N° 167 / 2024 pénal du 21.11.2024 Not. 4485/14/CD Numéro CAS-2024-00024 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.), demeurant à ADRESSE1.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Clément SCUVEE, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 10 janvier 2024 sous le numéro 4/24 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation au pénal et au civil formé par Maître Clément SCUVEE, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour et au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 8 février 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 19 février 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Monique SCHMITZ.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef de faux et d’usages de faux, à une peine d’emprisonnement assortie du sursis intégral et au paiement de dommages et intérêts en faveur de la partie civile. La Cour d’appel a acquitté le demandeur en cassation des infractions non établies à sa charge, a rectifié le libellé d’une infraction et a, pour le surplus, confirmé le jugement au pénal. Les appels au civil ont été déclarés non fondés.
Sur la recevabilité du pourvoi Aux termes de l’article 43, alinéa 3, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, le mémoire du défendeur au civil devra, à peine de déchéance, être signifié à la partie civile avant d’être déposé.
Il résulte des explications fournies à l’audience que postérieurement au dépôt du mémoire en cassation au greffe de la Cour, le demandeur en cassation l’a notifié par voie électronique à Maître James Junker. Le demandeur en cassation n’a partant pas signifié son mémoire à la partie civile dans les conditions prévues à l’article 43, alinéa 3, précité.
Il s’ensuit que le demandeur en cassation est déchu de son pourvoi à l’égard de la partie civile.
Le pourvoi au pénal, introduit dans les forme et délai de la loi, est recevable.
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la loi, sinon d'une application erronée, sinon d'une fausse interprétation de la loi, in specie de l'article 109 de la Constitution et de l'article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile ;
en ce que l'arrêt d'appel énonce :
rapport à ceux qui ont été soumis à l'examen des juges de première instance, il convient dès lors de se rapporter, quant aux faits de la cause, à la relation correcte fournie par les juges de première instance, sauf en ce qui concerne les dépositions des témoins PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à l'audience de la Cour d'appel du 4 octobre 2023 » alors que le jugement de première instance reprend les faits et arguments développés par la partie PERSONNE1.) comme suit:
2 A aucun moment il n'aurait construit un dossier afin d'en faire usage devant le Tribunal du Travail. Il aurait personnellement été très étonné d'avoir été licencié sans motif.
Avant son licenciement il aurait envoyé les quatre lettres recommandées afin de faire part de son mécontentement. Rien n'aurait été falsifié. Suite à la quatrième lettre il aurait été renvoyé de manière illégitime.
(…) PERSONNE1.) maintient tout au long de la procédure, ne pas avoir reçu les motifs de son licenciement. Bien au contraire, il aurait reçu une lettre l'informant que son employeur n'était pas obligé de lui communiquer les motifs de son licenciement. Par la même occasion l'employeur lui aurait envoyé un certificat de travail. Il est également formel pour dire qu'il avait envoyé les quatre courriers figurant au dossier répressif exprimant ses doléances à l'égard de son employeur».
alors que, dans le cadre d'appel, le 16 mai 2023 Monsieur PERSONNE1.) a transmis par l'intermédiaire de son nouveau conseil une note de plaidoiries de 11 pages développant ses arguments qui est intégralement reproduite ci-après :
(documents en photo scan) – non possible d’effectuer une pseudonymisation dans le texte alors que la note de plaidoiries contient des faits et arguments nouveaux importants qui n’ont pas été exposés et plaidés en première instance comme les faits et arguments suivants tels que repris dans la note de plaidoiries d’appel :
• Monsieur PERSONNE1.) indique avoir immédiatement réagi in tempore non suspecto au courrier refusant de donner les motifs reçu le 13 septembre 2023 en demandant le même jour que la date de sortie retenue erronément sur une de ses annexes (la fiche de paie d’août 2013) soit corrigé (Pièce 11). Or, seul le courrier que Monsieur PERSONNE1.) indique avoir reçu le 13 septembre 2013 soit celui en pièce 6 comprend ces annexes ;
• Si Monsieur PERSONNE1.) avait vraiment voulu fabriquer un faux courrier refusant de donner les motifs, pourquoi se serait-il compliqué la vie en ajoutant des fiches de paie et un certificat de travail absolument pas nécessaires dans le cadre de sa procédure ? ;
• Comment aurait-il pu fabriquer la lettre double signée et tamponnée refusant de donner les motifs ainsi que les fiches de paie sorties et calculées par le logiciel softkiss de la fiducaire et un certificat de travail de fin de contrat signé et tamponné également par l’employeur ? Ces documents non nécessaires sont impossibles à produire ou imiter comme les deux calculs de salaires de juillet et août alors que le logiciel softkiss en question 3 n’est pas disponible chez l’employeur mais bien à la fiduciaire et que Monsieur PERSONNE1.) n’y a pas accès et ne possède pas les connaissances nécessaires pour effectuer ces calculs de salaires ;
• La mention manuscrite sur la lettre pièce 6 est l’écriture de Monsieur PERSONNE4.), ce qu’un graphologue aurait pu aisément identifier si les devoirs d’enquête à décharge avait été effectués ;
• Comme l’explique in tempore non suspecto Monsieur PERSONNE1.) dans son courrier du 26 novembre 2013 (Pièce 16) l’original a été conservé par Monsieur PERSONNE4.).
C’est d’ailleurs grâce à cet original conservé du courrier pièce 6 que Monsieur PERSONNE4.) a pu déchirer sa partie inférieure comportant la double signature pour en faire la partie inférieure du faux en pièce 14 : son nouveau courrier faisant état d’une baisse du chiffre d’affaire.
Un examen des deux courriers le démontre aisément :
(documents en photo scan) – non possible d’effectuer une pseudonymisation dans le texte Bien plus, en superposant le faux pièce 14 sur le vrai courrier pièce 6 à la lumière, la partie déchirée du courrier pièce 14 comportant la double signature coïncide parfaitement avec la partie inférieure de la pièce 6 et les lettres et de la pièce 14 mises en évidence ci-dessus se superposent sur les mêmes lettres de la formule de politesse démontrant que la partie inférieure de l’original pièce 6 que conservait Monsieur PERSONNE4.) a été déchirée dans sa partie inférieure pour façonner le faux en pièce 14 qui comporte encore la marque de déchirure du papier et de la formule de politesse de la lettre originale.
(ci-après repris ensemble comme les ).
alors que ces faits et arguments nouveaux importants de Monsieur PERSONNE1.) qui n’ont pas été exposés et plaidés en première instance et ont été développé tant dans sa note de plaidoiries que lors des débats oraux en appel n’ont pas été pris en compte, cités ou contredits par la motivation de l’arrêt faisant l’objet du présent pourvoi en cassation qui est lacunaire sur ce point ; ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les articles 109 de la Constitution et 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile en n’ayant pas pris en compte, cités ou contredits des faits et arguments nouveaux développés dans sa note de plaidoiries et lors de débats oraux en instance d’appel.
A l’article 249, aliéna 1, du Nouveau Code de procédure civile invoqué à l’appui du moyen, il y a lieu de substituer l’article 195 du Code de procédure pénale.
Il ne résulte pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que le demandeur en cassation ait fait valoir des faits nouveaux devant les juges d’appel. Il en ressort néanmoins qu’il a développé des arguments nouveaux dans sa note de plaidoiries qui a fait l’objet d’un débat contradictoire en instance d’appel.
Les juges du fond ont l’obligation de répondre aux moyens péremptoires des conclusions et des mémoires des parties, ou des réquisitions du ministère public. Est péremptoire en matière pénale le moyen qui est de nature à établir ou à faire disparaître l’infraction. Les insuffisances de la motivation doivent s’apprécier en fonction des contestations élevées par les parties devant les juges du fond.
En se bornant, au-delà de l’appréciation de deux témoignages divergents, à renvoyer « au raisonnement de la juridiction de première instance », les juges d’appel n’ont pas répondu aux arguments nouveaux, relatifs au contenu et à l’aspect respectifs des lettres de motivation, soulevés à décharge devant eux par le demandeur en cassation et ont ainsi violé les dispositions visées au moyen.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt la cassation.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Au vu du sort réservé au pourvoi au civil, la demande en allocation d’une indemnité de procédure du demandeur en cassation est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare le demandeur en cassation déchu de son pourvoi au civil ;
déclare irrecevable la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
casse et annule, dans les limites des dispositions pénales, l’arrêt attaqué numéro 4/24 X. rendu le 10 janvier 2024 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg autrement composée ;
laisse les frais et dépens de l’instance en cassation au civil à charge du demandeur en cassation ;
met les frais de l’instance en cassation au pénal à charge de l’Etat ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Claudine ELCHEROTH, conseiller à la Cour d’appel, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.)/Ministère Public en présence de la partie civile SOCIETE1.) SARL affaire n° CAS-2024-00024 du registre Par déclaration faite le 8 février 2024 au greffe de la Cour Supérieure de Justice, Maître Clément SCUVEE, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, forma au nom et pour le compte de PERSONNE1.), ci-après PERSONNE1.), un recours en cassation au pénal et au civil contre l’arrêt n° 4/24 rendu le 10 janvier 2024 par la Cour d’appel, dixième chambre siégeant en matière correctionnelle.
Cette déclaration de recours a été suivie en date du 19 février 2024 du dépôt au greffe de la Cour supérieure de justice d’un mémoire en cassation, signé par Maître Clément SCUVEE préqualifié, au nom et pour le compte de PERSONNE1.).
La partie civile SOCIETE1.) SARL a fait déposer le 18 mars 2024 par son mandataire Maître James JUNCKER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, un mémoire en réponse daté au 14 mars 2024, signifié préalablement au demandeur en cassation le 15 mars 2024.
Le mémoire en cassation ayant été déposé dans le délai légal, il est recevable quant au volet pénal.
La signification du mémoire par le demandeur en cassation à la partie civile n’ayant toutefois pas fait l’objet d’un dépôt, la soussignée se rapporte à la sagesse de Votre Cour tant quant à la recevabilité du mémoire en cassation introduit par PERSONNE1.) quant au volet civil, que quant à la recevabilité du mémoire en réponse, le délai d’un mois pour répondre courant à partir de la signification du mémoire à la partie civile.
Quant aux faits et rétroactes :
PERSONNE1.), licencié avec préavis par son employeur SOCIETE1.) SARL, s’est, suite à sa demande de motifs à la base de son congédiement, vu notifier une lettre de motivation datée au 5 septembre 2013.
Selon PERSONNE1.), la lettre de motivation lui étant parvenue n’aurait pas compris de motifs.
Selon SOCIETE1.) SARL, la lettre de motifs envoyée à son ancien salarié aurait compris des motifs d’ordre économique.
Par son mandataire Me MONDOT, PERSONNE1.) a fait citer SOCIETE1.) SARL devant le tribunal de travail et a fait valoir que l’employeur n’aurait pas pourvu à son obligation de fournir les motifs à la base du congédiement avec préavis, ce en ce qu’il lui aurait fait parvenir une lettre datée au 5 septembre 2013 aux termes de laquelle il serait dispensé de lui transmettre desmotifs. Le salarié a produit aux débats une lettre de motivation au sens allégué par lui, querellée de faux par l’employeur.
Par jugement correctionnel, PERSONNE1.) fut condamné pour faux et usage de faux portant sur le contenu de la lettre de motivation invoquée par lui et d’en avoir fait un usage, ainsi que pour avoir faussé le contenu de diverses lettres recommandées.
Par arrêt dont pourvoi, les magistrats d’appel ont confirmé les premiers juges en ce qu’ils ont convaincu PERSONNE1.) dans les liens de la prévention de faux et usage de faux en relation avec la lettre de motivation. Ils l’ont acquitté de l’autre prévention.
A des fins de meilleure compréhension des faits et rétroactes utiles à l’examen du moyen de cassation formulé par le demandeur en cassation, il y a lieu de souligner que dans le dossier répressif a figuré, entre autres, le procès-verbal n° 301288/2015 dressé le 7 juillet 2015, sur commission rogatoire internationale, par la Police judiciaire fédérale de la Belgique aux fins de perquisition au domicile de PERSONNE1.). Ledit procès-verbal a compris, entre autres, la transmission par Me MONDOT à son mandant de la correspondance échangée entre elle et PERSONNE4.), gérant de SOCIETE1.) SARL, avant l’introduction du procès devant la juridiction de travail. La correspondance échangée entre le mandataire de PERSONNE1.) et son employeur a comporté en tout 11 pages et a figuré audit procès-verbal sous les annexes n° 1 à 11.
Il est important de souligner que dans le dossier répressif ont figuré plusieurs versions de lettre de motivation, à savoir - la lettre de motivation n’indiquant pas de motifs, dite sans motifs (elle figure à l’annexe n° 12 du prédit procès-verbal n° 301288/2015 ; elle correspond à la pièce n° 6 mentionnée par Me Maréchal dans son mémoire et son inventaire de pièces) ; il s’agit du document allégué de faux et prétendument falsifié par PERSONNE1.) ;
- la lettre de motivation indiquant des motifs, munie de deux signatures et d’un tampon, identiques aux signatures et au tampon figurant sur la lettre sans motifs, et présentant des traces de déchirure, d’où dite « travaillée » (figurant à l’annexe n° 7 du prédit procès-verbal n° 301288/2015 ; elle correspond à la pièce n° 14 mentionnée par Me Maréchal dans son mémoire en cassation)1 ;
- la lettre de motivation indiquant les mêmes motifs, mais non munie ni de signatures, ni de tampon (pièce n° 2 ci-jointe, versée au dossier par l’employeur) ;
- la lettre de motivation indiquant les mêmes motifs, non munie d’un tampon mais de deux signatures, différentes des signatures figurant sur les lettres de motivation figurant aux annexes n° 7 et n° 12 (pièce n° 3 ci-jointe et versée aux débats par l’employeur).
Lors des audiences de plaidoiries en instance d’appel, les parties ont, entre autres, minutieusement examiné et débattu l’aspect manipulé de la lettre avec motifs (annexe n° 7), l’origine de la lettre de motivation « travaillée » au dossier répressif, tout comme son incidence par rapport à la lettre de motivation querellée de faux (annexe n° 12).
1 pour une meilleure lisibilité, la soussignée joint la copie des annexes n° 1 à n° 12 du procès-verbal n° 301288/2015 en pièce n° 1;
A l’instar des observations du demandeur en cassation2, les débats et la démonstration faite à l’audience d’appel, notamment en comparant les lettres de motivation figurant aux annexes n° 12 et n° 7, ont mené au constat que la lettre de motivation dite sans motifs (annexe n° 12) a nécessairement dû servir de support à la base de la confection de la lettre de motivation avec motifs « travaillée » (annexe n° 7). Ce seul constat était de nature à mettre en doute la thèse que PERSONNE1.) soit le faussaire de la lettre de motivation sans motifs.
Aussi la correspondance échangée entre PERSONNE4.) et Me MONDOT, saisie par les forces de l’ordre belges, se lisait dans le sens que c’est PERSONNE4.), écrivant à cette dernière avoir fait parvenir à son employé une lettre comprenant des motifs, qui lui a transmis la lettre de motivation « travaillée ». La partie civile a riposté en faisant valoir que le contenu de la lettre envoyée par PERSONNE4.) n’aurait pas été manipulée et que son contenu correspondrait aux pièces n° 2 et n° 3 ci-avant mentionnées, jointes aux présentes conclusions.
C’est ce double constat qui a permis la déduction qu’il n’est pas exclu que l’expéditeur de cette lettre de motivation « travaillée » soit également le détenteur et expéditeur potentiel de la lettre sans motifs, déduction qui devait nécessairement conduire à la conclusion qu’il n’est pas établi à l’abri de tout doute PERSONNE1.) ait confectionné la lettre sans motifs et soit à l’origine de ce faux et de son usage. Le doute devant profiter au prévenu, la défense, tout comme le Ministère public ont conclu en conséquence à l’acquittement de PERSONNE1.).
La motivation des juges d’appel est la suivante :
« Appréciation de la Cour Les débats devant la Cour d’appel n’ont révélé aucun fait nouveau par rapport à ceux qui ont été soumis à l’examen des juges de première instance, il convient dès lors de se rapporter, quant aux faits de la cause, à la relation correcte fournie par les juges de première instance, sauf en ce qui concerne les dépositions des témoins PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à l’audience de la Cour d’appel du 4 octobre 2023.
En effet, les versions des deux témoins entendus, sous la foi du serment, à l’audience de la Cour d’appel diffèrent fondamentalement.
Bien que les deux témoins déclarent avoir pris connaissance de la lettre de motivation de licenciement que PERSONNE1.) soutient s’être vu délivrer par le facteur en date du 13 septembre 2013, aux termes de laquelle la SOCIETE1.) serait dispensée de fournir des motifs du licenciement à son salarié, toujours est-il que lors de sa déposition à l’audience de la Cour d’appel, PERSONNE3.) a déclaré avoir pris connaissance de la lettre précitée en présence non seulement de son époux PERSONNE1.), mais également de PERSONNE2.). Ce dernier a cependant déclaré à cette même audience, avoir été seul avec PERSONNE1.) lorsque ce dernier s’est vu délivrer la lettre litigieuse par le facteur.
2 cf. p. 7-9 de son mémoire ; A cela s’ajoute que la délivrance du courrier litigieux par le facteur en date du 13 septembre 2013 est contredite par le fait que PERSONNE1.) a été avisé en date du 12 septembre 2013 du fait qu’un courrier recommandé de la part de la SOCIETE1.) était à sa disposition au bureau de poste local.
Il en résulte dès lors que les déclarations de PERSONNE1.) qu’il se serait vu délivrer la lettre sans motivation en date du 13 septembre 2013 par la poste sont contredites par les éléments de la cause.
Pour le surplus, la Cour d’appel renvoie au raisonnement de la juridiction de première instance qui est correct et à adopter.
Le jugement entrepris est par conséquent à confirmer pour autant qu’il a retenu PERSONNE1.) dans les liens des infractions de faux et d’usage de faux du courrier daté au 5 septembre 2013, aux termes duquel la SOCIETE1.) ne serait pas tenue de se justifier du licenciement de PERSONNE1.).
Il y a lieu de préciser que les développements relatifs au courrier de motifs figurant en annexe n° 7 du procès-verbal n° 301288/15 de la police judiciaire fédérale du 6 juillet 2015 ne sont pas analysés, les faits dont la Cour d’appel se trouve saisie se limitant au courrier de motifs figurant en annexe 12 du procès-verbal précité ainsi qu’aux courriers recommandés libellés sub A) 2). » Quant à l’unique moyen de cassation :
Le moyen est tiré de la violation de la loi, sinon d'une application erronée, sinon d'une fausse interprétation de la loi, in specie de l’article 109 de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en ce que l’arrêt d’appel a énoncé « Les débats devant la Cour d’appel n’ont révélé aucun fait nouveau par rapport à ceux qui ont été soumis à l’examen des juges de première instance, il convient dès lors de se rapporter, quant aux faits de la cause, à la relation correcte fournie par les juges de première instance, sauf en ce qui concerne les dépositions des témoins PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à l’audience de la Cour d’appel du 4 octobre 2023 », alors que la « Cour d’appel n’a pas pris en compte, cité ou contredit les Eléments Nouveaux qui étaient des éléments à décharge qui auraient dû amener la Cour d’appel à acquitter M. PERSONNE1.) et qui démontraient son innocence » et « qu’en ne motivant pas l’arrêt entrepris par rapport aux Eléments Nouveaux dont la comparaison des deux lettres de motivation litigieuses effectuée par Monsieur PERSONNE1.) dans sa note de plaidoirie et exposée oralement en appel, la Cour d’appel n’a pas suffisamment ni correctement motivé son arrêt en ne se prononçant pas sur ces Eléments Nouveaux à décharge pour confirmer partiellement la condamnation de Monsieur PERSONNE1.) au pénal et sa condamnation au civil ainsi qu’aux frais et dépens ».
Dans la mesure où il y a lieu de puiser de la formulation du moyen et de la discussion qui s’en est suivie, qu’en substance le demandeur en cassation vise le cas d’ouverture du défaut de motifs, il s’est mépris en ce qu’il a cité dans le moyen l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Codede procédure civile, alors que de toute évidence il a visé la violation de l'article 195 du Code de procédure pénale.
Le défaut de motifs peut prendre plusieurs formes, à savoir l’absence de motifs, la contradiction de motifs, la motivation dubitative ou hypothétique ou encore le défaut de réponse à conclusions.
Il y a lieu de déduire de la formulation du moyen, ensemble la discussion subséquente du moyen, que plus précisément le demandeur en cassation vise à la fois l’absence de motifs, la contradiction de motifs, tout comme le défaut de réponse à conclusions.
Force est de constater que les développements en instance d’appel3 en relation avec les contenus respectifs des diverses lettres de motivation figurant au dossier, dont la lettre de motivation « travaillée », ses origines et ses conséquences au niveau de la preuve de la falsification reprochée au prévenu, étaient effectivement nouveaux en instance d’appel. L’on puise de la motivation des premiers juges4 que la défense ne les a ni avancés, ni exploités en première instance et que les premiers juges n’en ont pas référé. C’est dès lors effectivement à tort que les juges d’appel retiennent qu’à l’exception des déclarations des témoins à décharge entendus en instance d’appel, il n’y aurait pas d’éléments nouveaux leur soumis en instance d’appel.
Force est également de constater que les juges d’appel, après avoir dit que les premiers juges sont à confirmer pour avoir retenu PERSONNE1.) dans les liens des infractions de faux et d’usage de faux du courrier daté au 5 septembre 2013, rajoutent (…) « que les développements relatifs au courrier de motifs figurant en annexe n° 7 du procès-verbal n° 301288/15 de la police judiciaire fédérale du 6 juillet 2015 (donc ceux en relation avec la lettre de motivation « travaillée ») 5 ne sont pas analysés6, les faits dont la Cour d’appel se trouve saisie se limitant au courrier de motifs figurant en annexe 12 du procès-verbal précité (donc ceux en relation avec la lettre de motivation dite sans motifs)7, ainsi qu’aux courriers recommandés libellés sub A) 2).» En se prononçant de la sorte, les juges d’appel se sont déterminés par des motifs contradictoires, étant donné que, d’une part, ils ont retenu qu’outre les déclarations des témoins entendus en instance d’appel, les débats devant la Cour d’appel n’ont révélé aucun fait nouveau par rapport à ceux soumis à l’examen des juges de première instance, mais que, d’autre part, en précisant qu’ils se dispensent de tout examen des développements et conclusions en relation avec la pièce figurant à l’annexe n° 7, ils ont implicitement mais nécessairement reconnu que des éléments factuels nouveaux, vu les considérations qui précèdent, leur ont été soumis.
La contradiction de motifs équivalant à leur absence, le moyen est fondé sous cet aspect.
* Il est communément admis qu’une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point critiqué.
3 cf. plumitifs de l’audience d’appel ci-joints en pièce n° 4 ;
4 cf. motivation des premiers juges intégrée dans l’arrêt dont pourvoi ;
5 parenthèse rajoutée par la soussignée ;
6 mis en exergue par la soussignée ;
7 idem ; En posant que « les développements relatifs au courrier de motifs figurant en annexe n° 7 du procès-verbal n° 301288/15 de la police judiciaire fédérale du 6 juillet 2015 (donc ceux en relation avec la lettre de motifs « travaillée »8) ne sont pas analysés9», motifs pris de l’absence de saisine de faits en relation avec la lettre de motivation dite travaillée figurant à l’annexe n° 7, les juges d’appel se sont formellement positionnés dans le sens qu’ils ne les examineront pas.
En d’autres termes, qu’ils n’apprécieront pas les éléments factuels et de preuve à décharge avancés tant par la défense que le Ministère public et ne se prononceront donc pas non plus sur leur incidence quant à la culpabilité de PERSONNE1.).
En tout cas, la formulation expresse employée par les juges d’appel ne permet pas la déduction qu’ils les auraient implicitement considérés comme étant dépourvus de pertinence.
Quant au motif indiqué par les juges d’appel à l’appui du non-examen des développements des parties en relation avec la lettre de motivation « travaillée », il n’est pas valide en ce que, de toute évidence, les juges d’appel n’ont pas été appelés à la qualifier et à constater qu’elle est constitutive d’un faux. La question de la saisine des juges du fond par rapport à ladite pièce est une fausse considération, étant donné que les constatations et conséquences en fait et en droit relevées par la défense et le Ministère public en relation avec l’annexe n° 7, notamment en la comparant à celle querellée de faux (annexe n° 12), constituaient des éléments de fait et de preuve à décharge de nature à faire partie du champ d’appréciation des juges d’appel.
C’est donc sans répondre aux points critiqués et en examinant exclusivement les déclarations des témoins entendus en instance d’appel, desquelles ils ont déduit des incohérences quant aux seules circonstances de réception de la lettre de motivation, que les juges d’appel ont confirmé la condamnation de PERSONNE1.) pour faux et usage de faux à une peine d’emprisonnement de 12 mois, assortie du sursis.
Il convient de rappeler que le moyen exigeant réponse se distingue de l’argument ou de la simple allégation contenus dans des conclusions, en ce qu’il comporte trois éléments : un fait offert en preuve ou un texte, une déduction juridique, et un effet possible sur la solution du litige. Ainsi, le moyen peut être défini comme l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte, d’où, par un raisonnement juridique, elle prétend déduire le bien-fondé d’une demande ou d’une défense10. La Chambre criminelle de la Cour de cassation française exprime cette règle en disant que les juges du fond n’ont l’obligation de répondre qu’aux « moyens péremptoires » des conclusions et des mémoires des parties, ou des réquisitions du ministère public (…).11 Le moyen péremptoire est celui « qui est de nature à influer sur la solution du litige ou de l’incident à trancher, qu’il s’agisse de la compétence ou du fond. Est péremptoire en matière pénale le moyen qui est de nature à établir ou à faire disparaître l’infraction (…) ».12 Dans la mesure où les développements des éléments factuels et de preuve à décharge avancés en instance d’appel en relation avec les contenus respectifs des lettres de motivation, lesquels ont amené tant la défense que le Ministère public à en déduire un doute quant à la qualité de faussaire dans le chef de PERSONNE1.) et à conclure en conséquence à son acquittement, sont 8 idem ;
9 Idem ;
10 BORE, La cassation en matière pénale, éd. Dalloz 2025/26, n° 82.41 ;
11 ouvrage précité, n° 82.42 ;
12 ouvrage précité, n° 82.42 ; de nature à influer sur la solution du litige, il aurait incombé aux juges d’appel de les examiner et de se prononcer sur leur pertinence.
En se déterminant, pour dire que PERSONNE1.) est le faussaire de la lettre de motivation, aux termes de laquelle SOCIETE1.) SARL ne serait pas tenue de se justifier du licenciement de PERSONNE1.), figurant à l’annexe n° 12 du prédit procès-verbal n° 301288/2015, sur les seules déclarations de témoins entendus en instance d’appel et éléments de fait à déduire de la motivation des premiers juges, sans se prononcer sur la portée de la lettre de motivation contenant des motifs mais étant « travaillée », figurant à l’annexe n° 7 dudit procès-verbal et spécialement invoqué par le demandeur en cassation, par rapport à la culpabilité de PERSONNE1.), ils ont vicié leur motivation par un défaut de réponse à conclusion et ont violé les dispositions légales visées au moyen.
* Alors qu’en matière civile, l’insuffisance de motifs est constitutive du défaut de base légale, qui est un vice de fond et non pas un vice de forme comme le défaut de motif, en matière pénale, l’insuffisance de motifs est une simple modalité du défaut de motifs, constituant un vice de forme du jugement13.
A supposer que Votre Cour ne devait pas suivre les développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que les juges d’appel se sont déterminés par une motivation insuffisante en ce que pour analyser si PERSONNE1.) a commis un faux par falsification de la lettre de motivation dite sans motifs (annexe n° 12), ils auraient également dû examiner les éléments factuels et de preuve à décharge leur soumis en relation avec l’annexe n° 7, et se prononcer sur leur pertinence par rapport aux éléments constitutifs du faux et de l’usage de faux reproché à PERSONNE1.).
En ayant omis de ce faire, ils ont insuffisamment motivé leur décision, constitutif en matière pénale d’un vice de forme.
Conclusion :
Le mémoire en cassation est recevable quant au volet pénal.
La soussignée se rapporte à la sagesse de Votre Cour quant à la recevabilité du mémoire en cassation quant au volet civil, ainsi que quant à la recevabilité du mémoire en réponse.
L’unique moyen de cassation est fondé.
Luxembourg, le 7 octobre 2024 Pour le Procureur général d’Etat, le 1er avocat général, Monique SCHMITZ 13 ouvrage précité, n° 81.11 ;