N° 27 / 2025 pénal du 13.02.2025 Not. 34810/19/CD, 16835/20/CD, 17291/20/CD, 5537/21/CD et 14619/21/CD Numéro CAS-2024-00107 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, treize février deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Portugal), demeurant à L-
ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 juin 2024 sous le numéro 185/24 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 5 juillet 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 11 juillet 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef de diverses infractions à une peine d’emprisonnement ferme et à une amende, sans lui accorder le bénéfice d’une exemption ou réduction de peine en application de l’article 31 de la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie (ci-après « la loi du 19 février 1973 ») pour la commission d’infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973. La Cour d’appel avait confirmé le jugement.
Par arrêt du 7 décembre 2023, la Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt dans la limite du moyen tiré de la violation de l’article 31 de la loi modifiée du 19 février 1973 et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel, autrement composée.
La Cour d’appel, après avoir déterminé les limites de sa saisine suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation, a, par réformation, réduit le quantum des peines prononcées à l’encontre du demandeur en cassation.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, en ce que l’arrêt attaqué n’a statué que sur la détermination de la peine à prononcer contre le demandeur en cassation sans statuer sur les déclarations de culpabilité, et que la saisine de la Cour d’appel serait limitée à la détermination de la peine à prononcer à l’encontre du prévenu, alors que selon l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, Lorsque la cour cassera ou annulera un arrêt ou un jugement, elle déclarera nuls et de nul effet lesdites décisions judiciaires et les actes qui s'en sont suivis, et elle remettra les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision cassée ou annulée. (…) ».
Réponse de la Cour L’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi du 18 février 1885 ») dispose « Lorsque la cour cassera ou annulera un arrêt ou un jugement, elle déclarera nuls et nul effet les dites décisions judiciaires et les actes qui s’en sont suivis, et elle remettra les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision cassée ou annulée. (…) ».
2 Cette disposition est applicable en matière pénale en tant que règle supplétive, dès lors que la section II « De la procédure en matière pénale » de la loi du 18 février 1885 ne prévoit pas de règles propres à la procédure pénale au sujet de la portée de la cassation.
Le dispositif de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2023 ayant énoncé « Par ces motifs, sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen de cassation, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 29 mars 2023 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, sous le numéro 147/23 X., en ce qu’il a confirmé le jugement de première instance ayant refusé l’application de l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 aux peines d’emprisonnement et d’amende prononcées pour les infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973, commises depuis mars/avril 2018 jusqu’au 26 mai 2019 ; (…) », ce dont il résulte que la cassation ainsi prononcée était limitée à la non-
application de l’article 31 de la loi du 19 février 1973, c’est à bon droit que la juridiction de renvoi a limité sa saisine à l’application de cette disposition légale et en a exclu la déclaration de culpabilité du prévenu.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 195-1 du Code de procédure pénale, en ce que la Cour d’appel a prononcé une peine d’emprisonnement ferme de 15 mois, alors que conformément à l’article 195-1 du Code de procédure pénale, en matière correctionnelle et criminelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement (…) sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure. ».
Réponse de la Cour Vu l’article 195-1 du Code de procédure pénale qui dispose « En matière correctionnelle et criminelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement ou de réclusion sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure. Toutefois, il n’y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. ».En prononçant une peine d’emprisonnement ferme sans avoir spécialement motivé le refus d’accorder un sursis au prévenu, les juges d’appel ont violé l’article susvisé.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation sur ce point.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 11 juin 2024 par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle, sous le numéro 185/24 V., en ce qu’il n’a pas motivé le refus d’accorder un sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties, dans les limites de la cassation prononcée, dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de l’arrêt annulé ;
laisse les frais de l’instance en cassation à charge de l’Etat.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, treize février deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Anne MOROCUTTI, conseiller à la Cour d’appel, Antoine SCHAUS, conseiller à la Cour d’appel, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public N° CAS-2024-00107 du registre Par déclaration faite le 5 juillet 2024 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre un arrêt n° 185/24 rendu le 11 juin 2024 par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle.
Cette déclaration de recours a été suivie le 11 juillet 2024 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « loi modifiée du 18 février 1885 »), signé par Maître Nicky STOFFEL.
Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.
Il en suit que le pourvoi est recevable.
Faits et rétroactes Par jugement n° 2059/2022 du 15 juillet 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre correctionnelle, a acquitté PERSONNE1.) de l’infraction de recel et l’a condamné du chef d’infractions aux dispositions de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, du chef de port public de faux nom, du chef de cel frauduleux ainsi que du chef d’infractions aux articles 8.1.a), 8.1.b) et 8-1 de la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie (ci-après la loi modifiée du 19 février 1973) à une peine d’emprisonnement de 18 mois et à une amende de 3.000 euros.
Le demandeur en cassation a interjeté appel contre cette décision. Tout comme en première instance, il s’est prévalu de l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 qui prévoit une exemption de peine au profit de coupables qui, avant toute poursuite judiciaire, ont révélé à l’autorité l’identité d’auteurs d’infractions ou l’existence d’infractions à cette loi.
Quant à ce point, la Cour d’appel a considéré qu’« en l’espèce, les révélations, auxquelles se réfèrent PERSONNE1.) et son mandataire afin de conclure à l’exemption de peine, ont été faites dans le cadre du procès-verbal numéro 30908/2019 du 25 mai 2019 du commissariat Luxembourg (C3R) dressé à l’encontre du prévenu notamment pour infractions aux articles 7.A.1 et 8.1.a) et b) de la loi modifiée du 19 février 1973.
Les révélations n’ont dès lors pas été faites avant toute poursuite judiciaire, de sorte que le point 1. de l’article 31 précité ne trouve pas à s’appliquer ».
Par arrêt du 29 mars 2023, la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris en ce qui concerne le demandeur en cassation.
En date du 7 décembre 2023, Votre Cour a cassé cet arrêt pour violation de l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973. En effet, aux termes de cet arrêt, « en retenant « les révélations, auxquelles se réfèrent PERSONNE1.) et son mandataire afin de conclure à l’exemption de peine, ont été faites dans le cadre du procès-verbal numéro 30908/2019 du 25 mai 2019 (…) » et « n’ont dès lors pas été faites avant toute poursuite judiciaire » pour en déduire que le paragraphe 1, point b), de l’article 31 précité ne trouvait pas à s’appliquer aux infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973 commises avant la date de rédaction du procès-verbal et retenues à charge du demandeur en cassation, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen ».
Statuant sur renvoi de l’affaire, la Cour d’appel, autrement composée, a, par réformation, prononcé contre le demandeur en cassation une peine d’emprisonnement de 15 mois et une amende de 1.500 euros. Dans leur arrêt du 11 juin 2024, les juges d’appel ont déduit de l’arrêt de cassation que Votre Cour a pris soin de préciser expressément, dans la motivation et dans le dispositif, la portée de la cassation prononcée pour en conclure que celle-ci est limitée à la peine et plus précisément à l’application de l’article 31 de la loi modifiée du 19 février 1973 dans la détermination de cette peine et que les déclarations de culpabilité ont été définitivement toisées par l’arrêt d’appel du 29 mars 2023.
Les juges d’appel ont fait bénéficier le demandeur en cassation de l’exemption des peines d’emprisonnement et d’amende prévue par l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 pour les infractions aux articles 8. 1. a) et b) de la prédite loi, commises avant la date de la dénonciation. Comme le demandeur en cassation avait cependant également été convaincu d’infractions à la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, aux articles 231 et 505 du Code pénal, ainsi que d’infractions aux articles 8 1. b) et 8-1 de la loi modifiée du 19 février 1973 commisesentre le 26 mai 2019 et le 27 octobre 2019, ils ont condamné le demandeur en cassation aux peines mentionnées ci-dessus.
Le pourvoi est dirigé contre ce dernier arrêt datant du 11 juin 2024.
Quant au premier moyen de cassation :
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 en ce que l’arrêt attaqué n’a statué que sur la détermination de la peine à prononcer contre le demandeur en cassation sans statuer sur les déclarations de culpabilité et a retenu que la saisine de la Cour d’appel était limitée à la détermination de la peine à prononcer contre le demandeur en cassation alors que, selon la disposition visée au moyen, lorsque la Cour de cassation cassera ou annulera un arrêt ou jugement, elle déclarera nuls et de nul effet lesdites décisions judiciaires et les actes qui s’en sont suivis et elle remettra les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision cassée ou annulée.
Le moyen est tiré de la violation de l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885.
Or, cet article, qui décrit les effets de la cassation en matière civile et commerciale, procédure régie par la Section I, du Chapitre II, de la loi modifiée du 18 février 1885, regroupant les articles 7 à 39 de celle-ci, est en soi inapplicable à la procédure de cassation en matière pénale, qui est régie par la Section II du Chapitre II de la loi, regroupant les articles 40 à 49 de la loi. Si les articles 46, 47 et 49 de la loi opèrent certains renvois à des articles de la Section I du Chapitre II, aucun tel renvoi n’est formellement opéré à l’article 28 de la loi. L’article 40 de celle-ci dispose, au contraire, que « la procédure en matière criminelle, correctionnelle et de police est réglée par le Code d’instruction criminelle (devenu le Code de procédure pénale), pour autant que les dispositions n’en sont pas modifiées par celles qui vont suivre » et qui sont exposées dans les articles 41 à 49 de la loi. Une disposition analogue à l’article 28 de la loi modifiée du 18 février 1885 figure, en matière de cassation en matière pénale, dans l’article 407 du Code de procédure pénale, qui dispose que « les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle ou de police, peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public, le prévenu ou la partie civile (…) ». L’article 48 de la loi modifiée du 18 février 1885 complète cette disposition en conférant à Votre Cour le pouvoir, après cassation, de retenir le fond ou de renvoyer la cause1.
Le moyen aurait donc dû être tiré de la violation de l’article 407 du Code de procédure pénale, de sorte que la disposition visée au moyen est étrangère au grief formulé. Il en suit que le moyen est irrecevable.
A titre subsidiaire, et dans la mesure où les effets de la cassation en matière pénale sont, en principe, analogues à ceux en matière civile et commerciale, il convient d’analyser 1 Voir : conclusions de Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY dans l’affaire CAS-2022-
00058 du registre, précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2023, n° 49 / 2023 pénal. plus en détail Votre jurisprudence quant à la question de l’étendue des effets des arrêts de cassation.
Par arrêt du 24 novembre 2022, Votre Cour a jugé que :
« La cassation prononcée ne saurait avoir, quelle que soit la formulation du dispositif de l’arrêt de cassation, une portée plus grande que le moyen qui lui sert de base.
(…) Si la cassation n’a pas une portée plus grande que le moyen qui lui sert de base, elle a cependant pour effet de remettre la cause et les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision annulée et la cassation qui atteint un chef de dispositif n’en laisse rien subsister quel que soit le moyen qui a déterminé cette annulation.
L’arrêt cassé du 14 décembre 2016 avait, en son dispositif, confirmé le jugement du tribunal d’arrondissement, sans avoir opéré de distinction entre les différents moyens présentés par l’appelant tendant à sa réformation, de sorte que la cassation prononcée a remis en débat l’ensemble des moyens invoqués par le demandeur en cassation à l’appui de sa demande en réparation »2.
Statuant sur un moyen d’ordre public proposé par le Ministère public, Votre Cour a encore récemment confirmé que :
« Si la cassation n’a pas une portée plus grande que le moyen qui lui sert de base, elle a cependant pour effet de remettre la cause et les parties au même état où elles se sont trouvées avant la décision annulée et la cassation qui atteint un chef de dispositif n’en laisse rien subsister quel que soit le moyen qui a déterminé cette annulation »3.
Selon Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY, « le terme « chef de dispositif » est à comprendre dans le sens formel du « dispositif » visé par l’article 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile ou, en matière pénale, à titre d’illustration par l’article 195, alinéa 2, du Code de procédure pénale, donc sans prise en considération complémentaire des motifs de l’arrêt cassé visés par le moyen retenu par votre Cour. La cassation d’un « chef de dispositif » a donc pour effet de mettre à néant, outre les motifs critiqués par le moyen de cassation retenu par votre Cour, également d’éventuels autres motifs sur lesquels ce « chef de dispositif » repose également. Il importe à cet effet peu que ces motifs n’aient pas été attaqués par le pourvoi ou qu’ils aient même été attaqués, mais que le pourvoi a été rejeté sur ce point.
L’étendue de la cassation sera d’autant plus importante que le domaine du « chef de dispositif » cassé a été large4 ».
2 Cass., 24 novembre 2022, n° 141/2022, n° CAS-2021-00120 du registre avec les conclusions de Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY.
3 Cass., 30 mars 2023, n° 40/2023, n° CAS-2022-00080 du registre avec les conclusions de Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY.
4 Conclusions de Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY dans l’affaire CAS-2022-00058 du registre précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2023, n° 49/2023 pénal.
De même, dans le cadre de ses conclusions précédant l’arrêt du 30 mars 2023, Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint a encore exposé ce qui suit :
« Il est de ce point de vue difficile de concevoir de « chef de dispositif » plus large que celui dans lequel une juridiction d’appel se limite à déclarer l’appel non fondé. Par ce « chef de dispositif », elle rejette simultanément, sans distinction, tous les moyens d’appel. Si ce « chef de dispositif » est cassé, même seulement en raison de l’admission de la critique concernant les motifs relatifs à l’un des moyens d’appel, cette cassation s’étant à tous les autres moyens d’appel. Aux fins de limiter l’effet de la cassation il se recommande donc que les juges du fond précisent davantage les dispositifs de leurs décisions, en statuant sur chacun des moyens d’appel dans le cadre d’un dispositif propre. Ce même effet peut être atteint, de façon encore plus facile, si votre Cour précise la portée de vos arrêts de cassation, donc évite dans la mesure du possible des cassations prononcées en termes généraux »5.
En l’espèce, Votre Cour a précisé la portée de la cassation intervenue. En effet, l’arrêt de cassation est motivé comme suit :
« Vu l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973.
Il ressort du jugement de première instance que les poursuites judiciaires à l’encontre du demandeur en cassation ont été entamées par une citation à prévenu du 8 juin 2022.
En retenant « les révélations, auxquelles se réfèrent PERSONNE1.) et son mandataire afin de conclure à l’exemption de peine, ont été faites dans le cadre du procès-verbal numéro 30908/2019 du 25 mai 2019 (…) » et « n’ont dès lors pas été faites avant toute poursuite judiciaire » pour en déduire que le paragraphe 1, point b), de l’article 31 précité ne trouvait pas à s’appliquer aux infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973 commises avant la date de rédaction du procès-verbal et retenues à charge du demandeur en cassation, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation sur le point considéré ».
Aux termes du dispositif de Votre arrêt :
« La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 29 mars 2023 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, sous le numéro 147/23 X., en ce qu’il a confirmé le jugement de première instance ayant refusé l’application de l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 aux peines d’emprisonnement et d’amende prononcées pour les infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973, commises depuis mars/avril 2018 jusqu’au 26 mai 2019 ;
5 Passage souligné par la soussignée.déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;
(…) ».
Au vu ce cette précision quant à l’étendue de la cassation, il faut conclure que l’arrêt de la Cour d’appel n’est annulé que dans la mesure où il a « confirmé le jugement de première instance ayant refusé l’application de l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 aux peines d’emprisonnement et d’amende prononcées pour les infractions aux articles 8.1.a) et 8.1.b) de la loi modifiée du 19 février 1973, commises depuis mars/avril 2018 jusqu’au 26 mai 2019 ».
Comme l’article 31, paragraphe 1, point b) de la loi modifiée du 19 février 1973 n’a trait qu’à une exemption de peine dont peut bénéficier le demandeur en cassation pour certaines infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 commises avant la dénonciation faite le 25 mai 2019, la déclaration de culpabilité du demandeur en cassation en ce qui concerne les infractions à la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, aux articles 231 et 505 du Code pénal et aux articles 8 1. b) et 8-1 de la loi modifiée du 19 février 1973 commises du 26 mai 2019 jusqu’au 27 octobre 2019 n’est pas affectée par l’arrêt de cassation.
A noter par ailleurs qu’en matière correctionnelle et contraventionnelle, la Cour de cassation française juge, de façon généralisée, qu’une illégalité propre à une peine ne rejaillit pas sur la déclaration de culpabilité6.
C’est partant à bon droit que la Cour d’appel a retenu que « les déclarations de culpabilité ayant été définitivement toisées par l’arrêt d’appel du 29 mars 2023, la saisine de la Cour d’appel est actuellement limitée à la détermination de la peine à prononcer à l’encontre du prévenu en application de l’article 31 de la loi modifiée du 19 février 1973 ».
Le moyen n’est partant pas fondé.
Quant au second moyen de cassation :
Le second moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 195-1 du Code de procédure pénale, en ce que la Cour d’appel a prononcé une peine d’emprisonnement ferme de 15 mois, alors qu’en application de la disposition visée au moyen, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure.
Dans le cadre de la discussion du moyen, le reproche adressé à la Cour d’appel est étayé par le fait que l’article 195-1 du Code de procédure pénale n’a pas été cité dans le dispositif de l’arrêt attaqué. L’obligation de motivation résulterait également de l’article 6 J. BORE et L. BORE, La cassation en matière pénale, Dalloz, 2025/2026, p. 469, n° 144.92.89 (actuellement 109) de la Constitution ainsi que des articles 163 et 195 du Code de procédure pénale et correspondrait à l’esprit et aux termes de l’article 6, alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Comme ces dispositions générales relatives à l’obligation de motivation ne figurent pas à l’énoncé du moyen, il y a lieu de considérer que celui-ci est exclusivement tiré de la violation de l’article 195-1 du Code de procédure pénale.
Les juges du fond peuvent, dans les limites déterminées par la loi, fixer discrétionnairement les peines à infliger au prévenu condamné7. Ils n’ont même pas à motiver leur choix8.
Il en va autrement lorsque la loi met à charge du juge du fond une obligation spéciale de motivation, tel que cela est prévu par l’article 195-1 du Code de procédure pénale, visé en l’espèce.
L’article 195-1 du Code de procédure pénale dispose que :
« En matière correctionnelle et criminelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement ou de réclusion sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure. Toutefois, il n’y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. » Cette disposition légale, introduite dans le Code de procédure pénale par une loi du 20 juillet 2018, impose dorénavant au juge répressif de motiver spécialement sa décision lorsqu’il prononce une condamnation à une peine de prison ferme.
Les juges d’appel se sont prononcés comme suit quant à la peine :
« La Cour retient qu’eu égard à la gravité des faits et aux antécédents judiciaires de PERSONNE1.) mais en tenant compte de l’exemption retenue ci-avant et de son repentir paraissant sincère, il y a lieu de le condamner à une peine d’emprisonnement de 15 mois et de ramener la peine d’amende à 1.500 euros ».
La Cour d’appel a motivé la peine d’emprisonnement ferme en se basant sur la gravité des faits et les antécédents judiciaires du demandeur en cassation. A cela s’ajoute que le jugement de première instance, faisant partie de l’arrêt attaqué et non affecté par l’arrêt de cassation, a relevé que « eu égard aux antécédents inscrits dans le casier judiciaire du prévenu, l’octroi d’un sursis, ne fut-il que partiel ou probatoire, est légalement exclu ».
7 Cass., 27 janvier 2011, n° 8/2011 pénal, n° 2817 du registre ; voir également : Cass., 4 janvier 2024, n° 01/2024 pénal, n° CAS-2023-00068 du registre aux termes duquel : « Sauf l’exigence spéciale de motiver le refus d’un sursis à exécution d’une peine d'emprisonnement ou de réclusion telle que prescrite par l’article 195-1 du Code de procédure pénale, le juge du fond peut, dans les limites déterminées par la loi, fixer les peines à infliger au prévenu. Le juge d’appel, qui a fixé la peine dans les limites déterminées par la loi, n’était pas tenu de répondre à la demande tendant à la suspension du prononcé ».
8 J. BORE et L. BORE, La cassation en matière pénale, Dalloz, 2025/2026, p. 334, n° 107.31.
La motivation de la Cour d’appel, ensemble avec la motivation des juges de première instance, respecte, de l’avis de la soussignée, l’exigence de motivation spéciale prévue par l’article 195-1 du Code de procédure pénale.
En effet, par arrêt du 17 février 2022, Votre Cour a jugé que la motivation suivante constitue une motivation spéciale au sens de l’article 195-1 du Code de procédure pénale:
« La Cour considère, en tenant compte de la gravité des faits et des multiples antécédents spécifiques du prévenu, que la hauteur de la peine d’emprisonnement est justifiée et qu’il n’y a pas lieu de prononcer au lieu et place de cette peine, des travaux d’intérêt général non rémunérés. Pour la même raison, cette peine ne peut être assortie d’aménagements 9 ».
Votre Cour a également déjà retenu que « en se référant à l’ensemble des éléments du dossier répressif, à la motivation des juges de première instance, qui ont énuméré les condamnations antérieures du demandeur en cassation du chef d’infractions à la loi concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, à la gravité des faits, ainsi qu’aux antécédents judiciaires spécifiques du demandeur en cassation, la Cour d’appel, pour confirmer la peine d’emprisonnement prononcée, a suffi à l’exigence de motivation spéciale de la disposition visée aux moyens » 10.
Il en suit que le moyen est à rejeter.
Conclusion Le pourvoi est recevable.
Le premier moyen est irrecevable, sinon non fondé.
Le second moyen est non fondé.
Pour le Procureur Général d’Etat, L’avocat général Nathalie HILGERT 9 Cass, 17 février 2022, n° 23/ 2022 pénal, n° CAS-2021-00034 du registre.
10 Cass., 14 novembre 2019, n° 143/2019 pénal, n°CAS-2018-00103 du registre.