N° 163 / 2024 pénal du 21.11.2024 Not. 2306/17/CD et 3276/19/CD Numéro CAS-2023-00116 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (F), demeurant à B-ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, ayant comparu par Maître Anne PAUL, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile avait été élu, défaillant, en présence du Ministère public et de Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-ADRESSE3.), agissant en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), avec siège social à L-ADRESSE4.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demandeur au civil, défendeur en cassation, comparant par Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile a été élu.
l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 21 juin 2023 sous le numéro 247/23 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé au pénal et au civil par Maître Anne PAUL, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 29 juin 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 24 juillet 2023 par PERSONNE1.) à Maître Michel VALLET et au Procureur général d’Etat, déposé le 27 juillet 2023 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 9 août 2023 par Maître Michel VALLET à PERSONNE1.) et au Procureur général d’Etat, déposé le 16 août 2023 au greffe de la Cour ;
Vu l’assignation en constitution de nouvel avocat délivrée en date du 23 mai 2024 par le Procureur général d’Etat à PERSONNE1.) suite à la démission du Barreau de Maître Anne PAUL ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait acquitté le demandeur en cassation de certaines infractions non établies à sa charge, l’avait condamné en sa qualité de dirigeant de droit d’une société du chef de banqueroute simple et en sa qualité de dirigeant de fait de la société SOCIETE1.) du chef de banqueroute frauduleuse et de blanchiment à une peine d’emprisonnement et à une amende et avait dit non fondée la partie civile présentée par le curateur de la société SOCIETE1.).
La Cour d’appel, après avoir rectifié le libellé de certaines infractions retenues à charge du demandeur en cassation, a réduit la peine d’emprisonnement prononcée à son encontre et a confirmé le jugement pour le surplus au pénal et au civil.
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne 2 Cet article prévoit l’application directe des Règlements aux Etats membres de l’Union Européenne.
Le Règlement Européen s’applique directement aux Etats membres de l’Union Européenne sans nécessité de transposition.
Ce Règlement est applicable aux liquidations (Article 1 : Champ d’application du Règlement (UE)).
La Cour a violé l’article 288 du Traité en excluant l’application du Règlement (UE) aux faits de la cause et à la loi luxembourgeoise sur la faillite.
1. Ainsi, la Cour devait considérer que l’infraction de banqueroute ne pouvait être retenue en application du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité.
Il s’agit en effet de l’infraction visée à l’article 574-5° de Code de Commerce sanctionné par l’article 489 du Code Pénal.
Cette infraction ne peut plus être retenue depuis le Règlement (UE) puisque la loi luxembourgeoise sur la faillite est contraire audit règlement.
Comme l’appelant l’a développé à hauteur de Cour d’Appel et l’expose à hauteur de Cassation, le Règlement a pour objectif de donner une seconde chance aux entrepreneurs et une possibilité de redressement ou de restructuration.
Or, la Loi sur la faillite et par conséquent l’infraction de banqueroute qui découle de cette loi violent le Règlement précité en s’abstenant de donner cette chance ou ces possibilités aux entrepreneurs.
2. La loi sur la faillite luxembourgeoise, constamment en projet de réformes depuis 10 ans, ne donne aucune chance à l’entrepreneur de payer ses dettes en cas de difficulté.
Cette loi ne prévoit aucun plan de redressement et ne laisse aucune possibilité de redressement ou de seconde chance à l’entrepreneur.
3. Le Règlement précité prévoit que les Etats membres doivent organiser leur législation de manière à éviter les conflits d’intérêts.
La Loi sur la faillite luxembourgeoise méconnait cette disposition en prévoyant que le curateur est un avocat.
Les faits de la cause et par application de cette Loi, le prévenu a été cité par le Parquet à la demande du curateur, à la foi Avocat et partie civile.
Il y a contradiction d’intérêts.
3 En conclusion, la Cassation de l’arrêt attaqué doit être prononcée puisque la Cour a violé l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, Loi en appliquant l’infraction de banqueroute issue de la loi sur la faillite luxembourgeoise et en s’abstenant de faire application du Règlement précité directement la situation de Monsieur PERSONNE1.). ».
Réponse de la Cour Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué en ce que les juges d’appel, pour écarter le moyen du demandeur en cassation tiré de la violation du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, n’ont pas purement et simplement refusé d’assurer son applicabilité directe, mais ont retenu que ses conditions d’application au regard de son champ d’application n’étaient pas réunies.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation au pénal, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 10,50 euros ;
le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation au civil.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-et-un novembre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public et de Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) N° CAS-2023-00116 du registre Par déclaration faite le 29 juin 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Anne PAUL, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 247/23 rendu le 21 juin 2023 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.
Cette déclaration de recours a été suivie le 27 juillet 2023 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Anne PAUL, avocat à la Cour. Ce mémoire a été signifié le 24 juillet 2023 à Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.).
Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation a été déposé dans la forme et le délai y imposés.
Le pourvoi est partant recevable.
Un mémoire en réponse a été signifié le 9 août 2023 par Maître Michel VALLET, avocat à la Cour, agissant en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 16 août 2023. Ce mémoire peut être pris en considération pour avoirété introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.
Faits et rétroactes Suivant jugement par défaut rendu le 3 mars 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné PERSONNE1.) à une peine d’emprisonnement et à une amende pour banqueroute simple, banqueroute frauduleuse, blanchiment-détention, défaut de publication des comptes annuels et infraction à l’article 490 du Code pénal.
PERSONNE1.) avait encore été condamné à payer une certaine somme aux curateurs de faillite des sociétés à responsabilité limitée SOCIETE2.) et SOCIETE1.).
Par l’arrêt entrepris par le pourvoi, la Cour d’appel a rectifié le libellé de certaines infractions, a réduit la peine d’emprisonnement et a confirmé le jugement pour le surplus.
Sur le moyen unique de cassation Le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Aux termes de son moyen, le demandeur en cassation fait valoir que les juges d’appel auraient violé le principe de l’application directe des règlements européens aux Etats membres de l’Union européenne. Il considère que si les juges d’appel avaient fait application du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, il « aurait été acquitté de l’infraction de banqueroute » puisque « la loi luxembourgeoise est contraire audit règlement ». D’après le demandeur en cassation, le règlement européen aurait « pour objectif de donner une seconde chance aux entrepreneurs et une possibilité de redressement ou de restructuration » et la loi sur la faillite violerait ainsi le règlement européen « en s’abstenant de donner cette chance ou ces possibilités aux entrepreneurs ». Le demandeur en cassation fait encore valoir que le règlement européen prévoirait que les Etats membres devraient organiser leur législation de manière à éviter les conflits d’intérêts et la loi luxembourgeoise méconnaîtrait cette disposition enprévoyant que les fonctions de curateur de faillite seraient exercées par des avocats.
La disposition légale visée au moyen se lit comme suit :
« Article 288 Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.
La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que pour ceux-ci.
Les recommandations et les avis ne lient pas. » Les motifs de l’arrêt entrepris sont les suivants sur le point considéré :
« Il y a d’emblée lieu d’écarter le moyen du mandataire du prévenu tiré de l’obsolescence et de la contrariété de la législation luxembourgeoise sur les faillites au règlement (UE) 2015/848 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité européen du 20 mai 2015.
En effet, le règlement européen de l'insolvabilité se cantonne à définir des règles de conflits de juridictions et de lois laissant toute leur place aux droits nationaux. Les paragraphes 10 et 11 auxquels le mandataire du prévenu a fait référence pour conclure à la non-conformité de la législation luxembourgeoise sur les faillites au règlement précité, ne sont que des considérants dudit règlement, sans valeur normative et qui, de surcroit, ne visent qu’une extension du champ d’application du règlement à des procédures autres que les procédures telles que la faillite. » Il en résulte que la Cour d’appel n’a pas dit que le règlement (UE) 215/848 était à écarter au motif qu’il ne pouvait produire aucun effet juridique en droit interne en vertu de sa nature, mais a écarté l’application dudit règlement aux poursuites pénales dont elle était saisie à l’encontre du demandeur en cassation, au motif que « le règlement se cantonne à définir les règles de conflits de juridictions et de lois laissant toute leur place aux droits nationaux », donc pour des motifs inhérents au contenu dudit règlement et plus précisément à son domaine d’application. En statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel n’a partant pas violé les principes du caractère obligatoire et de l’application immédiate des règlements européens.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.
Pour le procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc HARPES 9