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04/07/2024 | LUXEMBOURG | N°112/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 04 juillet 2024, 112/24


N° 112 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00158 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

E n t r e la société anonyme SOCIETE1.)®, établie et ayant son siège social à L-ADRES

SE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de comme...

N° 112 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00158 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

E n t r e la société anonyme SOCIETE1.)®, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Myriam PIERRAT, avocat à la Cour, e t PERSONNE1.), demeurant à D-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian JUNGERS, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué numéro 99/22 - VIII - TRAV rendu le 27 octobre 2022 sous le numéro CAL-2021-00218 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 6 septembre 2023 par la société anonyme SOCIETE1.)® à PERSONNE1.), déposé le 9 octobre 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 10 novembre 2023 par PERSONNE1.) à la société SOCIETE1.)®, déposé le 16 novembre 2023 au greffe de la Cour ;

Vu le nouveau mémoire signifié le 13 mars 2024 par la société SOCIETE1.)® à PERSONNE1.), déposé le 22 mars 2024 au greffe de la Cour, en ce qu’il répond aux fins de non-recevoir opposées au pourvoi par le défendeur en cassation et l’écartant pour le surplus pour ne pas remplir les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS.

Sur la recevabilité du pourvoi Le défendeur en cassation soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que la demanderesse en cassation aurait dû le diriger également contre un arrêt rendu entre les mêmes parties le 1er juin 2023, les deux arrêts étant « indissociables ».

Une éventuelle cassation de l’arrêt attaqué entraînant la nullité des actes qui s’en sont suivis et remettant les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé, le pourvoi introduit dans les formes et délai de la loi est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal du travail de Diekirch avait déclaré régulier le licenciement avec effet immédiat du défendeur en cassation. La Cour d’appel, par réformation, a retenu que les motifs du licenciement étaient imprécis et a déclaré abusif le licenciement intervenu.

2 Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article L- 124-10 (3) du Code du travail, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré abusif le licenciement avec effet immédiat intervenu le 28 octobre 2016, aux motifs que :

reprochés au salarié et les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave doivent être énoncés avec précision.

L’énonciation du ou des motifs d’un licenciement avec effet immédiat doit répondre aux exigences suivantes : 1) elle doit permettre à la partie qui subit la résiliation du contrat de connaître exactement le ou les faits qui lui sont reprochés et de juger ainsi, en pleine connaissance de cause, de l’opportunité d’une action en justice de sa part en vue d’obtenir paiement des indemnités prévues par la loi en cas de congédiement abusif, 2) elle doit être de nature à empêcher l’auteur de la résiliation d’invoquer a posteriori des motifs différents de ceux qui ont réellement provoqué la rupture, et, 3) elle doit permettre aux tribunaux d’apprécier la gravité de la faute commise et d’examiner si les griefs invoqués devant eux s’identifient avec les motifs notifiés (dans le même sens Cour d’appel, 18 juin 2015, n°39779).

Pour justifier un licenciement avec effet immédiat, la cause invoquée doit revêtir une gravité telle qu’elle rend immédiatement et irrémédiablement impossible la continuation de la relation de travail.

L’énoncé des motifs de licenciement doit être suffisamment précis, non seulement pour permettre le contrôle des juges mais aussi pour permettre au salarié de vérifier le bien-fondé des motifs invoqués et de rapporter, le cas échéant, la preuve de leur fausseté (dans ce sens Cass., 12 novembre 1992, n°30/92).

(…) Il importe de reproduire les termes du courrier recommandé du 28 octobre 2016 qui se lit comme suit :

"Sehr geehrter Herr PERSONNE1.), Ich vertrete die Interessen von SOCIETE1.) SA.

Meine Mandantin beauftragt mich, Ihren Dienstvertrag mit sofortiger Wirkung per Artikel L124-10 des Arbeitsgesetzbuches zu kündigen.

Die Gründe der Kündigung mit sofortiger Wirkung sind wie folgt:

3 Meine Mandantin hat am 12. Oktober 2016 leider feststellen müssen, dass Sie sich am 29. August 2016 von Ihrem Firmencomputer von der Adresse MAIL1.) an ihre private E-mailadresse MAIL2.) eine Mail mit einer Datei von SOCIETE1.) (hiernach "EC") Geschäftsdaten geschickt haben.

Die Datei von EC-Geschäftsdaten beinhaltete Im Einzelnen EC-Kunden, EC-

Lieferanten, EC- Entwickiungspärtner, EC-Bankverbindungen, EC-Versicherer, EC-

Handelsvertreter, EC-Berater und sonstige. Die Datei enthält Firmen-/Banknamen, Adressdaten, Telefon-, Fax- und Handyverbindungen sowie E-Mailadressen.

Es handelt sich hier um Daten, die nur für betriebsinterne Verwendung zulässig sind. Das Absenden dieser Datei von Ihrer professionellen E-mailadresse an Ihre Privatadresse gilt als schwerwiegender Vertragsbruch und Diebstähl.

Sie sind nicht berechtigt diese Datei privat zu nutzen. Hinzu kommt, dass es ein zusätzliches Risiko gibt, dass diese Datei in falsche Hände kommt und somit einen schweren geschäftlichen Schaden für meine Mandantin anrichten kann.

Die Absendung dieser Datei auf Ihre Private Mail wurde zu einem Zeitpunkt vorgenommen an dem Ihnen mitgeteilt wurde, dass Sie nicht mehr für den Posten als Vorsitzender des Verwaltungsrat bei der EC vorgesehen sind, so dass Sie sich diese Datei zugeschickt haben in Vorausschau einer etwaigen Kündigung, die ja auch In der Zwischenzeit schon ausgesprochen wurde.

SOCIETE1.) hat daher entschieden Ihren Arbeitsvertrag mit sofortiger Wirkung zu kündigen.

Sie sind hiermit eingeladen zu bestätigen, dass Sie diese Datei gelöscht haben und die Dokumente, im Falle wo Sie diese Datei ausgedruckt haben, meiner Mandantin aushändigen.

Sie sind gebeten Ihr Dienstauto sofort bei der SOCIETE1.) abzugeben.

Mit freundlichen Grüßen Pierre Elvinger " A la lecture de ce courrier, il ressort que l’employeur reproche à PERSONNE1.) un fait qu’il considère être susceptible de constituer une infraction pénale (vol) et un manquement contractuel grave (schwerwiegender Vertragsbruch).

La Cour constate que le courrier indique le fait litigieux, à savoir le fait par PERSONNE1.) d’avoir transféré le 29 août 2016 à partir de son adresse électronique professionnelle MAIL1.) vers une adresse électronique privée (private E-mailadresse MAIL2.)) un fichier comportant des données à caractère professionnel (Datei von 4 Euro¬Composites Geschäftsdaten), indique le contenu de ce fichier et que ces données ne sauraient être utilisées que dans le cadre d’un usage interne de l’entreprise (nur fur betriebsinterne Verwendung zulässig), que PERSONNE1.) n’était pas autorisé à utiliser ces données à des fins privées et qu’un risque existait que ce fichier soit divulgué (in falsche Hände kommt), de sorte à pouvoir causer un grave préjudice commercial à la société SOCIETE1.). Le courrier relève encore que le transfert litigieux a eu lieu à une époque où PERSONNE1.) savait qu’il n’était plus destiné au poste de président du conseil d’administration, de sorte que PERSONNE1.) aurait procédé à ce transfert en prévision d’un licenciement éventuel, d’ailleurs intervenu entretemps (so dass Sie sich diese Datei zugeschickt haben in Vorausschau einer etwaigen Kündigung …).

Nonobstant la question de savoir si la lettre de licenciement aurait dû préciser les modalités d’accès par la société SOCIETE1.) à la boîte électronique Outlook et les circonstances de la découverte du fait litigieux afin de permettre à PERSONNE1.) ainsi qu’au tribunal d’apprécier dès l’ingrès la légalité de cet accès, la Cour constate, en ce qui concerne le fait litigieux, que le courrier de licenciement énonce certes le transfert effectué par PERSONNE1.) en date du 29 août 2016, soit à une époque où aucun licenciement n’a encore été prononcé, d’un fichier à partir de son adresse électronique professionnelle vers une adresse électronique privée, en reprochant de ce fait à PERSONNE1.) d’avoir commis un vol.

Le courrier de licenciement omet cependant de décrire les circonstances, voire les éléments susceptibles de caractériser une telle infraction et permettant tant au salarié PERSONNE1.) qu’aux juges de vérifier si une telle infraction a eu lieu.

Le courrier de licenciement omet par ailleurs d’énoncer avec précision les circonstances qui seraient de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave.

Ce constat résultant du seul libellé de la lettre de licenciement, est d’ailleurs étayé par l’information ouverte suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société SOCIETE1.) en mai 2017 qui a mené à un non-lieu, l’enquête pénale n’ayant pas permis de dégager des charges suffisantes susceptibles de caractériser l’infraction de vol, ni celle de violation d’un secret d’affaires.

Concernant le reproche d’une violation contractuelle, le courrier de licenciement, en évoquant un "schwerwiegender Vertragsbruch", ne précise pas le manquement contractuel visé. L’énoncé y relatif, en ce qu’il relève que le salarié est non autorisé à faire usage de ce fichier à des fins privées, et que ce fichier risque de fuiter "in falsche Hände kommt" de sorte à pouvoir générer un préjudice commercial considérable, manque de précisions en ce qu’il est formulé en des termes vagues. Il ne précise en effet ni les destinataires éventuels "falsche Hände", ni dans quelle mesure une telle divulgation/fuite pourrait générer un lourd préjudice commercial à la société, ne précisant et n’explicitant pas en quoi ces données, à savoir une liste de noms, - contacts professionnels, adresses téléphoniques et électroniques -, aient un caractère confidentiel ni dans quelle mesure leur divulgation puisse être préjudiciable à la société SOCIETE1.). Il aurait appartenu à la société SOCIETE1.) soit de décrire plus amplement la prétendue violation contractuelle, soit de se référer aux dispositions contractuelles qu’elle estime avoir été violées, et de préciser en quoi la continuation de la relation de travail entre parties était immédiatement et 5 irrémédiablement compromise, permettant tant au salarié qu’aux juges d’apprécier la gravité de la prétendue faute commise.

Les explications fournies en cours d’instance relatives aux dispositions des articles 10, 11, 13 et 15 du contrat de travail qui auraient été méconnues ne valent pas comme précisions complémentaires admissibles dans la mesure où la faculté offerte à l’employeur d’apporter en cours d’instance des précisions complémentaires par rapport aux motifs énoncés dans la lettre de licenciement avec effet immédiat ne saurait, être interprétée dans le sens d’une atténuation de l’exigence quant à la précision des motifs.

La possibilité de compléter les précisions fournies ne saurait suppléer une absence de précision originaire des motifs de la lettre de notification de la résiliation immédiate du contrat de travail. C’est au vu de la lettre de licenciement que le salarié prend la décision d’agir ou non en justice pour voir déclarer abusif le licenciement, ses prévisions légitimes par rapport aux chances d’aboutir d’une telle action seraient faussées si l’employeur était admis à réparer a posteriori les imperfections d’une telle lettre.

En d’autres termes, la question de l’admissibilité des précisions complémentaires ne se pose que si les motifs du licenciement avec effet immédiat ont été énoncés avec précision dans la lettre de licenciement.

Il n’y a dès lors pas lieu de faire droit à l’offre de preuve par témoins de la société SOCIETE1.), réitérée en instance d’appel, ni à son offre de preuve par expertise, leur prise en compte étant subordonnée à la condition préalable de la précision des motifs ayant conduit à la résiliation du contrat de travail, condition non donnée en l’espèce. Ainsi, les conditions tenant à ce que l’énonciation du ou des motifs d’un licenciement avec effet immédiat doive permettre à la partie qui subit la résiliation du contrat de connaître exactement le ou les faits qui lui sont reprochés et de pouvoir juger ainsi, en pleine connaissance de cause, de l’opportunité d’une action en justice de sa part, et qu’elle doive permettre au juge d’apprécier la gravité de la faute prétendument commise, - les circonstances de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave devant être énoncées avec précision -, ne sont pas remplies. Il y a dès lors lieu, par réformation, de dire que le licenciement du 28 septembre 2016 ne satisfait pas aux conditions de précision requises par la loi.

L’imprécision des motifs valant absence de motifs, le licenciement est à déclarer abusif.

L’appel relevé par PERSONNE1.), quant à ce volet, est partant fondé. » alors que l’article L. 124-10 (3) prévoit que [l]a notification de la résiliation immédiate pour motif grave doit être effectuée au moyen d’une lettre recommandée à la poste énonçant avec précision le ou les faits reprochés au salarié et les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave.

(…) », qu’il est de jurisprudence constante que les faits sont énumérés avec assez de précision lorsque, l’énonciation du ou des motifs dans la lettre de motivation répond 6 aux trois exigences citées ci-après (voir notamment Cour supérieure de Justice, 3e chambre, 14 juillet 2016, n°42223) :

- premièrement, l’énonciation des motifs doit permettre au salarié de connaître exactement les faits reprochés au salarié et de juger de l’opportunité d’une action en justice », - deuxièmement, l’énonciation des motifs doit être assez précise pour empêcher l’employeur de formuler a posteriori des faits différents », - troisièmement, l’énonciation des motifs doit finalement, (…) rendre possible l’appréciation par les tribunaux de la gravité des fautes commises et d’examiner si les griefs invoqués s’identifient avec les motifs notifiés », que l’exigence de précision des motifs inclut l’identification des faits reprochés à l’employé, permise notamment par l’indication de la date et des circonstances qui ont permis à l’employeur de déduire que la faute est imputable à l’employé (voir : Cour supérieure de Justice, 8e chambre, 11 novembre 2010, n°35310), qu’en faisant référence à des faits situés dans le temps et l’espace, l’employeur permet tant à la salariée de connaître les fautes lui reprochées, leurs nature et portée, d’en apprécier le caractère légitime ou non et de rapporter la preuve de leur fausseté, qu’au tribunal de vérifier, si les motifs énoncés s’identifient effectivement à ceux énoncés par l’employeur à l’appui du licenciement, de sorte qu’il a suffi à l’obligation de précision » (Cour supérieure de Justice, 3e chambre, 22 octobre 2015, n°41886), qu’en l’espèce, les faits reprochés à la partie défenderesse en cassation sont indiqués dans la lettre de licenciement du 28 octobre 2016 avec notamment (i) la date des faits, (ii) l’identification précise de l’e-mail dont l’envoi est reproché à la partie défenderesse en cassation (par l’indication de l’adresse expéditrice et de l’adresse destinataire), (iii) le contenu de la pièce jointe de l’e-mail par la précision des catégories de personnes dont elle contenait les données et le type de données contenues ( Die Datei von EC-Geschäftsdaten beinhaltet im Einzelnen EC-

Kunden, EC-Lieferanten, EC-Entwicklungspartner, EC-Bankverbindungen, EC-

Versicherer, EC-Handelsvertreter, EC-Berater und sonstige. Die Datei enthält Firmen/Banknamen, Adressdaten, Telefon-, Fax- und Handyverbindungen sowie E-mailadressen. »), (iv) le fait qu’il s’agissait de données de l’entreprise (), qu’après avoir constaté que le courrier de licenciement énonce certes le transfert effectué par PERSONNE1.) (…) en reprochant à PERSONNE1.) d’avoir commis un vol », la Cour d’appel considère qu’il omet cependant de décrire les circonstances voir les éléments susceptibles de caractériser une telle infraction et permettant tant au salarié PERSONNE1.) qu’aux juges de vérifier si une telle infraction a eu lieu » et qu’ [i]l aurait appartenu à la société SOCIETE1.) soit de décrire plus amplement la prétendue violation contractuelle, soit de se référer aux dispositions contractuelles qu’elle estime avoir été violées, et de préciser en quoi la 7 continuation de la relation de travail entre parties était immédiatement et irrémédiablement compromise », qu’il ressort clairement de la lettre de licenciement que la demanderesse en cassation considérait que les données contenues dans la pièce jointe du courriel litigieux étaient internes à l’entreprise et que leur transfert à l’extérieur de l’entreprise constituait un vol et une violation contractuelle, donc un fait suffisamment grave pour justifier le licenciement immédiat, que bien que la demanderesse en cassation ait basé sa décision sur le fait que le défendeur en cassation avait commis un vol, elle n’avait pas l’obligation de détailler les éléments constitutifs de l’infraction pénale dans la lettre de licenciement, qu’il est établi qu’ aucune disposition légale n’exige que seuls des faits qualifiés de fautes pénales constituent un motif grave justifiant un licenciement avec effet immédiat, d’autres fautes graves pouvant ébranler définitivement la confiance que doit avoir un employeur en son salarié » (Cour d’appel, 16 novembre 2006), que d’ailleurs, le fait que les faits litigieux n’aient pas donné lieu à condamnation pénale ne constitue pas non plus un obstacle à ce que l’employeur puisse être admis à établir la matérialité et le caractère réel et sérieux de la faute grave alléguée, par toutes voies de droit en application de l’article L. 124-1 (3) » (Cour d’appel, 16 novembre 2006), que le Tribunal du travail de Diekirch, dans son jugement du 31 juillet 2017, avait correctement décidé que La lettre de licenciement fait précisément état du fait que Monsieur PERSONNE1.) n’a aucun droit à faire un usage privé des données en question, d’autant plus qu’une mauvaise manipulation de ces données pourrait causer un préjudice commercial d’ampleur à la Société.

En résumé :

(i) la date à laquelle la Société a constaté les faits gisant à la base du licenciement, à savoir le 12 octobre 2016 ;

(ii) la date à laquelle les faits gisant à la base du licenciement ont eu lieu, à savoir le 29 août 2016 ;

(iii) les faits qui sont reprochés au Requérant, à savoir la transmission d’un document contenant des données confidentielles appartenant à la Société de son adresse électronique professionnelle "MAIL1.) " vers son adresse électronique privée "MAIL2.)" ;

(iv) les personnes auxquelles les données se réfèrent, à savoir cliente, fournisseurs, partenaires de développement, banques, assureurs, agents commerciaux, consultants,… ;

(v) la nature des données, à savoir noms, coordonnées postales, numéros de téléphone fixe, de fax et de téléphones portables, adresses email ;

(vi) les raisons pour lesquelles les faits sont à considérer comme une faute grave justifiant un licenciement avec effet immédiat.

Il ressort donc de ce qui précède que la lettre de licenciement avec effet immédiat remplit les trois conditions de l’article L.124-10 du Code du travail telles qu’interprétées par la jurisprudence.

8 Dès lors, il y a lieu de dire que les motifs du licenciement ont été énoncés de façon précise dans la lettre de licenciement avec effet immédiat. », qu’en exigeant que la demanderesse en cassation, en plus d’indiquer précisément les faits reprochés au défendeur en cassation et en quoi elle considère qu’il s’agit de motifs graves, indique les circonstances voire les éléments susceptibles de caractériser une infraction pénale, la Cour d’appel est allée au-delà des exigences de précision requises pour l’énonciation des motifs d’un licenciement avec effet immédiat, ce faisant, la Cour d’appel a violé l’article L- 124-10 (3) du Code du travail. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir violé la disposition visée au moyen « en exigeant que la demanderesse en cassation, en plus d’indiquer précisément les faits reprochés au défendeur en cassation et en quoi elle considère qu’il s’agit de motifs graves, indique les circonstances voire les éléments susceptibles de caractériser une infraction pénale. ».

Il résulte de la motivation reprise au moyen que les juges d’appel ont retenu, non seulement, que le courrier de licenciement omettait « de décrire les circonstances, voire les éléments susceptibles de caractériser une telle infraction et permettant tant au salarié […] qu’aux juges de vérifier si une telle infraction a eu lieu », mais également, qu’il aurait appartenu à la demanderesse en cassation « soit de décrire plus amplement la prétendue violation contractuelle, soit de se référer aux dispositions contractuelles qu’elle estime avoir été violées, et de préciser en quoi la continuation de la relation de travail entre parties était immédiatement et irrémédiablement compromise, permettant tant au salarié qu’aux juges d’apprécier la gravité de la prétendue faute commise ».

La décision des juges d’appel étant justifiée par d’autres motifs, non critiqués aux termes du pourvoi, le moyen vise un motif surabondant.

Il s’ensuit que le moyen est inopérant.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare le pourvoi recevable ;

le rejette ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation, avec distraction au profit de la société en commandite simple KLEYR GRASSO, sur ses affirmations de droit.

Monsieur le président Thierry HOSCHEIT étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation la société anonyme SOCIETE1.) S.A.

contre PERSONNE1.) (n° CAS-2023-00158 du registre) Le pourvoi en cassation a été introduit par la société anonyme SOCIETE1.) par un mémoire en cassation signifié le 6 septembre 2023 à PERSONNE1.), défendeur en cassation, à son adresse en Allemagne. Il a été déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 9 octobre 2023. Il est dirigé contre l’arrêt n°99/22-VIII-TRAV rôle n° CAL-2021-00218, rendu en date du 27 octobre 2022 par la Cour d’appel, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail.

Le pourvoi en cassation est recevable pour avoir été interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le mémoire en réponse a été signifié le 10 novembre 2023 au domicile élu de la demanderesse en cassation et déposé le 16 novembre 2023 au greffe de la Cour Supérieure de Justice. Il peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Vu la signification d’un nouveau mémoire par la demanderesse en cassation en date du 13 mars 2024 au défendeur, mémoire versé sur base de l’article 17 de la loi du 18 février 1885 précitée.

Il peut être pris en considération.

Faits et rétroactes :

Par jugement du 20 décembre 2020, le tribunal du travail de Diekirch a déclaré le licenciement de PERSONNE1.) avec effet immédiat prononcé le 28 octobre 2016 par son employeur, la société anonyme SOCIETE1.), régulier et le licenciement avec effet avec préavis prononcé le 28 septembre 2016, abusif.

Par arrêt du 27 octobre 2022, la Cour d’appel a, par réformation, déclaré abusif le licenciement avec effet immédiat intervenu le 28 octobre 2016.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur l’unique moyen de cassation Le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article L-124-10 (3) du code du travail en ce que la Cour d’appel, en exigeant que la demanderesse en cassation, en plus d’indiquer de manière précise les faits reprochés au défendeur en cassation et en quoi elle considère qu’il s’agit de motifs graves, indique les circonstances voire les éléments susceptibles de caractériser une infraction pénale, est allée au-delà des exigences de précision requises pour l’énonciation des motifs d’un licenciement avec effet immédiat.

L’article L-124-10 (3) précité prévoit que « la notification de la résiliation immédiate pour motif grave doit être effectuée au moyen d’une lettre recommandée à la poste énonçant avec précision le ou les faits reprochés au salarié et les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave. … ».

La Cour d’appel s’est exprimée comme suit pour déclarer abusif le licenciement avec effet immédiat de PERSONNE1.) pour imprécision de motifs valant absence de motifs : « A la lecture de ce courrier1, il ressort que l’employeur reproche à PERSONNE1.) un fait qu’il considère être susceptible de constituer une infraction pénale (vol) et un manquement contractuel grave (schwerwiegender Vertragsbruch).

La Cour constate que le courrier indique le fait litigieux, à savoir le fait par PERSONNE1.) d’avoir transféré le 29 août 2016 à partir de son adresse électronique professionnelle MAIL1.) vers une adresse électronique privée (private E-mailadresse MAIL2.)) un fichier comportant des données à caractère professionnel (Datei von SOCIETE1.) Geschäftsdaten), indique le contenu de ce fichier et que ces données ne sauraient être utilisées que dans le cadre d’un usage interne de l’entreprise (nur für betriebsinterne Verwendung zulässig), que PERSONNE1.) n’était pas autorisé à utiliser ces données à des fins privées et qu’un risque existait que ce fichier soit divulgué (in falsche Hände kommt), de sorte à pouvoir causer un grave préjudice commercial à la société SOCIETE1.). Le courrier relève encore que le transfert litigieux a eu lieu à une époque où PERSONNE1.) savait qu’il n’était plus destiné au poste de président du conseil d’administration, de sorte que PERSONNE1.) aurait procédé à ce transfert en prévision d’un licenciement éventuel, d’ailleurs intervenu entretemps (so dass Sie sich diese Datei zugeschickt haben in Vorausschau einer etwaigen Kündigung …).

Nonobstant la question de savoir si la lettre de licenciement aurait dû préciser les modalités d’accès par la société SOCIETE1.) à la boîte électronique Outlook et les circonstances de la découverte du fait litigieux afin de permettre à PERSONNE1.) ainsi qu’au tribunal d’apprécier dès l’ingrès la légalité de cet accès, la Cour constate, en ce qui concerne le fait litigieux, que le courrier de licenciement énonce certes le transfert effectué par PERSONNE1.) en date du 29 août 2016, soit à une époque où aucun licenciement n’a encore été prononcé, d’un fichier à partir de son adresse électronique professionnelle vers une adresse électronique privée, en reprochant de ce fait à PERSONNE1.) d’avoir commis un vol.

Le courrier de licenciement omet cependant de décrire les circonstances, voire les éléments susceptibles de caractériser une telle infraction et permettant tant au salarié PERSONNE1.) qu’aux juges de vérifier si une telle infraction a eu lieu. Le courrier de licenciement omet par ailleurs d’énoncer avec précision les circonstances qui seraient de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave.

Ce constat résultant du seul libellé de la lettre de licenciement, est d’ailleurs étayé par l’information ouverte suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société SOCIETE1.) en mai 2017 qui a mené à un non-lieu, l’enquête pénale n’ayant pas permis de 1 Le courrier de licenciement avec effet immédiat daté du 28 octobre 2016.dégager des charges suffisantes susceptibles de caractériser l’infraction de vol, ni celle de violation d’un secret d’affaires.

Concernant le reproche d’une violation contractuelle, le courrier de licenciement, en évoquant un « schwerwiegender Vertragsbruch », ne précise pas le manquement contractuel visé.

L’énoncé y relatif, en ce qu’il relève que le salarié est non autorisé à faire usage de ce fichier à des fins privées, et que ce fichier risque de fuiter « in falsche Hände kommt » de sorte à pouvoir générer un préjudice commercial considérable, manque de précisions en ce qu’il est formulé en des termes vagues. Il ne précise en effet ni les destinataires éventuels « falsche Hände », ni dans quelle mesure une telle divulgation/fuite pourrait générer un lourd préjudice commercial à la société, ne précisant et n’explicitant pas en quoi ces données, à savoir une liste de noms, - contacts professionnels, adresses téléphoniques et électroniques - , aient un caractère confidentiel ni dans quelle mesure leur divulgation puisse être préjudiciable à la société SOCIETE1.). Il aurait appartenu à la société SOCIETE1.) soit de décrire plus amplement la prétendue violation contractuelle, soit de se référer aux dispositions contractuelles qu’elle estime avoir été violées, et de préciser en quoi la continuation de la relation de travail entre parties était immédiatement et irrémédiablement compromise, permettant tant au salarié qu’aux juges d’apprécier la gravité de la prétendue faute commise.

…..

Ainsi, les conditions tenant à ce que l’énonciation du ou des motifs d’un licenciement avec effet immédiat doive permettre à la partie qui subit la résiliation du contrat de connaître exactement le ou les faits qui lui sont reprochés et de pouvoir juger ainsi, en pleine connaissance de cause, de l’opportunité d’une action en justice de sa part, et qu’elle doive permettre au juge d’apprécier la gravité de la faute prétendument commise, - les circonstances de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave devant être énoncées avec précision - , ne sont pas remplies. Il y a dès lors lieu, par réformation, de dire que le licenciement du 28 septembre 2016 ne satisfait pas aux conditions de précision requises par la loi. » L’unique moyen de cassation manque en fait en ce qu’il procède d’une lecture erronée de l’arrêt dont pourvoi.

La Cour d’appel a en effet considéré que l’employeur avait omis en premier lieu, de caractériser dans le courrier de licenciement avec effet immédiat en quoi l’envoi par PERSONNE1.) (responsable de la coordination technique et membre de son conseil d’administration) d’un courriel auquel étaient annexés des documents concernant les activités de son employeur, de son adresse électronique professionnelle sur son adresse électronique privée, constituait premièrement, un vol et réunissait les éléments constitutifs de cette infraction pénale et deuxièmement, un manquement contractuel grave et en deuxième lieu, de préciser les circonstances qui donnaient à l’envoi de ce courriel, annexes incluses, le caractère d’un motif grave de licenciement rendant impossible une continuation des relations de travail de manière immédiate et de façon irrémédiable, avant d’en tirer la conclusion que l’imprécision de motifs valait absence de motifs. En se prononçant ainsi, la Cour d’appel s’est livrée à une vérification des motifs du licenciement avec effet immédiat et a ainsi fait une juste application de la loi c’est-à-dire des dispositions de l’article L-124-10 du code du travail. Ces dispositions reprennent la définition du motif grave permettant à une partie au contrat de travail de résilier sans préavis ce contrat ; elles précisent que le motif invoqué doit rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail et elles spécifient que le courrier de licenciement doit énoncer avec précision le ou les faits reprochés au salarié et les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave.

Sous le couvert du grief de la violation de l’article L-124-10 (3) du code du travail, le moyen ne tend qu’à mettre en discussion l’appréciation souveraine de la Cour d’appel.

Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

pour le Procureur général d’Etat, le Procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 112/24
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-07-04;112.24 ?

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