N° 129 / 2024 pénal du 10.10.2024 Not. 18912/23/CD Numéro CAS-2024-00006 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, dix octobre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître François PRUM, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 12 décembre 2023 sous le numéro 1227/23 Ch.c.C.
par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le pourvoi en cassation formé par Maître François PRUM, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 10 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 9 février 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un juge d’instruction près le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré irrecevable, sur base de l’article 35 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, la plainte avec constitution de partie civile du demandeur en cassation. La chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction.
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 6§1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, ci-après , par mauvaise interprétation, sinon mauvaise application, Article 6 §1 ConvEDH :
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » En ce que, La Chambre du conseil de la Cour d'appel a refusé d'appliquer, sinon a mal appliqué l'article précité 6 §1 ConvEDH, méconnaissant ainsi les règles de fond, au motif que :
l'action publique contre le fonctionnaire pour se constituer partie civile par voie incidente lors de l'audience pour corroborer l'action publique, soit à porter sa demande en réparation devant une juridiction civile. » Alors que, L'article 6 §1 ConvEDH garantit au justiciable un droit d'accès concret et effectif devant les tribunaux. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel, en appliquant l’article 35, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, d’avoir violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») en le privant de son droit de pouvoir engager une action pénale contre un représentant du ministère public.
L’article 35, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 dispose « L'action civile en réparation de prétendus dommages causés par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions ne peut être portée devant un tribunal de répression que dans le cas où il est déjà saisi de l'action publique. ».
Le droit d’accès à un tribunal, prévu par la Convention, ne garantit pas en tant que tel un droit à faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le ministère public étant liquidés à 2,50 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, dix octobre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Simone FLAMMANG et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans le cadre du pourvoi en cassation de PERSONNE1.) en présence du Ministère Public (Affaire numéro CAS-2024-00006 du registre) Sur la recevabilité du pourvoi Par déclaration faite le 10 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître François PRUM, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, forma au nom pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre un arrêt n° 1277/23 rendu le 12 décembre 2023 par la chambre du conseil de la Cour d’appel.
Cette déclaration a été suivie en date du 9 février 2024 du dépôt d’un mémoire en cassation, signé par Maître François PRUM.
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt de la chambre du conseil de la Cour d’appel confirmant, sur appel de la partie civile, une ordonnance d’un juge d’instruction déclarant, sur base de l’article 58, paragraphe 3, du Code de procédure pénale, d’office irrecevable une plainte avec constitution de partie civile.
Suivant votre jurisprudence constante, la partie civile a été jugée recevable à former un pourvoi contre les arrêts de non-lieu, de non-informer ou d’irrecevabilité de plainte avec constitution de partie civile1 de la chambre du conseil de la Cour d’appel.
1 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 18 novembre 2004, n° 45/2004 pénal, numéro 2115 du registre (non-informer) ; idem, 14 juillet 2005, n° 22/2005 pénal, numéro 2231 du registre (non-informer) ; idem, 16 novembre 2006, n° 45/2006 pénal, numéro 2349 du registre (non-lieu) ; idem, 25 janvier 2007, n° 9/2007 pénal, numéro 2365 du registre (non-informer) ;
idem, 7 février 2008, n° 4/2008 pénal, numéro 2520 du registre (non-
informer) ; idem, 10 avril 2008, n° 16/2008 pénal, numéro 2477 du registre (non-lieu); 17 avril 2008, n° 21/2008 pénal, numéro 2495 du registre (non-
lieu) ; idem, 9 décembre 2010, n° 35/2010 pénal, numéro 2806 du registre (non-lieu) ; idem, 7 février 2013, n° 8/2013 pénal, numéro 3158 du registre (non-informer) ; idem, 16 janvier 2014, n° 7/2014 pénal, numéro 3230 du registre (non-informer) ; idem, 18 décembre 2014, n° 45/2014 pénal, numéro 3340 du registre (non-informer) ; idem, 18 juin 2015, n° 30/2015 pénal, numéro 3502 du registre (non-lieu) ; idem, 22 octobre 2015, n° 47/2015 pénal, numéro 3549 du registre (non-lieu) ; idem, 10 décembre 2015, n° 58/2015 pénal, numéro 3566 du registre (non-lieu) ; idem, 18 février 2016, n° 8/2016 pénal, numéro 3615 du registre (non-informer) ; idem, 9 juin 2016, n° 25/2016 pénal, numéro 3659 du registre (non-lieu) ; idem, 13 octobre 2016, n° 44/2016 pénal, numéro 3677 du registre (non-informer) ; idem, 2 mars 2017, n° 9/2017 pénal, numéro 3769 du registre (non-lieu) ; idem, 15 juin 2017, n° 29/2017 pénal, numéro 3817 du registre (non-lieu) ; idem, 8 mars 2018, n° 16/2018 pénal, numéro 3916 du registre (non-informer) ; idem, 29 novembre 2018, n° 116/2018 pénal, numéro 4043 du registre (non-lieu) ; idem, 20 décembre 2018, n° 131/2018, numéro CAS-2018-00074 du registre (non-informer) ; idem, 28 mars Cette solution, qui était constante, a cependant été remise en cause par deux arrêts restés isolés, des 16 janvier 20202 et 4 janvier 20243. Dans le premier arrêt vous avez retenu, au sujet du pourvoi, par la partie civile, contre un arrêt de non-lieu qu’une « partie civile n’est pas recevable à se pourvoir en cassation contre [l’arrêt de non-lieu], étant donné que la Cour de cassation ne peut connaître de l’action civile, lorsque l’action publique, que le Ministère public seul peut exercer, est éteinte ». Dans le second arrêt, également rendu au sujet d’un arrêt de non-lieu, vous avez jugé que :
« Une décision de non-lieu à suivre rendue par la chambre du conseil de la Cour d’appel, non déférée à la Cour de cassation par le Ministère public, a pour conséquence l’extinction de l’action publique.
La demanderesse en cassation, en tant que partie civile, ne pouvant remettre en cause par son pourvoi les dispositions de l’arrêt attaqué par lesquelles il a été statué définitivement sur l’action publique, son pourvoi est irrecevable au pénal.
La partie civile n’est pas recevable à se pourvoir en cassation contre le volet civil d’une telle décision, la Cour de cassation ne pouvant connaître de l’action civile lorsque l’action publique est éteinte.
Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable. ».
Ces arrêts sont, jusqu’à présent, restés isolés puisqu’ils ont été, à chaque fois, suivis d’arrêts en sens contraire, reprenant la solution constante décennale contraire4.
L’admission du pourvoi de la partie civile contre les arrêts de non-lieu, de non-informer ou d’irrecevabilité de plainte avec constitution de partie civile reprend la jurisprudence de la Cour 2019, n° 51/2019 pénal, numéro CAS-2018-00039 du registre (non-lieu) ; idem, 11 février 2021, n° 24/2021 pénal, numéro CAS-2020-00036 du registre (non-
informer) ; idem, 25 février 2021, n° 34/2021 pénal, numéro CAS-2020-00064 du registre (non-lieu) (la question de la recevabilité de tels pourvois étant exposée dans les conclusions du Ministère public jointes à cet arrêt) ; idem, 2 décembre 2021, n° 142/2021 pénal, numéro CAS-2020-00136 du registre (non-
informer partiel et irrecevabilité partielle) ; idem, 9 décembre 2021, n° 149/2021 pénal, numéro CAS-2020-00161 du registre (irrecevabilité) ; idem, 13 octobre 2022, n° 120/2022 pénal, numéro CAS-2021-00137 du registre (non-
informer) ; idem, 2 mars 2023, n° 20/2023 pénal, numéro CAS-2022-00072 du registre (non-lieu) ; idem, 1er juin 2023, n° 59/2023 pénal, numéro CAS-2022-
00106 du registre (non-lieu) ; idem, 19 octobre 2023, n° 105/2023 pénal, numéro CAS-2023-00009 du registre (non-lieu) ; idem, 19 octobre 2023, n° 107/2023 pénal, numéro CAS-2022-00130 du registre (irrecevabilité) ; idem, 7 décembre 2023, n° 136/2023 pénal, numéro CAS-2023-00058 du registre (irrecevabilité) ; idem, 21 mars 2024, n° 44/2024 pénal, numéro CAS-2023-
00098 du registre (non-informer).
2 Idem, 16 janvier 2020, n° 9/2020 pénal, numéro CAS-2019-00024 du registre.
3 Idem, 4 janvier 2024, n° 02/2024 pénal, numéro CAS-2023-00023 du registre.
4 L’arrêt du 16 janvier 2020 a été suivi par les arrêts précités du 11 février 2021, 25 février 2021, 2 décembre 2021, 9 décembre 2021, 13 octobre 2022, 2 mars 2023, 1er juin 2023, 19 octobre 2023 (arrêts n° 105 et 107/2023 pénal) et 7 décembre 2023. L’arrêt du 4 janvier 2024 a été suivi, à cette date, par l’arrêt précité du 21 mars 2024.de cassation de Belgique, qui l’a adoptée depuis 19795. Cette jurisprudence a entretemps été consacrée en Belgique par la loi du 14 février 2014 relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale6, qui a remplacé l’article 417 du Code d’instruction criminelle belge par une disposition retenant que « le ministère public et la partie civile peuvent former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de non-lieu »7.
Elle présente l’originalité d’autoriser la partie civile d’attaquer une décision qui, s’agissant des arrêts de non-lieu et de non-informer, porte directement et exclusivement sur l’action publique, aucune décision n’ayant été prise quant à l’action civile8. Elle met la partie civile et le Ministère public sur un pied d’égalité pour attaquer l’arrêt de non-lieu, l’une et l’autre pouvant invoquer toutes les illégalités et toutes les irrégularités qui affectent le dispositif du non-lieu9.
Le droit de la partie civile de se pourvoir sans restriction contre l’arrêt de non-lieu ne constitue que la conséquence de son droit d’appel que l’article 133, paragraphe 2, du Code de procédure pénale l’autorise à former contre toute ordonnance du juge d’instruction et de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement qui fait grief à ses intérêts civils. Ce droit d’appel permet à la partie civile « agir directement sur l’action publique, puisque si [l’appel] est reçu[…] et déclaré[…] fondé[…], la chambre [du conseil de la Cour d’appel] rend un arrêt de renvoi saisissant la juridiction de jugement du fait pénal »10. Il en suit que « dans le cas où la chambre [du conseil de la Cour d’appel] rend un arrêt de non-lieu sur [l’appel] de la partie civile, il est normal que celle-ci soit recevable à se pourvoir en cassation lorsqu’elle prétend que le droit de faire réexaminer les charges, qui lui est reconnu par la loi, a été méconnu par l’arrêt de non-lieu. La Cour de cassation doit alors décider si [l’appel] légalement reconnu[…] à la partie civile a été légalement examiné[…] par la chambre [du conseil de la Cour d’appel].
5 Cour de cassation de Belgique, 7 novembre 1979, Revue de droit pénal et de criminologie, 1980, page 245, avec les conclusions de l’avocat général COLARD ; Raoul DECLERCQ, Cassation en matière répressive, Bruxelles, Bruylant, 2006, n° 112, pages 70-71 et les arrêts y cités ; Michel FRANCHIMONT, Ann JACOBS, Adrien MASSET, Manuel de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 4e édition, 2012, page 1056 et note de bas de page n° 53 ; Répertoire pratique du droit belge, V° Pourvoi en cassation en matière répressive, par Raoul DECLERCQ, Bruxelles, Bruylant, 2015, n° 1107, page 704 ; Jacqueline OOSTERBOSCH et Jean-Philippe DE WIND, Le pourvoi en cassation en matière répressive : droit positif et loi du 14 février 2014, in : Actualités de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 2014, pages 49 à 96, voir n° 32, page 72 ; Olivier MICHIELS, et Géraldine FALQUE, Principes de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 2019, n° 1605, page 529 et note de bas de page n° 202.
6 Moniteur belge 2014-02-27.
7 Cette disposition a été motivée comme suit : « Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la partie civile dispose, comme le ministère public, d’un véritable pourvoi contre les arrêts de non-lieu, pourvoi qui concerne tant l’action publique que l’action civile. C’est cette jurisprudence que consacre l’article 419 proposé [qui deviendra finalement l’article 417, nouveau, du Code d’instruction criminelle belge] » (Sénat de Belgique, Session 2012-2013, Proposition de loi de Francis DELPÉRÉE relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale, 5-1821/1, page 9, Commentaire de l’article 24 de la Proposition de loi).
8 DECLERCQ, 2015, précité, n° 1107, page 704.
9 DECLERCQ, 2006, précité, n° 112, page 70.
10 Note sous l’arrêt précité publié dans la Revue de droit pénal et de criminologie, 1980, pages 254-255, voir page 254, avant-dernier alinéa.C’est donc, conformément à sa mission, la légalité de la décision qui est soumise à la Cour de cassation. »11.
C’est partant à juste titre que vous avez décidé d’admettre le pourvoi de la partie civile contre l’arrêt de non-lieu au motif « que la limitation de l’effet dévolutif du pourvoi de la victime aux seuls intérêts civils ne s’applique pas au cas où, comme en l’espèce, la décision attaquée n’a pas statué au fond sur l’action publique »12.
Cette solution est par ailleurs compatible avec l’article 416 du Code de procédure pénale.
L’arrêt de non-lieu, de non-informer ou d’irrecevabilité de plainte avec constitution de partie civile, s’il constitue au regard de sa forme un arrêt d’instruction, n’en est pas moins un « arrêt […] définitif » au sens du paragraphe 1 de l’article précité, puisqu’il met fin à la poursuite, donc ne sera plus suivi d’un arrêt définitif ultérieur à l’occasion duquel le pourvoi pourrait être formé. Par ailleurs, même à le considérer comme arrêt d’instruction au sens de l’article précité, il a, en mettant définitivement fin à la poursuite, pour effet implicite, mais nécessaire, de « statu[er] définitivement sur le principe de l’action civile », donc de relever des cas dans lesquels un pourvoi immédiat est recevable sur base du paragraphe 2 de l’article.
Il serait regrettable de voir remettre en cause cette solution, parfaitement justifiée et justifiable.
Il est donc à espérer que les deux arrêts précités, du 16 janvier 2020 et 4 janvier 2024, ne constituent pas l’annonce d’un revirement de jurisprudence, mais resteront isolés.
La recevabilité du pourvoi se justifie à plus forte raison pour des arrêts d’irrecevabilité de plainte avec constitution de partie civile, ces arrêts ayant, contrairement aux arrêts de non-lieu et de non-informer, pour objet immédiat de se prononcer sur l’action civile.
Il est dès lors conclu, conformément à votre jurisprudence constante, que l’arrêt – d’irrecevabilité de plainte avec constitution de partie civile – attaqué en l’espèce est susceptible de faire l’objet d’un pourvoi par la partie civile.
Le pourvoi respecte par ailleurs les conditions de recevabilité définies par les articles 41 et 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation13.
Il s’ensuit qu’il est recevable.
Sur les faits Il résulte de l’arrêt attaqué que, saisi par PERSONNE1.) d’une plainte avec constitution de partie civile pour violation du secret professionnel par suite de la transmission, par le Parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg à l’Administration des contributions directes, 11 Idem, page 254, dernier alinéa. Voir également en ce sens les conclusions de Madame Martine SOLOVIEFF, alors premier avocat général, sous votre arrêt précité n° 16/2008 pénal, numéro 2477 du registre, du 10 avril 2008.
12 Arrêt précité n° 16/2008 pénal, numéro 2477 du registre, du 10 avril 2008.
13 Il est notamment relevé que le délai du pourvoi, d’un mois, prévu par l’article 41 de la loi précitée de 1885 a été respecté, la déclaration du pourvoi, le 10 janvier 2024, contre un arrêt contradictoire, prononcé le 12 décembre 2023, ayant eu lieu moins d’un mois après la date de prononcé de l’arrêt, donc, à plus forte raison, moins d’un mois après la date de notification de l’arrêt, point de départ du délai. ayant été motivée par référence à l’article 16, paragraphe 3, de la loi modifiée du 19 décembre 2008 ayant pour objet la coopération inter-administrative et judiciaire et le renforcement des moyens de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises (ci-après « la loi de 2008 »)14, de rapports tirés d’un dossier d’instruction, le juge d’instruction, considérant que la plainte vise des fonctionnaires, mais que l’article 35, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat (ci-après « la loi de 1979 »)15 réserve dans ce cas le droit de déclencher l’action publique au Ministère public, avait rendu une ordonnance d’irrecevabilité sur base de l’article 58, paragraphe 3, du Code de procédure pénale. Sur appel de la partie civile, la chambre du conseil de la Cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise.
Sur le moyen unique de cassation Le moyen unique de cassation est tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention »), en ce que la chambre du conseil de la Cour d’appel, pour confirmer l’ordonnance d’irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile du demandeur en cassation, a appliqué l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 et en a déduit que « La victime est donc réduite, soit à attendre que le ministère public intente l’action public contre le fonctionnaire pour se constituer partie civile par voie incidente lors de l’audience pour corroborer l’action publique, soit à porter sa demande en réparation devant une juridiction civile »16, alors que l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 méconnait l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, qui garantit au justiciable un droit d’accès concret et effectif devant les tribunaux, de sorte qu’il aurait dû être d’office déclaré contraire à cet article.
Le demandeur en cassation critique dans son moyen que l’application de l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979, en le privant de la possibilité d’engager une action pénale contre des magistrats en raison d’actes de leur fonction qu’il considère être constitutifs d’une infraction pénale, méconnaît son droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention. Il se plaint, en effet, de ce que l’application de cet article « revient à priver tout simplement tout justiciable d’engager une action pénale contre un représentant du Ministère Public »17, ce qui aurait pour effet que « [l]’accès à la Justice lui est de cette manière refusée »18. Il revendique donc sur base de la Convention un droit d’engager une poursuite pénale.
14 « Art. 16. […] (3) Sans préjudice de l’article 8 du Code d’instruction criminelle [Code de procédure pénale], les autorités judiciaires transmettent à l’Administration des contributions directes ainsi qu’à l’Administration de l’enregistrement et des domaines, les informations susceptibles d’être utiles dans le cadre de l’établissement correct et du recouvrement des impôts, droits, taxes et cotisations dont la perception leur est attribuée. […] ».
Cet article a été inséré dans la loi précitée par l’article 10, point 2°, sous b), de la loi du 23 décembre 2016 portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017 (Mémorial, A, 2016, n° 274, page 5149, voir page 5151).
15 « Art. 35. 1. L’action civile en réparation de prétendus dommages causés par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ne peut être portée devant un tribunal de répression que dans le cas où il est déjà saisi de l’action publique. […] ».
16 Arrêt attaqué, page 4, premier alinéa.
17 Mémoire en cassation, page 5, deuxième alinéa.
18 Idem et loc.cit.Cette prétention méconnaît que « la Convention ne garantit pas en tant que tel un droit à faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers »19 : « la Convention ne garantit ni le droit […] à la « vengeance privée », ni l’actio popularis [de sorte que] le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi »20.
Elle est étrangère au champ d’application de l’article 6 de la Convention.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Dans un ordre subsidiaire, à supposer que le moyen, bien que revendiquant l’exercice de l’action pénale, doive être compris comme critiquant en réalité un accès insuffisant à la justice du demandeur en cassation en tant que victime d’une infraction alléguée qui exerce l’action civile, donc demande en justice la réparation du dommage résultant de l’infraction alléguée21, et choisit d’exercer cette action en responsabilité civile non, comme elle serait également en droit de le faire, devant les juridictions civiles22, mais devant les juridictions pénales23, et ce sous forme de plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction24, qui a comme effet accessoire de permettre de mettre en mouvement l’action publique, donc la poursuite pénale25, il se prévaut alors de « droits et obligations de droit civil » au sens autonome de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, donc expose un grief relevant du champ d’application de cet article26.
Suivant la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, « dans les affaires où l’abandon des poursuites [ou, dans notre contexte, l’exclusion d’office de poursuites en raison de l’application de l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979] avait mis obstacle à l’examen d’une constitution de partie civile intervenue dans le cadre d’une procédure pénale, la Cour a recherché si les requérants pouvaient user d’autres voies pour faire valoir leurs droits civils [et] [d]ans les cas où elle a conclu qu’ils disposaient d’autres voies de recours accessibles et effectives, elle a jugé qu’il n’y avait pas eu atteinte à leur droit d’accès à un tribunal »27.
19 Cour européenne des droits de l’homme, Grande chambre, 25 juin 2019, Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie, requête n° 41720/13, § 194.
20 Idem, Grande chambre, 12 février 2004, Perez c. France, requête n° 47287/99, § 70.
21 Article 2, alinéa 3, du Code de procédure pénale : « L’action civile, pour la réparation du dommage peut être exercée contre le prévenu et contre ses représentants ».
22 Article 3, alinéa 2, du Code de procédure pénale : « [L’action civile] peut aussi l’être [donc être poursuivie] séparément […] ».
23 Article 3, alinéa 1, du Code de procédure pénale : « L’action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique […] ».
24 Article 56 du Code de procédure pénale : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent ».
25 Jurisclasseur Procédure pénale, Art. 85 à 91-1, Fasc. 20 : Constitution de partie civile, par Jean DUMONT, réactualisé par Didier GUÉRIN, juin 2008, mise à jour novembre 2023, point 106 ; Roger THIRY, Précis d’instruction criminelle en droit luxembourgeois, n° 188, page 131.
26 Arrêt Perez c. France, précité, § 70.
27 Arrêt Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie, précité, § 198 et les références y citées. Voir également : Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 6 - Droit à un procès équitable (volet civil) (coe.int), août 2022, n° 129, page 38.Ainsi qu’il a déjà été évoqué ci-avant la victime d’une infraction pénale peut, en droit luxembourgeois, former l’action civile soit devant les juridictions civiles, soit devant les juridictions pénales. Lorsqu’elle choisit cette seconde option, elle dispose en droit commun du choix de former son action civile soit par voie d’action, soit par voie d’intervention28. Dans ce second cas de figure, elle se constitue partie civile à l’occasion d’une action publique qui a déjà été mise en mouvement par le Ministère public ou par une autre partie civile29. Cette constitution de partie civile par intervention devant les juridictions pénales peut avoir lieu tant devant le juge d’instruction que devant la juridiction pénale de fond30. Dans le premier cas, d’une action civile par voie d’action devant les juridictions pénales, celle-ci déclenche automatiquement et nécessairement, en dehors de toutes réquisitions du Ministère public, l’action publique31. Elle est susceptible d’être exercée soit par plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction32, soit par citation directe33. La première voie est susceptible d’être exercée en matière de délits et de crimes34, mais non pour des contraventions35, tandis que la seconde se conçoit pour des contraventions36 ou des délits37, à l’exclusion de crimes38.
L’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 empêche les victimes d’infractions commises par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions d’exercer l’action civile devant les juridictions pénales par voie d’action, donc de former, en matière de délits ou de crimes, plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction, ou de saisir, en matière de contraventions ou de délits, la juridiction pénale de fond par citation directe. Il les empêche par voie de conséquence de déclencher, donc de mettre en mouvement, l’action publique. En revanche il ne porte pas atteinte à leur droit de former leur action civile devant les juridictions pénales par voie d’intervention soit en se constituant, en matière de délits ou de crimes, partie civile devant le juge d’instruction dans le cadre d’instructions préparatoires, donc d’actions publiques, en cours, soit en se constituant, en matière de contraventions, de délits ou de crimes, partie civile devant les juridictions pénales de fond à l’occasion d’actions publiques en cours.
Il ne porte non plus atteinte à leur droit d’exercer l’action civile devant les juridictions civiles.
La loi de 1979 n’empêche donc les victimes ni d’exercer leur action civile devant les juridictions civiles, ni de l’exercer devant les juridictions pénales, ce dernier cas faisant 28 Roger THIRY, Précis d’instruction criminelle en droit luxembourgeois, n° 188 et n° 189, page 131.
29 Ce cas est expressément envisagé par le Code de procédure pénale pour ce qui est de la constitution incidente de partie civile au cours de l’instruction préparatoire (article 58 du Code de procédure pénale).
30 THIRY, précité, n° 199, sous 3, page 134.
31 Idem, n° 188, page 131.
32 Article 56 du Code de procédure pénale.
33 Articles 145 et 182 du même Code.
34 Article 56 du même Code.
35 La plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction a pour objet d’ouvrir une instruction préparatoire. Or, celle-
ci n’est susceptible de porter que sur des délits ou des crimes, à l’exclusion de contraventions (article 49 du même Code).
36 Article 145 du même Code.
37 Article 182 du même Code.
38 En cas de crime, l’instruction préparatoire est obligatoire (article 49 du même Code) et les chambres criminelles des tribunaux d’arrondissement ne peuvent être saisies que par ordonnance de renvoi de la chambre du conseil (rendue dans le cadre de l’instruction préparatoire, réservée aux délits et aux crimes), donc, contrairement au juge de police et aux chambres correctionnelles du tribunal d’arrondissement, pas par citation directe.seulement l’objet d’une réserve tirée de ce que l’exercice de cette action devant ces juridictions ne peut avoir lieu, non par voie d’action (sous forme de citation directe ou de plainte avec constitution de partie civile), mais que par voie d’intervention (devant la juridiction pénale de fond ou devant le juge d’instruction), donc suppose que l’action publique ait été déclenchée par le Ministère public.
Si la victime n’est donc, dans ce cadre, pas en droit de mettre elle-même en mouvement l’action publique (par citation directe devant la juridiction pénale de fond ou par plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction), elle dispose cependant du droit de saisir le Procureur d’Etat d’une plainte, aux fins de l’inviter à mettre en mouvement l’action publique39. Ce dernier est certes en droit de classer sans suites cette plainte40, mais la victime doit en être informée et elle dispose du droit, de l’existence duquel elle doit être avertie41, de saisir le Procureur général d’Etat, qui est le supérieur hiérarchique du Procureur d’Etat, d’une réclamation, la loi conférant à cette autorité le pouvoir d’enjoindre au Procureur d’Etat d’engager des poursuites42. Si ce recours hiérarchique n’est certes pas à considérer comme recours juridictionnel, il confère cependant à la victime une voie de droit pour faire réexaminer la décision de classement sans suites et de faire imposer au Procureur d’Etat de mettre en mouvement l’action publique, dans le cadre de laquelle elle peut ensuite se constituer partie civile par voie d’intervention (étant rappelé que la victime peut par ailleurs de toute façon exercer l’action civile devant les juridictions civiles).
Le demandeur en cassation fait valoir que l’exercice d’une action civile devant les juridictions civiles serait dépourvu d’effectivité en l’absence d’une instruction judiciaire consécutive à la mise en mouvement de l’action publique43. Ce reproche n’est pas pertinent dans le cas d’espèce, dans lequel les faits critiqués, à savoir la communication par le Parquet de rapports de police à l’Administration des Contributions directes dans le contexte de l’article 16, paragraphe 3, de la loi de 2008, sont établis. Une instruction judiciaire n’est donc pas nécessaire pour établir les faits que le demandeur en cassation considère comme étant contraires à la loi.
Le demandeur en cassation dispose donc d’ores-et-déjà d’éléments suffisants pour engager devant les juridictions civiles « une action civile contre l’Etat pour mauvais fonctionnement de la justice »44.
Le demandeur en cassation peut donc « user d’autres voies [que celle de la plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction] pour faire valoir [ses] droits civils »45, à savoir :
- déposer une plainte devant le Procureur d’Etat et, en cas de classement sans suites de cette plainte, former un recours hiérarchique contre cette décision devant le Procureur général d’Etat, qui est en droit d’enjoindre au Procureur d’Etat d’engager une poursuite pénale et/ou - introduire devant les juridictions civiles une action civile contre l’Etat pour mauvais fonctionnement allégué de la justice.
39 Article 23, paragraphe 1, du Code de procédure pénale.
40 Idem.
41 Article 23, paragraphe 5, du Code de procédure pénale.
42 Idem.
43 Mémoire en cassation, page 4, dernier alinéa.
44 Idem et loc.cit.
45 Arrêt Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie, précité, § 198.
Si la première de ces deux voies n’est, en raison de son caractère administratif, certes pas à qualifier de recours juridictionnel, la seconde constitue, dans les circonstances de l’espèce, dans lesquelles les éléments de fait desquels le demandeur en cassation déduit l’existence d’une illégalité sont d’ores-et-déjà établis, une « voie[…] de recours accessible[…] et effective[…] »46, de sorte « qu’il n’y a[…] pas […] atteinte [au] droit d’accès à un tribunal »47.
Vous avez eu l’occasion de constater que l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 n’est pas de nature à porter atteinte au droit d’accès à un tribunal :
« En retenant que le droit de déclencher l’action publique contre un fonctionnaire ayant agi dans l’exercice de ses fonctions est réservé au ministère public et en empêchant la personne qui se prétend victime des agissements d’un fonctionnaire de saisir une juridiction répressive par voie de citation directe, la chambre du conseil de la Cour d’appel n’a pas violé le droit d’accès à un tribunal garanti par la disposition visée au moyen. L’article 35, précité, qui a pour but d’assurer une bonne administration de la justice en visant à protéger les fonctionnaires de poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires auxquels les expose l’exercice de leurs fonctions n’est pas de nature à empêcher tout accès au juge en ce qu’il ne porte atteinte ni au droit de la victime d’introduire une action civile devant les juridictions pénales par voie d’intervention en se constituant partie civile à l’occasion d’une action publique en cours, ni à son droit d’exercer l’action civile devant les juridictions civiles. »48.
Il s’ensuit, à titre plus subsidiaire, que le moyen n’est pas fondé pour ces motifs.
Dans un ordre plus subsidiaire, donc à supposer que la prohibition, par l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979, de l’exercice de l’action civile par voie d’action devant les juridictions pénales (avec admission de l’exercice de cette action devant ces juridictions par voie d’intervention et devant les juridictions civiles par voie d’action et possibilité dans les circonstances de l’espèce d’exercer à tout le moins la seconde de ces deux voies de façon accessible et effective) doive être considérée comme constituant une restriction à l’exercice du droit d’accès à un tribunal, il est à observer que, contrairement à ce que fait soutenir le demandeur en cassation49, cette prohibition poursuit un but légitime.
L’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 est repris de l’article 19 de la loi du 8 mai 1872 concernant les droits et les devoirs des fonctionnaires de l’Etat50, qui l’a repris de l’article 21 de l’Ordonnance royale grand-ducale du 23 septembre 1857 concernant les droits et les devoirs des fonctionnaires publics51.
Il vise les fonctionnaires, dont la mission consiste à participer à l’exécution du service public52 en ayant notamment recours à des actes administratifs, donc à des moyens exorbitants du droit 46 Arrêt Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie, précité, § 198.
47 Idem et loc.cit.
48 Cour de cassation, 18 juin 2020, n° 85/2020 pénal, numéro CAS-2019-00096 du registre (réponse au troisième moyen).
49 Mémoire en cassation, page 4, antépénultième alinéa, et page 5, troisième alinéa.
50 Mémorial, 1872, n° 12, page 85.
51 Mémorial, 1857, n° 55, page 381.
52 Jurisclasseur Administratif, Synthèse – Fonction publique, par Antony TAILLEFAIT (juin 2019), n° 15.commun mis au service de l’intérêt général pour imposer unilatéralement une volonté53. La mission leur confiée par la loi et les moyens exorbitants du droit commun le cas échéant mis à leur disposition pour exercer cette mission les exposent à des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires54. L’article en question les protège contre de telles poursuites.
Eu égard au risque de poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires, auquel les expose l’exercice de leur mission légale et la mise en œuvre de moyens exorbitants du droit commun le cas échéant mis par la loi à leur disposition pour assurer cet exercice, ils se trouvent dans le cadre de leurs fonctions dans une situation distincte de celle de toute autre personne contre laquelle un particulier entend mettre en mouvement l’action publique. L’existence de cette situation distincte justifie de les protéger contre de telles poursuites.
Vous avez constaté que l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979 « a pour but d’assurer une bonne administration de la justice en visant à protéger les fonctionnaires de poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires auxquels les expose l’exercice de leurs fonctions »55.
La Cour de Strasbourg considère que « [l]e droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation de l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation »56. Il y a lieu de s’assurer que ces limitations n’ont pas pour effet que le « droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance »57 et il faut que ces limitations « poursuivent un but légitime [et qu’il] existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » 58.
Ces deux conditions sont, en l’espèce, réunies.
La prohibition de l’action civile par voie d’action devant les juridictions pénales, prévue par l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979, ne porte pas atteinte à la substance du droit à un tribunal, la victime gardant le droit de former une action civile devant les juridictions pénales par voie d’intervention et, surtout, une action civile devant les juridictions civiles par voie d’action. La substance de ce droit est d’autant plus sauvegardée en l’espèce, que les éléments de fait desquels le demandeur en cassation déduit l’existence d’une illégalité sont d’ores-et-
déjà établis, donc ne supposent pas une instruction judiciaire.
La prohibition poursuit un but légitime, à savoir celui de protéger les fonctionnaires, appelés de par leurs fonctions de mettre en œuvre des moyens exorbitants de droit commun susceptibles de porter atteinte aux intérêts d’autrui, de poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires.
Elle respecte en outre un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, l’action civile restant possible tant devant les juridictions répressives, à la seule condition que l’action publique ait été mise en mouvement par le Ministère public, que, en tout 53 Idem, Synthèse – Actes administratifs, par Vincent TCHEN, mai 2019, n° 1.
54 Cour d’arbitrage de Belgique (devenue Cour constitutionnelle), 18 novembre 1998, n° 1274, point B.4, au sujet du privilège de juridiction applicable aux magistrats.
55 Arrêt précité n° 85/2020 pénal, numéro CAS-2019-00096 du registre, du 18 juin 2020.
56 Arrêt Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie, précité, § 195.
57 Idem et loc.cit.
58 Idem et loc.cit.état de cause, devant les juridictions civiles, la victime disposant de la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’Etat pour mauvais fonctionnement de ses services publics.
La restriction éventuelle à l’exercice du droit d’accès à un tribunal par la victime d’une infraction commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, opérée par l’article 35, paragraphe 1, de la loi de 1979, est donc justifiée. Elle l’est en tout état de cause dans les circonstances particulières de l’espèce.
Il s’ensuit, à titre plus subsidiaire, que le moyen n’est pas fondé pour ces motifs.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat Le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY 14