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24/10/2024 | LUXEMBOURG | N°149/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 24 octobre 2024, 149/24


N° 149 / 2024 pénal du 24.10.2024 Not. 40977/22/CD Numéro CAS-2024-00009 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée VOGEL AVOCAT, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Co

ur, en présence du Ministère public l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt att...

N° 149 / 2024 pénal du 24.10.2024 Not. 40977/22/CD Numéro CAS-2024-00009 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée VOGEL AVOCAT, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, en présence du Ministère public l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 16 janvier 2024 sous le numéro 55/24 Ch.c.C. par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Emmanuelle RUDLOFF, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 18 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 5 février 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un juge d’instruction près le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait rendu une ordonnance de non - informer suite à la plainte avec constitution de partie civile du demandeur en cassation. La chambre du conseil de la Cour d’appel a déclaré l’appel, dirigé contre cette ordonnance, irrecevable pour « défaut d’indication de l’identité de l’appelant, dans l’acte d’appel ».

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « La Cour déclare l'appel irrecevable au motif que faute de désignation précise de l'appelant, l'acte d'appel se heurte au principe selon lequel .

En décidant ainsi, alors pourtant qu'il ne pouvait y avoir la moindre difficulté quant à l'individualisation de la seule personne susceptible de faire appel, le sieur PERSONNE1.), dans la mesure où il est l'unique plaignant figurant à l'ordonnance, la Cour d'Appel a privé le justiciable par un formalisme excessif du droit fondamental de l'accès au Tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel, en déclarant son appel irrecevable faute d’indication de son nom dans l’acte d’appel, d’avoir violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») en mettant en œuvre un formalisme excessif. Il expose que l’irrecevabilité de son appel a porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal.

Vu l’article 6, paragraphe 1, de la Convention.

Cet article fixe le cadre du procès équitable et le socle de base des garanties fondamentales dont tout justiciable doit être assuré de pouvoir bénéficier.

La désignation dans l’acte d’appel de la personne exerçant le recours constitue une mention essentielle de sa recevabilité. Cette exigence fait partie des dispositions réglant les modalités de saisine des juridictions et notamment celles relatives à l’exercice des voies de recours qui constituent des règles de procédure d’ordre public.

Le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et il se prête à des limitations en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Celles-ci ne peuvent toutefois pas en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Les juridictions doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure. Il arrive en effet qu’une application particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale porte atteinte au droit d’accès à un tribunal dans son essence même.

Il ressort des actes auxquels la Cour peut avoir égard que l’appelant était parfaitement identifiable sur base de l’ordonnance attaquée, aucune autre personne que lui n’ayant pu introduire un recours et qu’il a d’ailleurs été identifié au vu des deux convocations, dressées par deux greffiers, le 6 mars et le 10 juillet 2023 pour entendre statuer sur l’appel relevé « par le mandataire de PERSONNE1.) ».

En retenant malgré ces éléments, l’irrecevabilité de l’appel, les juges d’appel ont fait preuve d’un formalisme excessif et ont ainsi privé le demandeur en cassation de son droit d’accès à un tribunal. Ils ont, partant, violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt la cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 16 janvier 2024 sous le numéro 55/24 Ch.c.C.

par la chambre du conseil de la Cour d’appel ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

laisse les frais de l’instance en cassation à charge de l’Etat ;

ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt sera transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt sera consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, président, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Claudine ELCHEROTH, conseiller à la Cour d’appel, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Marie-Laure MEYER en présence de l’avocat général Nathalie HILGERT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public N° CAS-2024-00009 du registre Par déclaration faite le 18 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Emmanuelle RUDLOFF, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 55/24 rendu le 16 janvier 2024 par la chambre du conseil de la Cour d’appel.

Cette déclaration de recours a été suivie le 5 février 2024 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour.

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt qui, en confirmant une ordonnance de non-

informer du juge d’instruction, a statué de façon définitive sur l’action publique.

Le pourvoi a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation a été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Le pourvoi est partant recevable.

Faits et rétroactes Par une ordonnance de non-informer du 27 janvier 2023, le juge d’instruction du tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait dit qu’il n’y avait pas lieu d’informer du chef des faits exposés dans une plainte avec constitution de partie civile déposée devant lui par le demandeur en cassation.

Par l’arrêt entrepris par le pourvoi, la Cour d’appel a déclaré l’appel interjeté contre cette ordonnance par l’avocat de l’actuel demandeur en cassationirrecevable au motif que l’acte d’appel ne renseignait pas l’identité de la partie appelante au nom et pour le compte de laquelle l’avocat avait agi.

Sur l’unique moyen de cassation L’unique moyen de cassation est libellé comme suit :

« La Cour déclare l’appel irrecevable au motif que, faute de désignation précise de l’appelant, l’acte d’appel se heurte au principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ».

En décidant ainsi, alors pourtant qu’il ne pouvait y avoir la moindre difficulté quant à l’individualisation de la seule personne susceptible de faire appel, le sieur PERSONNE1.), dans la mesure où il est l’unique plaignant figurant à l’ordonnance, la Cour d’appel a privé le justiciable par un formalisme excessif du droit fondamental de l’accès au Tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » Dans les développements du moyen, le demandeur en cassation considère « que prononcer l’irrecevabilité de l’acte d’appel au motif qu’il ne faisait pas mention de la désignation de la personne exacte exerçant le recours s’inscrit dans une approche par trop formaliste qui n’est pas proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice et porte atteinte à l’essence même de ce droit ».

A l’appui de son moyen tiré de la violation du droit d’accès à un tribunal consacré par l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « Convention »), le demandeur en cassation se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et en particulier à un arrêt rendu par cette Cour le 16 mars 2017 dans une affaire Louli-Georgopoulou c. Grèce (n° 22756/09) et un autre arrêt rendu le 2 février 2023 dans une affaire Rocchia c. France (n° 74530/17).

Le demandeur en cassation fait valoir que la Cour d’appel aurait adopté une interprétation excessivement rigoureuse de la maxime « nul ne plaide par procureur » alors qu’elle aurait pu identifier « l’appelant par simple voie de déduction à partir des pièces du dossier, notamment à partir de :

- l’ordonnance attaquée démontrant qu’aucune autre personne que le sieur PERSONNE1.) ne pouvait introduire un recours, 6 - la convocation de PERSONNE1.), dressée par le greffier en date du 10 juillet 2023 selon laquelle la Chambre du Conseil de la Cour d’appel se réunit « pour y statuer sur l’appel relevé le 1er février par le mandataire de PERSONNE1.) », c’est-à-dire par le personne agissant au nom et pour le compte de PERSONNE1.) ».

L’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :

« La Cour d’appel rappelle qu’il est de jurisprudence que les dispositions réglant les modalités de saisine des juridictions et notamment celles relatives à l’exercice des voies de recours constituent des règles de procédure d’ordre public en ce qu’elles tiennent à l’organisation judiciaire et leur inobservation est sanctionnée par l’irrecevabilité du recours (Cour de cassation, 24 janvier 2019, no 17/2019).

Dans ce même sens, il a été retenu par la chambre du conseil de la Cour d’appel que l’indication de la personne exacte exerçant le recours dans l’acte d’appel constitue une mention essentielle de cet acte étant donné que l’identification de l’appelant participe à la recevabilité du recours et à la délimitation de la saisine de la juridiction d’appel en matière répressive (Ch.c.C., 1er février 2022, no 105/22).

En effet, il s’agit de la simple application de la maxime « nul ne plaide par procureur », qui n’interdit pas de plaider par mandataire, mais qui impose que tous les actes de la procédure indiquent le nom du mandant. Dès lors, quiconque n’agit pas en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, doit indiquer le nom ou les noms de celui ou de ceux qu’il représente. La désignation de la personne exacte exerçant le recours dans l’acte d’appel constitue une mention essentielle de cet acte, étant donné que l’identification du requérant participe à la recevabilité du recours et à la délimitation de la saisine de la juridiction d’appel en matière répressive.

En l’occurrence, il faut constater que l’appel qui a été interjeté par déclaration de Maître Emmanuelle Rudloff en remplacement de Maître Gaston Vogel n’indique pas qu’elle ait agi au nom et pour compte d’une autre personne.

Or, pour qu’un acte de procédure soit régulier, il faut que le mandataire indique le nom du requérant et non seulement son nom, respectivement celui de l’avocat qu’il remplace.

7 Il s’ensuit que le défaut d’indication de l’identité de l’appelant, dans l’acte d’appel, en l’espèce entraîne l’irrecevabilité de cet acte.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, celui-ci est à rejeter.

En effet, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme « le droit à un tribunal » se prête à des limitations implicites. Dans ce même sens la Cour de cassation retient dans un arrêt rendu le 12 novembre 2020 que :« Le droit d’accès au juge tel que prévu par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas absolu. Les Etats peuvent édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours et en fixer les conditions d’exercice. Les limitations au droit d’accès peuvent résulter de règles procédurales tenant aux conditions de recevabilité d’un recours. » Il est relevé en premier lieu que, comme rappelé dans l’arrêt entrepris, Votre Cour décide en rapport avec le droit d’accès au juge, tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, que ce droit n’est pas absolu et que les Etats sont habilités à édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu’ils organisent et à en fixer les conditions d’exercice pourvu que ces réglementations aient pour but d’assurer une bonne administration de la justice1.

Votre Cour décide encore que les dispositions réglant les modalités de saisine des juridictions et notamment celles relatives à l’exercice des voies de recours constituent des règles de procédure d’ordre public et que leur inobservation est sanctionnée par l’irrecevabilité du recours2.

Dans deux arrêts récents, l’un du 2 mars 2023, l’autre du 21 mars 2024, rendus à propos d’espèces où les juges d’appel s’étaient fondés sur la maxime « nul ne plaide par procureur » pour déclarer l’appel introduit par un mandataire judiciaire irrecevable, au motif que l’identité de l’appelant n’avait pas été indiquée dans l’acte d’appel, Votre Cour a rejeté les pourvois en retenant que « la 1 Cass. 21 mars 2024, n° 42/2024 pénal, n° CAS-2023-00114 du registre ;

Cass. 21 décembre 2023, n° 153/2023 pénal, n° CAS-2022-00092 du registre ; Cass. 28 avril 2016, n° 17/2016 pénal, n° 3589 du registre ;

Cass. 29 octobre 2009, n° 35/2009 pénal, n° 2677 du registre.

2 Cass. 21 mars 2024, n° 44/2024 pénal, n° CAS-2023-00098 du registre ;

Cass. 24 janvier 2019, n° 17/2019, n° CAS-2018-00002 du registre.désignation dans la déclaration d’appel de la personne exerçant le recours constitue une mention essentielle de sa recevabilité »3.

Dans l’arrêt du 21 mars 2024, Votre Cour a ainsi validé la motivation des juges d’appel qui avaient déclaré irrecevable l’appel au motif que « l’acte d’appel ne mentionn[ait] (…) pas que le comparant ait agi au nom et pour compte d’une autre personne »4.

Dans l’arrêt du 2 mars 2023, Votre Cour a encore considéré que l’exigence d’indiquer le nom de la personne exerçant le recours s’applique tant à l’égard des appels introduits par voie de courrier électronique sur base de l’article 6 de la loi du 20 juin 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière pénale qu’à ceux introduits, en application de l’article 133 du Code de procédure pénale, par voie de déclaration d’appel au greffe qui est tenu de la consigner sur un registre tenu à cet effet5.

Il est relevé que dans les deux espèces, le comparant qui avait interjeté appel était un avocat, donc un mandataire de justice professionnel.

Il importe encore de relever que Votre arrêt du 2 mars 2023 concerne le cas de figure où l’appel a été introduit par voie de déclaration d’appel établie par l’avocat et envoyée par courrier électronique au greffe conformément à l’article 6 de la loi précitée du 20 juin 2020, alors que l’arrêt du 21 mars 2024 concernait le cas de figure où l’appel avait été interjeté par déclaration au greffe conformément à l’article 133 du Code de procédure pénale. Ce constat revêt une importance dans la mesure où lorsque l’appel est introduit par voie de courrier électronique, le rôle du greffier se limite à la réception de l’acte d’appel, dans la rédaction duquel il n’intervient pas, alors que si l’appel est déclaré devant lui, le greffier confectionne lui-même l’acte d’appel qu’il signe conjointement avec le comparant. La question se pose dans ce contexte dans quelle mesure il appartient au greffier, chargé de recevoir la déclaration d’appel, de participer à la régularité de l’acte d’appel qu’il établit et notamment s’il lui incombe de s’assurer que toutes les mentions indispensables à la recevabilité de l’acte d’appel y figurent et notamment l’identité de l’appelant, si elle est différente de celle du comparant.

Cette question sera examinée ci-dessous au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

3 Cass. 21 mars 2024, n° 44/2024 pénal, précité ; Cass. 2 mars 2023, n° 20/2023 pénal, n° CAS-2022-00072 du registre.

4 Cass. 21 mars 2024, n° 44/2024 pénal, précité.

5 Cass. 2 mars 2023, précité.Votre Cour soumet ainsi les deux cas de figure à la même solution : quel que soit la forme sous laquelle l’appel est interjeté, faute d’indiquer l’identité de l’appelant, l’acte d’appel introduit par un mandataire judiciaire est irrecevable.

L’arrêt entrepris vise le cas de figure où l’appel irrégulier a été introduit par un avocat par voie de déclaration au greffe et s’identifie partant au cas de figure visé dans Votre arrêt du 21 mars 2024.

Dans la droite ligne de cet arrêt, vous pourriez ainsi décider que la désignation dans la déclaration d’appel de la personne exerçant le recours constitue une mention essentielle de sa recevabilité, considérer conformément à Votre jurisprudence rappelée ci-dessus que la réglementation de l’exercice des voies de recours constitue une limitation légitime du droit d’accès au juge, pour en conclure que la Cour d’appel n’a pas violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et donc que le moyen n’est pas fondé.

Il convient cependant d’examiner la conformité d’une telle solution à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il est relevé dans ce contexte que dans les deux arrêts précités, les moyens n’étaient pas fondés sur une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, mais sur des dispositions de droit interne6.

La Cour européenne des droits de l’homme admet que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Elle considère que ces limitations ne peuvent toutefois pas en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé7.

La Cour européenne des droits de l’homme considère que le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte 6 A savoir la violation du principe « nul ne plaide par procureur » et la violation des articles 133 du Code de procédure pénale et 1253 du Nouveau code de procédure civile pour l’arrêt du 21 mars 2024 et la violation de l’article 10bis (actuellement article 15) de la Constitution pour l’arrêt du 2 mars 2023.

7 P.ex. CourEDH 26 juillet 2007, Walchli c. France, n° 35787/03, § 28 ;

26 septembre 2006, Labergère c. France, n° 16846/02, § 17 ; 16 mars 2017, Louli-Georgopoulou c. Grèce, n° 22756/09, § 39 ; 2 février 2023, Rocchia c. France, n° 74530/17, § 22.de barrière qui empêche le justiciable de voir la substance de son litige tranchée par la juridiction compétente8.

D’après la Cour européenne des droits de l’homme, il résulte de ces principes que si le droit d’exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois9.

Lorsqu’elle statue sur la proportionnalité de telles restrictions, la Cour de Strasbourg se montre particulièrement attentive à trois critères à savoir i) la prévisibilité de la restriction ii) le point de savoir qui doit supporter es conséquences négatives des erreurs commises au cours de la procédure et iii) la question de savoir si les restrictions en question peuvent passer pour révéler un « formalisme excessif »10.

En ce qui concerne l’application de ces principes aux faits, il est intéressant d’examiner à cet égard les deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme cités par le demandeur en cassation.

L’arrêt Loili-Georgopoulou c. Grèce concernait une affaire où la juridiction d’appel avait déclaré irrecevable l’appel introduit par la requérante au motif que sa constitution de partie civile lors de l’audience devant la juridiction répressive de première instance n’était pas valable puisque la requérante n’avait pas déclaré qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari défunt qui était la personne lésée par l’infraction pénale. Il ressortait des éléments de la cause que la requérante, en se constituant partie civile, avait déposé devant les juges de première instance une série de documents dont notamment l’acte de décès de son mari, le testament de ce dernier la désignant comme son unique héritière, la décision du tribunal de première instance concluant à la validité du testament et à son enregistrement au registre spécial du tribunal et une attestation qu’aucun autre testament du défunt n’avait été publié. La juridiction de première instance avait accepté la constitution de partie civile de la requérante. Selon cette juridiction, l’acception était fondée sur l’ensemble des éléments du dossier et témoignait de sa volonté de ne pas faire preuve de formalisme excessif dans l’examen de la recevabilité de celle-ci. Dans ces conditions, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré ne pas 8 CourEDH 16 mars 2017, Louli-Georgopoulou c. Grèce, précité, § 39.

9 CourEDH 26 juillet 2007, Walchli c. France, précité, § 29.

10 CourEDH 2 février 2023, Rocchia c. France, précité, § 23.apercevoir « pour quelle raison la [juridiction d’appel] avait décidé d’infirmer la conclusion de la juridiction de première instance quant à la qualité d’héritière de la requérante, qui ne prêtait à aucun doute et à aucune controverse, compte tenu des éléments du dossier et de la volonté manifeste de la juridiction de première instance d’éviter d’assortir le procès d’un formalisme rigide ne servant les intérêts d’aucune des parties à la procédure »11. En conclusion, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention au motif que la limitation au droit d’accès à un tribunal imposée par les juridictions grecques n’était pas proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice et a porté atteinte à l’essence même de ce droit.

Dans l’affaire Rocchia c. France, les faits se présentaient comme suit : La requérante avait été condamnée par défaut par la juridiction répressive de première instance à une peine d’emprisonnement. L’époux de la requérante se présenta pour interjeter appel au nom de celle-ci. Le greffier nota qu’appel avait été déclaré par le comparant « ayant procuration » de la requérante, mais aucun document matérialisant la procuration n’avait été joint à l’acte d’appel. La juridiction d’appel a ainsi rejeté l’appel comme irrecevable au motif que le pouvoir spécial, pour lequel la loi prévoyait qu’il est à annexer à l’acte d’appel dressé par le greffier, faisait défaut. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’il était constant qu’une procuration avait existé et qu’il incombait partant à au greffier de joindre la procuration fournie par l’époux de la requérante à l’acte d’appel. Elle a retenu qu’il y avait dysfonctionnement imputable au service public de la justice et que les juridictions internes avaient fait peser celui-

ci sur la requérante. Elle nota à cet égard que « le greffier devant les juridictions de l’ordre judiciaire est un auxiliaire de justice assermenté, garant de la procédure et participant à la bonne administration de la justice »12. Dans cette espèce, la Cour européenne a conclu à la violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention au motif « qu’en déclarant irrecevable l’appel formé pour le compte de la requérante sans prendre en compte d’autres éléments que les constatations d’un acte d’appel irrégulièrement établi par le greffe, les juridictions internes ont fait peser sur la requérante une charge disproportionnée qui a rompu le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des formalités relatives à la saisine des juridictions et la bonne administration de la justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge »13.

11 CourEDH 16 mars 2017, Louli-Georgopoulou c. Grèce, précité, § 46.

12 CourEDH 2 février 2023, Rocchia c. France, précité, § 29.

13 CourEDH 2 février 2023, Rocchia c. France, précité, § 34.Dans l’arrêt Rocchia c. France, la Cour européenne des droits de l’homme semble ainsi considérer que pour apprécier la régularité de l’acte d’appel quant à la qualité du comparant pour interjeter appel, il ne faut pas s’arrêter aux seules constatations de l’acte d’appel, mais prendre encore en compte d’autres éléments.

Cette solution rejoint celle retenue dans l’affaire Loili-Georgopoulou c. Grèce, où la qualité de la requérante pour constituer partie civile au nom et pour le compte de son défunt mari pouvait être déduite des pièces versées aux juges.

Concernant le rôle joué par le greffier dans la régularité de la procédure, il convient encore de citer un autre arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir celui rendu dans une affaire Walchli c. France14. Dans cette affaire, l’avocat du requérant avait déposé au greffe de la chambre d’instruction de la juridiction d’appel une « requête afin d’annulation » d’actes de la procédure et des poursuites, signée par ses soins. Le greffier estampilla la requête du cachet de la juridiction constatant la date et l’heure de dépôt, puis apposa sa signature sous ce cachet. Le président de la chambre d’instruction de la juridiction d’appel déclara la requête irrecevable en la forme au motif qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une déclaration au greffe signée par le greffier, conformément à ce que prévoyait le code de procédure pénale. La Cour européenne des droit de l’homme s’est interrogée sur le rôle dévolu au greffe dans ce contexte en considérant qu’ « on pouvait légitimement s’attendre de lui qu’il fournisse à l’avocat la formule de déclaration litigieuse à remplir ou, pour le moins qu’il rappelle, le cas échéant, les formalités nécessaires à accomplir, étant souligné que le greffier devant les juridictions des l’ordre judiciaire est un auxiliaire de justice garant de la procédure et participant à la bonne administration de la justice »15. Il est intéressant de noter que le fait que la requête irrégulière ait été déposée non pas par un particulier, mais par un avocat, donc par un professionnel du droit qui est sensé connaître les règles de forme à respecter en rapport avec la recevabilité des recours qu’il introduit, ne semble pas influer sur la décision de la Cour de Strasbourg. Également ici, elle a conclu à une violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention, au motif que les juridictions internes avaient fait preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne les exigences procédurales entourant le dépôt de ladite requête.

Au vu de ces développements, il n’est pas déraisonnable de supposer que dans le cas d’espèce sous revue, la Cour européenne des droits de l’homme considèrerait, à l’instar des arrêts rendus dans les affaires Rocchia c. France, Loili-

14 CourEDH 26 juillet 2007, Walchli c. France, précité.

15 Idem, § 35.Georgopoulou c. Grèce et Walchli c. France, que la décision de la Cour d’appel entreprise par le pourvoi viole l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention.

En effet, conformément à la solution adoptée dans les cas d’espèces exposés ci-

avant, la Cour européenne des droits de l’homme est susceptible de considérer, d’une part, que la Cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif alors qu’elle était en mesure de s’appuyer sur des éléments externes à l’acte d’appel pour identifier l’appelant en la personne de l’actuel demandeur en cassation, puisqu’il résultait des éléments du dossier et notamment de l’ordonnance de non-

informer que l’avocat qui avait relevé appel était le même que celui qui avait déposé la plainte avec constitution de partie civile au nom et pour le compte du demandeur en cassation et qu’il résultait de la teneur de l’ordonnance de non-

informer que le demandeur en cassation était seul à l’origine de la plainte avec constitution de partie civile et avait donc seul intérêt à interjeter appel, de sorte qu’il ne pouvait y avoir de doute raisonnable que l’avocat qui avait relevé appel l’avait fait au nom et pour le compte du demandeur en cassation. Cette analyse est encore confirmée, comme l’indique le demandeur en cassation dans son moyen, par le fait que le greffier a marqué dans la convocation pour l’audience devant la chambre du conseil de la Cour d’appel qu’elle visait le demandeur en cassation PERSONNE1.) et que son objet était de statuer sur l’appel relevé par « le mandataire de PERSONNE1.) » contre l’ordonnance de non-informer du juge d’instruction.

D’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme est susceptible de considérer que le greffier, en tant qu’ « auxiliaire de justice garant de la procédure et participant à la bonne administration de la justice », chargé de consigner la déclaration d’appel de l’avocat appelant, aurait dû rappeler à l’avocat « les formalités nécessaires à accomplir »16 et donc la nécessité d’indiquer l’identité de l’appelant au nom et pour le compte duquel l’avocat entend interjeter appel et qu’en déclarant l’appel irrecevable, la Cour d’appel a fait peser sur le demandeur en cassation les conséquences d’un dysfonctionnement imputable au service public de la justice.

Au vu de ces considérations, le soussigné considère que le moyen est fondé et que l’arrêt encourt la cassation.

Conclusion 16 Selon la formule employée par la CourEDH dans son arrêt du 26 juillet 2007, Walchli c. France, précité, § 35.

Le pourvoi est recevable et fondé.

L’arrêt entrepris encourt la cassation.

Pour le procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc HARPES 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 149/24
Date de la décision : 24/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-10-24;149.24 ?

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