N° 109 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00156 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à D-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Sandrine OLIVEIRA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et la CAISSE NATIONALE DE SANTE, établissement public, établie à L-2144 Luxembourg, 4, rue Mercier, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J21, défenderesse en cassation, comparant par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
Vu l’arrêt attaqué rendu le 3 juillet 2023 sous le numéro 2023/0154 (No. du reg.: PS 2021/0062) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 2 octobre 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE NATIONALE DE SANTE (ci-après « la CNS »), déposé le même jour au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 9 novembre 2023 par la CNS à PERSONNE1.), déposé le 13 novembre 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marc SCHILTZ.
Sur les faits Par décision du comité directeur, confirmant une décision présidentielle, la CNS avait refusé, à la demanderesse en cassation, la prise en charge d’une prothèse du membre inférieur gauche « Genium X3/Otto Bock » au motif qu’elle dépassait l’utile et le nécessaire et se heurtait à l’exclusion prévue à l’article 90 des statuts de la CNS.
Le Conseil arbitral de la sécurité sociale, après avoir ordonné une expertise médicale, avait déclaré le recours introduit par la demanderesse en cassation contre cette décision, fondé.
Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, rétabli la décision du comité directeur de la CNS portant refus de la prise en charge de la prothèse au motif que la prestation sollicitée dépassait l’utile et le nécessaire.
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « En ce que l’arrêt du Conseil supérieure de la sécurité sociale du 3 juillet 2023 se base, pour arriver à sa décision de confirmer la décision initiale du Conseil arbitral contre laquelle l’appel a été interjeté, sur l’application d’une base légale, plus précisément l’article 23 du code de la sécurité sociale, pris ensemble avec l’article 90 des statuts de la CNS, lesquelles dispositions sont contraires à l’article 15 (6) de la Constitution luxembourgeoise, plus particulièrement en combinaison avec l’article 40 de cette même Constitution.
Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a estimé que :
articles 21 et 23 du code la sécurité sociale, pour se faire rembourser le prix de la prothèse, PERSONNE1.) doit voir requis et obtenu préalablement la prise en charge.
Pour apprécier si cette prise en charge se justifie, il convient de se référer aux dispositions de l’article 23 du code de la sécurité sociale qui prévoit que : "Les prestations à charge de l’assurance maladie accordées à la suite des prescriptions et ordonnances médicales doivent correspondre au mieux à l’état de santé des assurés. Elles ne peuvent dépasser l’utile et le nécessaire et doivent êtres faites dans la plus stricte économie compatible avec l’efficacité du traitement et être conformes aux données acquises par la science et à la déontologie médicale. (…)". » Conformément à l’article 21 du code de la sécurité sociale, la prise en charge des actes, services et fournitures se fait suivant les conditions, modalités et taux déterminés par les statuts.
L’article 90 des statuts de la CNS prévoit que en charge les prothèses orthopédiques des membres pour compenser les déficits fonctionnels de la personne protégée. La prise en charge se fait entre autres en fonction du degré de mobilité et du poids corporel de la personne protégée.
L’assurance maladie ne prend en charge ni les prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir ni les suppléments de telles prothèses. Lorsqu’en vertu de dispositions de l’article 91quinquies des présents statuts, la personne protégé a droit à l’intérieur du délai de renouvellement à la prise en charge d’une deuxième prothèse orthopédique, cette deuxième prothèse ne constitue qu’une prothèse mécanique de haute qualité sans microprocesseurs électroniques ».
La demande de PERSONNE1.) est partant à apprécier sur base des prédites dispositions.
(…) Or, et bien qu’il ne soit pas controversé que l’appréciation quant à la nécessité et à l’utilité d’une prothèse est à faire dans chaque cas de façon individuelle, le seul avantage procuré par la prothèse de type à PERSONNE1.) en relation avec la pratique de ses activités aquatiques ne suffit pas pour justifier sa demande de prise en charge par la CNS du type de prothèse en question, ceci d’autant plus qu’au vœu de l’article 90, paragraphe 2 précité des statuts de la CNS, l’assurance maladie ne prend en charge ni les prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir ni les suppléments de telles prothèses et que conformément aux dispositions du paragraphe 3 du même article, PERSONNE1.) dispose de deux prothèses, la prothèse de type et une autre prothèse résistante à l’eau.
Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu de retenir que la prestation sollicitée par PERSONNE1.) dépasse l’utile et le nécessaire.
Il y a, dès lors, lieu de réformer le jugement entrepris et à rétablir la décision rendue par le comité directeur de la CNS en sa séance du 14 mai 2018, portant refus de prise en charge d’une prothèse pour membre inférieur gauche type .
Alors que l’article 15 (6) de la Constitution dispose que :
droits » Et que l’article 40 de cette même Constitution dispose que :
L’État veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié. » La même Constitution dispose, par son article 102, que les juridictions n’appliquent les lois et règlements que pour autant qu’ils soient conformes aux normes de droit supérieures.
En l’espèce, l’article 23 du Code de la sécurité sociale soumet la prise en charge d’une prestation par la CNS à une condition cumulative, plus précisément celle de ne pas dépasser l’utile et le nécessaire, en étant précisé que suivant l’article 21 de ce même Code de la sécurité sociale, ladite prise en charge se fait suivant les conditions, modalités et aux taux déterminés par les statuts de la CNS, en l’espèce l’article 90 de ces statuts, qui exclut formellement, en matière d’assurance maladie la prise en charge de prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir et les suppléments de telles prothèses.
L’article 90 des statuts de la CNS, réglementant la mise en œuvre de l’article 23 du Code de la sécurité sociale, et excluant la prise en charge de prothèses pour une pratique d’activités sportives ou de loisir, viole les dispositions des articles 15(6) et 40 de la Constitution en ce qu’il enlève la possibilité de vivre dignement à PERSONNE1.), le privant de la jouissance pourtant garantie de tous les droits de façon égale à tout autre citoyen.
Or le droit à une vie digne, garanti par l’article 40 de la Constitution, pris ensemble avec la garantie constitutionnellement fixée par l’article 15 (6), englobe le droit à mener une vie sociale normale, comme tout citoyen, notamment un citoyen en possession de deux jambes entièrement fonctionnelles.
Ce droit à la vie digne contient évidemment le droit à pouvoir réaliser des activités de loisir avec notamment les membres de sa famille et des activités de sport.
L’expert judiciaire, comme le souligne par ailleurs le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans sa décision, retient que la prothèse litigieuse, contrairement à la prothèse accordée par la CNS, permettrait justement à PERSONNE1.) de pratiquer de telles activités de sport et de loisir, ce que la prothèse accordée par la CNS ne permettrait pas.
Ainsi l’expert judiciaire a retenu :
mögliche Annäherung an den Lebensstil, den sie pflegt, anvisiert wird, ist die Versicherte mit der X3-Prothese sicher besser versorgt. » Malgré ce constat incontesté, le Conseil supérieur de la sécurité sociale ne fait pas droit à la demande de PERSONNE1.) au motif que l’article 23 du Code de de la sécurité sociale et l’article 90 des statuts de la CNS excluent in fine toutes les activités de loisir et d’activités sportives du bénéfice de la prise en compte de la prothèse initialement prescrite par un professionnel de la santé.
Or, tel que développé ci-avant, la pratique d’activités sportives ou de loisir, notamment à une époque où le work-life balance est unanimement admise comme une nécessité, fait évidemment partie du droit à mener une vie digne, et ce plus particulièrement en tant qu’acte d’inclusion pour une personne amputée d’une partie de sa jambe, qui, en bénéficiant de la prothèse litigieuse, pourrait utilement mener, comme déclarée nécessaire par la Constitution, une vie digne.
La décision du Conseil supérieur de la sécurité sociale ne lui permet pas de mener une telle vie, en ce qui concerne la pratique des activités sportives ou de loisir.
Il y a dès lors lieu de retenir que les articles 23 et 90 du Code de la sécurité sociale, respectivement des statuts de la CNS, sont contraires à une lecture combinée des articles 15 (6) et 40 de la Constitution.
En tenant compte de l’article 102 de la Constitution, le Conseil supérieur de la sécurité sociale n’aurait pas dû appliquer les bases légales retenues par elle.
L’arrêt rendu par le Conseil supérieur de la sécurité sociale encourt dès lors la cassation pour ne pas avoir respecté les garanties constitutionnelles discutées ci-
avant. ».
Réponse de la Cour Sous le couvert de la violation des articles 15(6) et 40 de la Constitution, en vigueur depuis le 1er juillet 2023, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation par les juges d’appel des éléments de fait les ayant amenés à retenir que la prise en charge de la prothèse dépasse l’utile et le nécessaire au sens de l’article 23 du Code de la sécurité sociale, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il ne paraît pas inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Jean MINDEN, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Ministère Public dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTE (CNS) affaire n° CAS-2023-00156 du registre
___________________________________________________________________
Par mémoire signifié le 02 octobre 2023 et déposé au greffe de la Cour le même jour, PERSONNE1.) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement entre parties le 03 juillet 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.
L’arrêt en question a été notifié au demandeur en cassation en date du 18 juillet 2023.
Le délai pour l’introduction du recours en cassation étant en l’espèce, en tenant compte du délai prévu à l’article 167 du Nouveau Code de procédure pénale auquel renvoie l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, de deux mois et quinze jours, le pourvoi est partant recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi.
En date du 13 novembre 2023 la défenderesse en cassation a déposé un mémoire en réponse signifié au demandeur en cassation en date du 09 novembre 2023.
Ce mémoire en cassation est également recevable.
Sur les faits et rétroactes Par décision du 12 juillet 2017 le président de la défenderesse en cassation a refusé au demandeur en cassation la prise en charge d’une prothèse du membre inférieur gauche du type « Genium X3 » au motif que la prestation dépasse l’utile et le nécessaire.
Suite à une opposition du demandeur en cassation le comité directeur de la défenderesse en cassation a confirmé son refus en date du 14 mai 2018.
Contre cette confirmation un recours fut introduit devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale lequel, par un jugement du 15 janvier 2021, suite à une expertise ordonnée par jugement avant dire droit du 03 avril 2020, a dit le recours fondé et renvoyé le dossier en prosécution de cause devant la défenderesse en cassation.
La défenderesse en cassation a alors, par requête déposée au secrétariat du Conseil supérieur de la sécurité sociale le 05 mars 2021, interjeté appel contre ce jugement du 15 janvier 2021.
Par un arrêt du 03 juillet 2023 le Conseil supérieur de la sécurité sociale a déclaré cet appel recevable et fondé et a, par réformation, rétabli la décision rendue par le comité directeur de la CNS en sa séance du 14 mai 2018.
Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt.
Quant au moyen unique de cassation :
L’unique moyen de cassation, qui se limite en fait, à un mélange de considérations de fait, d’ailleurs pour partie1 démenties par le propre exposé des faits du mémoire, et de droit, sans respecter les exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, est irrecevable.
Même en tenant compte du fait qu’en l’espèce le « moyen » ait été formulé par un avocat à la Cour non spécialisé dans le domaine des recours en cassation il résulte des développements qu’il semble reprocher à l’arrêt entrepris à la fois une violation des articles 15 (6), 40 et 102 de la Constitution.
Or, l’article 15 (6) de la Constitution a trait au principe d’égalité et plus particulièrement des personnes handicapées.
L’article 40 de la Constitution prévoit que « L’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié » L’article 102 de la Constitution quant à lui dispose que « Les juridictions n’appliquent les lois et règlements que pour autant qu’ils sont conformes aux normes de droit supérieures ».
Ainsi, le « moyen », même en le lisant avec une certaine bienveillance au vu de la qualification de son auteur, met en œuvre au moins 3 cas d’ouverture différents et est donc encore irrecevable de ce chef.
Le « moyen » est encore irrecevable en ce qu’il reproche à l’arrêt entrepris une violation de la Constitution - certes dans sa version issue des 4 lois du 17 janvier 2023 portant révision de la Constitution et entrée en vigueur le 1er juillet 2023 mais en invoquant des dispositions qui existaient en substance déjà dans la version précédente de la 1 Ainsi le “moyen” indique que le Conseil supérieure de la sécurité sociale aurait confirmé la décision initiale du Conseil arbitral contre laquelle l’appel a été interjeté alors même qu’il s’agit d’une réformation Constitution et notamment les articles 10bis et 11 respectivement 95ter de la Constitution - dont l’examen implique nécessairement un examen des faits - à savoir la situation de fait du demandeur en cassation - alors que ce moyen n’a pas été soulevé devant les juridictions de fond et est partant, n’étant pas de pur droit, irrecevable devant Votre Cour.
Même en admettant la prémisse que les articles 15 (6), 40 et 102 de la Constitution soient des dispositions entièrement nouvelles on ne saurait reprocher à l’arrêt entrepris de ne pas les avoir relevés d’office alors qu’aux termes de l’article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile le juge « ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».
Ainsi, afin de pouvoir considérer que l’article 23 du Code de la sécurité sociale, dont l’alinéa 1 est rédigé comme suit :
« Les prestations à charge de l’assurance maladie accordées à la suite des prescriptions et ordonnances médicales doivent correspondre au mieux à l’état de santé des assurés.
Les prestations à charge de l’assurance maladie 3) ne peuvent dépasser l’utile et le nécessaire et doivent être faites dans la plus stricte économie compatible avec l’efficacité du traitement et être conformes aux données acquises par la science et à la déontologie médicale. » soit contraire à la constitution, il aurait fallu, en application du prédit article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile, ordonner une rupture du délibéré et inviter les parties à présenter leurs observations.
Or, le moyen ne reproche aucunement à l’arrêt entrepris une violation de cet article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile de sorte qu’il est encore inopérant.
Conclusion Le pourvoi en cassation est recevable.
L’unique moyen de cassation est cependant irrecevable sinon inopérant.
Pour le Procureur Général d’Etat Le premier avocat général Marc SCHILTZ 9