N° 141 / 2024 du 10.10.2024 Numéro CAS-2022-00132 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix octobre deux mille vingt-quatre.
Composition:
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre 1) PERSONNE1.), et 2) PERSONNE2.), les deux demeurant à L-ADRESSE1.), 3) la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), anciennement SOCIETE2.) (Luxembourg), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), actuellement en liquidation volontaire et représentée par le liquidateur, demandeurs en cassation, comparant par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Myriam PIERRAT, avocat à la Cour, et la société civile professionnelle de droit panaméen SOCIETE3.) (comme successeur de SOCIETE2.)), cabinet d’avocats sous forme de société civile constituée selon les lois de la République de Panama, inscrite au Registre Public sous « ROLLO 994 IMAGEN 78 FICHA 3957 », établie à ADRESSE2.), République de Panama, sinon à ADRESSE3.), représentée par Jürgen SOCIETE2.), avocat, défenderesse en cassation, comparant par Maître Cathy ARENDT, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
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Vu l’arrêt attaqué numéro 09/22 - IX - CIV rendu le 26 janvier 2022 sous le numéro 45352 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 23 novembre 2023 par PERSONNE1.), PERSONNE2.) et la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), anciennement SOCIETE2.) (Luxembourg), à la société civile professionnelle de droit panaméen SOCIETE3.) (comme successeur de SOCIETE2.)), déposé le 28 novembre 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 17 janvier 2024 par la société SOCIETE3.) (comme successeur de SOCIETE2.)) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à la société SOCIETE1.), anciennement SOCIETE2.) (Luxembourg), déposé le 22 janvier 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la défenderesse en cassation avait fait pratiquer saisie-
arrêt sur les comptes bancaires des demandeurs en cassation sur base d’une autorisation du président du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg.
Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait validé la saisie-arrêt à concurrence d’un certain montant à charge de chacun des demandeurs en cassation sur base d’une sentence arbitrale étrangère, rendue exécutoire au Luxembourg, après avoir écarté la demande en compensation opposée par les demandeurs en cassation à la demande en validation de la saisie-arrêt.
La Cour d’appel, après avoir écarté le jeu de la compensation légale et de la compensation pour dettes connexes au motif que les conditions légales, respectivement prétoriennes, au jeu de ces mécanismes n’étaient pas réunies, et après avoir conclu que les demandeurs en cassation faisaient valoir la compensation judiciaire, a dit irrecevable la demande reconventionnelle destinée à établir la certitude de la créance des demandeurs en cassation requise pour pouvoir servir de fondement à la mise en œuvre de la compensation judicaire et a confirmé le jugement en ce qu’il a validé la saisie-arrêt.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, de l’article 249 al.1er en combinaison avec l’article 587 du Nouveau Code de procédure civile et de l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour défaut de réponse à conclusions valant défaut de motivation, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation irrecevables et partant l’appel incident partiellement fondé, déclaré l’appel principal non fondé et a confirmé, quoique pour d’autres motifs, les jugements n°76/2017 du 8 mars 2017 et n°155/2017 du 17 mai 2017 pour le surplus, aux motifs que :
Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette.
Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit :
"SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat".
Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. » (arrêt attaqué, pages 13 et 14) alors que pour démontrer l’existence de leur droit de créance, les demandeurs en cassation s’étaient appuyés sur le Contrat (pièce 1), objet du litige ayant donné lieu à la Sentence (pièce 2), comme suit :
Pour rappel, le point 6) du dispositif de la Sentence dispose que […] les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elles [les honoraires etc.] […] ».
Manifestement, cette disposition n’est pas conditionnée à un nouvel accord sur les proportions de partage qui serait postérieur à la Sentence. La mention signifie au contraire que les honoraires, bénéfices etc.
continueront à être partagés à l’avenir et ce . Comme il a été démontré ci-dessus, il a été convenu entre les parties que la défenderesse sub 3) a droit à 30% des honoraires, bénéfices etc.
En effet, le Contrat (pièce 1) stipule à son article 12 que :
payer ensemble les droits annuels concernant les services décrits dans ce contrat, dans la même proportion qui a été accordée avant la date de résiliation. » Et à son article 26 dernier alinéa que :
les honoraires réguliers et continus versés par les clients présentés par SOCIETE4.) ou par le Correspondant continueront à être répartis dans les proportions existantes à la date de cessation du contrat. ».
S’agissant plus particulièrement de cet alinéa de l’article 26, les Appelants se doivent de remplacer la traduction française du contrat versée en tant que pièce 1 par une nouvelle traduction (pièce 15).
En effet, ils ont versé - par erreur - la traduction produite par l’Intimée en 1ère instance et qui avait fait l’objet de vifs débats parce que dans la version originale du contrat en espagnol, le dernier alinéa de l’article 26 avait fait l’objet d’une modification manuscrite dont la traduction versée par l’Intimée n’avait pas tenu compte.
Cette modification manuscrite avait été effectuée sur l’original du contrat à l’occasion de sa signature par les Appelants et avait consisté à biffer les termes dans le dernier paragraphe de l’article 26 (voir p. 8 du contrat en espagnol, pièce 1).
Cette modification est importante parce qu’elle prouve qu’il y a lieu à partage des bénéfices futurs dans tous les cas de résiliation prévus à l’article 26 du contrat.
D’ailleurs, par fax du 20 décembre 2013 (pièce 16), Me Arendt s’est déclarée versée en pièce 7] du dossier. », sans jamais verser de nouvelle traduction, de sorte qu’il faut supposer que le fait d’avoir versé à nouveau la même traduction en appel (pièce 7 de Me Arendt) constitue également une erreur dans le chef de Me Arendt.
La résiliation du contrat ne saurait d’ailleurs constituer un obstacle puisqu’il contient des obligations qui ont justement vocation à subsister après sa résiliation.
Les affirmations de l’Intimée précitées sont encore contredites par les prétentions mêmes de l’Intimée qui a elle-même demandé dans la procédure d’arbitrage, comme le constate le tribunal arbitral lui-même, que :
que les parties ont droit ont le droit conformément à ce qui a été conclu dans le contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur mutuellement, lorsqu’ils existeront, les bénéfices, les honoraires ou les revenus économiques qui puissent se dériver de la vente de sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qui auraient vendue ou produites ou engagées avec des tiers pendant l’application du contrat. » (pièce 7, p. 54) A cette demande de l’Intimée le tribunal a fait droit au motif que c’était prévu dans le contrat aux articles 12 et 26 et a donc déclaré que :
Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elles, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat. » Il est dès lors clair que c’est le tribunal arbitral qui a entériné le partage entre parties prévu aux articles 12 et 26 du contrat et que ce qui avait été convenu dans le contrat continuerait à s’appliquer même si le contrat a été résilié.
L’Intimée contredit donc ouvertement ce qu’elle a elle-même demandé dans sa requête d’arbitrage ! (conclusions récapitulatives des demanderesses en cassation du 27 novembre 2020, pages 15 à 17).
que les demandeurs en cassation avaient encore cité le témoignage d’un associé de la holding du groupe de la défenderesse en cassation (pièce 7) qui a reconnu devant le tribunal arbitral qu’il y avait une obligation dans le chef de la défenderesse en cassation de partager ces revenus avec les demandeurs en cassation et que la défenderesse en cassation avait l’intention de s’en acquitter, comme suit :
Cette mauvaise foi est encore illustrée par le témoignage de Monsieur PERSONNE3.) (qui a rejoint SOCIETE3.) après la résiliation du Contrat et qui, au moment de son témoignage, était un associé de la holding de tête du groupe SOCIETE2.) Fonseca) devant le tribunal arbitral panaméen lors de l’audience du 4 décembre 2009 (pièce 10), que le soussigné a fait traduire par extraits (pièce 11).
Sous serment, Monsieur PERSONNE3.) a affirmé devant le tribunal arbitral au sujet du contrat entre les parties que celui-ci :
"[…] prévoyait également que lorsque la relation se terminerait, nous serions dans l’obligation de continuer à leur payer pour les sociétés existantes leur part des bénéfices annuels et, si on arrivait à ce point, nous avons la ferme intention de ce faire." (pièce 11, dernière page) Il appert donc que la partie de Me Arendt a prétendu devant le tribunal arbitral panaméen qu’elle avait l’intention de respecter son obligation de partager les honoraires, bénéfices etc. avec l’Appelante sub 3) afin d’obtenir un résultat favorable au Panama. » (conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demanderesses en cassation, page 8) et que les demandeurs en cassation avaient enfin pris appui sur un rapport d’expertise prouvant de manière incontestable l’existence d’une créance à leur profit contre la défenderesse en cassation, comme suit :
Afin de donner à la Cour une idée de l’ordre de grandeur de leur créance et les moyens d’apprécier dans quelle mesure la créance invoquée par l’Intimée a disparu par le jeu de la compensation légale, les Appelants ont fait procéder à un calcul en tenant compte de l’activité de SOCIETE2.). (Luxembourg) S.à r.l. jusqu’en février 2010 et en faisant une projection de l’activité future de SOCIETE4.) (Luxembourg) S.à r.l. pour estimer le montant qui leur est dû au titre des années suivantes.
Ce calcul des recettes générées par l’activité de SOCIETE4.) (Luxembourg) S.à r.l., et partant de leurs commissions de 30% pour les années 2010 à 2017, est bien entendu approximatif en se basant essentiellement sur les recettes prévisionnelles de l’année 2010. En effet, c’est l’année la plus pertinente pour calculer ce chiffre prévisionnel puisqu’on peut le faire de façon assez exacte en se basant sur les chiffres de l’année 2009 et des deux premiers mois de 2010 qui sont connus des Appelants.
Ce calcul est exposé et expliqué dans un rapport détaillé établi par un homme de l’art (pièce 8) auquel les Appelants renvoient pour la méthode de calcul appliquée et le détail des calculs.
Il en ressort que le montant prévisionnel de la créance des Appelants pour l’année 2010 s’élève à USD 912.524, montant qui se compose des 3 chiffres suivants :
1) commissions pour nouvelles ventes de structures offshores : USD 85.467, 2) commissions pour forfaits annuels : USD 651.335, 3) commissions pour travaux effectués sur commande : USD 175.722.
Rien que pour l’année 2010, qui est indubitablement l’année pour laquelle le calcul des commissions est le plus précis, l’Intimée doit aux Appelants la somme de USD 912.524, montant qui dépasse à lui tout seul déjà , et de loin la créance de l’Intimée ! » (conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demanderesses en cassation, pages 9 et 10) que les demandeurs en cassation avaient ainsi développé plusieurs arguments destinés à expliciter le point 6 de la Sentence, qu’en décidant que partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. », la Cour d’appel s’est bornée à l’analyse du seul point 6 de la Sentence et a balayé la question de la créance des demandeurs en cassation sans répondre à leurs conclusions et sans motiver sa décision sur la question de savoir pourquoi elle estimait qu’ils n’avaient pas de créance sur la défenderesse en cassation, ce faisant, la Cour d’appel a violé l’article 89 de la Constitution, les articles 249 et 587 du Nouveau Code de procédure civile et l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour défaut de réponse à conclusions. ».
Réponse de la Cour En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, dans sa version antérieure au 1er juillet 2023 au jour du prononcé de l’arrêt attaqué, de l’article 249, alinéa 1, en combinaison avec l’article 587, du Nouveau Code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen vise le défaut de réponse à conclusions qui constitue une forme du défaut de motifs qui est un vice de forme.
Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
Les juges d’appel ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Le moyen reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions des demandeurs en cassation par lesquelles ceux-ci entendaient établir l’existence d’une créance certaine à leur profit ouvrant le champ au jeu de la compensation légale, sinon pour dettes connexes.
En retenant, après avoir exposé en détail les arguments des parties et les pièces sur lesquelles ces arguments prenaient appui, « Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit :
SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat. ».
Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale.
La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. », les juges d’appel ont motivé leur décision d’écarter le jeu de la compensation légale et de la compensation pour dettes connexes.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, de l’article 249 al.1er en combinaison avec l’article 587 du Nouveau Code de procédure civile et de l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour contradiction de motifs, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation irrecevables et partant l’appel incident partiellement fondé, déclaré l’appel principal non fondé et a confirmé, quoique pour d’autres motifs, les jugements n°76/2017 du 8 mars 2017 et n°155/2017 du 17 mai 2017 pour le surplus, aux motifs que :
appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement.
Ce faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire.
Or, la présente instance, comme il importe de le rappeler, est relative à la validation d’une saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n’est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l’existence et l’efficacité du titre.
Il s’ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi.
L’appel incident est ainsi fondé de ce chef.
Le jugement entrepris est donc à reformer en ce que le tribunal a, à tort, déclaré recevables les demandes reconventionnelles formulées par les consorts PERSONNE1.) – PERSONNE2.) et par SOCIETE1.).
(…) La Cour approuve encore le tribunal en ce qu’il a retenu que l’existence de la créance du saisissant n’a pas été valablement remise en cause par les parties saisies.
En effet, en invoquant à titre de défense au fond l’extinction de leur dette par compensation les appelants reconnaissent implicitement, mais nécessairement, le bien-fondé de la demande en validation telle que présentée par l’intimée. En effet, l’offre de compenser vaut offre de payer. Elle équivaut donc à un aveu de non-
paiement qui interdit au débiteur de dénier plus tard l’existence de la créance. » (nous soulignons) alors que la Cour d’appel a dès lors affirmé d’un côté que les demandes des demandeurs en cassation constituaient des demandes reconventionnelles et de l’autre côté qu’elles constituaient une défense au fond, que si elle a estimé, à juste titre, que les demandes des demandeurs en cassation étaient une défense au fond, elle n’aurait pas dû les déclarer irrecevables et auraient dû en connaître, que dès lors, la Cour d’appel s’est contredite au préjudice des demandeurs en cassation, ce faisant, la Cour d’appel a violé l’article 89 de la Constitution, les articles 249 et 587 du Nouveau Code de procédure civile et l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour contradiction de motifs. ».
Réponse de la Cour Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.
Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris en ce que les juges d’appel n’ont pas qualifié l’argument des demandeurs en cassation à la fois de défense au fond et de demande reconventionnelle, mais ont dit que la compensation légale et la compensation pour dettes connexes étaient des défenses au fond dont les conditions n’étaient pas remplies en l’absence de créance certaine dans le chef des demandeurs en cassation, pour en déduire que leur défense devait être qualifiée de demande reconventionnelle ouvrant le cas échéant la voie à la compensation judiciaire.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré du défaut de base légale au regard des articles 1289, 1290 et 1291 du Code civil, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation irrecevables et partant l’appel incident partiellement fondé, déclaré l’appel principal non fondé et a confirmé, quoique pour d’autres motifs, les jugements n°76/2017 du 8 mars 2017 et n°155/2017 du 17 mai 2017 pour le surplus, aux motifs que :
Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette.
Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit :
"SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat".
Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. » alors que la Cour d’appel aurait dû analyser plus en détail les faits prouvant l’existence d’une créance dans le chef des demandeurs en cassation, et notamment l’article 26 du Contrat (pièce 1), objet du litige ayant donné lieu à la Sentence (pièce 2), le témoignage de M. PERSONNE3.) (pièce 7) et le rapport d’expertise versé par les demandeurs en cassation, tous exposés en ces termes dans les conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demandeurs en cassation :
que les demandeurs en cassation s’étaient appuyés sur le Contrat (pièce 1), objet du litige ayant donné lieu à la Sentence (pièce 2), comme suit :
« Pour rappel, le point 6) du dispositif de la Sentence dispose que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elles [les honoraires etc.] […] ».
Manifestement, cette disposition n’est pas conditionnée à un nouvel accord sur les proportions de partage qui serait postérieur à la Sentence. La mention signifie au contraire que les honoraires, bénéfices etc.
continueront à être partagés à l’avenir et ce . Comme il a été démontré ci-dessus, il a été convenu entre les parties que la défenderesse sub 3) a droit à 30% des honoraires, bénéfices etc.
En effet, le Contrat (pièce 1) stipule à son article 12 que :
payer ensemble les droits annuels concernant les services décrits dans ce contrat, dans la même proportion qui a été accordée avant la date de résiliation. » Et à son article 26 dernier alinéa que :
les honoraires réguliers et continus versés par les clients présentés par SOCIETE4.) ou par le CORRESPONDANT continueront à être répartis dans les proportions existantes à la date de cessation du contrat. » (pièce 15 ; nous soulignons).
S’agissant plus particulièrement de cet alinéa de l’article 26, les Appelants se doivent de remplacer la traduction française du contrat versée en tant que pièce 1 par une nouvelle traduction (pièce 15).
En effet, ils ont versé - par erreur - la traduction produite par l’Intimée en 1ère instance et qui avait fait l’objet de vifs débats parce que dans la version originale du contrat en espagnol, le dernier alinéa de l’article 26 avait fait l’objet d’une modification manuscrite dont la traduction versée par l’Intimée n’avait pas tenu compte.
Cette modification manuscrite avait été effectuée sur l’original du contrat à l’occasion de sa signature par les Appelants et avait consisté à biffer les termes "en el parrafo (I) de esta clausula" dans le dernier paragraphe de l’article 26 (voir p. 8 du contrat en espagnol, pièce 1).
Cette modification est importante parce qu’elle prouve qu’il y a lieu à partage des bénéfices futurs dans tous les cas de résiliation prévus à l’article 26 du contrat.
D’ailleurs, par fax du 20 décembre 2013 (pièce 16), Me Arendt s’est déclarée "d’accord à retirer provisoirement cette pièce [c’est-à -dire la fausse traduction versée en pièce 7] du dossier.", sans jamais verser de nouvelle traduction, de sorte qu’il faut supposer que le fait d’avoir versé à nouveau la même traduction en appel (pièce 7 de Me Arendt) constitue également une erreur dans le chef de Me Arendt.
La résiliation du contrat ne saurait d’ailleurs constituer un obstacle puisqu’il contient des obligations qui ont justement vocation à subsister après sa résiliation. » Les affirmations de l’Intimée précitées sont encore contredites par les prétentions mêmes de l’Intimée qui a elle-même demandé dans la procédure d’arbitrage, comme le constate le tribunal arbitral lui-même, que :
que les parties ont droit ont le droit conformément à ce qui a été conclu dans le contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur mutuellement, lorsqu’ils existeront, les bénéfices, les honoraires ou les revenus économiques qui puissent se dériver de la vente de sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qui auraient vendue ou produites ou engagées avec des tiers pendant l’application du contrat. » (pièce 7, p. 54) A cette demande de l’Intimée le tribunal a fait droit au motif que c’était prévu dans le contrat aux articles 12 et 26 et a donc déclaré que :
Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elles, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat. » Il est dès lors clair que c’est le tribunal arbitral qui a entériné le partage entre parties prévu aux articles 12 et 26 du contrat et que ce qui avait été convenu dans le contrat continuerait à s’appliquer même si le contrat a été résilié.
L’Intimée contredit donc ouvertement ce qu’elle a elle-même demandé dans sa requête d’arbitrage ! (conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demanderesses en cassation, pages 15 à 17).
que les demandeurs en cassation avaient encore cité le témoignage d’un associé de la holding du groupe de la défenderesse en cassation (pièce 7) qui a reconnu devant le tribunal arbitral qu’il y avait une obligation dans le chef de la défenderesse en cassation de partager ces revenus avec les demandeurs en cassation et que la défenderesse en cassation avait l’intention de s’en acquitter, comme suit :
Cette mauvaise foi est encore illustrée par le témoignage de Monsieur PERSONNE3.) (qui a rejoint SOCIETE3.) après la résiliation du Contrat et qui, au moment de son témoignage, était un associé de la holding de tête du groupe SOCIETE2.) devant le tribunal arbitral panaméen lors de l’audience du 4 décembre 2009 (pièce 10), que le soussigné a fait traduire par extraits (pièce 11).
Sous serment, Monsieur PERSONNE3.) a affirmé devant le tribunal arbitral au sujet du contrat entre les parties que celui-ci :
"[…] prévoyait également que lorsque la relation se terminerait, nous serions dans l’obligation de continuer à leur payer pour les sociétés existantes leur part des bénéfices annuels et, si on arrivait à ce point, nous avons la ferme intention de ce faire." (pièce 11, dernière page) Il appert donc que la partie de Me Arendt a prétendu devant le tribunal arbitral panaméen qu’elle avait l’intention de respecter son obligation de partager les honoraires, bénéfices etc. avec l’Appelante sub 3) afin d’obtenir un résultat favorable au Panama. » (conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demanderesses en cassation, page 8) et que les demandeurs en cassation avaient enfin pris appui sur un rapport d’expertise (pièce 4) prouvant de manière incontestable l’existence d’une créance à leur profit contre la défenderesse en cassation, comme suit :
Afin de donner à la Cour une idée de l’ordre de grandeur de leur créance et les moyens d’apprécier dans quelle mesure la créance invoquée par l’Intimée a disparu par le jeu de la compensation légale, les Appelants ont fait procéder à un calcul en tenant compte de l’activité de SOCIETE2.). (Luxembourg) S.à r.l. jusqu’en février 2010 et en faisant une projection de l’activité future de SOCIETE4.) (Luxembourg) S.à r.l. pour estimer le montant qui leur est dû au titre des années suivantes.
Ce calcul des recettes générées par l’activité de SOCIETE4.) (Luxembourg) S.à r.l., et partant de leurs commissions de 30% pour les années 2010 à 2017, est bien entendu approximatif en se basant essentiellement sur les recettes prévisionnelles de l’année 2010. En effet, c’est l’année la plus pertinente pour calculer ce chiffre prévisionnel puisqu’on peut le faire de façon assez exacte en se basant sur les chiffres de l’année 2009 et des deux premiers mois de 2010 qui sont connus des Appelants.
Ce calcul est exposé et expliqué dans un rapport détaillé établi par un homme de l’art (pièce 8) auquel les Appelants renvoient pour la méthode de calcul appliquée et le détail des calculs.
Il en ressort que le montant prévisionnel de la créance des Appelants pour l’année 2010 s’élève à USD 912.524, montant qui se compose des 3 chiffres suivants :
1) commissions pour nouvelles ventes de structures offshores : USD 85.467, 2) commissions pour forfaits annuels : USD 651.335, 3) commissions pour travaux effectués sur commande : USD 175.722.
Rien que pour l’année 2010, qui est indubitablement l’année pour laquelle le calcul des commissions est le plus précis, l’Intimée doit aux Appelants la somme de USD 912.524, montant qui dépasse à lui tout seul déjà , et de loin la créance de l’Intimée ! » (conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 des demanderesses en cassation, pages 9 et 10), que ces arguments n’ont été que succinctement rappelés dans l’arrêt attaqué (pages 7et 9) bien que les arbitres eux-mêmes aient prononcé le point 6 sur base de l’article 26 du Contrat, qu’en s’abstenant de creuser la situation factuelle, la Cour d’appel a omis des constatations de fait nécessaires pour caractériser l’une des conditions de la compensation de dettes connexes, à savoir le caractère certain de la créance, ce faisant, la Cour d’appel a entaché son arrêt d’un manque de base légale au regard des articles 1289, 1290 et 1291 du Code civil. ».
Réponse de la Cour Le défaut de base légale suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis qui ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi.
La compensation pour dettes connexes opère de plein droit par la seule force de la loi lorsque deux personnes sont réciproquement créancière et débitrice l’une envers l’autre du chef de créances connexes certaines, la certitude impliquant qu’il ne soit, exception faite de contestations non sérieuses, pas nécessaire de faire établir l’existence de la créance par un juge. La compensation pour dettes connexes opère même pour des créances non liquides ou non exigibles.
Pour écarter l’exception de compensation pour dettes connexes, les juges d’appel ont dit « Il découle de cet article [le point 6 de la sentence arbitrale du 10 février 2010] que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. » En s’abstenant de rechercher, au-delà de l’affirmation du principe d’un droit au partage des honoraires et bénéfices dans le futur et en présence des éléments de preuve invoqués par les demandeurs en cassation à l’appui de leurs prétentions, l’existence d’honoraires et de bénéfices relevant de ce droit au partage et d’en déterminer le cas échéant l’assiette, les juges d’appel n’ont pas donné de base légale à leur décision.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La défenderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens de cassation la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué numéro 09/22 - IX - CIV, rendu le 26 janvier 2022 sous le numéro 45352 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;
rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la défenderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Myriam PIERRAT, sur ses affirmations de droit ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Simone FLAMMANG et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation 1) PERSONNE1.), 2) PERSONNE2.), 3) société à responsabilité limitée SOCIETE1.) c/ société civile professionnelle de droit panaméen SOCIETE3.) & Co (affaire n° CAS-2022-00132 du registre) Sur la recevabilité du pourvoi …………………………………………………………………………………. 18 Sur les faits …………………………………………………………………………………………………………….. 18 Observations préliminaires …………………………………………………………………………………….. 19 Résumé des faits et prétentions des parties ………………………………………………………………. 19 Principes régissant la compensation ………………………………………………………………………… 21 Raisonnement de la Cour d’appel …………………………………………………………………………… 23 Objets des moyens de cassation ……………………………………………………………………………… 25 Sur le premier, troisième, cinquième pris en sa troisième branche, sixième et septième moyen de cassation …………………………………………………………………………………………………. 26 Sur le premier moyen ……………………………………………………………………………………………. 30 Sur le troisième moyen ………………………………………………………………………………………….. 31 Sur le cinquième moyen, pris en sa troisième branche ………………………………………………. 32 Sur le sixième moyen ……………………………………………………………………………………………. 33 Sur le septième moyen ………………………………………………………………………………………….. 34 Sur le deuxième, quatrième et cinquième moyen, ce dernier pris en sa première branche ………………………………………………………………………………………………………………………………. 34 Sur le deuxième moyen …………………………………………………………………………………………. 36 Sur le quatrième moyen …………………………………………………………………………………………. 38 Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche ……………………………………………….. 39 Sur le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche……………………………………………… 41 Conclusion ……………………………………………………………………………………………………………… 43 Le pourvoi des demandeurs en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 29 décembre 2022, d’un mémoire en cassation, signifié le 28 décembre 2022 à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt n° 9/22 – IV – CIV contradictoire rendu en date du 26 janvier 2022 sous le numéro 45352 du rôle par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière civile.
Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.
Il est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par la société civile professionnelle de droit panaméen SOCIETE3.) d’une demande en validation d’une saisie-arrêt, pratiquée, sur base de l’une des dispositions d’une sentence arbitrale rendue dans le cadre d’un litige qui l’opposait à PERSONNE1.), PERSONNE2.) et la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) et déclarée exécutoire à Luxembourg, pour avoir paiement des sommes redues par les tiers-saisis aux défendeurs, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg disait la demande en validation fondée, déclarait recevables les demandes reconventionnelles des défendeurs en condamnation de la partie saisissante au paiement de montants dus en exécution d’une autre disposition de la sentence arbitrale, se disait compétent pour en connaître, ainsi que pour fixer, en exécution de cette disposition, le quantum de la créance des défendeurs, mais ayant considéré que les pièces lui soumises par les défendeurs ne lui permettaient pas de fixer ce quantum, concluait que l’existence de la créance de la partie saisissante n’avait pas été valablement contestée par les défendeurs. Sur appel des défendeurs, la Cour d’appel déclara, par réformation, les demandes reconventionnelles de ces derniers irrecevables, les conditions de la compensation légale, sinon de la compensation pour dettes connexes n’étant pas réunies, la créance alléguée par les appelants ne présentant pas d’ores et déjà la certitude nécessaire à cette fin et la compensation judiciaire impliquant un examen au fond de la créance alléguée qui est incompatible avec une instance de validation d’une saisie-arrêt basée sur un titre exécutoire.
1 Il ne résulte pas des pièces auxquelles vous pouvez avoir égard que l’arrêt attaqué a été signifié aux demandeurs en cassation, de sorte que le délai imposé par l’article 7, alinéa 1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation n’a pas commencé à courir, partant, n’a pas pu être méconnu.
2 Les demandeurs en cassation ont déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la défenderesse en cassation antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi précitée de 1885 ont été respectées. La signification a été faite dans le délai par envoi, par lettre recommandée avec avis de réception, par l’huissier de justice du mémoire, accompagné d’une traduction en langue espagnole, au Ministère des Affaires étrangères sur base de l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile, en l’absence d’un mode de transmission alternatif prévu par une Convention internationale en vigueur entre le Luxembourg et la République de Panama. L’article 156, paragraphe 2, de ce Code dispose que « [l]a signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l’acte à l’autorité compétente pour l’expédier » (voir également en ce sens : Cour de cassation, 8 mai 2014, n° 48/14, numéro 3340 du registre).
Observations préliminaires R é s u m é d e s f a i t s e t p r é t e n t i o n s d e s p a r t i e s L’arrêt attaqué a été rendu dans le contexte d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat3. Ce dernier comportait une clause compromissoire4.
Saisie par la défenderesse en cassation, le tribunal arbitral décida de résoudre le contrat pour manquement des demandeurs en cassation à leurs obligations5. Il déclara par ailleurs, dans le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale « que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elles, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produite, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat »6.
Cette décision avait été adoptée par le tribunal arbitral en réponse à la prétention de la défenderesse en cassation « de déclarer que les parties ont droit conformément à ce qui a été conclu dans le contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur mutuellement, lorsqu’ils existeront, les bénéfices, les honoraires ou les revenus économiques qui puissent se dériver de la vente de sociétés ou de services fournies dans toutes les juridictions accordées, et celles qui auraient été vendues ou produites ou engagées avec des tiers pendant l’application du contrat »7.
Le tribunal arbitral avait fondé sa décision sur le motif suivant :
« Le Tribunal accepte la prétention par le fait que la clause 12 du contrat signé par les parties prévoit que « en cas de fin du contrat, les charges annuelles concernant les services décrits dans [le] contrat continueront à être partagés, avec les mêmes proportions accordé[es] à la date de fin du contrat ». De plus dans la clause 26 du contrat les parties ont conclu que « les honoraires réguliers et continus qui se dérivent des clients présentés par [la défenderesse en cassation] ou [les demandeurs en cassation], continueront à être partagés selon les proportions existantes à la fin du contrat. » ».8 Il renvoya ainsi aux articles, 12 et 26 du contrat conclu entre parties.
L’article 12 du contrat stipule que :
« 12. Pendant toute la durée de validité du présent contrat, [les demandeurs en cassation] s’engage[nt] à commercialiser des sociétés extraterritoriales, des fondations, 3 Arrêt attaqué, page 2, premier alinéa.
4 Idem, même page, deuxième alinéa.
5 Idem, page 13, dernier alinéa, et point n° 1 de la Sentence arbitrale (pièce n° 2 des pièces déposées en photocopie annexées au mémoire en cassation), traduction française, page 69, premier point.
6 Idem, même page, avant-dernier alinéa et point n° 6 de la Sentence arbitrale, traduction française, page 70.
7 Sentence arbitrale précitée, traduction française, page 54, antépénultième alinéa.
8 Idem, même page, avant-dernier alinéa.
des trusts et les services connexes de [la défenderesse en cassation] exclusivement et à utiliser exclusivement [la défenderesse en cassation] pour les prestations d’Agent Agréé (Registered agent) et/ou de Bureau Agréé dans les juridictions extraterritoriales.
Pendant toute la durée de validité du présent contrat, [les demandeurs en cassation] ne pourr[ont] en aucun cas agir en tant qu’agent ou représentant pour la promotion de la vente de sociétés ou de services dans toute juridiction autre que les juridictions extraterritoriales (sans le consentement exprès préalable de [la défenderesse en cassation], et s’engage[nt] à ne pas modifier le présent engagement en cas de cessation de ce contrat. Dans ce dernier cas, les deux parties continueront de partager les frais annuels relatifs aux services décrits dans le présent contrat, dans des proportions identiques à celles qui étaient convenues avant la date de cessation du contrat. »9.
L’article 26 du contrat stipule que :
« 26. Les clauses et termes du présent contrat ne pourront être modifiés sans le consentement mutuel des parties. Ce contrat pourra en outre prendre fin pour l’un des motifs suivants :
[…] iii) Si l’une des parties ne respecte pas les termes du présent contrat, et n’a pas remédié à son manquement dans les 30 jours suivant la demande écrite de la partie lésée, cette dernière pourra résilier le contrat.
En cas de cessation de ce contrat pour les raisons établies précédemment, les honoraires réguliers et continus versés par les clients présentés par [la défenderesse en cassation] ou [les demandeurs en cassation] continueront à être répartis dans les proportions existantes à la date de cessation du contrat. »10.
La défenderesse en cassation fit rendre exécutoire la sentence arbitrale,11, pratiqua une saisie-
arrêt entre les mains de différentes banques auprès desquelles la société demanderesse était titulaire de fonds pour avoir paiement d’une créance constatée par cette sentence12 et sollicita la validation de cette saisie13.
Les demandeurs en cassation opposèrent à cette demande la compensation de cette créance avec celle invoquée par eux contre la défenderesse en cassation sur base du point n° 6, précité, du dispositif de la sentence arbitrale14. Ils firent valoir à cet effet, à titre principal, la compensation légale15 et, à titre subsidiaire, la compensation pour dettes connexes16.
9 Contrat (pièce n° 1 des pièces déposées en photocopie annexées au mémoire en cassation), traduction française, page 4 (c’est nous qui soulignons).
10 Idem, pages 7-8 (c’est nous qui soulignons).
11 Arrêt attaqué, page 2, avant-dernier alinéa.
12 Idem, même page, dernier alinéa. La créance était déduite du point n° 2 du dispositif de la sentence arbitrale, évaluée à 516.811,96.- euros (idem et loc.cit.).
13 Idem, page 3, quatrième alinéa.
14 Idem, même page, avant-dernier alinéa. Cette créance avait été initialement évaluée par eux, de façon provisoire, à 3.000.000.- d’euros (idem et loc.cit.) pour être finalement évaluée à 4.881.931,74.- euros (idem, page 7, dernier alinéa, page 8, antépénultième alinéa, et page 11, deuxième alinéa).
15 Idem, page 7, dernier alinéa.
16 Idem, page 8, deuxième alinéa.
P r i n c i p e s r é g i s s a n t l a c o m p e n s a t i o n La compensation, régie par la Section IV, du Chapitre V, du Titre III, du Livre III du Code civil, comprenant les articles 1289 à 1299, « est un mécanisme d’extinction d’une obligation qui se produit lorsque deux personnes sont réciproquement créancière et débitrice l’une de l’autre »17. Elle se présente sous forme de trois types différents : la compensation légale, la compensation pour dettes connexes et la compensation judiciaire.
La compensation légale « s’opère [ainsi que le dispose l’article 1290 du Code civil] de plein droit par la seule force de la loi ». Elle suppose des créances réciproques18 de somme d’argent ou de choses fongibles19. Ces créances, qui peuvent avoir des causes différentes20, donc ne doivent pas nécessairement être connexes21, et dont l’origine est indifférente22, doivent chacune être « susceptible[s] de faire l’objet d’une demande en exécution forcée »23, donc « être liquides et exigibles »24. Une créance est liquide « lorsque son existence est certaine et que son montant est déterminé »25. La certitude implique qu’il ne soit, exception faite de contestations non sérieuses, pas nécessaire de faire établir l’existence de la créance par un juge26. La liquidité de la créance suppose que le montant en soit évalué27. « En pratique, sinon en droit, la plupart des créances liquides sont déjà certaines. Cela explique que la certitude est généralement sous-
entendue lorsque l’on parle de liquidité. Les deux notions ne doivent cependant pas être confondues car elles sont distinctes et ne coexistent pas toujours. »28. Il est donc sans doute plus correct, même si l’article 1291 du Code civil ne mentionne pas formellement le critère de certitude, de retenir que les deux créances « doivent être certaines, liquides et exigibles »29.
La compensation pour dettes connexes s’explique dans le contexte de l’article 1298 du Code civil. Ce dernier interdit la compensation faite « au préjudice des droits acquis à un tiers », donc, notamment, « en cas de concours de créanciers »30, par exemple « après l’ouverture d’une procédure collective »31, puisque la compensation, dont les conditions sont réunies 17 Pascal ANCEL, Contrats et obligations conventionnelles en droit luxembourgeois, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2015, n° 838, page 882.
18 ANCEL, précité, n° 848, page 888.
19 Article 1291, alinéa 1, du Code civil : « La compensation n’a lieu qu’entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d’argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce […] ».
20 Article 1293 du Code civil : « La compensation a lieu, quelles que soient les causes de l’une ou l’autre des dettes […] ».
21 « D’une manière générale il importe peu que les deux créances proviennent ou non de la même cause, qu’elles soient liées par un même rapport de droit. Une dette de paiement d’un prix de vente née d’un contrat peut se compenser avec une dette d’indemnité née d’un accident de la circulation. » (ANCEL, précité, n° 850, page 890).
22 « Peu importe la cause contractuelle, délictuelle (dommages-intérêts), quasi-contractuelle, légale (par exemple : des dettes fiscales) des créances » (ANCEL, précité, n° 851, page 890).
23 ANCEL, précité, n° 852, page 891.
24 Article 1291, alinéa 1, du Code civil dispose que « [l]a compensation n’a lieu qu’entre deux dettes […] qui sont […] liquides et exigibles ».
25 Pierre VAN OMMESLAGHE, in : DE PAGE, Traité de droit civil belge, Tome II – Les obligations, 1ère édition, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 1568, page 2245.
26 ANCEL, précité, n° 852, page 891.
27 Idem et loc.cit.
28 Nicole-Claire NDOKO, Les mystères de la compensation, Revue trimestrielle de droit civile, 1991, page 661, n° 27.
29 ANCEL, précité, n° 852, page 891.
30 VAN OMMESLAGHE, précité, n° 1578, page 2258.
31 ANCEL, précité, n° 857, page 895.
« après l’événement qui donne naissance au droit acquis du tiers ou au concours »32 « serait de nature à rompre l’égalité entre les créanciers »33. « Appliqué à la lettre, le principe de l’interdiction de la compensation consacré par l’article 1298 du Code civil impliquerait qu’une personne se trouvant, dans le cadre d’un rapport synallagmatique, à la fois débitrice et créancière d’une personne faisant l’objet d’un concours, se voit imposer de payer à la masse la totalité de la dette, tout en devant subir la loi du dividende lors du règlement de sa propre créance »34. C’est pourquoi « la doctrine [française et belge] a imaginé, dans un souci d’équité, l’exception de connexité comme une réponse au principe, jugé trop strict, de l’interdiction de compensation après la naissance d’un concours »35. Elle a été suivie par la jurisprudence des Cours de cassation de France36 et de Belgique37, qui ont fait « œuvre créatrice »38 en créant, de façon prétorienne et contre la lettre de l’article 1298 du Code civil, « la compensation pour dettes connexes » :
« En règle générale, […] la compensation peut jouer entre deux dettes qui n’ont pas la même origine, qui ne trouvent pas leur source dans un même rapport de droit, qui n’ont pas de lien entre elles. Mais, s’il existe un tel lien, s’il y a connexité entre les deux dettes, la jurisprudence […] facilite le jeu de la compensation : on pourra se passer de certaines des conditions [de la compensation légale], ou lever certains obstacles au jeu normal de la compensation légale. En d’autres termes, si la connexité n’est pas une condition nécessaire de la compensation, c’est une condition de substitution, une sorte de joker. »39.
Cette forme prétorienne de compensation pour dettes connexes s’opère, de façon similaire à la compensation légale, de plein droit, donc n’est pas une faculté du juge, qui est tenu de la retenir si les conditions en sont réunies40 :
« […] lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre-elle ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité »41.
Elle s’effectue donc, comme la compensation légale, de plein droit, mais contrairement à celle-
ci, même pour des créances non liquides ou non exigibles.
Cette jurisprudence a été entretemps consacrée en France par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, ayant introduit au Code civil français un article 1348-1, qui dispose que « [l]e juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes au seul motif que l’une des obligations ne serait pas liquidée ou exigible ». Elle a de même été consacrée en Belgique par la loi du 28 avril 2022 portant le livre 5 « Les obligations » du Code 32 VAN OMMESLAGHE, précité, n° 1574, page 2250.
33 Idem et loc.cit.
34 Nicholas OUCHINSKY, in : DE PAGE, Traité de droit civil belge, Tome V – Les sûretés, privilèges et hypothèques, Volume I, 1ère édition, Bruxelles, Bruylant, 2020, n° 302, page 552.
35 Idem, même numéro, page 553.
36 Cour de cassation française, 7 février 1928, D. 1928, I, page 70, note A. BESSON ; idem, première chambre civile, 18 janvier 1967, Bull. civ., I, n° 27 ; idem, troisième chambre civile, 30 mars 1989, Bull. civ. III, n° 77.
37 Cour de cassation de Belgique, 7 décembre 1961, Pas. belge, 1962, I, page 440 ; idem, 2 septembre 1982, Pas.
belge, 1983, I, page 3, idem, 25 mai 1989, Pas. belge, 1989, I, page 1015.
38 Patrick WÉRY, Droit des obligations, Volume 2, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2016, n° 772, page 694.
39 ANCEL, précité, n° 856, page 894.
40 Répertoire Dalloz Droit civil, V° Compensation, par Anne-Marie TOLEDO-WOLFSOHN, avril 2017, n° 50.
41 Cour de cassation française, troisième chambre civile, 30 mars 1989, précité.
civil, qui dispose dans son article 5.261 que « la règle énoncée à l’alinéa 1er [de l’article précité, disposant que « [l]a compensation n’a pas lieu au préjudice des droits acquis par un tiers »] reçoit exception lorsqu’il s’agit d’obligations connexes »42.
Il y a, au minimum, connexité « lorsque les dettes sont nées d’un même contrat »43. Elle est également admise, par la jurisprudence de la Cour de cassation française, « entre les dettes résultant d’un même contrat résolu ou annulé »44.
Cette création prétorienne a été reprise par la jurisprudence de la Cour d’appel45, votre Cour n’ayant jusqu’à présent pas eu l’occasion de se prononcer.
La compensation judiciaire, qui est, comme la compensation pour dettes connexes, de nature prétorienne46, ne s’opère, contrairement à la compensation légale et à la compensation pour dettes connexes, pas de plein droit, mais suppose « une demande reconventionnelle [du débiteur assigné] visant à la condamnation du demandeur principal à payer la dette en sens inverse »47 et ne produit ses effets « que lorsque le jugement sera rendu »48. Elle peut « être ordonnée si l’une des créances n’est pas liquide : c’est le cas typique de la compensation avec une créance de dommages-intérêts non encore liquidée, dont le juge devra fixer le montant »49. Il n’est, en revanche, contrairement à la compensation pour dettes connexes, mais conformément à ce qui vaut pour la compensation légale, « pas nécessaire, pour que le juge prononce la compensation judiciaire, que les deux dettes soient connexes »50.
Toute compensation, donc y compris la compensation pour dettes connexes, suppose que la créance soit certaine, étant précisé qu’il ne suffit pas, pour la rendre incertaine, « que le débiteur assigné en paiement par la voie de la demande reconventionnelle conteste l’existence de sa dette pour échapper à la compensation »51, dès lors « que la créance puisse « être constatée et liquidée sans difficultés et sans retard préjudiciables à l’autre partie » »52. Le constat de la certitude de la créance implique que le juge constate la réalité, donc l’existence, de celle-ci, son jugement n’étant de ce point de vue que déclaratif53.
R a i s o n n e m e n t d e l a C o u r d ’ a p p e l 42 Moniteur belge du 1er juillet 2022, page 54082. Voir également : Pauline COLSON et Bérénice FOSSÉPREZ, Le paiement et les causes d’extinction des obligations dans le livre 5, in Thomas DERVAL et al. (dir.), La réforme du droit des obligations, 1er édition, Bruxelles, Larcier, 2023, pages 731 à 803, voir n° 107, page 796.
43 ANCEL, précité, n° 858, page 895.
44 NDOKO, précité, n° 52, citant (dans la note de base de page n° 101) : Cour de cassation française, première chambre civile, 25 octobre 1972, Bull. civ. I, n° 220 ; idem, chambre commerciale, 29 janvier 1975, Bull. civ. IV, n° 25 ; idem, même chambre 22 juin 1983, Bull. civ. IV, n° 186.
45 Cour d’appel, neuvième chambre, 6 juillet 2006, numéro 28487 du rôle ; idem, septième chambre, 12 juillet 2006, numéro 31003 du rôle ; idem, deuxième chambre, 11 juillet 2018, numéro 42371 du rôle.
46 ANCEL, précité, n° 859, page 896, citant, s’agissant de la jurisprudence luxembourgeoise, à titre de premier précédent : Cour d’appel, 29 janvier 1980, Pas. 25, page 17.
47 Idem et loc.cit.
48 Idem et loc.cit.
49 Idem, n° 860, page 897.
50 Idem, n° 861, page 898.
51 Idem, n° 860, page 897.
52 Idem et loc.cit., citant : Cour d’appel, 29 janvier 1980, précité.
53 NDOKO, précité, n° 30.
La Cour d’appel, après avoir exposé que « [l]a compensation légale est exclue au cas où l’une des dettes est contestée »54, rejeta le moyen tiré de la compensation légale au motif que « au vu des contestations réitérées de la [défenderesse en cassation] portant sur la créance invoquée par les [demandeurs en cassation], aucune compensation légale n’est possible, et ce sans qu’il ait lieu d’en examiner plus avant les conditions d’application »55.
Elle rejeta de même le moyen tiré de la compensation pour dettes connexes au motif « que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette »56, mais que celle-ci fait défaut parce que :
« Selon les [demandeurs en cassation], l’existence de cette dette de la [défenderesse en cassation] à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit :
« SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ».
Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la [défenderesse en cassation] à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les [demandeurs en cassation] ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale.
La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les [demandeurs en cassation] concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. »57.
Après avoir conclu, suite à ces développements, que « [c]e faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire »58, elle constata qu’elles ne pouvaient être admises au motif que :
54 Arrêt attaqué, page 12, huitième alinéa.
55 Idem, page 13, cinquième alinéa.
56 Idem, même page, sixième alinéa.
57 Idem, même page, sixième alinéa, à page 14, troisième alinéa.
58 Idem, page 14, quatrième alinéa (c’est nous qui soulignons).
« Or, la présente instance […] est relative à la validation d'une saisie-arrêt pratiquée sur base d'un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n'est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l'existence et l'efficacité du titre.
Il s'ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi. »59.
Ce motif est à rapprocher de ceux par lesquels la Cour d’appel retint que :
« Dans le cas d’une saisie-arrêt formée en vertu d’un titre exécutoire, le tribunal se borne en principe à statuer sur la régularité de la saisie et à ordonner le versement des deniers saisis au saisissant. Néanmoins dans tous les cas, la juridiction saisie de la demande en validité aura à statuer sur l’existence de la créance du saisissant à l’égard du saisi (PERSONNE4.), Cours de voies d’exécution 1959-1960, p.105) »60 et que « En l’occurrence, le tribunal n’était pas saisi d’une demande principale en paiement, mais uniquement d’une demande en validation de la saisie-arrêt, de sorte que toute demande en compensation judiciaire est irrecevable, seule la compensation légale, sinon la compensation pour dettes connexes pouvant être opposée en tout état de cause, même quand le créancier dispose d’un titre exécutoire étant recevable »61.
O b j e t s d e s m o y e n s d e c a s s a t i o n Les demandeurs en cassation soulèvent sept moyens de cassation.
Leur critique a, en substance, trois objets différents.
Le premier, et principal, objet de leur critique est le refus, par la Cour d’appel, d’admettre l’existence d’une créance des demandeurs en cassation contre la défenderesse en cassation.
Cette critique fait l’objet :
- du premier moyen, tiré de ce point de vue d’un défaut de réponse à conclusions, - du troisième moyen, tiré de ce point de vue d’un défaut de base légale, - du cinquième moyen, pris en sa troisième branche, critiquant l’omission d’une prise en considération, complémentaire à celle de la sentence arbitrale, du contrat conclu entre parties, 59 Idem, même page, cinquième alinéa.
60 Idem, page 11, antépénultième alinéa.
61 Idem, page 13, troisième alinéa.
- du sixième moyen, critiquant une méconnaissance de l’effet obligatoire du contrat par suite d’une mauvaise interprétation de ce dernier et - du septième moyen, critiquant une méconnaissance de l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale par suite d’une mauvaise interprétation de la portée de celle-ci.
Le deuxième objet de leur critique est tiré de ce que, suivant leur lecture de l’arrêt, la Cour d’appel aurait refusé leur demande de compensation parce que celle-ci avait été présentée sous forme d’une demande reconventionnelle et non sous forme d’une défense au fond.
Cette critique fait l’objet :
- du deuxième moyen, tiré d’une contradiction de motifs, - du quatrième moyen, tiré de la critique de l’omission par la Cour d’appel de requalifier la demande reconventionnelle en défense au fond et - du cinquième moyen, pris en sa première branche, tirée de l’omission par la Cour d’appel d’avoir admis la demande tant bien même que celle-ci avait été présentée sous forme de demande reconventionnelle et non sous celle d’une défense au fond.
Le troisième objet de leur critique est tiré de ce que, suivant leur lecture de l’arrêt, la Cour d’appel a rejeté la demande de compensation pour dettes connexes au motif que la créance alléguée par les demandeurs en cassation n’était pas liquide et exigible.
Cette critique fait l’objet :
- du cinquième moyen, pris en sa deuxième branche.
Aux fins de faciliter la compréhension des moyens, ces derniers seront donc analysés de façon regroupée en trois groupes de moyens, composés respectivement :
- du premier, du troisième, du cinquième pris en sa troisième branche, du sixième et du septième moyen, - du deuxième, quatrième et cinquième moyen, pris en sa première branche, - du cinquième moyen, pris en sa deuxième branche.
Sur le premier, troisième, cinquième pris en sa troisième branche, sixième et septième moyen de cassation Le premier moyen est tiré, pour défaut de réponse à conclusions, de la violation des articles 89 de la Constitution, 249, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l’article 587 de ce Code et 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la Cour d’appel constata que « [i]l découle de [l’]article [6 du dispositif de la sentence arbitrale] que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. »62, alors que les demandeurs en cassation, pour démontrer l’existence de leur droit de créance, s’étaient appuyés, dans leurs conclusions récapitulatives, sur les articles 12 et 26 du contrat conclu entre parties63, sur la déposition d’un témoin devant le tribunal arbitral64 et sur un rapport d’expertise65, mais que la Cour d’appel s’est bornée à l’analyse du seul article 6 de la sentence arbitrale, sans répondre aux conclusions et sans motiver au regard de celles-ci pourquoi elle considérait que les demandeurs en cassation n’étaient pas titulaires d’une créance à l’égard de la défenderesse en cassation.
Le troisième moyen est tiré du défaut de base légale au regard des articles 1289, 1290 et 1291 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation irrecevables aux motifs que : « Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette. Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : «SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. »66, alors qu’elle aurait dû analyser plus en détail les faits prouvant l’existence d’une créance des demandeurs en cassation au regard des conclusions de ces derniers, qui s’étaient appuyés, dans leurs conclusions récapitulatives, sur les articles 12 et 26 du contrat conclu entre parties67, sur la déposition d’un témoin devant le tribunal arbitral68 et sur un rapport d’expertise69, de sorte 62 Idem, page 13, dernier alinéa, à page 14, deuxième alinéa.
63 Conclusions récapitulatives des demandeurs en cassation, du 27 novembre 2020 (Pièce n° 4 des pièces de procédure annexées au mémoire en cassation), pages 15 à 17 (voir ce mémoire, page 11, avant-dernier alinéa).
64 Conclusions récapitulatives précitées, page 8 (voir le mémoire en cassation, page 12, quatrième alinéa). Cette déposition figure comme pièce n° 7 des pièces déposées en photocopie (seconde partie des pièces), annexées au mémoire en cassation.
65 Conclusions récapitulatives précitées, pages 9 et 10 (voir le mémoire en cassation, page 12, dernier alinéa).
66 Arrêt attaqué, page 13, sixième alinéa, à page 14, deuxième alinéa.
67 Conclusions récapitulatives des demandeurs en cassation, du 27 novembre 2020 (Pièce n° 4 des pièces de procédure annexées au mémoire en cassation), pages 15 à 17 (voir ce mémoire, page 16, antépénultième alinéa).
68 Conclusions récapitulatives précitées, page 8 (voir le mémoire en cassation, page 17, quatrième alinéa). Cette déposition figure comme pièce n° 7 des pièces déposées en photocopie (seconde partie des pièces), annexées au mémoire en cassation.
69 Conclusions récapitulatives précitées, pages 9 et 10 (voir le mémoire en cassation, page 17m avant-dernier alinéa).
qu’elle a omis des constatations de fait nécessaires pour caractériser l’une des conditions de la compensation de dettes connexes, à savoir le caractère certain de la créance.
Le cinquième moyen est tiré de la violation des articles 1289 à 1291 du Code civil, en ce que la Cour déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette. Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : « SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. Ce faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire. Or, la présente instance, comme il importe de le rappeler, est relative à la validation d'une saisie-
arrêt pratiquée sur base d'un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n'est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l'existence et l'efficacité du titre. Il s'ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi. L’appel incident est ainsi fondé de ce chef. »70, alors que, troisième branche, c’est à tort que, pour apprécier la certitude de la créance invoquée par les demandeurs en cassation et le caractère connexe de celle-ci par rapport à celle invoquée par la défenderesse en cassation, la Cour d’appel s’est limitée à une lecture littérale du point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale, en omettant de prendre en considération l’article 26 du contrat, cité par les arbitres, la compensation pour dettes connexes n’exigeant pas que la dette invoquée ait été reconnue par le débiteur ou judiciairement constatée, la certitude de la dette découlant du fait que celle-ci résulte d’une obligation contractuelle.
Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 1134, alinéa 1, du Code civil, en ce que la Cour déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : « SIXIEME :
Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques 70 Arrêt attaqué, page 13, sixième alinéa, à page 14, septième alinéa.
qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. »71, alors que le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale se limite à reprendre l’article 26 du contrat conclu entre parties, qui stipule que « [e]n cas de cessation de contrat pour les raisons établies précédemment, les honoraires réguliers et continus versés par les clients présentés par SOCIETE4.) ou par le CORRESPONDANT continueront à être répartis dans les proportions existantes à la date de cessation du contrat »72, de sorte que c’est à tort que la Cour d’appel, omettant de tenir compte du contrat, qui était univoque sur ce point, a conclu à l’absence d’obligation au partage des honoraires s’imposant à la défenderesse en cassation et qu’elle a méconnu que la disposition visée impose que « [l]es conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 1350, point 3°, du Code civil, en ce que la Cour déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : « SIXIEME :
Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. »73, alors que la sentence arbitrale et l’ordonnance qui l’a déclarée exécutoire à Luxembourg ont autorité de chose jugée, que le motif qui forme le soutien nécessaire du dispositif participe à l’autorité de la chose jugée, que le droit au partage des honoraires, constaté au point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale, lu à la lumière de l’article 26 du contrat conclu entre parties, qui stipule que « [e]n cas de cessation de contrat pour les raisons établies précédemment, les honoraires réguliers et continus versés par les clients présentés par SOCIETE4.) ou par le CORRESPONDANT continueront à être répartis dans les proportions existantes à la date de cessation du contrat »74, a pour corollaire l’obligation pour l’autre partie de procéder au partage des honoraires, que toute autre acception de ce point du dispositif de la sentence arbitrale 71 Idem, page 13, antépénultième alinéa, à page 14, deuxième alinéa.
72 Pièce n° 1 des pièces déposées en photocopie, annexées au mémoire en cassation, page 8 de la traduction française (les passages marqués ont été soulignés par les demandeurs en cassation).
73 Arrêt attaqué, page 13, antépénultième alinéa, à page 14, deuxième alinéa.
74 Pièce n° 1 des pièces déposées en photocopie, annexées au mémoire en cassation, page 8 de la traduction française (les passages marqués ont été soulignés par les demandeurs en cassation).
priverait celle-ci de tout effet utile, que la Cour d’appel, en omettant de respecter l’obligation au partage reconnue par la sentence arbitrale a méconnu l’autorité de la chose jugée de celle-ci et de l’ordonnance qui l’a rendue exécutoire à Luxembourg.
S u r l e p r e m i e r m o y e n Les demandeurs en cassation critiquent, dans leur premier moyen, que la Cour d’appel a omis de répondre à leurs conclusions récapitulatives dans lesquelles ils avaient, au sujet de la question de la preuve de l’existence de leur créance invoquée à l’encontre de la défenderesse en cassation, tiré argument des articles 12 et 26 du contrat conclu entre parties, d’une déposition de témoin et d’une expertise.
Le moyen est basé sur un défaut de réponse à conclusions, qui constitue un défaut de motifs75.
Les juges d’appel ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation76.
Ils ont implicitement répondu aux points relevés au moyen en retenant que :
« Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : «SIXIEME:
Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ».
Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur.
Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. »77.
Ces motifs expriment, en effet, l’opinion de la Cour d’appel que les moyens de preuve invoqués par les demandeurs en cassation ne sont pas de nature à établir que le droit, prévu par le contrat et reconnu dans la sentence arbitrale, au partage des recettes perçues postérieurement à la résolution du contrat, s’est concrétisé en l’espèce par la naissance d’une créance du fait de la perception concrète de recettes par la défenderesse en cassation. Elle rejette ainsi, implicitement, mais nécessairement, les arguments invoqués par les demandeurs en cassation 75 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 8 juin 2023, n° 70/2023, numéro CAS-2022-00117 du registre (réponse au quatrième moyen).
76 Idem et loc.cit.
77 Arrêt attaqué, page 13, antépénultième alinéa, à page 14, deuxième alinéa.
pour établir la preuve d’une telle créance. Le grief du défaut de motifs, dont celui du défaut de réponse à conclusions ne constitue qu’une variante, n’est pas pertinent pour critiquer le bien-
fondé de cette réponse implicite de la Cour d’appel.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
S u r l e t r o i s i è m e m o y e n Le troisième moyen est tiré d’un défaut de base légale au regard des dispositions légales régissant la compensation.
Le défaut de base légale est une insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit78.
Il permet sous cet aspect de critiquer des appréciations qui, suivant votre jurisprudence, relèvent du pouvoir souverain des juges du fond79. L’objet du grief est précisément de permettre à votre Cour de s’assurer que les juges du fond ont exercé leur pouvoir souverain d’appréciation et n’ont pas négligé des qualifications abandonnées à leur seule appréciation80, telle que, en l’espèce, l’interprétation, par les juges du fond, des obligations respectives des parties découlant du contrat81.
Il s’apprécie en prenant en considération les conclusions d’appel du demandeur en cassation.
Ce sont, en effet, celles-ci qui permettent de déterminer l’étendue de l’obligation de motivation des juges du fond, qui dépend des contestations élevées82.
Pour dénier aux demandeurs en cassation leur prétention tirée de l’existence d’une créance à l’encontre de la défenderesse en cassation la Cour d’appel se limite à tirer argument du libellé du point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale rendue entre parties. Dans ce dernier, les arbitres déclarent « que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle […] les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques »83. La Cour d’appel déduit de ce libellé que le contrat se limite à envisager un droit éventuel, susceptible de s’exercer dans le futur, « un droit au partage in futurum »84, qui ne présente cependant actuellement qu’un caractère hypothétique, donc n’a, à ce stade, pas encore donné lieu à une créance.
Ce motif méconnaît que le droit constaté par la sentence arbitrale en application du contrat conclu entre parties s’applique à partir de la cessation du contrat85, dont il constitue l’une des 78 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 23 mars 2023, n° 34/2023, numéro CAS-2022-00052 du registre (réponse à la première branche du deuxième moyen).
79 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 5e édition, 2015, n° 78.91, page 435.
80 Idem et loc.cit.
81 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 24 mars 2022, n° 44/2022, numéro CAS-2021-00024 du registre (réponse au cinquième moyen).
82 BORÉ, précité, n° 78.82, page 434.
83 Arrêt attaqué, page 13, avant-dernier alinéa (c’est nous qui soulignons).
84 Idem, page 14, premier alinéa.
85 Voir les articles 12 et 26 du contrat, cités ci-avant, invoqués par les demandeurs en cassation dans leurs conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 (Pièce n° 4 des pièces de procédure annexées au mémoire en cassation), pages 15 à 17.
conséquences, et que cette cessation a été prononcée par la sentence arbitrale86. Ce droit n’était donc forcément, au moment où il a été constaté par la sentence arbitrale, que virtuel, parce qu’il concerne le partage des charges, honoraires, bénéfices ou revenus perçus après la cessation du contrat prononcée par la sentence, donc après le prononcé de cette sentence. Or, la créance invoquée par les demandeurs en cassation a pour objet les charges, honoraires, bénéfices et revenus perçus après la cessation du contrat, donc après le prononcé de la sentence, donc à un moment où le droit, qui au moment du prononcé n’était que virtuel, est devenu concret. Il n’est donc pas pertinent de dénier l’existence de la créance, qui ne peut forcément être née que postérieurement à la date du prononcé de la sentence arbitrale, au motif que cette sentence se limite à constater l’existence d’un droit, encore forcément virtuel à la date du prononcé de la sentence, donc qui, par hypothèse, n’était de nature à déployer ses effets, donc de donner, le cas échéant, lieu à naissance d’une créance, qu’après ce prononcé.
Le motif, outre qu’il n’est pas pertinent, est incomplet. Les demandeurs en cassation avaient invoqué dans leurs conclusions récapitulatives la déposition d’un témoin devant le tribunal arbitral87 et un rapport d’expertise88 accréditant la thèse que des charges, honoraires, bénéfices et revenus à partager avec les demandeurs en cassation avaient été perçus par la défenderesse en cassation après la résolution du contrat prononcée par la sentence arbitrale, donc que le droit, encore virtuel au moment du prononcé de la sentence, a fait naître une créance. Il aurait appartenu à la Cour d’appel d’apprécier si et dans quelle mesure le droit des demandeurs en cassation, encore virtuel au moment du prononcé de la sentence arbitrale, au partage de recettes reçues par la défenderesse en cassation après ce prononcé s’est concrétisé et a, le cas échéant, donné lieu à une créance susceptible de faire l’objet d’une compensation.
Le motif critiqué étant inadéquat et insuffisant pour dénier, au vu des conclusions invoquées, l’existence d’une créance à compenser, il s’ensuit que le troisième moyen, tiré d’un défaut de base légale, est fondé.
S u r l e c i n q u i è m e m o y e n , p r i s e n s a t r o i s i è m e b r a n c h e Dans la troisième branche du cinquième moyen, tirée de la violation des articles 1289 à 1291 du Code civil, relatif à la compensation, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir mal apprécié la certitude de la créance invoquée en exigeant que celle-ci doit être reconnue par le débiteur ou judiciairement constatée et ne peut pas simplement résulter d’une obligation contractuelle.
La Cour d’appel a dénié l’existence de la créance invoquée au motif que la sentence arbitrale se limite à constater l’existence d’un droit virtuel futur au partage des recettes reçues par la défenderesse en cassation après la résolution du contrat, sans constater l’existence d’une créance. Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du troisième moyen, que ce motif n’est pas pertinent, puisque le droit des demandeurs en cassation n’était certes, au moment du prononcé de la sentence arbitrale, que de nature virtuelle, mais que ce constat ne contredit pas 86 Arrêt attaqué, page 13, dernier alinéa, et point n° 1 de la Sentence arbitrale (pièce n° 2 des pièces déposées en photocopie annexées au mémoire en cassation), traduction française, page 69, premier point.
87 Conclusions récapitulatives précitées, page 8 (voir le mémoire en cassation, page 17, quatrième alinéa). Cette déposition figure comme pièce n° 7 des pièces déposées en photocopie (seconde partie des pièces), annexées au mémoire en cassation.
88 Conclusions récapitulatives précitées, pages 9 et 10 (voir le mémoire en cassation, page 17m avant-dernier alinéa).
l’existence actuelle d’une créance, qui découle du partage des recettes perçues postérieurement à la résolution du contrat prononcée par la sentence arbitrale. Il a également été vu que ce motif est insuffisant puisqu’il ne tient pas compte des conclusions par lesquelles les demandeurs en cassation avaient invoqué la naissance d’une telle créance après la résolution du contrat.
Il reste que la Cour d’appel n’a, contrairement à ce qui est critiqué par la branche du moyen, pas dénié l’existence de la créance au motif que celle-ci devrait être reconnue par le débiteur ou être judiciairement constatée. Elle n’a pas remis en cause que la créance peut résulter d’une obligation contractuelle. Elle a simplement considéré, sur base du motif critiqué, qu’une telle obligation n’était pas encore née, le droit virtuel des demandeurs en cassation au partage des recettes postérieures à la résolution du contrat ne s’étant pas encore concrétisé.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
S u r l e s i x i è m e m o y e n Dans son sixième moyen, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir méconnu l’article 1134 du Code civil en concluant que les parties au contrat ont, après cessation de ce dernier, droit au partage des recettes générées à la suite de cette cessation, mais qu’il n’existe aucune obligation à charge de la défenderesse en cassation de partager les recettes perçues postérieurement à la cessation du contrat intervenue en cause.
La Cour d’appel opéra une distinction entre le droit, non contesté, des parties au partage des recettes postérieures à la cessation du contrat et l’application de ce droit en l’espèce, donc l’existence d’une créance née de ce droit par suite de la perception, par la défenderesse en cassation, de recettes suite à la résolution du contrat. Si elle admit l’existence de ce droit, virtuel et théorique, elle considéra cependant que les demandeurs en cassation avaient échoué à prouver que ce droit s’est concrétisé en l’espèce par la naissance d’une créance du fait de la perception, par la défenderesse en cassation, de recettes postérieurement à la résolution du contrat. Elle précisa à cet égard que « [s]elon les [demandeurs en cassation], l’existence de cette dette de la [défenderesse en cassation] découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale »89, mais que les arbitres se limitent dans ce point à reconnaître « que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur »90, sans pour autant constater l’existence d’une « obligation à charge de la [défenderesse en cassation] à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties »91. Cette conclusion repose donc sur le constat du défaut de pertinence de la sentence arbitrale pour établir, outre l’existence d’un droit théorique au partage, également celle d’une concrétisation de ce droit par la naissance d’une créance des demandeurs en cassation au paiement par la défenderesse en cassation de leur quote-part à des recettes perçues par celle-ci consécutivement à la résolution du contrat. Ainsi qu’il a été vu ci-avant dans le cadre de la discussion du troisième moyen, cette inaptitude de la sentence arbitrale à établir cette preuve découle de ce que la sentence, en prononçant la résolution du contrat, n’a fait que naître le droit au partage des recettes futures. Elle est donc intervenue avant toute possible perception de recettes par la défenderesse en cassation, partant, était dépourvue de pertinence pour prouver l’existence d’une créance née du fait de cette perception.
89 Arrêt attaqué, page 13, antépénultième alinéa.
90 Idem, même page, dernier alinéa.
91 Idem, page 14, premier alinéa.
Le moyen, qui critique la Cour d’appel d’avoir méconnu le contrat, reconnaissant un droit au partage des recettes perçues après la cessation de ce dernier, alors que l’arrêt, sans méconnaître ce droit, se limite à constater l’inaptitude des moyens de preuve invoqués pour établir que ce droit théorique a, dans les circonstances de l’espèce, donné naissance à une créance par la perception concrète de recettes par la défenderesse en cassation, manque en fait.
S u r l e s e p t i è m e m o y e n Dans son septième moyen, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale. Ils considèrent que celle-ci aurait dû être interprétée de façon à en déduire la preuve d’une créance au partage des recettes perçues par la défenderesse en cassation après la résolution du contrat. Le refus d’admission de cette créance violerait l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale.
Celle-ci avait constaté l’existence du droit des parties au partage des recettes perçues postérieurement à la cessation du contrat. La Cour d’appel prit acte de ce constat. Elle considéra cependant que ce dernier n’établit pas s’il y a eu, postérieurement à la cessation du contrat, prononcée par la sentence arbitrale, perception de recettes par la défenderesse en cassation, de façon à faire naître en faveur des demandeurs en cassation une créance, concrétisant leur droit théorique au partage des recettes perçues. Le rejet de la prétention des demandeurs en cassation ne résulte donc pas d’une méconnaissance de la sentence arbitrale, mais de l’insuffisance de celle-ci à établir cette prétention.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
Sur le deuxième, quatrième et cinquième moyen, ce dernier pris en sa première branche Le deuxième moyen est tiré, pour contradiction de motifs, de la violation des articles 89 de la Constitution, 249, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile en combinaison avec l’article 587 de ce Code et 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la Cour d’appel constata, d’une part, que les demandes des demandeurs en cassation constituaient des demandes reconventionnelles, aux motifs que « les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi »92, et, d’autre part, qu’elles constituent des défenses au fond, aux motifs que « que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement »93 et que « en invoquant à titre de défense au fond l’extinction de leur dette par compensation les appelants reconnaissent implicitement, mais nécessairement, le bien-fondé de la demande en validation telle que présentée par l’intimée »94, alors que ces motifs se contredisent et que si la Cour d’appel a constaté, à juste titre, que les demandes des demandeurs en cassation constituent, non 92 Idem, page 14, sixième alinéa.
93 Idem, même page, troisième alinéa.
94 Idem, page 15, troisième alinéa.
des demandes reconventionnelles, mais des défenses au fond, elle n’aurait pas dû les déclarer irrecevables.
Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 61, alinéas 1 et 2, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette.
Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : […] Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties.
Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. Ce faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire. Or, la présente instance, comme il importe de le rappeler, est relative à la validation d'une saisie-
arrêt pratiquée sur base d'un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n'est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l'existence et l'efficacité du titre. Il s'ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi. »95, alors que les demandeurs en cassation, s’ils ont opposé à la demande en validation des moyens qualifiés erronément par eux de demandes reconventionnelles, se sont cependant en réalité contentés de demander le rejet de la prétention de leur adversaire en invitant le juge à constater, au besoin par des mesures d’instruction, l’ampleur de leur créance et l’extinction consécutive, par compensation légale sinon par compensation de dettes connexes, de celle de la défenderesse en cassation, sans demander la condamnation de celle-ci au surplus de leur créance, de sorte que c’est à tort que la Cour d’appel considéra que les demandeurs en cassation ont demandé « la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée »96 et qu’elle aurait dû requalifier la demande reconventionnelle en simple moyen de défense, cette omission constituant une violation des dispositions visées.
Le cinquième moyen est tiré de la violation des articles 1289 à 1291 du Code civil, en ce que la Cour déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette. Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : « SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient 95 Idem, page 13, sixième alinéa, à page 14, sixième alinéa.
96 Idem, même page, troisième alinéa.
vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. Ce faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire. Or, la présente instance, comme il importe de le rappeler, est relative à la validation d'une saisie-
arrêt pratiquée sur base d'un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n'est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l'existence et l'efficacité du titre. Il s'ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi. L’appel incident est ainsi fondé de ce chef. »97, alors que, première branche, la compensation pour dettes connexes s’applique, comme la compensation légale, de plein droit et suppose, comme la compensation judiciaire, l’intervention du juge ; que, comme elle s’opère de plein droit et affecte l’existence de la créance du saisissant, elle s’impose même en présence d’une demande de validation d’une saisie-arrêt sur base d’un titre exécutoire, qui ne dispense pas le juge de l’obligation de vérifier l’existence de la créance du saisissant, mise en cause par les dettes connexes objet de la compensation ; que, comme elle s’opère de plein droit, le juge n’est pas dispensé d’y procéder parce que le créancier l’a invoquée en formulant une demande reconventionnelle et non une défense au fond.
S u r l e d e u x i è m e m o y e n Le deuxième moyen est tiré d’une contradiction de motifs. La Cour d’appel se serait contredite en ayant, d’une part, constaté que l’invocation par les demandeurs en cassation de la créance de partage des recettes perçues postérieurement à la résolution du contrat en compensation de la créance invoquée par la défenderesse en cassation à l’appui de sa demande de validation de sa saisie-arrêt est à qualifier de « demande reconventionnelle »98 tout en constatant, d’autre part, que cette invocation est à qualifier de « défense au fond »99.
Ces motifs seraient contradictoires parce que la Cour d’appel rejeta les demandes de compensation légale, sinon de compensation pour dettes connexes, parce que les « demandes incidentes par lesquelles les [demandeurs en cassation] concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre [la défenderesse en cassation] et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement »100. Les demandeurs en 97 Idem, page 13, sixième alinéa, à page 14, septième alinéa.
98 Idem, page 14, sixième alinéa.
99 Idem, page 15, troisième alinéa.
100 Idem, page 14, troisième alinéa.
cassation comprennent ce passage comme impliquant que leur prétention avait été refusée parce qu’elle avait été présentée sous forme d’une demande reconventionnelle, mais qu’elle aurait été admise si elle avait été présentée sous forme de défense au fond, donc s’ils s’étaient limités à demander l’extinction de leur dette à raison de leur créance, sans rechercher de surcroît la condamnation de la défenderesse au paiement de quotité de leur créance dépassant leur dette101.
En réalité, la Cour d’appel prend soin de préciser « que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen au fond du litige échappant au juge saisi [d’une demande de validation d’une saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire] »102.
L’irrecevabilité ne trouve donc pas sa justification dans le fait que les demandes de compensation légale, sinon pour dettes connexes, avaient été présentées sous forme d’une demande reconventionnelle, mais qu’elles l’avaient été par le biais d’une demande reconventionnelle impliquant un « examen au fond »103 dépassant celui résultant d’un simple « moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement »104 parce qu’elle suppose un examen tendant « à la constatation par le juge d’une créance »105, donc l’examen nécessaire pour procéder « à la compensation judiciaire »106 qui, ainsi qu’il a été vu ci-avant, n’opère, contrairement à la compensation légale et à la compensation pour dettes connexes, pas de plein droit, mais ne produit ses effets « que lorsque le jugement sera rendu »107.
La Cour d’appel distingue donc, dans le contexte d’instances en validation de saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire, entre demandes de compensation légale ou pour dettes connexes :
- n’impliquant pas, comme en matière de compensation judiciaire, la constatation de la créance, qui sont recevables même si elles sont présentées sous forme de demande reconventionnelle et celles - impliquant un tel examen, qui sont irrecevables qu’elles aient été présentées sous forme de demande reconventionnelle ou de simple défense au fond.
Le critère de recevabilité de la demande de compensation retenu par la Cour d’appel n’est donc pas la forme dans laquelle celle-ci a été présentée, que ce soit sous forme d’une défense au fond ou d’une demande reconventionnelle, mais le fond de celle-ci, donc la question de savoir si elle oblige ou non le juge à constater la créance, donc de procéder à un examen au fond échappant à son pouvoir de juge saisi de la validation d’une saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire. Une compensation légale ou pour dettes connexes peut donc, dans cette logique, être présentée sous forme de demande reconventionnelle, tant que celle-ci n’implique pas un tel examen au fond.
101 Idem, page 11, troisième alinéa : la Cour d’appel y constate que les demandeurs en cassation présentèrent, dans le cadre d’un appel incident, une demande reconventionnelle en paiement d’un montant de 4.881.931,74.- euros, à compenser avec les 516.811,96.- euros de la créance de la défenderesse en cassation.
102 Idem, page 14, cinquième alinéa.
103 Idem, même page, sixième alinéa.
104 Idem, même page, troisième alinéa.
105 Idem, et loc.cit.
106 Idem, même page, quatrième alinéa.
107 ANCEL, précité, n° 859, page 896.
Dans leur moyen les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir qualifié leur demande de compensation légale, sinon pour dettes connexes, tantôt de « demandes reconventionnelles »108, tantôt de « défense au fond »109.
La demande reconventionnelle « se distingue d’un simple moyen de défense en ce qu’elle a pour finalité l’obtention d’un avantage autre que le simple rejet de la demande principale »110.
Tandis que « [l]a défense au fond a pour vocation de faire rejeter la demande adverse »111, « la demande reconventionnelle aurait pu faire l’objet d’un procès à elle toute seule [donc] [e]lle aurait pu être invoquée à titre autonome »112. « [À] la différence du simple moyen de défense [elle] modifie l’objet du litige »113.
La demande de compensation présentée en l’espèce présente du point de vue de ces critères une forme hybride :
- dans la mesure où elle tend à l’extinction de la dette invoquée par la défenderesse en cassation, elle tend à rejeter la demande de validation de la saisie-arrêt pratiquée pour avoir paiement de cette dette, de sorte qu’elle constitue de ce point de vue une défense au fond, - dans la mesure où elle tend à condamner la défenderesse en cassation au paiement d’un montant dépassant la dette invoquée par celle-ci, elle tend à l’obtention d’un avantage différent de celui du simple rejet de la demande, de sorte qu’elle aurait à ce titre pu être invoquée à titre autonome et qu’elle modifie l’objet du litige, ce qui implique qu’elle constitue, dans cette mesure, une demande reconventionnelle.
Il n’existe donc aucune contradiction à qualifier la demande de compensation présentée en l’espèce, au regard de sa forme, de demande reconventionnelle114 tout en la qualifiant, dans la mesure où elle tend à l’extinction de la dette par compensation, comme défense au fond.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
S u r l e q u a t r i è m e m o y e n Dans leur quatrième moyen les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel de s’être abstenue de requalifier leur demande reconventionnelle en défense au fond.
Cette critique repose sur la double prémisse :
- que la Cour d’appel a rejeté leur demande de compensation au motif que celle-ci avait été présentée sous forme de demande reconventionnelle et non sous forme de défense au fond et 108 Arrêt attaqué, page 14, sixième alinéa.
109 Idem, page 15, troisième alinéa.
110 Jurisclasseur Procédure civile, Fasc. 600-35 : Demande reconventionnelle, par Xavier MARCHAND, juillet 2017, n° 5.
111 Idem, n° 11.
112 Idem et loc.cit.
113 Idem, n° 12.
114 Arrêt attaqué, page 11, troisième alinéa.
- que cette demande a été rejetée parce qu’elle tendait « à la constatation par le juge d’une créance »115.
S’agissant de la première prémisse, il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du deuxième moyen, que la Cour d’appel n’a pas déclaré la demande de compensation irrecevable parce que celle-ci avait été présentée sous forme d’une demande reconventionnelle, mais parce qu’elle avait été présentée sous une telle forme dans un cas dans lequel elle « impliqu[ait] un examen du fond du litige échappant au juge saisi [d’une demande de validation d’une saisie-
arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire] »116. L’irrecevabilité de la demande trouvait donc sa cause, non dans la forme de celle-ci, présentée comme demande reconventionnelle, mais en ce qu’elle impliquait « la constatation par le juge d’une créance »117 non d’ores-et-déjà établie.
Une requalification de la demande en défense au fond n’aurait donc pas été pertinente pour sauver celle-ci de l’irrecevabilité.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
S’agissant de la seconde prémisse, la demande, présentée dans le contexte d’une demande de validation d’une saisie-arrêt sur base d’un titre exécutoire, n’a pas été d’office déclarée irrecevable pour impliquer « la constatation par le juge d’une créance »118. Cette irrecevabilité n’a été prononcée que suite au constat d’insuffisance du moyen de preuve invoqué par les demandeurs en cassation pour établir l’existence de leur créance, à savoir le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale119, rendue exécutoire à Luxembourg120, donc constituant un titre exécutoire. Dans la logique du raisonnement de la Cour d’appel, la compensation légale ou pour dettes connexes dans le contexte d’une demande de validation d’une saisie-arrêt sur base d’un titre exécutoire suppose que la créance invoquée au titre de la compensation soit d’ores-et-déjà établie et ne suppose pas une constatation par le juge. Or, suivant l’appréciation de la Cour d’appel le moyen de preuve invoqué à ce titre par les demandeurs en cassation était insuffisant, de sorte que la constatation de la compensation dépassait, dans ce contexte, ses pouvoirs.
Cette conclusion est étrangère à la question de savoir si la demande de compensation a été présentée sous forme de demande reconventionnelle ou sous forme de défense au fond.
Il s’ensuit que, pour ce second motif complémentaire, le moyen manque encore en fait.
S u r l e c i n q u i è m e m o y e n , p r i s e n s a p r e m i è r e b r a n c h e Dans la première branche du cinquième moyen, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir déclaré irrecevable la demande de compensation présentée dans une instance de validation d’une saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire au motif que cette demande avait été présentée sous forme de demande reconventionnelle, obligeant la Cour 115 Idem, page 14, troisième alinéa.
116 Idem, même page, sixième alinéa.
117 Idem, même page, troisième alinéa.
118 Idem et loc.cit.
119 Idem, page 13, antépénultième alinéa.
120 Idem, page 2, avant-dernier alinéa.
d’appel à constater la créance et à procéder ainsi à un examen au fond du litige qui lui échappe, et non sous forme d’une défense au fond, comme celle qui serait tirée du paiement.
Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du deuxième moyen, que la Cour d’appel n’a pas déclaré la demande de compensation irrecevable parce que celle-ci avait été présentée sous forme d’une demande reconventionnelle et non sous forme d’une défense au fond, mais parce que, indépendamment de sa forme, elle impliquait un examen du fond du litige, obligeant le juge à constater la créance, ce qui, de l’avis des juges d’appel, ne se concevrait pas dans le cadre d’une instance de validation d’une saisie-arrêt pratiquée sur base d’un titre exécutoire.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
Il reste, d’une part, qu’il a été vu ci-avant que la compensation pour dettes connexes s’applique, de façon similaire à la compensation judiciaire et contrairement à la compensation judiciaire, de plein droit, donc s’impose au juge, et qu’elle suppose, comme dans toute autre forme de compensation, que le juge, pour constater la certitude de la créance invoquée, se prononce sur la réalité, donc l’existence, de la créance invoquée. D’autre part, la Cour d’appel rappela à juste titre que si « [d]ans le cas d’une saisie-arrêt formée en vertu d’un titre exécutoire, le tribunal se borne en principe à statuer sur la régularité de la saisie et à ordonner le versement des deniers saisis au saisissant […] la juridiction saisie de la demande en validité aura [« [n]éanmoins dans tous les cas »] à statuer sur l’existence de la créance du saisissant à l’égard du saisi »121. Or, la compensation pour dettes connexes, qui s’opère de plein droit, a, par son effet extinctif de la créance compensée, pour effet de mettre en cause « l’existence de la créance du saisissant ». Le juge saisi d’une demande de validation d’une saisie-arrêt formée en vertu d’un titre exécutoire est donc tenu de procéder à la compensation d’une créance connexe invoquée par le débiteur, ce qui implique, si cette créance ne résulte pas d’un titre exécutoire, l’obligation de procéder à la constatation de celle-ci. Si la créance faisant l’objet de la saisie-arrêt est, dans le cadre d’une telle instance de validation, constatée par un titre exécutoire, il ne s’ensuit pas que la créance invoquée à l’appui d’une compensation pour dettes connexes doit également être constatée par un titre exécutoire et que, à défaut d’un tel titre, telle que, en l’occurrence, la sentence arbitrale, la demande de compensation est irrecevable. Si, « lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre elle ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité »122, il ne peut pas davantage écarter la demande lorsque, à défaut de titre exécutoire établissant la créance invoquée par le débiteur, il doit, pour vérifier la certitude de celle-ci, prendre en considération d’autres moyens de preuve. Cette solution s’applique également en matière de validation d’une saisie-arrêt sur base d’un titre exécutoire, la compensation pour dettes connexes mettant, par son effet extinctif, en cause l’existence de la créance du saisissant et le juge de la validation étant tenu de vérifier cette existence.
Il est dès lors suggéré de soulever d’office le moyen de pur droit « tiré de la violation de l’article 1291 du Code civil123, en ce que la Cour d’appel, saisie d’une demande en validation d’une saisie-arrêt fondée sur un titre exécutoire, à savoir une condamnation à des dommages-intérêts, prononcée par une sentence arbitrale rendue exécutoire, consécutive à la résolution d’un 121 Idem, page 11, antépénultième alinéa.
122 Cour de cassation française, troisième chambre civile, 30 mars 1989, précité.
123 La compensation pour dettes connexes n’est, en l’état actuel de notre droit, pas consacrée de façon formelle par la loi. La Cour de cassation française fondit ce principe sur l’article 1291 du Code civil, qu’il est dès lors proposé de retenir comme base légale du moyen (voir : Cour de cassation française, troisième chambre civile, 30 mars 1989, précité).
contrat conclu entre parties, rejeta la demande incidente de compensation pour dette connexe des débiteurs aux motifs que les moyens de preuve invoqués par eux pour établir leur créance, à savoir le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale, étaient insuffisants pour « en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale »124 et que, par voie de conséquence, « les demandes incidentes par lesquelles les [demandeurs en cassation] concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre [la défenderesse en cassation] et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement »125, alors que, d’une part, la compensation pour dettes connexes s’applique de plein droit, donc s’impose au juge et suppose, comme toute compensation, que le juge, pour constater la certitude de la créance invoquée, se prononce sur la réalité, donc l’existence, de la créance invoquée et que, d’autre part, comme la Cour d’appel le releva à juste titre, si « [d]ans le cas d’une saisie-arrêt formée en vertu d’un titre exécutoire, le tribunal se borne en principe à statuer sur la régularité de la saisie et à ordonner le versement des deniers saisis au saisissant […] la juridiction saisie de la demande en validité aura [« [n]éanmoins dans tous les cas »] à statuer sur l’existence de la créance du saisissant à l’égard du saisi »126, de sorte que c’est à tort que la Cour d’appel, saisie d’une demande de validation d’une saisie-arrêt basée sur un titre exécutoire, rejeta la demande de compensation pour dettes connexes parce que la créance invoquée par les débiteurs ne résultait pas d’un titre exécutoire, de sorte que la vérification de la certitude de cette créance impliquait une constatation judiciaire de l’existence de celle-ci. ».
Sur le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche Le cinquième moyen est tiré de la violation des articles 1289 à 1291 du Code civil, en ce que la Cour d’appel déclara irrecevables les demandes reconventionnelles des demandeurs en cassation aux motifs que : « Concernant la compensation pour dettes connexes, la Cour rappelle que le mécanisme de la compensation nécessite la coexistence de deux dettes entre deux mêmes personnes et présuppose donc avant toute chose l’existence d’une dette. Selon les appelants, l’existence de cette dette de la société SOCIETE3.) à leur profit découlerait du point n° 6 du dispositif de la sentence libellée comme suit : « SIXIEME : Déclarer que les parties ont le droit, conformément à ce qui a été conclu dans le Contrat et en accord avec les proportions convenues, de partager dans le futur entre elle, et chaque fois qu’ils se produiront, les charges, les honoraires et autres bénéfices ou revenus économiques qui puissent dériver de la vente des sociétés ou des services de n’importe quelle des juridictions accordées, et celles qu’ils auraient vendues, produites, ou engagées avec des tiers pendant la durée d’application du Contrat ». Il découle de cet article que les parties ont le droit, malgré la résolution du contrat prononcé au point 1 de la sentence, d’opérer entre elles un partage d’honoraires et de bénéfices dans le futur. Le libellé de cet article, envisageant un droit au partage in futurum, ne tend néanmoins pas à créer une obligation à charge de la société SOCIETE3.) à un tel partage d’honoraires et de bénéfices entre parties. Les appelants ne sauraient dès lors en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale. La Cour en déduit que les demandes incidentes par lesquelles les appelants concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir 124 Arrêt attaqué, page 14, deuxième alinéa.
125 Idem, même page, troisième alinéa.
126 Idem, page 11, antépénultième alinéa.
contre l’intimée et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement. Ce faisant, ces demandes tendent en réalité à la compensation judiciaire. Or, la présente instance, comme il importe de le rappeler, est relative à la validation d'une saisie-
arrêt pratiquée sur base d'un titre exécutoire constatant le caractère certain, liquide et exigible de la créance du saisissant. Le juge statuant sur la validation n'est donc pas saisi du fond mais doit se borner à vérifier la régularité de la procédure et à constater l'existence et l'efficacité du titre. Il s'ensuit que les demandes reconventionnelles sont irrecevables pour impliquer un examen du fond du litige échappant au juge saisi. L’appel incident est ainsi fondé de ce chef. »127, alors que, deuxième branche, le juge ne peut écarter la compensation pour dettes connexes au motif que l’une d’elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité, ce qui distingue cette forme de compensation de la compensation légale, qui suppose la liquidité et l’exigibilité des dettes réciproques, et de la compensation judiciaire, qui permet au juge de refuser de prononcer celle-ci si ces conditions ne sont pas remplies, de sorte que c’est à tort que la Cour d’appel a estimé que « [l]es appelants ne sauraient […] tirer [du point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale] ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale », donc a subordonné à tort la compensation pour dettes connexes à la condition de la liquidité et de l’exigibilité des dettes réciproques.
Dans la deuxième branche du cinquième moyen les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir motivé le rejet de leur demande de compensation pour dettes connexes notamment par le motif tiré de ce que les moyens de preuve invoqués étaient insuffisants pour « en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale »128.
Il a été vu ci-avant que suivant la jurisprudence de la Cour de cassation française, consacrée législativement par l’article 1348-1, nouveau, du Code civil français, « […] lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre-
elle ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité »129.
Les demandeurs en cassation reprochent à la Cour d’appel d’avoir, par le motif cité, subordonné, contrairement à cette solution, la recevabilité de la demande de compensation pour dettes connexes à la condition que la créance invoquée soit liquide et exigible.
Si cette critique est justifiée, elle vise cependant des motifs surabondants.
Ces derniers sont, en effet, énoncés à la suite du constat par la Cour d’appel que le moyen de preuve invoqué par les demandeurs en cassation pour établir leur créance, à savoir le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale, n’est pas pertinent puisqu’il ne permet pas de prouver « l’existence d’une créance »130. La Cour d’appel en déduit que la demande de compensation oblige à procéder à « la constatation par le juge d’une créance »131. Elle rejette donc la demande en raison du défaut de preuve de l’existence de la créance invoquée, donc de son défaut de certitude, qui l’obligerait à constater elle-même la créance, ce qu’elle considère 127 Idem, page 13, sixième alinéa, à page 14, septième alinéa.
128 Idem, page 14, deuxième alinéa.
129 Cour de cassation française, troisième chambre civile, 30 mars 1989, précité.
130 Arrêt attaqué, page 14, deuxième alinéa.
131 Idem, même page, troisième alinéa.
dépasser ses pouvoirs de juge saisi d’une demande de validation d’une saisie-arrêt basée sur un titre exécutoire. Le motif décisif étant le défaut de preuve de l’existence de la créance, donc la certitude de celle-ci, les critères critiqués de liquidité et d’exigibilité sont dépourvus de pertinence. Ces motifs sont dès lors surabondants. Dans la logique du raisonnement de la Cour d’appel il aurait suffi à celle-ci d’énoncer que les demandeurs en cassation « ne sauraient [vu le défaut de pertinence du moyen de preuve par lequel ils entendaient établir leur créance, à savoir le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale] en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine »132, la référence aux critères de liquidité et d’exigibilité étant étrangère à la preuve de l’existence de la créance.
Il s’ensuit que, les motifs critiqués étant surabondants, le moyen est inopérant.
Conclusion Le pourvoi est recevable.
Le troisième moyen est fondé.
Il y a lieu de soulever d’office, et de déclarer fondé, le moyen de pur droit « tiré de la violation de l’article 1291 du Code civil133, en ce que la Cour d’appel, saisie d’une demande en validation d’une saisie-arrêt fondée sur un titre exécutoire, à savoir une condamnation à des dommages-intérêts, prononcée par une sentence arbitrale rendue exécutoire, consécutive à la résolution d’un contrat conclu entre parties, rejeta la demande incidente de compensation pour dette connexe des débiteurs aux motifs que les moyens de preuve invoqués par eux pour établir leur créance, à savoir le point n° 6 du dispositif de la sentence arbitrale, étaient insuffisants pour « en tirer ipso facto l’existence d’une créance connexe certaine, liquide et exigible à leur profit opérant compensation au même titre que la compensation légale »134 et que, par voie de conséquence, « les demandes incidentes par lesquelles les [demandeurs en cassation] concluent à la constatation par le juge d’une créance qu’ils prétendent avoir contre [la défenderesse en cassation] et pour laquelle ils demandent la condamnation de cette dernière, diffèrent de l’exception de compensation légale déjà opérée, sinon de la compensation pour dettes connexes, en ce que celles-ci ne sont qu’un moyen de défense au fond, comme celui qui serait tiré du paiement »135, alors que, d’une part, la compensation pour dettes connexes s’applique de plein droit, donc s’impose au juge et suppose, comme toute compensation, que le juge, pour constater la certitude de la créance invoquée, se prononce sur la réalité, donc l’existence, de la créance invoquée et que, d’autre part, comme la Cour d’appel le releva à juste titre, si « [d]ans le cas d’une saisie-arrêt formée en vertu d’un titre exécutoire, le tribunal se borne en principe à statuer sur la régularité de la saisie et à ordonner le versement des deniers saisis au saisissant […] la juridiction saisie de la demande en validité aura [« [n]éanmoins dans tous les cas »] à statuer sur l’existence de la créance du saisissant à l’égard du saisi »136, de sorte que c’est à tort que la Cour d’appel, saisie d’une demande de validation d’une saisie-arrêt 132 Idem, même page, deuxième alinéa.
133 La compensation pour dettes connexes n’est, en l’état actuel de notre droit, pas consacrée de façon formelle par la loi. La Cour de cassation française fondit ce principe sur l’article 1291 du Code civil, qu’il est dès lors proposé de retenir comme base légale du moyen (voir : Cour de cassation française, troisième chambre civile, 30 mars 1989, précité).
134 Arrêt attaqué, page 14, deuxième alinéa.
135 Idem, même page, troisième alinéa.
136 Idem, page 11, antépénultième alinéa.
basée sur un titre exécutoire, rejeta la demande de compensation pour dettes connexes parce que la créance invoquée par les débiteurs ne résultait pas d’un titre exécutoire, de sorte que la vérification de la certitude de cette créance impliquait une constatation judiciaire de l’existence de celle-ci. ».
Le pourvoi est à rejeter pour le surplus.
Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 44