N° 44 / 2025 du 13.03.2025 Numéro CAS-2024-00082 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, treize mars deux mille vingt-cinq.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) SPF, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Clara MARA-MARHUENDA, avocat à la Cour, et la société unipersonnelle à responsabilité limitée de droit italien SOCIETE2.) SRL, établie et ayant son siège social à I-ADRESSE2.), représentée par le gérant, identifiée suivant le numéro de TVA IT NUMERO2.), défenderesse en cassation.
Vu l’arrêt attaqué numéro 27/24-VIII-TRAV rendu le 14 mars 2024 sous le numéro CAL-2022-00451 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, huitième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 24 mai 2024 par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) SPF à la société de droit italien SOCIETE2.) SRL, déposé le 28 mai 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Sur les conclusions du premier avocat général Monique SCHMITZ.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la défenderesse en cassation avait fait pratiquer saisie-
arrêt sur les comptes bancaires de la demanderesse en cassation sur base d’une autorisation du Président du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg.
Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait validé la saisie-arrêt à concurrence d’un certain montant sur base de deux sentences arbitrales étrangères et d’un arrêt de la Cour d’appel de Rome, rendus exécutoires au Luxembourg, après avoir dit qu’il n’y avait pas lieu à surséance en attendant l’issue de l’instance pendante devant la Cour de cassation italienne.
La Cour d’appel a confirmé le jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 6, paragraphe 1er, première phrase, de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, Convention EDH), aux termes duquel :
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
en ce que l'arrêt attaqué a retenu que SOCIETE1.) tirée d'un pouvoir souverain d'appréciation du juge de l'exécution quant à l'opportunité de l'exécution sur base des principes fondamentaux dégagés par la CEDH est à rejeter » (page 14 de l’arrêt) ;
aux motifs qu’ la CEDH (point 37 de l'arrêt) que la Cour EDH a reconnu une protection européenne à l'exécution d'un jugement susceptible d'une voie de recours non suspensive d'exécution en se basant sur deux arguments, dont le deuxième est notamment que la partie ayant invoqué la protection de l'article 6 paragraphe 1 er de la Convention EDH n'a formulé aucune demande de sursis à l'exécution, « ce qui lui était parfaitement loisible dans le cadre de la procédure du pourvoi en cassation partant sur le fond de l'affaire ».
revanche l'argumentation de la Cour EDH l'ayant amenée à nuancer sa jurisprudence résultant de la décision Ouzounis contre Grèce du 18 avril 2002 (ayant précisé que la protection européenne du droit à l'exécution ne profite pas aux décisions judiciaires qui sont susceptibles d'un appel et qui risquent d'être infirmées par une juridiction supérieure) est parfaitement transposable en l'espèce, étant donné que la situation factuelle, soit l'absence d'une demande de sursis à l'exécution de la décision de la Cour d’appel de Rome, est identique dans la présente espèce » (page 14 de l’arrêt) ;
alors qu’en refusant de prononcer le sursis à statuer en se basant sur une interprétation erronée de l’article 6 paragraphe 1er, première phrase, de la Convention EDH qui reconnaîtrait une protection européenne à l’exécution d’un jugement susceptible d’une voie de recours non suspensive d’exécution, l’arrêt attaqué a violé, sinon mal appliqué, sinon mal interprété ledit article. ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir refusé de prononcer le sursis à statuer en se basant sur une interprétation erronée de la disposition visée au moyen, qui reconnaîtrait une protection européenne à l’exécution d’un jugement susceptible d’une voie de recours non suspensive d’exécution.
L’appréciation de l’opportunité d’un sursis à statuer relève du pouvoir discrétionnaire du juge du fond, hors le cas où cette mesure est prévue par la loi.
Il résulte de l’arrêt attaqué que pour rejeter la demande tendant à voir ordonner la surséance à statuer en raison du pourvoi en cassation pendant en Italie, les juges d’appel ne se sont pas déterminés en considération des développements relatifs à l’argumentation de la demanderesse en cassation tirée d’un « pouvoir souverain d’appréciation du juge de l’exécution quant à l’opportunité de l’exécution sur base des principes fondamentaux dégagés par la CEDH », mais ont pris en considération le caractère exécutoire de la sentence arbitrale du 5 décembre 2014 respectivement de l’arrêt de la Cour d’appel de Rome du 11 décembre 2020 ainsi que les « intérêts respectifs des parties ».
La décision prise par les juges d’appel, dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation souverain, de ne pas surseoir à statuer étant justifiée par d’autres motifs, non critiqués aux termes du pourvoi, le moyen vise un motif surabondant.
Il s’ensuit que le moyen est inopérant.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 109 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, pour contradiction de motifs valant absence de motifs, aux termes desquels :
Article 109 de la Constitution :
Article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile :
d'Etat, s'il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l'exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements. » ;
en ce que l’arrêt attaqué a constaté que société SOCIETE2.) porte uniquement sur les frais procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012. » (page 10 de l’arrêt) ;
alors que l’arrêt (page 16 de l’arrêt attaqué) dans son dispositif en constatant que la validation porte SA SOCIETE1.) SPF (ci-après "la société SOCIETE1.)") pour sûreté, conservation et pour parvenir au paiement du montant de 7.028.805 euros (76.605 euros+ 9.880 euros+ 6.942.320 euros) à majorer des intérêts légaux, le tout tel que détaillé comme suit:
(pages 4 et 5 de l’arrêt attaqué) » et que saisie-arrêt pratiquée par la société SOCIETE2.) entre les mains des parties tierces saisies pré-indiquées pour assurer le recouvrement à charge de la société SOCIETE1.) du montant de 7.028.805 euros à majorer des intérêts légaux (au taux applicable suivant le droit italien, soit 2,50% pour les années 2012 et 2013, 1 % pour l'année 2014 , 0,50% pour l'année 2015, 0,20% pour l'année 2016, 0,10% pour l'année 2017, 0,30% pour l'année 2018 et 0,80% à partir du 1 er janvier 2019) et ce sur la somme de 6.700.000 euros à partir du 25 octobre 2012 , date de la demande, et sur 242.320 euros à partir du 5 décembre 2014, date de la décision, à chaque fois jusqu'à solde » (pages 5 et 6 de l’arrêt);
dès lors qu’en constatant que la validation est limitée aux seuls procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012 » mais en confirmant le jugement entrepris qui, par les propres constatations de l’arrêt, valide toute la saisie-arrêt pratiquée le 26 juin 2015, l’arrêt attaqué, qui s’est contredit, a violé les textes susvisés et encourt la cassation. ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel de s’être contredits quant à l’étendue de la saisie-arrêt pratiquée en ayant constaté, d’une part, que la validation de la saisie-arrêt était limitée aux seuls « frais procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012 », tout en confirmant, d’autre part, le jugement qui avait validé la saisie-arrêt pratiquée pour l’intégralité des montants découlant des deux sentences arbitrales et de l’arrêt de la Cour d’appel de Rome.
Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.
Le moyen procède d’une lecture incomplète de l’arrêt attaqué.
En retenant « La société SOCIETE1.) soutient encore qu’en demandant la validation de la saisie-arrêt sur base de deux sentences arbitrales contradictoires, la société SOCIETE2.) l’aurait induit en erreur sur ses intentions.
Concernant la sentence arbitrale du 14 mars 2012 ayant condamné la société SOCIETE1.) à l’exécution de ses obligations découlant de la convention du 30 novembre 2007, la Cour constate que l’ordonnance d’exequatur du 26 mai 2015 déclare exécutoire au Grand-Duché de Luxembourg comme s’il émanait d’une juridiction indigène l’arrêt du 17 juin 2014 rendu par la Cour d’Appel de Rome, ayant rejeté le recours à l’encontre de cette ordonnance arbitrale.
Cependant, par un arrêt du 16 mai 2019 (n°77/2019), la Cour d’appel a retenu que .
Par ailleurs, la saisie-arrêt dont la validation est actuellement recherchée par la société SOCIETE2.) porte uniquement sur les frais procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012.
Aucune position contradictoire pouvant induire en erreur la société SOCIETE1.) n’a dès lors été adoptée par la société SOCIETE2.). » et « La société SOCIETE1.) soutient que la société SOCIETE2.) un dessein de nuire, respectivement avec une légèreté blâmable, alors qu’elle a abusé de son droit de pratiquer saisie-arrêt sur base de deux sentences arbitrales contradictoires dont une n’est pas encore définitive. » Elle demande l’irrecevabilité de la demande en validation de la saisie-arrêt dans la mesure où elle est basée sur deux sentences arbitrales contradictoires.
Il résulte des développements qui précèdent que seule une exécution partielle de la sentence arbitrale du 14 mars 2012 portant sur les seuls frais occasionnés par cette première procédure arbitrale est recherchée par la société SOCIETE2.).
Aucun abus de droit ne saurait partant être retenu dans le chef de la société SOCIETE2.). », les juges d’appel ont uniquement motivé le rejet des moyens de la demanderesse en cassation relatifs à l’exécution de deux sentences arbitrales contradictoires en précisant que la défenderesse en cassation ne demandait plus l’exécution de la sentence arbitrale du 14 mars 2012 concernant le volet de la cession d’action, mais limitait sa demande relative à l’exécution de cette sentence arbitrale aux seuls frais procéduraux d’arbitrage, sans se prononcer dans le cadre de cet examen sur la demande en validation de la saisie-arrêt portant sur la sentence arbitrale du 5 décembre 2014 et l’arrêt de la Cour d’appel de Rome.
Ils pouvaient dès lors, sans se contredire, confirmer le jugement de première instance en ce qu’il avait validé la saisie-arrêt à concurrence d’un certain montant sur base des deux sentences arbitrales et de l’arrêt de la Cour d’appel de Rome.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré du défaut de base légale au regard de l’article 61 du Nouveau code de procédure civile aux termes duquel :
applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée », en ce que l'arrêt attaqué a jugé que être retenu dans le chef de la société SOCIETE2.) » (page 10 de l’arrêt) aux motifs que SOCIETE2.) "a agi dans un dessein de nuire, respectivement avec une légèreté blâmable, alors qu'elle a abusé de son droit de pratiquer saisie-arrêt sur base de deux sentences arbitrales contradictoires dont une n'est pas encore définitive." Elle demande l'irrecevabilité de la demande en validation de la saisie-arrêt dans la mesure où elle est basée sur deux sentences arbitrales contradictoires.
Il résulte des développements qui précèdent que seule une exécution partielle de la sentence arbitrale du 14 mars 2012 portant sur les seuls frais occasionnés par cette première procédure arbitrale est recherchée par la société SOCIETE2.) » (page 10 de l’arrêt), alors qu’en statuant ainsi, sans préciser objectivement le fondement légal de l’abus de droit pour prononcer le rejet de la demande, la Cour d’appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir rejeté son argument tiré de l’abus de droit sans en avoir précisé le fondement légal. Elle invoque partant le défaut de base légale.
Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires à la mise en œuvre de la règle de droit.
En retenant « La société SOCIETE1.) soutient que la société SOCIETE2.) un dessein de nuire, respectivement avec une légèreté blâmable, alors qu’elle a abusé de son droit de pratiquer saisie-arrêt sur base de deux sentences arbitrales contradictoires dont une n’est pas encore définitive. » Elle demande l’irrecevabilité de la demande en validation de la saisie-arrêt dans la mesure où elle est basée sur deux sentences arbitrales contradictoires.
Il résulte des développements qui précèdent que seule une exécution partielle de la sentence arbitrale du 14 mars 2012 portant sur les seuls frais occasionnés par cette première procédure arbitrale est recherchée par la société SOCIETE2.).
Aucun abus de droit ne saurait partant être retenu dans le chef de la société SOCIETE2.). », les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, indiqué les raisons de fait qui les ont amenés à rejeter l’argument de la demanderesse en cassation tiré de l’abus de droit.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du procureur général d’Etat adjoint Serge WAGNER et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) S.à r.l. c/ la société unipersonnelle à responsabilité limitée de droit italien SOCIETE2.) SRL Unipersonale (affaire n° CAS-2024-00082 du registre) Le pourvoi en cassation introduit par l’étude d’avocats ARENDT et MEDERNACH SA, au nom et pour le compte de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) S.à r.l., ci-après dénommée la société SOCIETE1.), par mémoire en cassation daté au 21 mai 2024, déposée au greffe de la Cour supérieure de justice en date du 28 mai 2024, est dirigé contre l’arrêt n° 27/24-
VIII-TRAV, rendu contradictoirement le 14 mars 2024 entre la société SOCIETE1.) préqualifiée et la société unipersonnelle à responsabilité limitée de droit italien SOCIETE2.) SRL Unipersonale, dénommée ci-après la société SOCIETE2.), par la Cour d’appel, huitième chambre, siégeant en matière civile1, dans la cause inscrite sous le n° CAL-2022-00541 du rôle.
Il ressort des pièces versées au dossier2 que l’arrêt dont pourvoi a fait l’objet d’une signification à la société SOCIETE1.) en date du 29 mars 2024.
Quant à la signification du mémoire en cassation à la partie défenderesse en cassation, ayant son siège social en Italie, il y a lieu de se référer au Règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (ci-
après le Règlement), applicable à partir du 1er juillet 2022, pour examiner sa régularité.
Aux termes de l’article 13 du Règlement, « 1. Sans préjudice de l’article 12, paragraphe 5, la date de la signification ou de la notification effectuée en vertu de l’article 11 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément au droit de l’Etat membre requis.
2. Toutefois, lorsque le droit d’un Etat membre exige qu’un acte soit signifié ou notifié dans un délai déterminé, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par le droit de cet Etat membre. ( …).».
En application du point du 2 du prédit article 13, il y a lieu de se référer au droit national, soit l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile luxembourgeois qui prescrit à son alinéa 2 que « la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l’acte à l’autorité compétente pour l’expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l’étranger a été engagée ». Ladite disposition consacre la théorie de l’expédition.
1 la mention que l’arrêt est rendu en matière de droit du travail constitue une erreur matérielle, les juges d’appel ayant en réalité statué en matière civile (de saisie-arrêt) ;
2 cf. la farde de pièces de l’étude d’avocats ARENDT et MEDERNACH SA, pièce n° 1 ;
En l’occurrence, l'huissier de justice instrumentaire3 retient dans l'acte de signification qu'il a envoyé ceux copies de l'acte avec traduction en langue italienne, sous pli recommandé avec avis de réception à l'entité requise territorialement compétente, soit l’Ufficio Unico degli Ufficilai Giudziari - Cortze d’Appello di Roma à I-ADRESSE3.)., et qu'il a, pour autant que de besoin, envoyé une copie de l'acte avec traduction en langue italienne sous pli recommandée avec avis de réception au destinataire. Au dossier sont versés les récépissés d’expédition d’envoi recommandé datant du 24 mai 2024 à l’autorité centrale italienne préqualifiée et à la société SOCIETE2.) préqualifiée à I-ADRESSE4.).
La partie défenderesse en cassation n’a pas déposé de mémoire en réponse.
Si, certes les diligences de signification, effectuées dans le respect des modalités prévues à l’article 156 (2), ont été faites dans le délai légal de 2 mois, donc conformément à l'article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, et avant le dépôt du mémoire en cassation, donc conformément à l'article 10 de la même loi, et qu’en conséquence le mémoire en cassation est recevable quant au délai et quant à la forme, il y a toutefois lieu de vérifier si les droits de la défense de la défenderesse en cassation qui, contrairement aux multiples instances ayant précédé les présentes4, n'a pas comparu en instance de cassation, ont été respectés. En effet, si certes la théorie de l’expédition, en ce qu’elle permet de connaître toujours la date de la signification intervenue, a le mérite de la clarté et sert les intérêts du signifiant, il n’en demeure pas moins qu’elle heurte les garanties du procès équitable et les principes généraux du droit relatifs à l’égalité des armes et au respect des droits de la défense5.
Force est de constater qu’en l’occurrence il ne ressort pas du dossier soumis à Votre Cour si l’attestation d’accomplissement ou de non-accomplissement de la signification ou notification à établir par l’Etat requis, exigée aux vœux de l’article 14 du Règlement suite à l’exécution de la demande de signification ou notification, fut dressée. Il n’y a pas non plus eu de retour à l’huissier de justice instrumentaire suite à l’expédition par envoi recommandé au destinataire, aucun accusé de réception ne figurant au dossier.
Dans la mesure où en l’état actuel il n’y a aucune information, ni pièce justificative au dossier quant aux modalités de remise effective du mémoire en cassation à la partie défenderesse en cassation, il y a, avant tout autre progrès en cause, lieu de procéder en application de l’article 22 du Règlement.
Ladite disposition prescrit l’obligation de surseoir à statuer lorsque le défendeur ne comparaît pas et ce aussi longtemps « qu’il n’est pas établi que, soit la signification ou la notification de l’acte, soit la remise de l’acte a eu lieu dans un délai suffisant pour permettre au défendeur de se défendre et que :
a) l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par le droit de l’État membre requis pour la signification ou la notification d’actes dans le cadre d’actions nationales à des personnes se trouvant sur son territoire;
b) ou l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement. » 3 l’huissier de justice Christine KOVELETER ;
4 et dans lesquelles elle s’est fait représenter par l’étude d’avocats SCHILTZ & SCHILTZ ;
5 E. LEROY, « La communication transfrontalière des actes : le choix de la voie la plus performante doit être préféré », R.C.J.B., 2009, p. 85. ;
La soussignée se réserve le droit de conclure quant au fond de l’affaire, dès que la question du respect des droits de la défense dans le chef du destinataire du pourvoi en cassation est clarifiée au regard de l’article 22 du Règlement.
Luxembourg le 21 janvier 2025 Pour le Procureur général d’Etat Monique SCHMITZ 1ier avocat général Conclusions II du Parquet Général dans l’affaire de cassation la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) S.à r.l. c/ la société unipersonnelle à responsabilité limitée de droit italien SOCIETE2.) SRL Unipersonale (affaire n° CAS-2024-00082 du registre) Vu les conclusions du Parquet général du 21 janvier 2025 ;
Vu les pièces complémentaires communiquées par la partie demanderesse en cassation et transmises au Parquet général le 23 janvier 2025 ;
Quant à la régularité de la signification à la partie défenderesse en cassation :
La partie demanderesse en cassation a versé l’attestation d’accomplissement des formalités relatives à la signification et à la notification dont l’établissement est exigé par l’article 14 du Règlement. Il en appert sub 1.2.1 que 1.) l’acte a été signifié ou notifié selon le droit de l’Etat membre requis, donc la procédure italienne, qu’il a été délivré et qu’il fut réceptionné par une salariée de la société destinatrice. Plus précisément, il en ressort que l’autorité centrale italienne l’a transmis à un huissier de justice qui l’a notifié par envoi recommandé, réceptionné le 7 juin 2024.
Elle a également versé l’accusé de réception retourné à l’huissier de justice chargée par la partie demanderesse en cassation, ce suite à la notification diligentée par lui par la voie directe (par l’intermédiaire des services postaux) conformément à l’article 18 du Règlement par. Il en appert que l’envoi recommandé expédié par l’étude d’huissiers de justice CALVO-LISE-GEIGER fut réceptionné par la société destinatrice en date du 31 mai 2024.
Il y a lieu d’extraire des pièces complémentaires versées au dossier que la signification du mémoire en cassation à la partie défenderesse est régulière et que la société SOCIETE2.) avait la possibilité matérielle de se défendre par la rédaction d’un mémoire ne cassation.
Quant aux faits et rétroactes :
Pour une meilleure compréhension des moyens de cassation formulés par la société SOCIETE1.), il y a lieu de rappeler qu’en Italie deux procédures judiciaires entre parties se sont déroulées :
- une première procédure ayant abouti à une sentence arbitrale aux termes de laquelle la société SOCIETE1.) fut condamnée, en exécution de ses obligations contractuelles6, à céder endéans un délai déterminé et sous peine d’astreinte, à la société SOCIETE2.) des parts sociales, ainsi qu’aux frais de justice et frais d’arbitrage tels que ventilés aux termes de ladite sentence arbitrale ;
il s’agit de la sentence arbitrale du 14 mars 2012, dénommée par la suite dans les présentes la sentence arbitrale n°1, déclarée exécutoire au Luxembourg par ordonnance présidentielle (n° 55 du 26 mai 2015), confirmée en instance d’appel (arrêt n° 77/2019 du 16 mai 2019) ;
sur appel par la société SOCIETE1.) contre la sentence arbitrale n° 1, une juridiction d’appel italienne l’a confirmée et a condamné la société appelante SOCIETE1.) aux frais de justice (arrêt n° 3498/12 r.g. du 17 juin 2014) ; cette décision d’appel fut rendue exécutoire au Luxembourg par ordonnance présidentielle (n° 54 rendue le 26 mai 2015), confirmée en instance d’appel (arrêt n° 76/19 du 16 mai 2019) ; le pourvoi en cassation introduit par la société SOCIETE1.) contre l’arrêt confirmatif rendu par la Cour d’appel de Rome fut rejeté ;
- une seconde procédure ayant abouti à une autre sentence arbitrale rendue entre parties comme suite à l’inexécution par la société SOCIETE1.) de son obligation de cession arrêtée aux termes de la sentence arbitrale n° 1, et condamnant la société SOCIETE1.) au paiement de dommages et intérêts de l’ordre de 6.700.000 euros avec les intérêts légaux, ainsi que des frais et honoraires des arbitres, des frais de conseils techniques et des frais et honoraires d’avocat tels qu’arrêtés aux termes de ladite sentence arbitrale ;
il s’agit de la sentence arbitrale rendue 5 décembre 2014, dénommée par la suite dans les présentes la sentence arbitrale n° 2, déclarée exécutoire au Luxembourg par ordonnance présidentielle (n° 56 du 25 mai 2015), confirmée en appel (arrêt n° 78/2019 du 16 mai 2019) ;
la société SOCIETE1.) a formulé devant les juridictions italiennes une demande en suspension de l’exécution de la sentence arbitrale n° 2, demande rejetée par arrêt rendu le 14 juillet 2015 par la Cour d’appel de Rome ;
sur appel par la société SOCIETE1.) contre la prédite sentence arbitrale n° 2, elle fut confirmée par la Cour d’appel de Rome par arrêt n° 6281/2020 du 11 décembre 2020 ;
la société SOCIETE1.) a introduit un pourvoi en cassation contre le prédit arrêt confirmatif en date du 9 février 2021 ; il n’y a pas d’information au dossier si entretemps l’instance de cassation a été vidée.
Par arrêt dont pourvoi, la Cour d’appel a confirmé un jugement civil aux termes duquel le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a validé la saisie-arrêt pratiquée par la société SOCIETE2.) (par exploit de saisie-arrêt du 26 mai 2015) auprès de divers établissements bancaires en vue du recouvrement d’une somme de 7.028.805 euros (composée des montants suivants : 76.605 euros + 9.880 euros + 6.942.320 euros) à majorer des intérêts légaux. Lesdits 6 issues d’une convention entre parties du 30 novembre 2007 ;
montants correspondent aux frais de justice, frais d’arbitrages et frais et honoraires d’avocats tels qu’arrêtées aux termes des sentences arbitrales n° 1 et n° 2, ainsi que l’arrêt n° 3498/12 r.g.
rendu par la Cour d’appel de Rome.
La société SOCIETE1.), ayant réitéré en instance d’appel ses moyens de première instance, a, par réformation, conclu 1.) à l'irrecevabilité de la saisie-arrêt en faisant valoir deux moyens, soit la violation par la partie saisissante du principe de l’estoppel et l'abus de droit commis par cette dernière ;
à l'appui d’un chacun des moyens d'irrecevabilité, elle a invoqué le caractère contradictoire des sentences arbitrales n° 1 et n° 2, ce en ce que la sentence arbitrale n° 1 vise une condamnation à une cession des parts sociales en exécution d'une convention, alors que la sentence arbitrale n° 2 vise une condamnation au paiement de dommages et intérêts, partant deux décisions se heurtant par essence et ne pouvant faire l'objet d'une exécution conjointe ;
2.) à la surséance à statuer en attendant la décision à rendre par la Cour de cassation italienne sur le pourvoi introduit par elle contre l’arrêt n° 6281/2020 rendu le 11 décembre 2020 par la Cour d’appel de Rome ayant confirmé la sentence arbitrale n° 2 ;
à l’appui de sa demande elle invoqua le caractère non exécutoire du prédit arrêt.
A l’instar des premiers juges, la Cour d’appel 1.) a arrêté que les sentences arbitrales n° 1 et n° 2 ne sont pas contradictoires7 et à en conséquence déclaré les moyens d'irrecevabilité non fondés ;
2.) a retenu que le fait qu’un pourvoi en cassation soit pendant devant la Cour de cassation italienne, non suspensif selon la loi italienne, n’est pas de nature à priver l’arrêt confirmatif n° 6281/2020 du 11 décembre 2020, de son caractère exécutoire, et a dit non fondée la demande en surséance à statuer.
Considération préliminaire :
Dans la mesure où les contestations au fond par la société SOCIETE1.) par rapport à la saisie-
arrêt pratiquée par la société SOCIETE2.) portaient exclusivement sur le caractère exécutoire d’un des titres invoqués à la base de la validation de la saisie-arrêt (en ce qu’un pourvoi en cassation serait pendant l’arrêt confirmatif n° 6281/2020 du 11 décembre 2020 et que cette circonstance exigerait une surséance à statuer en attendant l’aboutissement de la procédure de cassation), il y a de prime abord lieu d’inviter la partie demanderesse en cassation à renseigner Votre Cour sur le sort réservé à la procédure de cassation pendante en Italie depuis le 9 février 2021, plus précisément si elle fut entretemps vidée par un arrêt de cassation.
La question est pertinente dans la mesure où elle est susceptible de rendre le pourvoi en cassation en tant que tel, voire pour le moins le 2ième moyen de cassation, ayant trait au caractère exécutoire de l’arrêt n° 6281/2020 du 11 décembre 2020, sans objet, voire inopérant.
7 cf. motivation des juges d’appel aux pages 8-9 de l’arrêt dont pourvoi ;
Le premier moyen de cassation :
Le premier moyen est tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 6, §1, de la CEDH aux termes duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
en ce que l'arrêt attaqué a retenu que « […], l'argumentation de la société SOCIETE1.) tirée d'un pouvoir souverain d'appréciation du juge de l'exécution quant à l'opportunité de l'exécution sur base des principes fondamentaux dégagés par la CEDH est à rejeter » (page 14 de l’arrêt);
aux motifs qu’ « Il résulte de la motivation de l'arrêt Ghitoi c. Roumanie de la CEDH (point 37 de l'arrêt) que la Cour EDH a reconnu une protection européenne à l'exécution d'un jugement susceptible d'une voie de recours non suspensive d'exécution en se basant sur deux arguments, dont le deuxième est notamment que la partie ayant invoqué la protection de l'article 6 paragraphe 1 er de la Convention EDH n'a formulé aucune demande de sursis à l'exécution, « ce qui lui était parfaitement loisible dans le cadre de la procédure du pourvoi en cassation partant sur le fond de l'affaire ».
Si dès lors le contexte de l'arrêt Ghitoi c. Roumanie est particulier, en revanche l'argumentation de la Cour EDH l'ayant amenée à nuancer sa jurisprudence résultant de la décision Ouzounis contre Grèce du 18 avril 2002 (ayant précisé que la protection européenne du droit à l'exécution ne profite pas aux décisions judiciaires qui sont susceptibles d'un appel et qui risquent d'être infirmées par une juridiction supérieure) est parfaitement transposable en l'espèce, étant donné que la situation factuelle, soit l'absence d'une demande de sursis à l'exécution de la décision de la Cour d’appel de Rome, est identique dans la présente espèce » (page 14 de l’arrêt) ;
alors qu’en refusant de prononcer le sursis à statuer en se basant sur une interprétation erronée de l’article 6 paragraphe 1er, première phrase, de la Convention EDH, qui reconnaîtrait une protection européenne à l’exécution d’un jugement susceptible d’une voie de recours non suspensive d’exécution, l’arrêt attaqué a violé, sinon mal appliqué, sinon mal interprété ledit article. » Aux termes du premier moyen de cassation il est fait grief à l'arrêt attaqué d’avoir refusé le sursis à statuer en se basant sur une interprétation erronée de l’article 6 §1 de la CEDH, le demandeur en cassation soutenant que le raisonnement des juges d’appel relèverait « d’une omission de prendre en considération les consignes constantes de la jurisprudence de la CEDH à cet égard » et qu’ils se seraient adonnés à une interprétation erronée de la jurisprudence Ghitoi c. Roumanie de la CrEDH.
Devant la juridiction d’appel la société SOCIETE1.) a demandé en ordre subsidiaire à voir ordonner la surséance à statuer, motivée par le fait qu’un pourvoi en cassation serait pendant à l’encontre de l’une des décisions invoquées à l’appui de la validation de la saisie-arrêt.
Elle a encore avancé qu’il incomberait au juge de l’exécution d’exercer son pouvoir d’appréciation en tenant compte de « l’absence d’un droit à l’exécution anticipée sur base des principes fondamentaux érigés par la Cour EDH », et d’examiner dans ce contexte le risque dans son chef d’être privée de facto de son droit au recours effectif, tout comme le risque de non-recouvrement par elle des sommes saisies par la société SOCIETE2.) en cas de décision de censure par la Cour de cassation italienne.
Les juges d’appel, après avoir précisé que8 l’article 373 italien dispose que « le recours en cassation ne suspend pas, automatiquement l’exécution de la décision: un recours ad hoc doit être adressé au juge qui a prononcé la décision objet du pourvoi », se sont déterminés comme suit :
« (…) la société SOCIETE1.) n’apporte aucun élément tendant à admettre l’existence d’une telle ordonnance de mise en suspens de l’arrêt de la Cour d’appel de Rome, objet du pourvoi en cassation, ni même affirme avoir fait une telle demande.
En l’absence d’une telle ordonnance de mise en suspens de la procédure, la sentence arbitrale du 5 décembre 2014, respectivement l’arrêt de la Cour d’appel de Rome du 11 décembre 2020 sont à considérer comme exécutoires en Italie et le seul fait qu’une instance est encore pendante en Italie devant la Cour de cassation n’est pas à lui seul suffisant pour justifier un sursis à statuer à prononcer par le juge de l’exécution. »9.
Force est de constater que les juges d’appel, par cette motivation employée, ont en réalité statué sur la demande en surséance et l’ont vidée en l’écartant. En conséquence, les développements subséquents, relatif à l’examen par le juge de l’exécution de l’opportunité de la saisie-arrêt au regard des principes dégagés par la jurisprudence de la CrEDH par rapport au droit à l’exécution, constituent des motifs surabondants.
En amont de l’examen du moyen, il y a de prime abord lieu rappeler que le droit à l’exécution des décisions de justice, forgé depuis 1997 par la jurisprudence de la CrEDH au moyen d’un rattachement aux exigences du droit à un procès équitable10, se comprend exclusivement dans des contextes dits de non-exécution, l’ensemble des décisions européennes ayant trouvé leur source dans un contentieux issu de refus d’exécution, voire d’exécution tardive d’une décision définitive et obligatoire.
8 en s’appuyant sur l’avis juridique du professeur Bruno Nascimbene du 29 novembre 2016 produit par la société SOCIETE2.) ;
9 cf. p. 10-11 de l’arrêt dont pourvoi ;
10 cf. HORNSBY c GRECE du 19 mars 1997 et LUNARI c Italie du 11 janvier 2001 ; cf. Guillaume PAYAN, La jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme sur l’exécution forcée, p.73-79 ;
Plus concrètement, le droit à l’exécution protégé par l’article 6 §1 de la CEDH vise des situations où la partie créancière, en quête d’exécution, se trouve face à une partie condamnée à exécuter la décision de justice litigieuse qu’est un État ou une administration publique et qui ne s’exécute pas, voire des situations où un État n'a pas créé les conditions adéquates pour permettre au créancier privé d'obtenir son dû ou la réparation des conséquences d'une exécution tardive.
C’est donc l’inexécution, voire l'exécution tardive d’une décision de justice qui génère une violation de l’article 6 §1 de la CEDH et c’est le créancier de l’exécution et lui seul qui a qualité et intérêt à agir en application de l’article 6 §1 de la CEDH pour violation du droit à l’exécution.
Ainsi le droit à l’exécution au sens de l’article 6 §1 de la CEDH à vocation à être appliqué uniquement à des situations de non-exécution et la CrEDH condamne sur ce fondement les seules situations d’inexécution de décisions de justice.
S’y ajoute que le droit à l’exécution ne vise que les décisions qui sont « obligatoires et définitives11 ». Dès lors, les décisions non obligatoires et définitives sont exclues du champ d’application du droit à l’exécution protégé par l’article 6 §1 de la CEDH.
Force est de constater que l’espèce soumise à l’examen de Votre Cour ne se meut pas dans un contexte de non-exécution. Au contraire, à la base de l’arrêt dont pourvoi figurent des décisions judiciaires exécutées par saisie-arrêt, mais dont l’exécution est critiquée par le débiteur à l’exécution. Dès lors s’impose la déduction que la demanderesse en cassation, débitrice de l’obligation d’exécution, n’avait pas qualité à invoquer une violation du droit à l’exécution en application de l’article 6 §1 de la CEDH.
S’y ajoute que la demanderesse en cassation, en faisant valoir que l’une des décisions exécutées à son encontre serait une décision non irrévocable (un pourvoi en cassation étant pendant), exclut nécessairement la protection du droit à l’exécution, partant le champ d’application de l’article 6 §1 de la CEDH. A fortiori elle ne saurait exciper d’une violation du droit à l’exécution d’une décision judiciaire rattaché à l’article 6 §1de la CEDH.
Les conditions d’application du droit à l’exécution n’étant pas réunies en l’occurrence, la disposition légale visée au moyen est étrangère à l’espèce et ni une violation de l’article 6 §1 de la CEDH, ni a fortiori une fausse interprétation des principes dégagés de ce droit à l’exécution ne se conçoivent.
Partant, le moyen sous examen est ab initio à déclarer irrecevable.
* Pour le surplus, en conséquence de ce qui précède, les juges d’appel n’avaient pas à se lancer à un examen d’opportunité de la saisie-arrêt à la lumière de la jurisprudence européenne discutée de part et d’autre en relation avec le droit à l’exécution. Toutefois, dans la mesure où conformément à ce qui précède les développements y relatifs sont surabondants, le moyen, en 11 cf. HORNSBY c GRECE du 19 mars 1997 et LUNARI c Italie du 11janvier 2001 ;
ce qu’il est dirigé contre des motifs non décisoires, est, en ordre subsidiaire inopérant. Donc, même si on devait retenir que les juges du fond aient entrepris une interprétation de l’arrêt Ghitoi c Roumanie différente de celle de la doctrine, les critiques y relatives seraient vaines.
* Même à supposer que les juges du fond étaient en droit d’exercer ce pouvoir souverain d’appréciation à la demande de la partie appelante, force est encore de constater que ledit exercice les a amenés à rejeter l’argumentaire de la société SOCIETE1.). Dans la mesure où les appréciations relevant du pouvoir souverain des juges du fond échappent au contrôle de la Cour de cassation, le moyen ne saurait être accueilli sous ce regard.
* En dernier ordre de subsidiarité, les juges du fond ne sont pas mépris sur GHITOI c ROUMAINIE en ce qu’ils ont dit que les enseignements à en puiser sont transposables au cas d’espèce.
Finalement, pour être complet, le principe soutenu par la partie demanderesse et tiré de « l’absence d’un droit à l’exécution anticipée sur base des principes fondamentaux érigés par la Cour EDH », n’a pas été énoncé par la CrEDH, qui n’a jamais arrêté qu’un Etat violerait l’article 6§1 CEDH en validant une saisie sur base d’un titre susceptible d’une voie de recours non suspensive.
Le deuxième moyen de cassation :
Le deuxième moyen est tiré de la violation de l'article 109 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du NCPC, pour contradiction de motifs valant absence de motifs, en ce que les juges d’appel, en constatant que la validation est limitée aux seuls « frais procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012 », mais en confirmant le jugement entrepris qui a validé toute la saisie-arrêt pratiquée le 26 juin 2015 », voire « qui avait validé la saisie-arrêt pour l’intégralité des montants découlant des sentences contradictoires et de l’arrêt RG n°3498/12 rendu le 17 juin 2014 par Cour d’appel de Rome », ils se sont nécessairement contredits.
Il appert du moyen, lu conjointement avec la discussion subséquente, qu’il porte sur l’étendue de la saisie-arrêt pratiquée en l’occurrence et que la demanderesse en cassation semble invoquer invoque une double contradiction, soit une contradiction entre les motifs et le dispositif et une contradiction entre les motifs.
Elle extrait ce vice de forme du fait qu'en réalité les juges d'appel auraient validé pour moins que les premiers juges ne l'auraient fait. Comme ces derniers auraient validé pour le tout, les juges d’appel se seraient contredits en confirmant les premiers juges.
Toutefois le moyen procède d'une lecture erronée de l'arrêt dont pourvoi et la demanderesse en cassation excipe d’une contradiction là où il n’y en a pas.
En effet, le moyen sous examen part de la fausse prémisse comme quoi les juges d’appel auraient dit que la validation de la saisie-arrêt serait recherchée pour les seuls frais en relation avec la sentence arbitrale n° 1, donc, en d’autres termes, pour seulement la somme de 76.605 euros au titre des frais d’arbitrage et frais judiciaires.
Or, le passage reproduit par le demandeur en cassation à l’appui de son moyen est sorti de son contexte et est à situer dans le prolongement de la discussion ayant précédé au sujet du moyen tiré de la contradiction des sentences arbitrales dont exécution. A relire la motivation des juges d'appel12, ledit passage se comprend comme enseignement à puiser de l’arrêt n° 77/2019 rendu le 16 mai 2019 (dans le cadre de l’appel contre l’ordonnance présidentielle n° 55, reproduit par les juges d’appel) aux termes duquel il fut déjà arrêté qu’en ce qui concerne la sentence arbitrale de 2012 (n°1) la société SOCIETE2.) a limité sa demande d’exéquatur au seul volet des frais d’arbitrage et qu’elle ne demande plus l’exécution de ladite sentence concernant le volet de la cession d’action13.
In fine les juges d’appel ont retenu que l’exécution de la sentence arbitrale n° 1 est cantonnée aux seuls frais, que partant elle n’est pas contradictoire par rapport à la sentence n° 2 et l'arrêt confirmatif n° 6281/2020 rendu le 11 décembre 2020 par la Cour d'appel de Rome, qui constituent les autres titres à la base des autres montants dont recouvrement par la saisie-arrêt pratiquée en l’occurrence, soit pour les montants de 9.880 euros et 6.942.320 euros.
Le passage incriminé se comprend dès lors dans le sens que « la saisie-arrêt dont la validation est actuellement recherchée par la société SOCIETE2.) en ce qui concerne la sentence arbitrale du 14 mars 2012 (sentence arbitrale n°1)14 porte uniquement sur les frais procéduraux occasionnés par la sentence arbitrale du 14 mars 2012. » Les juges d’appel, en confirmant tant en termes de motivation, qu’en termes de dispositif les premiers juges, n’ont pas entaché leur arrêt d’un vice de contradiction entre les motifs et le dispositif.
Dans la mesure où quant à la contradiction alléguée entre les motifs, la partie demanderesse ne dit ni à l’énoncé même du moyen, ni dans la discussion subséquente en quoi les juges d’appel se seraient contredits dans leurs motifs, il n’y a pas lieu d’examiner autrement ce grief.
Le moyen sous examen n’est dès lors pas fondé.
Le troisième moyen de cassation :
Le troisième moyen de cassation est tiré du défaut de base légale au regard de l’article 61 du NCPC aux termes duquel : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits sans s'arrêter à 12 cf. p.8 de l’arrêt dont pourvoi ;
13 et ce dans le cadre de l’appréciation du même moyen de contradiction entre sentences arbitrales soulevé également par la société SOCIETE1.) dans cette instance d’appel contre l’ordonnance présidentielle n° 55 ;
14 passage mise en exergue rajoutée par la soussignée ;
la dénomination que les parties en auraient proposée », en ce que l'arrêt attaqué a jugé que « Aucun abus de droit ne saurait partant être retenu dans le chef de la société SOCIETE2.) » (page 10 de l’arrêt) aux motifs que « La société SOCIETE1.) soutient que la société SOCIETE2.) « a agi dans un dessein de nuire, respectivement avec une légèreté blâmable, alors qu'elle a abusé de son droit de pratiquer saisie-arrêt sur base de deux sentences arbitrales contradictoires dont une n'est pas encore définitive. » Elle demande l'irrecevabilité de la demande en validation de la saisie-arrêt dans la mesure où elle est basée sur deux sentences arbitrales contradictoires. Il résulte des développements qui précèdent que seule une exécution partielle de la sentence arbitrale du 14 mars 2012 portant sur les seuls frais occasionnés par cette première procédure arbitrale est recherchée par la société SOCIETE2.) » (page 10 de l’arrêt »), alors qu’en statuant ainsi, « sans préciser objectivement le fondement légal de l’abus de droit pour prononcer le rejet de la demande », la Cour d’appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
La demanderesse en cassation se méprend sur le mécanisme du défaut de base légale qui ne sanctionne pas l’absence d’indication formelle de la règle de droit, voire le fait de ne pas la reproduire textuellement ou de rappeler en quoi elle existe.
Au contraire, le défaut de base légale « se caractérise par une carence de l’exposition du fait » et « traduit qu’il manque à la base même de la décision un élément essentiel qui est nécessaire pour vérifier que les conditions d’application de la loi ont été respectées ». Est donc sanctionnée l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit15.
Rien que sous cet aspect, le moyen sous examen n’est pas fondé.
Pour le surplus, la demanderesse en cassation invoque le défaut de base légale par rapport à l’article 61 du NCPC qu’elle a reproduit dans l’énoncé même de son moyen. La disposition légale dont violation par défaut de base légale, figurant sous les principes directeurs du procès16, exige que le juge donne aux faits leur juste qualification en droit, les parties n’ayant aucune obligation de qualifier juridiquement le contexte factuel avancé à l’appui de leurs prétentions.
Une lecture stricte du moyen sous examen devrait commander la conclusion qu’il est irrecevable en ce que ni le grief, ni la discussion subséquente ne visent l’obligation de qualification et de requalification incombant au juge, et qu’ils sont en conséquence étrangers à l’article 61 du NCPC dont la violation par défaut de base légale est invoquée.
Même à supposer que la demanderesse en cassation se soit méprise en termes de libellé de la disposition légale dont violation et qu’il y aurait lieu d’admettre qu’elle ait visé en réalité le défaut de base légale par rapport à l’article 6-1 du Code civil, disposant que « Tout acte ou tout fait qui excède manifestement, par l'intention de son auteur, par son objet ou par les circonstances dans lesquelles il est intervenu, l'exercice normal d'un droit, n'est pas protégé par la loi, engage la responsabilité de son auteur et peut donner lieu à une action en cessation pour empêcher la persistance dans l'abus », toujours est-il que le grief tiré d’un défaut de base légale par rapport à cette disposition légale n’est pas justifié non plus en ce qui suit.
15 BORE, La cassation en matière civile, 6e édition, n° 78.21, 78.31 et 78.32 ;
16 cf. TITRE II, section 5, du NCPC ;
Il appert de l’arrêt dont pourvoi que la société SOCIETE1.) a invoqué l’abus de droit pour voir déclarer irrecevable la demande en validation de la saisie-arrêt, motifs pris que la partie saisissante, en basant sa demande sur deux sentences arbitrales contradictoires, aurait agi dans un dessin de nuire voire avec une légèreté blâmable.
La Cour d’appel, par renvoi à ses développements antérieurs17, a constaté qu’en ce qui concerne la sentence arbitrale n° 1 la partie saisissante a cantonné la saisie-arrêt aux seuls frais de procédure engendrée par cette procédure. Dans la mesure où ce constat exclut la contradiction invoquée par la partie saisie à l’appui de son moyen d’irrecevabilité tiré de l’abus de droit, il tombe sous le sens que l’abus de droit, fondé exclusivement sur la prétendue contradiction entre les sentences arbitrales n°1 et n° 2, ne se conçoit pas.
Les juges d’appel ont donc donné une base légale à leur déduction qu’aucun abus de droit ne saurait être retenu dans le chef de la partie saisissante.
En ce qu’ils ont procédé par des constatations propres et en ce que, pour le surplus, ils ont, certes implicitement mais nécessairement, dit qu’au regard de l’absence de contradiction entre les sentences arbitrales en cause, la partie saisissante n’a pas agi dans une intention de nuire, ni avec une légèreté blâmable au sens de l’article 6-1 du Code civil, le moyen tiré du défaut de base légale n’est pas fondé.
A CES CAUSES :
déclarer le pourvoi recevable en a forme, avant tout autre progrès en cause :
inviter la partie demanderesse en cassation à renseigner Votre Cour sur le sort réservé à la procédure de cassation pendante devant la Cour de cassation italienne depuis le 9 février 2021, en tout état de cause rejeter le pourvoi.
Luxembourg le 3 février 2025 Pour le Procureur général d’Etat Monique SCHMITZ 1ier avocat général 17 aux p. 8 et 7 de l’arrêt dont pourvoi ;