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07/11/2024 | LUXEMBOURG | N°155/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 07 novembre 2024, 155/24


N° 155 / 2024 pénal du 07.11.2024 Not. 17645/16/CD Numéro CAS-2024-00008 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, sept novembre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Portugal), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, et de 1) PERSONNE2.), demeurant à E-ADRESSE3.), 2) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE4

.), 3) PERSONNE4.), demeurant à L-ADRESSE5.), demandeurs au civil, défen...

N° 155 / 2024 pénal du 07.11.2024 Not. 17645/16/CD Numéro CAS-2024-00008 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, sept novembre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Portugal), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, et de 1) PERSONNE2.), demeurant à E-ADRESSE3.), 2) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE4.), 3) PERSONNE4.), demeurant à L-ADRESSE5.), demandeurs au civil, défendeurs en cassation, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 19 décembre 2023 sous le numéro 75/23 - Crim.

par la chambre criminelle de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le pourvoi en cassation formé au pénal et au civil par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 15 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 13 février 2024 aux demandeurs au civil et déposé le 14 février 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Bob PIRON.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la chambre criminelle du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait condamné PERSONNE1.) du chef de viol en réunion sur des personnes mineures âgées de moins de seize ans à une peine de réclusion assortie d’un sursis partiel. Au civil, elle avait condamné le demandeur en cassation, solidairement avec les co-auteurs, à dédommager les parties civiles.

La Cour d’appel a confirmé le jugement sur ces points.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 2, alinéa 2 du Code pénal et de la fausse application des règles régissant l’application de la loi pénale dans le temps.

En ce que l’arrêt entrepris a analysé les faits reprochés aux prévenus en ce qui concerne les infractions de viol et d’attentat à la pudeur à la lumière de l’ancienne rédaction des articles 372, 375 et 377 du Code pénal, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 août 2023 portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale en vue de renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs.

Au motif que les formulations des nouveaux articles 372, 372bis, 375 et 377 du Code pénal sont cependant plus larges que celles des anciens textes de la loi et qu’une incrimination définie de manière plus large constitue une loi pénale plus sévère, qui ne saurait par conséquent avoir d’effet rétroactif.

Alors que s’agissant des infractions d’attentats à la pudeur et de viol prévues désormais aux articles 372bis et 375bis du Code pénal, il faut constater, qu’en l’espèce et par application de l’article 2, alinéa 2 du Code pénal, la loi du 7 août 2023 est à considérer comme étant la loi la plus douce quant à l’incrimination de ces deux infractions, étant précisé que les nouvelles dispositions sont plus douces en l’espèce à cause de l’âge de la victime et de l’auteur, de sorte que la Cour d’appel 2 aurait dû appliquer quant aux faits en litige les articles 372bis et 375bis dans leur version respective introduite par cette nouvelle loi ;

Que l’arrêt entrepris encourt la cassation ; ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 2 du Code pénal en ayant appliqué aux faits qui lui étaient reprochés les articles 375 et 377 du Code pénal dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 7 août 2023 visant à renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs (ci-après « la loi du 7 août 2023 »), partant une loi pénale plus sévère que celle du 7 août 2023, laquelle, par l’introduction dans le Code pénal de l’article 375bis, serait à considérer comme la loi pénale la plus douce.

L’article 2, alinéa 1, du Code pénal pose le principe que la loi pénale applicable est celle en vigueur à la date des faits. L’alinéa 2 du même article consacre l’application immédiate de la loi pénale plus douce, exception qui vise tant l’infraction elle-même que la peine.

Afin de vérifier si les juges d’appel ont fait l’exacte application de l’article 2, alinéa 2, du Code pénal, il importe de comparer les deux lois. La comparaison entre les deux lois ne s’opère pas de manière abstraite, mais consiste en un examen concret des éléments amenant à appliquer une loi pénale plutôt qu’une autre.

Il ressort de cette comparaison que la loi nouvelle est, au regard des peines, identique à la loi ancienne en ce qu’elle prévoit les mêmes sanctions, et, au regard des faits punissables, plus sévère que la loi ancienne en ce qu’elle élargit les faits susceptibles d’être qualifiés de viol.

La loi nouvelle est cependant plus douce sur le point de l’élément constitutif de l’infraction de viol tenant à l’absence de consentement de la victime en ce que l’article 375, alinéa 2, du Code pénal dans sa version antérieure à la loi du 7 août 2023 présumait irréfragablement, dans tous les cas, l’absence de consentement du mineur de moins de seize ans, tandis que l’article 375bis, alinéa 2, du Code pénal tel qu’introduit par la loi du 7 août 2023 admet la possibilité du consentement du mineur de moins de seize ans à la double condition qu’il ait atteint l’âge de treize ans accomplis à la date des faits et que la différence d’âge entre les deux personnes impliquées dans l’acte sexuel ne soit pas supérieure à quatre ans.

Il résulte de l’arrêt attaqué qu’à la date des faits, le demandeur en cassation était âgé de vingt-quatre ans et que les mineures étaient âgées respectivement de quinze ans et treize ans accomplis. Pour aucune des deux mineures, la condition de différence d’âge de moins de quatre ans avec le demandeur en cassation n’est partant remplie, de sorte que les éléments objectifs du dossier ne permettent pas au demandeur en cassation d’invoquer à son profit les dispositions nouvelles plus douces et que, partant, l’article 375, alinéa 2, du Code pénal dans sa version antérieure à la loi du 7 août 2023 trouve à s’appliquer.

Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux des juges d’appel, la décision de retenir le demandeur en cassation dans les liens de la prévention de viol se trouve légalement justifiée.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application de l'article 89 de la Constitution et de l'article 6 § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce que l'arrêt attaqué n’exprime pas son raisonnement en droit par rapport aux faits constatés et par rapport au droit applicable, entre autre par rapport aux éléments constitutifs des infractions pénales en cause, à savoir ceux des infractions en rapport avec les articles 375 et 377 du Code pénal.

Alors que la motivation des décisions judiciaires, surtout en instance d'appel, doit permettre au justiciable de comprendre le sens et la portée de l'arrêt, mais encore les motifs qui justifient la décision et la peine, et ce de façon non équivoque.

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

La décision querellée n'exprime pas son raisonnement par rapport aux faits constatés, par rapport au droit applicable et par rapport au dossier répressif.

Surtout quant aux faits, l’arrêt attaqué reprend expressis verbis le jugement de première instance.

La motivation sur les circonstances des infractions retenues, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, fait défaut.

La notion de procès équitable comporte l'obligation de motivation à la portée du prévenu.

Dans les conditions données, la motivation est à tel point lacunaire qu'elle doit être assimilée à une décision non motivée puisque de par sa présentation, elle ne permet pas de remplir la fin de l'article 89 de la Constitution et celle de l'article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme.

Que l’arrêt entrepris encourt la cassation ; ».

Réponse de la Cour A l’article 89 de la Constitution invoqué à l’appui du moyen, il convient de substituer l’article 109 de la Constitution dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2023, partant au jour du prononcé de l’arrêt attaqué.

Le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.

Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant, quant aux éléments constitutifs des infractions, « Les juges de première instance ont fourni une description exhaustive et correcte des faits à laquelle la Cour d’appel se réfère, à défaut de l’existence d’un élément nouveau en instance d’appel. Ils ont de même correctement reproduit les déclarations des prévenus et des témoins tout au long de la procédure et résumé les différents rapports d’expertises, sauf à préciser que PERSONNE5.) n’a pas été entendu au titre de témoin sous la foi du serment à l’audience publique du 18 octobre 2022 tel que retenu par erreur par le tribunal à la page 38 du jugement entrepris.

Les prévenus PERSONNE6.), PERSONNE1.) et PERSONNE7.) ayant critiqué le jugement en ce que la juridiction de première instance a tenu compte des déclarations de PERSONNE8.) et de PERSONNE5.), il y a tout d’abord lieu d’analyser la valeur probante de leurs dépositions.

La Cour d’appel tient ainsi à rappeler plus particulièrement qu’en présence des contestations des prévenus et du principe de la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe au ministère public qui doit rapporter la preuve de la matérialité des infractions qui sont reprochées à ces derniers, tant en fait qu’en droit.

Le Code de procédure pénale adopte, par ailleurs, le système de la libre appréciation de la preuve par le juge pénal qui forme son intime conviction librement sans être tenu par telle preuve plutôt que par telle autre. Ainsi, il interroge sa conscience et décide en fonction de son intime conviction. Le juge pénal apprécie souverainement, en fait, la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde son intime conviction, étant précisé que si le juge pénal peut fonder sa décision sur l’intime conviction, il faut cependant que cette conviction résulte de moyens de preuve légalement admis et administrés en la forme. En d’autres termes, sa conviction doit être l’effet d’une conclusion, d’un travail préliminaire de réflexion et de raisonnement, ne laissant plus de doute dans l’esprit d’une personne raisonnable, étant précisé que le juge est libre d’apprécier la valeur des preuves produites devant lui. Les dépositions d’un coprévenu ou d’un coinculpé ne sont pas à écarter d’office comme élément de preuve.

A la lecture du dossier, la Cour d’appel constate tout d’abord qu’aucun prévenu ou témoin qui a été entendu dans la présente affaire n’a fait des déclarations à charge du coinculpé PERSONNE5.) pouvant faire croire qu’il a participé, en tant qu’auteur ou complice, aux infractions d’attentat à la pudeur et de viol dont PERSONNE2.) et PERSONNE9.) ont été victimes, étant précisé également que suite à l’instruction judiciaire, la chambre du conseil a dit qu’il n’y a pas lieu à poursuite contre lui du chef des infractions de viol et d’attentat à la pudeur qui lui étaient reprochées.

(…) 5 Il faut constater que les déclarations de PERSONNE5.) sont restées constantes tout au long de la procédure en ce qui concerne la participation d’PERSONNE6.), de PERSONNE1.) et de PERSONNE7.), au viol de PERSONNE2.).

Il a ainsi déclaré lors de son audition policière le 28 juin 2016 : et . Devant le juge d’instruction en date du 29 juin 2016, PERSONNE5.) a précisé que . En ce qui concerne le prévenu PERSONNE1.), PERSONNE5.) a encore précisé que .

Quant aux déclarations de PERSONNE8.), la Cour d’appel tient à rappeler que ce dernier s’est rendu à la police le jour même des faits pour rapporter de manière détaillée le déroulement de cette soirée à laquelle il a lui-même participé avec PERSONNE6.), PERSONNE1.) et PERSONNE7.), soirée lors de laquelle les faits en litige se sont réalisés à l’insu de PERSONNE2.). Il n’a nullement minimisé son rôle et n’a pas non plus exagéré par rapport aux faits qui ont trait aux trois autres prévenus. Il a ainsi été constant dans ses déclarations en relation avec les agissements d’PERSONNE6.), de PERSONNE1.) et de PERSONNE7.) en rapport à la victime PERSONNE2.), ayant déclaré devant la police le 27 juin 2016 et , étant noté que ses premières dépositions ont été confirmées en partie par les enregistrements vidéo réalisés par PERSONNE6.).

Lors de son interrogatoire devant le juge d’instruction le 4 juillet 2016, PERSONNE8.) a encore déclaré que .

Au sujet de PERSONNE1.), PERSONNE8.) a déposé que .

Les déclarations de PERSONNE8.) sont encore corroborées par les déclarations des autres témoins sur des éléments qui ne sont pas en lien direct avec les infractions qui sont reprochées aux prévenus, Plus précisément, il y a lieu de renvoyer aux affirmations de PERSONNE8.) d’avoir été menacé avec une arme par PERSONNE10.), au constat qu’un pistolet à gaz a été retrouvé dans l’appartement au moment de la perquisition et aux déclarations de PERSONNE10.) lors des débats de première instance qui a reconnu, sur question spéciale du tribunal, avoir pointé une arme sur PERSONNE8.) pour s’amuser.

6 Devant la juridiction de première instance, PERSONNE8.) est uniquement revenu sur ses déclarations en ce qui concerne sa propre participation au viol de PERSONNE2.), malgré ses précédentes dépositions et l’existence des enregistrements vidéos montrant le prévenu en train de pénétrer PERSONNE2.) avec son pénis.

Il faut noter que les déclarations de PERSONNE5.) et PERSONNE8.) sont, en l’espèce, corroborées par les résultats des analyses ADN qui sont repris en détails aux pages 33 et 34 du jugement dont appel et auxquels la Cour renvoie.

(…) Les déclarations de PERSONNE5.) et PERSONNE8.) sont dès lors concordantes et crédibles et corroborées par les résultats des analyses ADN, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal s’est, entre autres, basé sur ces déclarations pour apprécier la participation des prévenus dans la commission des infractions qui sont reprochées à PERSONNE6.), PERSONNE1.) et PERSONNE7.).

(…) En ce qui concerne les infractions qui sont reprochées aux prévenus et dont PERSONNE2.) a été la victime, le tribunal a correctement énoncé les éléments constitutifs de l’infraction de viol pour ensuite analyser ces éléments par rapport à chaque prévenu.

En particulier, en ce qui concerne l’élément matériel de la pénétration sexuelle, c’est à juste titre que le tribunal a rappelé que toute acte de pénétration sexuelle par le sexe et dans le sexe est constitutif de l’élément matériel du viol.

(…) En ce qui concerne le prévenu PERSONNE1.) qui a toujours contesté avoir violé PERSONNE2.) et qui a avancé une amnésie totale par rapport à la soirée en cause, amnésie qui a tenu jusqu’en première instance, c’est à bon droit et par une motivation que la Cour d’appel fait sienne que le tribunal a tenu pour établi que PERSONNE1.) a pénétré vaginalement PERSONNE2.) avec son pénis en se basant à juste titre sur les déclarations constantes de PERSONNE5.) qui se couvrent avec les dépositions de PERSONNE8.) et en écartant les dépositions d’PERSONNE6.) à ce sujet, étant précisé que l’absence de traces d’ADN de PERSONNE1.) sur la victime PERSONNE2.) n’exclut pas une pénétration vaginale du prévenu.

(…) Quant à l’élément constitutif de l’absence de consentement de la victime PERSONNE2.), c’est par une juste application de l’article 375 du Code pénal que le tribunal a retenu cet élément pour établi dans le chef des trois prévenus, cet article prévoyant en son alinéa 2 que l’absence de consentement est présumée, si la pénétration sexuelle est commise sur un enfant âgé de moins de 16 ans au moment des faits, ce qui est le cas en l’espèce, la victime PERSONNE2.) étant née le DATE2.) et ayant été âgée de 15 ans le jour des faits. C’est de même à bon droit que le tribunal 7 a également retenu l’absence de consentement sur base de l’état d’inconscience, dû à la consommation de cannabis et d’alcool, dans lequel la victime se trouvait au moment des viols et sur base des violences qui ont été utilisées par les prévenus pour la retenir pendant les moments où elle se débattait, violences qui résultent des dépositions de PERSONNE8.) et de l’examen médical subi par la victime le 28 juin 2016, étant précisé que les violences qui ont été exercées sur la victime PERSONNE2.) ne sont pas à qualifier de circonstance aggravante, mais sont à analyser au niveau de l’absence de consentement tel qu’exposé ci-avant au vu du libellé même de l’article 375 alinéa 1 du Code pénal, l’absence de consentement pouvant notamment résulter de l’emploi de violences pour forcer l’acte sexuel.

C’est encore à bon droit et par une motivation que la Cour d’appel fait sienne que la juridiction de première instance a retenu l’intention criminelle dans le chef des trois prévenus, en particulier au vu du jeune âge et de l’état inconscient de la victime, les prévenus devant nécessairement avoir eu connaissance d’imposer un acte sexuel non voulu à la victime PERSONNE2.).

Compte tenu de ce qui précède, c’est à juste titre que le tribunal a retenu la circonstance aggravante de l’âge de la victime, qui avait moins de 16 ans au moment des faits, à savoir quinze ans, et il en va de même de la circonstance aggravante tenant à la pluralité d’auteurs, la juridiction de première instance l’ayant retenue à bon droit, les trois prévenus ensemble avec PERSONNE8.) ayant commis les viols en commun, agissant de concert, dans la même pièce, pendant la même période de temps et en maintenant par moment la victime, par force, sur le canapé.

Le jugement est partant à confirmer en ce que le tribunal a retenu PERSONNE6.), PERSONNE1.) et PERSONNE7.), chacun, en qualité d’auteur, dans les liens de l’infraction à l’article 375 du Code pénal commise au préjudice de PERSONNE2.), avec les circonstances aggravantes prévues à l’article 375, alinéa 3 et à l’article 377, point 3 du même code, sauf à préciser qu’PERSONNE6.) n’a pas violé PERSONNE2.) en la pénétrant , mais exclusivement .

(…) C’est en outre par une juste appréciation des éléments de la cause que le tribunal a retenu le prévenu PERSONNE1.) dans les liens de l’infraction de viol commise au préjudice de PERSONNE9.). En effet, il est établi non seulement par les déclarations de la victime, les dépositions de sa sœur aînée PERSONNE11.), de PERSONNE5.) et de PERSONNE8.), mais encore par le résultat de l’expertise ADN, ainsi que par l’examen gynécologique de la victime le 28 juin 2016, que le prévenu a eu une relation sexuelle non consentante avec la victime qui était âgée de moins de 16 ans, ayant été âgée en l’occurrence de 13 ans, au moment des faits, et qui au vu de son état alcoolisée n’était de surplus plus apte à réaliser ce qui lui arrivait. Au vu de l’état inconscient dans lequel la victime se trouvait, le prévenu devait nécessairement se rendre compte qu’il imposait un acte sexuel forcé à la victime. A l’audience de la Cour d’appel, le prévenu PERSONNE1.) a d’ailleurs reconnu les faits qui lui sont reprochés par rapport à la victime PERSONNE9.).

(…) Le tribunal a à juste titre tenu compte, pour chaque prévenu, de circonstances atténuantes et du dépassement du délai raisonnable, la Cour d’appel renvoyant aux développements exhaustives du tribunal qu’elle fait sienne et qui sont reproduits aux pages 61 à 64 du jugement dont appel, sauf à préciser, tel que le représentant du ministère public l’a souligné à bon escient, que le dépassement du délai raisonnable ne constitue pas une circonstance atténuante, mais a en l’espèce une incidence sur le quantum de la peine.

C’est en outre à bon droit que la juridiction de première instance a décidé, pour chaque prévenu, qu’une partie de la peine de réclusion devra être ferme au vu de la gravité intrinsèque des infractions commises et des conséquences néfastes pour les deux victimes qui doivent vivre avec ce trauma le restant de leur vie.», en renvoyant, quant à la personnalité et à la situation personnelle du demandeur en cassation, à la motivation des juges de première instance selon laquelle « La Chambre criminelle vient à la conclusion en tenant compte du comportement du prévenu PERSONNE1.) tout au long des audiences qui a contesté en bloc l’accusation de viol sur PERSONNE2.) respectivement a soutenu ne plus s’en souvenir, n’a pas pris conscience de la gravité de son comportement, ensemble son attitude méprisante à l’égard de la victime et le sang-froid avec lequel il a violé d’abord PERSONNE9.), encore vierge au moments des faits, puis PERSONNE2.), et en ayant organisé la soirée ensemble avec le prévenu PERSONNE6.) mais en tenant également compte du dépassement du délai raisonnable, qu’une peine d’emprisonnement de 8 ans constitue une sanction adéquate pour punir les infractions commises par le prévenu.

La Chambre criminelle rappelle que la peine, à côté de sa fonction de resocialisation, se doit également d’être dissuasive et rétributive.

La gravité des faits et ses conséquences pour la victime commandent qu’une partie de la peine de réclusion sera ferme.

PERSONNE1.) n’a pas encore subi jusqu’à ce jour de condamnation excluant le sursis à l’exécution des peines, et il ne semble pas indigne de cette faveur. Il convient dès lors de lui accorder la faveur du sursis quant à l’exécution de 5 ans de la peine de réclusion à prononcer à son encontre. » et, en retenant, quant à la loi applicable, « Quant à la version des articles 372, 375 et 377 du Code pénal applicable Il est reproché aux prévenus d’avoir notamment contrevenu aux articles 372, 375 et 377 du Code pénal, articles qui ont été modifiés par la loi du 7 août 2023 portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale en vue de renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs.

9 Suivant l’article 2 du Code pénal « si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l’infraction, la peine la moins forte sera appliquée ».

Les articles 372, 375 et 377 du Code pénal tels que modifiés par la loi du 7 août 2023 précité sanctionnent des mêmes peines l’infraction de l’attentat à la pudeur (actuellement l’infraction de l’atteinte à l’intégrité sexuelle) et l’infraction de viol, chaque fois avec la circonstance aggravante prévue à l’article 377 paragraphe 4°, que les anciens articles, à savoir en ce qui concerne l’infraction de l’atteinte à l’intégralité sexuelle une peine de cinq à dix ans et en ce qui concerne l’infraction de viol une peine de réclusion de cinq à dix ans, le minimum de ces peines étant chaque fois élevé conformément à l’article 266 du Code pénal et le maximum pouvant être doublé.

Les formulations des nouveaux articles 372, 372bis, 375 et 377 du Code pénal sont cependant plus larges que celles des anciens textes de loi.

Une incrimination définie de manière plus large constitue une loi pénale plus sévère, qui ne saurait par conséquent avoir d’effet rétroactif.

Il convient par conséquent d’analyser les faits reprochés aux prévenus en ce qui concerne les infractions de viol et d’attentat à la pudeur à la lumière de l’ancienne rédaction des articles 372, 375 et 377 du Code pénal, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 août 2023 précitée, infractions telles que libellées dans le réquisitoire de renvoi par le ministère public, tel que le tribunal l’a d’ailleurs fait à bon escient. », les juges d’appel ont motivé leur décision sur les points considérés.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 626 alinéa 2 du Code de procédure pénale, En ce que la décision attaquée a décidé que PERSONNE1.) ne bénéficierait que d’un sursis de 60 mois sur la peine d’emprisonnement de 96 mois prononcée dans les liens des infractions prévues aux articles 375 et 377 du Code pénal, Aux motifs qu’une partie de la peine de réclusion devra être ferme au vu de la gravité intrinsèque des infractions commises et de conséquences néfastes pour les deux victimes qui doivent vivre avec ce trauma le restant de leur vie, que le sursis partiel de 60 mois constitue une peine adaptée à la gravité des faits, Alors que selon les conditions de l’article 626 alinéa 2 du Code de procédure pénale concernant le sursis à l’exécution des peines, est exclue le sursis à l’égard 10 des personnes physiques si, avant le fait motivant sa poursuite, le délinquant a été l’objet d’une condamnation devenue irrévocable, à une peine d’emprisonnement correctionnel ou à une peine plus grave du chef d’infraction de droit commun, Que PERSONNE1.) n’a pas encore subi, jusqu’à ce jour, de condamnation excluant le sursis à l’exécution des peines, Que les juges d’appel n’ont pas tenu compte du fait que PERSONNE1.) est parfaitement conscient de la gravité des faits qu’il a commis à l’égard de la victime PERSONNE9.).

Que les juges d’appel n’ont également pas tenu compte, en tant que circonstance atténuante, que PERSONNE1.) a toujours travaillé, ainsi que la situation familiale du prévenu qui habite seul avec sa fille dont il a la garde exclusive, Que la peine prononcée est contraire aux principes retenus dans l’article 626, alinéa 2 du Code pénal ;

Que l’arrêt entrepris encourt la cassation, ».

Réponse de la Cour La disposition visée au moyen, qui ne prévoit pas un droit au sursis intégral, concerne les cas dans lesquels le sursis à l’exécution des peines est exclu. Elle est étrangère au grief formulé, le demandeur en cassation ayant bénéficié d’un sursis partiel.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, En ce que la décision attaquée a certes retenu un dépassement du délai raisonnable, mais n’en a pas tenu compte lors de la fixation du quantum de la peine ;

Alors qu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le quantum de la peine a été réduite en raison du dépassement du délai raisonnable ;

Que l’arrêt entrepris encourt la cassation ; ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertésfondamentales en ne tenant pas compte de l’incidence du dépassement du délai raisonnable sur la fixation du quantum de la peine.

En retenant « Quant aux peines (…) Le tribunal a à juste titre tenu compte, pour chaque prévenu, de circonstances atténuantes et du dépassement du délai raisonnable, la Cour d’appel renvoyant aux développements exhaustifs du tribunal qu’elle fait sienne et qui sont reproduits aux pages 61 à 64 du jugement dont appel, sauf à préciser, tel que le représentant du ministère public l’a souligné à bon escient, que le dépassement du délai raisonnable ne constitue pas une circonstance atténuante, mais a en l’espèce une incidence sur le quantum de la peine.

C’est en outre à bon droit que la juridiction de première instance a décidé, pour chaque prévenu, qu’une partie de la peine de réclusion devra être ferme au vu de la gravité intrinsèque des infractions commises et des conséquences néfastes pour les deux victimes qui doivent vivre avec ce trauma le restant de leur vie.

La peine de réclusion de huit ans dont l’exécution est assortie d’un suris pour la durée de cinq ans, prononcée à l’égard de PERSONNE6.) et la peine de réclusion de six ans dont l’exécution est assortie d’un sursis pour la durée de quatre ans, prononcée à l’égard de PERSONNE7.), ainsi que la peine de réclusion de huit ans dont l’exécution est assortie d’un sursis pour la durée de cinq ans, prononcée à l’égard de PERSONNE1.), constituent des peines adaptées à la gravité des faits et elles sont à confirmer. » et en renvoyant à la motivation des juges de première instance selon laquelle « La Chambre criminelle considère cependant que le dépassement du délai raisonnable ainsi que l’ancienneté des faits sont de nature à l’amener à descendre en-dessous du minimum légal.

En application de l’article 74 du Code pénal, la réclusion de 10 à 15 ans est par application de circonstances atténuantes remplacée par la réclusion de 5 à 10 ans ou même par un emprisonnement non inférieur à trois ans.

La Chambre criminelle vient à la conclusion en tenant compte du comportement du prévenu PERSONNE1.) tout au long des audiences qui a contesté en bloc l’accusation de viol sur PERSONNE2.) respectivement a soutenu ne plus s’en souvenir, n’a pas pris conscience de la gravité de son comportement, ensemble son attitude méprisante à l’égard de la victime et le sang-froid avec lequel il a violé d’abord PERSONNE9.), encore vierge au moments des faits, puis PERSONNE2.), et en ayant organisé la soirée ensemble avec le prévenu PERSONNE6.) mais en tenant également compte du dépassement du délai raisonnable, qu’une peine d’emprisonnement de 8 ans constitue une sanction adéquate pour punir les infractions commises par le prévenu.

12 La Chambre criminelle rappelle que la peine, à côté de sa fonction de resocialisation, se doit également d’être dissuasive et rétributive.

La gravité des faits et ses conséquences pour la victime commandent qu’une partie de la peine de réclusion sera ferme.

PERSONNE1.) n’a pas encore subi jusqu’à ce jour de condamnation excluant le sursis à l’exécution des peines, et il ne semble pas indigne de cette faveur. Il convient dès lors de lui accorder la faveur du sursis quant à l’exécution de 5 ans de la peine de réclusion à prononcer à son encontre », les juges d’appel ont tenu compte du dépassement du délai raisonnable dans la fixation du quantum de la peine.

Il s’ensuit que le moyen manque en fait.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation au pénal, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 23,75 euros ;

le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation au civil.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, sept novembre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de PERSONNE1.) en présence du Ministère Public (CAS-2024-00008 du registre) Par déclaration faite le 15 janvier 2024 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-

Duché de Luxembourg, Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation au pénal contre un arrêt n° 75/23 Crim. rendu le 19 décembre 2023 par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière criminelle.

Cette déclaration de recours a été suivie le 14 février 2024 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Eric SAYS.

Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Il en suit que le pourvoi est recevable au pénal.

Faits et rétroactes Par jugement n° LCRI 68/2022 du 17 novembre 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre correctionnelle, a condamné PERSONNE1.) à une peine de réclusion de 8 ans, assortie d’un sursis quant à l’exécution de 5 ans de cette peine, du chef d’infractions aux articles 375 et 377 du Code pénal pour avoir commis des actes de pénétration sexuelle sur les mineures PERSONNE9.), née le DATE3.) et PERSONNE2.), née le DATE2.).

Sur l’appel du prévenu et du Ministère public, la Cour d’appel a déclaré l’appel de PERSONNE1.) non fondé et l’appel du Ministère public partiellement fondé et a prononcé, par réformation du premier jugement, contre PERSONNE1.) la destitutions des titres, grades, fonctions, emplis et offices publics dont il est revêtu.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Sur le premier moyen de cassation Aux termes du premier moyen de cassation, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 2 alinéa 2 du Code pénal, en faisant une fausse application de la loi pénale dans le temps, en appliquant aux faits reprochés au prévenu, les articles 375 et 377 du Code pénal dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 août 2023visant à renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs en ce que les juges d’appel ont décidé que la nouvelle loi définit une incrimination plus large et constitue ainsi une loi pénale plus sévère, alors que la loi du 7 août 2023, par application de son article 2 alinéa 2 serait à considérer comme loi la plus douce quant aux incriminations de viol et d’attentat à la pudeur, eu égard à l’âge de la victime et de l’auteur des faits.

L’article 2 du Code pénal stipule que :

« Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise.

Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l’infraction, la peine la moins forte sera appliquée ».

Suivant l’article 2 du Code pénal, il s’agit de comparer la loi existant au moment de la commission de l’infraction et la loi existant au moment du jugement.

L'énonciation du principe fondamental de la non-rétroactivité de la loi de pénalité est immédiatement suivie de l'affirmation, à l'alinéa 2, d'un autre principe, celui de la rétroactivité de la loi de pénalité favorable qualifiée de rétroactivité in mitius.

La rétroactivité in mitius pose deux problèmes : quand peut-on dire qu'une loi est plus douce que la loi ancienne ? Quel est le domaine de la rétroactivité in mitius ? Il s'agit de comparer la loi ancienne et la loi nouvelle.

Il faut distinguer deux hypothèses, selon que la loi nouvelle est simple ou complexe.

La loi nouvelle est simple lorsqu'elle ne modifie la loi ancienne que sur un seul point. La comparaison est alors facile. Est une loi plus douce une loi qui supprime une infraction, qui diminue la peine, qui supprime une circonstance aggravante, qui cesse d'incriminer la tentative, la complicité, etc.

Dans ce cas de figure, la détermination de la loi qui doit trouver application est aisée.

Les choses se compliquent lorsque la loi nouvelle est complexe, c’est-à-dire lorsque la loi nouvelle modifie la loi ancienne sur deux points et en des sens opposés : sur un point, la loi nouvelle est plus douce, mais sur un autre point, elle est plus sévère.

Lorsque, dans un même texte coexistent des dispositions plus douces et plus sévères il n’est pas toujours aisé de déterminer la solution à adopter.

En jurisprudence luxembourgeoise, il est admis qu’en cas de conflit entre deux lois successives, le juge ne peut combiner la loi ancienne et la loi nouvelle en prenant dans chacune d’elle, la partie la plus favorable au prévenu. Il doit appliquer l’une des deux lois, à savoir la plus favorable et non créer une troisième par la combinaison de la loi ancienne et de la loi nouvelle1.

1 Cass. 10 juin 2004, n° 2087 du registreQuels critères devra alors appliquer la juridiction qui se trouve face à un conflit de deux lois successives lorsque dans la nouvelle loi coexistent à la fois des dispositions plus douces et plus sévères ? Les mêmes principes que ceux applicables en droit luxembourgeois en matière de rétroactivité, y compris de rétroactivité in mitius étant consacrés par la législation française, la doctrine française et la jurisprudence française peuvent servir de source d’inspiration pour répondre à cette question.

En présence d’une loi complexe, il convient de distinguer entre deux hypothèses.

La loi nouvelle est divisible : lorsque se trouvent mêlées dans un même texte des dispositions à la fois plus douces et plus sévères, la jurisprudence française examine si elles sont divisibles ou non. Dans l’affirmative, elle les applique de manière séparée2.

Les dispositions de la loi nouvelle sont divisibles lorsqu’elles concernent des personnes ou ont des objets différents.

La loi nouvelle est indivisible : si les dispositions nouvelles forment un tout indivisible, la jurisprudence tente de dégager une solution unique pour déterminer la loi qui doit trouver application.

Pour y parvenir, la jurisprudence n’a jamais retenu le système dit de l’application in concreto préconisé par certains auteurs, qui consiste à évaluer les conséquences pratiques auxquelles conduirait l’application de chacun des textes en présence de la personne poursuivie3.

La doctrine distingue classiquement deux méthodes utilisées par les juridictions pénales.

Selon la première méthode, les juridictions rechercheraient la disposition principale, celle-ci exprimant le caractère plus doux ou plus sévère à l’ensemble du texte, quelle que soit la plus ou moins grande sévérité des autres dispositions.

Mais les applications d’une telle méthode sont très limitées et on peut se demander si elles ont vraiment cours aujourd’hui4.

Il semble ainsi plus juste de considérer qu’en présence d’un texte véritablement indivisible, la jurisprudence française n’a recours qu’à une seule méthode : celle de l’appréciation globale.

Selon cette méthode, qui semble être la seule utilisée en pratique, les juridictions pénales tentent de dégager la tendance dominante, plus douce ou plus sévère du texte incriminé5.

Pour déterminer la divisibilité d’un texte de loi, la doctrine française propose le raisonnement suivant :

2 Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, Droit pénal général, 8ème édition, n°350 3 Idem, n°351 4 Idem 5 En ce sens Cass. Crim10 mai 19621°S’il est impossible que les dispositions plus douces de chacune des lois en conflit s’appliquent cumulativement à une même personne à l’occasion d’une même poursuite, il n’y aucun inconvénient à considérer la loi nouvelle comme divisible en appliquant ses dispositions plus douces immédiatement et non ses dispositions plus sévères.

2°Si l’application séparée des dispositions plus douces et plus sévères de la loi nouvelle pourrait avoir comme conséquence de permettre à une même personne à l’occasion d’une même poursuite de bénéficier cumulativement des dispositions plus douces des deux lois en conflit, il convient de faire une distinction en se livrant, à ce stade du raisonnement, à l’analyse de l’économie du texte :

• S’il n’existe entre les différentes dispositions concernées aucun lien nécessaire, il n’y a pas d’inconvénient au cumul.

• Si en revanche les dispositions plus douces de la loi nouvelle sont en quelque sorte la contrepartie des disposition plus sévères qu’elles viennent d’équilibrer, les deux séries de dispositions ne peuvent être appliquées indépendamment l’une de l’autre et doivent donc être considérées comme formant un tout indivisible. En effet, il s’agit d’éviter d’appliquer à titre transitoire un régime juridique « superprivilégié ».

Compte tenu de ce qui précède, il conviendra d’analyser si la loi du 7 août 2023 visant à renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs constitue une loi simple ou complexe, et dans l’hypothèse où il s’agit d’une loi complexe de déterminer si ses dispositions sont divisibles ou non.

Il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi renforçant les moyens de lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des mineurs portant transposition de la directive 2011/93/UE relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie, et portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, ayant abouti à la loi du 7 août 2023, qu’il vise un renforcement du dispositif législatif relatif à la protection, en particulier des mineurs, contre les abus sexuels.

« En premier lieu, la présente réforme vise à inscrire dans le Code pénal une définition du consentement à un acte sexuel, à l'instar d'un projet de loi belge « modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel » qui a été déposé le 19 juillet 2021. Le consentement étant un des éléments — si ce n'est l'élément le plus important — de la qualification des abus sexuels, il apparaît nécessaire de consacrer légalement les principes déjà retenus aujourd'hui par la jurisprudence.

Ensuite, la présente réforme opère un changement de terminologie concernant la notion d'attentat à la pudeur dans le Code pénal, qui sera désormais remplacée par la notion d'atteinte à l'intégrité sexuelle. En effet, la notion d'attentat à la pudeur est désuète et de moins en moins utilisée en droit comparé, notamment dans nos pays voisins.

Ainsi, le Code pénal français prévoit depuis 1994 les infractions d'atteinte sexuelle et d'agression sexuelle et n'utilise plus le terme d'attentat à la pudeur.

En Belgique, où le terme « attentat à la pudeur » est encore actuellement prévu dans la législation pénale. Le projet de loi belge susvisé prévoit le remplacement du terme « attentat à la pudeur » par le terme d’« atteinte à l 'intégrité sexuelle ».

17 Cette modification s'impose, alors que le terme d'attentat à la pudeur, vivement critiqué par la doctrine, ne désigne pas la pudeur individuelle de la victime, mais bien la notion générale de la pudeur telle qu'elle existe dans la collectivité (TA, 06/12/1995, n°2484/95). Or, la valeur à protéger est l'intégrité sexuelle et le droit de la personne à son autodétermination sexuelle.

(…) L'autre objectif du présent projet de loi est d'éviter toute insécurité juridique en créant d'une part une infraction autonome quant au viol sur mineur ainsi qu'aux relations incestueuses imposées au mineur, en fixant, d'autre part, des échelons de peines plus élevés pour chaque type d'infraction.

(…) Le champ matériel des dispositions relatives à l'ensemble des abus sexuels est encore élargi en ce qui concerne les pratiques visées, ceci afin de les adapter aux pratiques sexuelles courantes et, partant, d'éviter que des pratiques en substance équivalentes et en tout cas forcément imposées au mineur soient, selon le corps sur lequel elles sont pratiquées, qualifiées de viol ou d'atteinte à l'intégrité sexuelle. Ainsi, la définition du viol, modifiée en profondeur par la présente réforme, couvre désormais non seulement les actes de pénétration pratiqués par l'auteur sur la personne de la victime, mais encore les actes que la victime serait amenée à pratiquer sur la personne de l'auteur, sur elle-même ou sur une tierce personneJ1 en va de même pour l'infraction d'atteinte à l'intégrité sexuelle (actuellement dénommée attentat à la pudeur).

(…) En effet, force est de constater qu'un nombre croissant d'infractions à caractère sexuel sont soit commises dans l'environnement numérique, soit facilitées par les technologies de l'information et de la communication (TIC). La formulation large des infractions souligne leur caractère « technology neutral », alors que les articles ne font aucune différence entre environnement numérique ou non numérique. Dès lors, les atteintes à l'intégrité sexuelle et les viols « à distance » ou « en ligne » sont également punis.

(…) Enfin, le présent projet vise à modifier le régime des prescriptions applicables en la matière afin de créer l'imprescriptibilité pour certains crimes sexuels dont les mineurs sont victime ».

Le renforcement du dispositif législatif relatif à la protection, en particulier des mineurs, contre les abus sexuels, auquel aspirait le projet de loi a été repris dans son intégralité dans la loi du 7 août 2023.

Tels que l’ont relevé à juste titre les juges d’appel, la nouvelle loi a ainsi défini une incrimination plus large et constitue de ce fait indubitablement une loi nouvelle plus sévère.

La seule disposition introduite par la loi du 7 août 2023 qui est, dans des cas de figure bien limités, constitutive d’une disposition légale moins sévère constitue la clause dite « Roméo et Juliette » qui a été introduite afin de préserver les relations sexuelles lorsque l'auteur et le mineur (qui a atteint l’âge de 13 ans) ont moins de quatre ans d'écart d'âge (par exemple relationentre un mineur de 15 ans et un jeune majeur de 18 ans). Tel qu’il résulte des travaux parlementaires ainsi que de la teneur de l’article 375bis alinéa 2, cette clause ne jouera pas quand la relation n'est pas consentie.

Dans la loi du 7 août 2023 coexistent donc des dispositions plus douces et plus sévères, de sorte qu’elle est à qualifier de complexe.

Etant donné qu’il est impossible que les dispositions définissant une incrimination plus large – qui présupposent l’existence d’une infraction dans le chef de la personne poursuivie - et la clause dite « Roméo et Juliette » - qui exclut l’existence d’une infraction pénale dans le chef de la personne pouvant s’en prévaloir - s’appliquent cumulativement à une même personne à l’occasion d’une même poursuite, la loi est à qualifier de divisible.

Seul l’article 375bis alinéa 2 introduit par la nouvelle loi aurait alors à première vue vocation à s’appliquer dans le dossier soumis à Votre Cour.

En effet, il se dégage de l’article 375, alinéa 2 du Code pénal, dans sa version antérieure à celle introduite par la loi du 7 août 2023, que si l’acte de pénétration sexuelle a été commis sur la personne d’un enfant âgé de moins de seize ans, il n’est pas nécessaire de constater, en tant qu’élément constitutif de l’infraction, que l’enfant a été hors d’état de donner un consentement libre ou d’opposer de la résistance.

L’ancienne loi interdit ainsi tout acte de pénétration sexuelle sur un enfant âgé de moins de seize ans, quelque soit la différence d’âge entre l’auteur et la victime, dès lors que l’enfant, en raison de son jeune âge, de son manque de discernement et de sa vulnérabilité, est incapable de donner un consentement libre à l’acte sexuel commis sur sa personne.

Il s’ensuit que la preuve de l’absence de consentement de l’enfant âgé de moins de seize ans n’a pas besoin d’être rapportée6.

La nouvelle disposition consacrant la clause dite « Roméo et Juliette » est alors en effet plus favorable pour l’auteur d’un acte de pénétration sexuelle sur un mineur qui a atteint l’âge de 13 ans, lorsque cet auteur et le mineur ont moins de quatre ans d'écart d'âge.

Toujours est-il que cette clause ne jouera pas quand l'auteur et le mineur ont plus de quatre ans d'écart d'âge ou lorsque la relation n'est pas consentie.

Or, cette seule disposition plus douce de la nouvelle loi que constitue la clause dite « Roméo et Juliette » n’était à aucun moment susceptible de trouver application en l’occurrence au vu de la différence d’âge entre le demandeur en cassation et les victimes et au vu du fait que les relations sexuelles incriminées ne pouvaient être consenties compte tenu de l’état de la victime PERSONNE2.) qui était alcoolisée et s’était, en raison de sa fatigue, endormie au moment des faits.

Prétendre le contraire en sous-entendant que les relations sexuelles incriminées auraient pu être consenties ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine des juges d’appel qui ont 6 Cass n°39/2022 pénal du 10 mars 2022, numéro CAS-2021-00017 du registreconstaté l’impossibilité de la victime de donner un consentement, même dans l’hypothèse de l’application de la clause dite « Roméo et Juliette »7.

Ladite appréciation relevant du pouvoir souverain du juge du fond et échappant au contrôle de la Cour de cassation, il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Pour le surplus, et compte tenu de ce qui précède, c’est à bon droit que les juges d’appel ont décidé qu’il convenait de faire application des articles 375 et 377 du Code pénal dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 août 2023 visant à renforcer les moyens de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des mineurs au motif que les seules dispositions de la nouvelle loi, qui peuvent trouver application dans le dossier soumis à Votre Cour, définissent une incrimination plus large et constituent ainsi une loi pénale plus sévère.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Aux termes du deuxième moyen de cassation, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 89 de la Constitution et l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en omettant d’exprimer son raisonnement en droit par rapport aux faits constatés et au droit applicable, entre autres par rapport aux éléments constitutifs des infractions pénales en cause, alors que la motivation des décisions judiciaires doit permettre au justiciable de comprendre le sens et la portée de la décision, mais encore des motifs qui justifient la décision et la peine.

Le moyen du défaut de motivation, tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, est un moyen d’ordre formel. Selon une jurisprudence constante de Votre Cour, ce moyen est à rejeter dès lors que, sur le point considéré, la décision attaquée contient une motivation quelle que soit par ailleurs la justesse de celle-ci.

L’arrêt entrepris contient sur plusieurs pages des considérations sur le rôle de l’actuel demandeur en cassation dans la commission des faits et se livre à l’analyse les éléments constitutifs des infractions reprochées, pour aboutir à la conclusion que les éléments constitutifs des infractions reprochées à l’actuel demandeur en cassation se trouvent réunis dans son chef et qu’il est à retenir dans les liens de l’infraction de viol à l’égard des deux victimes.

L’arrêt entrepris par le présent pourvoi, contient ainsi outre l’analyse factuelle une analyse juridique, avec plusieurs renvois au jugement de première instance qui a conclu à la réunion des éléments constitutifs de l’infraction de viol dans le chef de l’actuel demandeur en cassation.

Le jugement de première instance est expressément confirmé sur ce point.

Il en suit que la décision attaquée contient une motivation claire et précise sur les points considérés.

7 Arrêt n° 75/23 - Crim. rendu le 19 décembre 2023, page 82, avant dernier paragraphe.Le moyen est dès lors non fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Aux termes du troisième moyen de cassation, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 626 alinéa 2 du Code de procédure pénale, en décidant que l’actuel demandeur en cassation ne bénéficierait que d’un sursis partiel de 60 mois sur la peine de réclusion prononcée alors que selon les dispositions de cet article, le sursis est exclu à l’égard des personnes physiques si, avant le fait motivant sa poursuite, le délinquant a été l’objet d’une condamnation devenue irrévocable, à une peine d’emprisonnement correctionnel ou à une peine plus grave du chef d’infraction de droit commun et que PERSONNE1.) n’a pas encore subi de condamnation excluant le bénéfice du sursis.

En l’espèce, la Cour d’appel a motivé sa décision de condamner l’actuel demandeur en cassation à une peine de réclusion de 96 mois, dont 36 mois ferme de la manière suivante :

« C’est en outre à bon droit que la juridiction de première instance a décidé, pour chaque prévenu, qu’une partie de la peine de réclusion devra être ferme au vu de la gravité intrinsèque des infractions commises et des conséquences néfastes pour les deux victimes qui doivent vivre avec ce trauma le restant de leur vie ».

Lorsqu’en application l’article 195-1 du Code de procédure pénale, les condamnations à des peines d’emprisonnement ou de réclusion criminelle fermes doivent être spécialement motivées, la loi ne prévoit pas que la décision de condamner un prévenu à une peine de réclusion ou d’emprisonnement ferme n’est possible que si le sursis est légalement exclu.

Le juge répressif peut donc toujours prononcer une peine privative de liberté non assortie du sursis ou assortie d’un sursis qui est uniquement partiel, même en l’absence de toute condamnation antérieure, à la seule condition qu’il motive spécialement cette décision.

Conformément à ce qui a été exposé ci-dessus, les juges d’appel ont spécialement motivé leur décision de ne pas assortir la peine de réclusion prononcée de la mesure du sursis intégral.

Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation Aux termes du quatrième moyen de cassation, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour avoir reconnu le principe d'un dépassement du délai raisonnable, sans cependant en tenant compte lors de la fixation du quantum de la peine.

Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, le demandeur en cassation ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de l’incidence du dépassement du délai raisonnable constaté par eux sur la peine à prononcer, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Bob Piron 22


Synthèse
Numéro d'arrêt : 155/24
Date de la décision : 07/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-11-07;155.24 ?

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