation serait entaché d’un libellé obscur.
Faits et rétroactes Par jugement du 14 juillet 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, a condamné PERSONNE1.) à payer à la société SOCIETE1.) (ci-après « la Banque »), une somme totale de 247.138,13.- euros, avec les intérêts légaux à partir de la demande en justice, du chef de deux billets à ordre, avalisés de sa part, souscrits par les sociétés SOCIETE2.) Sàrl et SOCIETE3.) Sàrl, dont celui-ci était le gérant.
En 2019, les sociétés SOCIETE2.) et SOCIETE3.) ont été déclarées en état de redressement judiciaire par le Tribunal de Grande Instance de Metz. Ces procédures ont été clôturées pour insuffisance d’actif en 2021, respectivement en 2022.
PERSONNE1.) a interjeté appel contre le jugement du 14 juillet 2022.
En première instance, tout comme en appel, les parties s’étaient accordées à voir appliquer la loi française à leurs prétentions.
Le moyen du libellé obscur invoqué par l’appelant concernant l’assignation en justice, rejeté par le tribunal, a été déclaré partiellement fondé par la Cour d’appel, dès lors que la banque avait réclamé la condamnation de la partie PERSONNE1.) en se basant sur l’aval d’un billet à ordre émis le 26 février 2018 par la société SOCIETE3.), toutefois entièrement honoré, de sorte qu’elle avait invoqué en cours d’instance un autre billet à ordre, daté cette fois-ci du 25 avril 2018. Les magistrats d’appel ont retenu le caractère confus et incompréhensible de l’exploit introductif d’instance de ce chef, mais ils ont décidé qu’il était suffisamment clair quant à la demande en paiement du solde impayé du billet à ordre souscrit le 27 septembre 2018 par la société SOCIETE2.).
Quant au fond, PERSONNE1.) avait conclu à la nullité de son aval pour vice du consentement. En effet, il aurait seulement accepté d’avaliser le billet à ordre litigieux parce que la Banque aurait promis d’accorder de nouveaux crédits à la société SOCIETE2.). Celle-ci aurait toutefois refusé par la suite d’octroyer le prêt en cause et elle aurait ainsi provoqué l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société. Les manœuvres de la Banque, qui l’auraient amené à signer l’aval, auraient vicié son consentement pour cause de dol, subsidiairement d’erreur et plus subsidiairement de violence.
La Cour d’appel a analysé successivement les différents vices du consentement invoqués. Elle les a tous rejetés à la suite du constat que PERSONNE1.) restait en défaut de prouver non seulement que la Banque avait promis un prêt et quelle n’aurait pas honoré cette promesse, mais aussi qu’elle aurait cessé tout soutien financier, de sorte à causer le redressement judiciaire de la société émettrice du billet à ordre litigieux.
Constatant qu’entretemps, le Fonds Commun de Titrisation « SOCIETE4.) » était venu aux droits de la Banque suite à une cession du billet à ordre de la société SOCIETE2.), la Cour d’appel a déclaré recevable l’intervention volontaire de celui-ci et a confirmé le jugement entrepris quant au volet de la condamnation de PERSONNE1.) au paiement de la somme de 205.209,56 euros, correspondant au montant non honoré du billet à ordre en cause.
Quant au premier moyen de cassation :
tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 109 de la Constitution, de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme pour défaut de réponse à conclusions, sinon pour défaut de motivation, en ce que la Cour d’appel a dit l’appel principal partiellement fondé et, par confirmation du jugement du 14 juillet 2022, a dit la demande de la Banque en condamnation de Monsieur PERSONNE1.) recevable et fondée pour le montant de 205.209,56 euros, au motif que « PERSONNE1.) fait valoir que la Banque a profité de la dépendance économique dans laquelle se trouvait SOCIETE2.) pour contraindre le gérant, débiteur solvable, à se substituer à la société qu’il dirigeait et qui était devenue insolvable. Il soutient qu’il n’aurait jamais consenti à l’aval, s’il avait su que la SOCIETE1.) cesserait tout concours financier envers sa société.
Conformément à ce qui a été retenu ci-avant, ces allégations ne sont pas établies, de sorte que le moyen tiré de l’existence de violence n’est pas non plus fondé. » 8 alors que les juges d’appel n’ont pas pris position sur l’argument de la demanderesse en cassation concernant la nullité des avals en raison de la violence économique exercée par la Banque au sens de l’article 1143 du Code civil français. » Le premier moyen de cassation met en œuvre le grief tiré d’un défaut de réponse à conclusions, variante du défaut de motivation, vice de forme de l’arrêt attaqué.
Ce cas d’ouverture ne peut être déclaré comme étant fondé que dans certaines conditions. Ainsi, le juge n’est tenu de répondre qu’aux véritables moyens, non aux simples arguments ou allégations8.
Le moyen justifiant réponse est en général défini comme l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte, d’où, par un raisonnement juridique, elle prétend déduire le bien-fondé d’une demande ou d’une défense9.
Ainsi, il ne suffit pas que soit invoqué un fait ou un acte justifié par des éléments de preuve appropriés10, mais il faut en plus que sur le fait qu’elle invoque, la partie articule un raisonnement juridique permettant de connaître la portée qu’elle entend lui attribuer. L’énonciation d’un fait qui n’est suivie d’aucune déduction juridique ou la formulation de réserves dont aucune conséquence juridique n’est déduite ne constitue pas un véritable moyen appelant réponse, mais un simple argument. Or, aux termes d’une jurisprudence constante, les juges du fond ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué dans le même sens11.
En d’autres mots, le fait assorti d’une déduction juridique est donc un moyen, le fait dépouillé de cette déduction, un simple argument ; ce fait peut éventuellement concourir au succès ou à la preuve du bien-fondé d’un moyen du procès, mais il ne saurait être à lui seul le moyen12.
Aux termes de son mémoire, le demandeur en cassation critique les magistrats d’appel pour ne pas avoir « pris position sur l’argument de la demanderesse en cassation concernant la nullité des avals en raison de la violence économique exercée par la banque au sens de l’article 1143 du Code civil français »13.
La violence, forme de vice du consentement, ne constitue toutefois pas un simple argument, mais un véritable moyen, entrainant des conséquences juridiques sur la valeur de l’engagement, en l’occurrence de l’aval, dans l’hypothèse où elle est 8 J. et L. BORE, La cassation en matière civile, éd. Dalloz 2015/2016, page 420, n°77.200 9 Idem, page 420, n°77.202 10 Idem, page 421, n°77.203 11 Idem, page 421, n°77.204 12 Idem 13 Mémoire en cassation, page 5, sub. point 4 « premier moyen de cassation »reconnue comme étant établie. En ce sens, si elle est invoquée devant le juge, celui-ci se trouve obligé de prendre position à cet égard.
En principe, le demandeur en cassation qui invoque le grief du défaut de réponse à conclusions doit indiquer avec précision à quel passage de ses écrits versés en instance d’appel les juges du fond ont omis de répondre. Or, en l’occurrence, il se limite à affirmer que « les juges d’appel n’ont pas pris en compte l’argumentaire de Monsieur PERSONNE1.) basé sur l’article 1143 du Code civil français »14. Les conclusions produites en appel ne se trouvent pas versées parmi les pièces soumises à Votre Cour. On y trouve cependant l’acte d’appel15 qui, à la page 7, développe le moyen de la violence qui aurait vicié le consentement de l’actuel demandeur en cassation, et plus particulièrement la violence causée par la dépendance économique, fondée sur l’article 1143 du Code civil français.
Si les magistrats d’appel étaient donc effectivement tenus de répondre à ce moyen, il se dégage de la jurisprudence de Votre Cour qu’un arrêt est régulier en la forme dès qu’il comporte un motif exprès ou implicite, si incomplet ou vicieux soit-il, sur le point considéré. Il suffit dès lors de constater qu’une décision est motivée sur le point concerné pour écarter ce moyen.
Il se dégage de la lecture de l’arrêt attaqué que la Cour d’appel a bien pris en compte l’argumentaire de l’actuel demandeur en cassation fondé sur la dépendance économique de sa société vis-à-vis de la banque :
« PERSONNE1.) fait valoir que la Banque a profité de la dépendance économique dans laquelle se trouvait SOCIETE2.) pour contraindre le gérant, débiteur solvable, à se substituer à la société qu’il dirigeait et qui était devenue insolvable. Il soutient qu’il n’aurait jamais consenti l’aval, s’il avait su que la SOCIETE1.) cesserait tout concours financier envers sa société. »16 Ils y ont répondu, certes de façon assez sommaire, que « Conformément à ce qui a été retenu ci-avant, ces allégations ne sont pas établies, de sorte que le moyen tiré de l’existence de violence n’est pas non plus fondé »17. Le caractère succinct de cette réponse s’explique par le renvoi opéré aux développements concernant les deux autres vices du consentement invoqués – le dol et l’erreur – pour lesquels les magistrats d’appel avaient retenu que l’actuel demandeur en cassation était resté en défaut d’établir que la Banque avait promis un crédit supplémentaire, ni qu’elle avait effectivement cessé tout soutien financier par la suite.
En s’exprimant ainsi et en renvoyant aux passages antérieurs pertinents de l’arrêt, la Cour a bien répondu au moyen fondé sur la dépendance économique, forme de violence fondée sur l’article 1143 du Code civil français.
14 Mémoire en cassation, page 6, alinéa 7 15 Farde de pièces de Maître COLLOT, pièce n°12 16 Arrêt attaqué, page 10, alinéa 5 17 Arrêt attaqué, page 10, alinéa 6 Le premier moyen de cassation n’est donc pas fondé.
Quant au deuxième, troisième et quatrième moyens de cassation réunis :
tirés - le deuxième de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, in specie de l’article 1143 du Code civil français - le troisième de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1137 du Code civil français - le quatrième de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1130 du Code civil français Il est constant en cause que le litige se trouvant à la base du présent pourvoi a été tranché selon la loi française, les parties ayant été d’accord d’y soumettre leur différend18.
Or, les juges du fond sont souverains quant à l’interprétation et quant à la correcte application de la loi étrangère19. Votre position est claire en ce sens20.
Sous le couvert du grief tiré de la violation des articles 1143, 1137 et 1130 du Code civil français, les deuxième, troisième et quatrième moyens ne tendent qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de l’interprétation et de l’application de la loi étrangère, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et qui échappe au contrôle de Votre Cour.
Il en suit que les trois moyens de cassation ne sauraient être accueillis.
Conclusion A titre principal : le pourvoi est irrecevable 18 Arrêt attaqué, page 8, 1er alinéa 19 J. et L. BORE, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz 2023/2024, page 271, n°62.71 ss 20 Voir, à titre d’illustration : Cass. 1er avril 2021, n°55/2021, n°CAS-2020-
00041 du registre, réponse aux premier et deuxième moyens réunis ; Cass. 17 décembre 2009, n°62/09, n° 2679 du registre, réponse au troisième moyen A titre subsidiaire : le pourvoi est non fondé Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Simone FLAMMANG 12