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04/07/2024 | LUXEMBOURG | N°108/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 04 juillet 2024, 108/24


N° 108 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00152 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassat

ion, comparant par Maître Sandrine OLIVEIRA, avocat à la Cour, en l’étude de ...

N° 108 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00152 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Sandrine OLIVEIRA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et la CAISSE NATIONALE DE SANTE, établissement public, établie à L-2144 Luxembourg, 4, rue Mercier, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J21, défenderesse en cassation, comparant par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué rendu le 3 juillet 2023 sous le numéro 2023/0153 (No. du reg.: PS 2020/0026) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 14 septembre 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE NATIONALE DE SANTE (ci-après « la CNS »), déposé le 15 septembre 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 9 novembre 2023 par la CNS à PERSONNE1.), déposé le 13 novembre 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc SCHILTZ.

Sur les faits Par décision du conseil d’administration, confirmant une décision présidentielle, la CNS avait refusé, au demandeur en cassation, la prise en charge d’une prothèse du membre inférieur gauche « Genium X3 » au motif qu’elle dépassait ce qui est utile et nécessaire au sens de l’article 23 du Code de la sécurité sociale.

Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait rejeté le recours introduit par le demandeur en cassation contre cette décision.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale, après avoir ordonné une expertise médicale aux fins de déterminer si la prise en charge de cette prothèse dépassait ce qui est utile et nécessaire pour garantir au demandeur en cassation des conditions de vie aussi proches que possible de celles d’une personne n’ayant pas son handicap, a confirmé le jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « En ce que l’arrêt du Conseil supérieure de la sécurité sociale du 3 juillet 2023 se base, pour arriver à sa décision de confirmer la décision initiale du Conseil arbitral contre laquelle l’appel a été interjeté, sur l’application d’une base légale, plus précisément l’article 23 du code de la sécurité sociale, pris ensemble avec l’article 90 des statuts de la CNS, lesquelles dispositions sont contraires à l’article 15 (6) de la Constitution luxembourgeoise, plus particulièrement en combinaison avec l’article 40 de cette même Constitution.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a estimé que des articles 12, 17 et 88 des statuts de la CNS et des articles 21 et 23 du code la sécurité sociale, l’appelant, pour se faire rembourser le prix de la prothèse, doit voir requis et obtenu préalablement la prise en charge. » Dans le cadre de l’opposition, la CNS, dans la décision du conseil d’adminsitration du 14 janvier 2019, a notamment précisé :

Berücksichtigung des Art.23.1 des CSS sowie des Art.90 der Statuten der CNS hat die CNS ihre Leistungspflicht, welche für den Ausgleich des unmittelbaren Behinderung der Versicherten im Alltag zuständig ist, vollends respektiert ». Elle a partant accordé la prise en charge d’une nouvelle prothèse de type Genium, mais elle a refusé la prise en charge du modèle X3 sur base des articles précités. » Pour apprécier si ce refus se justifie, il convient de se référer au code de la sécurité sociale et plus particulièrement aux dispositions ayant trait aux dont l’article 23 qui prévoit que : .

Indépendamment des considérations de avec l’efficacité du traitement et être conformes aux données acquises par la science et à la déontologie médicale », il se dégage surtout de ce texte que la prestation doit :

- Correspondre au mieux à l’état de santé de l’assuré ;

- Ne pas dépasser l’utile et le nécessaire.

L’article 21 du code la sécurité sociale dispose que des actes, services et fournitures se fait suivant les conditions, modalités et aux taux déterminés par les statuts » et l’article 90 des statuts de la CNS, également cité dans la décision entreprise, indique sous la section 2.-Conditions particulières de prise en charge des prothèses orthopédiques :

membres pour compenser les déficits fonctionnels de la personne protégée. La prise en charge se fait entre autres en fonction du degré de mobilité et du poids corporel de la personne protégée.

L’assurance maladie ne prend en charge ni les prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir ni les suppléments de telles prothèses. (…) (…) Cependant, l’article 23 du code de la sécurité sociale indique que la prestation, pour être prise en charge, doit répondre à une condition cumulative, à savoir ne pas dépasser l’utile et le nécessaire, étant précisé que l’article 90 des statuts précités exclut expressément les prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir.

Dans le cadre de l’analyse de la nécessité, l’expert souligne que . L’expert poursuit en utilisant le conditionnel mettant lui-même en italique les extraits suivants : . Dans sa conclusion à la dernière page de son rapport, point 2, l’expert reprend les précisions fournies ci-

dessus en rappelant , en rajoutant un point d’exclamation et en précisant que le style de vie de PERSONNE1.) a trait à des .

Alors que l’article 15 (6) de la Constitution dispose que :

droits » Et que l’article 40 de cette même Constitution dispose que :

L’État veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié. » La même Constitution dispose, par son article 102, que les juridictions n’appliquent les lois et règlements que pour autant qu’ils soient conformes aux normes de droit supérieures.

En l’espèce, l’article 23 du Code de la sécurité sociale soumet la prise en charge d’une prestation par la CNS à une condition cumulative, plus précisément celle de ne pas dépasser l’utile et le nécessaire, en étant précisé que suivant l’article 21 de ce même Code de la sécurité sociale, ladite prise en charge se fait suivant les conditions, modalités et aux taux déterminés par les statuts de la CNS, en l’espèce l’article 90 de ces statuts, qui exclut formellement, en matière d’assurance maladie la prise en charge de prothèses pour la pratique d’activités sportives ou de loisir et les suppléments de telles prothèses.

L’article 90 des statuts de la CNS, réglementant la mise en œuvre de l’article 23 du Code de la sécurité sociale, et excluant la prise en charge de prothèses pour une pratique d’activités sportives ou de loisir, viole les dispositions des articles 15(6) et 40 de la Constitution en ce qu’il enlève la possibilité de vivre dignement à PERSONNE1.), le privant de la jouissance pourtant garantie de tous les droits de façon égale à tout autre citoyen.

Or le droit à une vie digne, garanti par l’article 40 de la Constitution, pris ensemble avec la garantie constitutionnellement fixée par l’article 15 (6), englobe le droit à mener une vie sociale normale, comme tout citoyen, notamment un citoyen en possession de deux jambes entièrement fonctionnelles.

Ce droit à la vie digne contient évidemment le droit à pouvoir réaliser des activités de loisir avec notamment les membres de sa famille et des activités de sport.

L’expert judiciaire, comme le souligne par ailleurs le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans sa décision, retient que la prothèse litigieuse, contrairement à la prothèse accordée par la CNS, permettrait justement à PERSONNE1.) de pratiquer de telles activités de sport et de loisir, ce que la prothèse accordée par la CNS ne permettrait pas.

Malgré ce constat incontesté, le Conseil supérieur de la sécurité sociale ne fait pas droit à la demande de PERSONNE1.) au motif que l’article 23 du Code de de la sécurité sociale et l’article 90 des statuts de la CNS excluent in fine toutes les activités de loisir et d’activités sportives du bénéfice de la prise en compte de la prothèse initialement prescrite par un professionnel de la santé.

Or, tel que développé ci-avant, la pratique d’activités sportives ou de loisir, notamment à une époque où le work-life balance est unanimement admise comme une nécessité, fait évidemment partie du droit à mener une vie digne, et ce plus particulièrement en tant qu’acte d’inclusion pour une personne amputée d’une partie de sa jambe, qui, en bénéficiant de la prothèse litigieuse, pourrait utilement mener, comme déclarée nécessaire par la Constitution, une vie digne.

La décision du Conseil supérieur de la sécurité sociale ne lui permet pas de mener une telle vie, en ce qui concerne la pratique des activités sportives ou de loisir.

Il y a dès lors lieu de retenir que les articles 23 et 90 du Code de la sécurité sociale, respectivement des statuts de la CNS, sont contraires à une lecture combinée des articles 15 (6) et 40 de la Constitution.

En tenant compte de l’article 102 de la Constitution, le Conseil supérieur de la sécurité sociale n’aurait pas dû appliquer les bases légales retenues par elle.

L’arrêt rendu par le Conseil supérieur de la sécurité sociale encourt dès lors la cassation pour ne pas avoir respecté les garanties constitutionnelles discutées ci-

avant. ».

Réponse de la Cour Sous le couvert de la violation des articles 15(6) et 40 de la Constitution, en vigueur depuis le 1er juillet 2023, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation par les juges d’appel des éléments de fait les ayant amenés à retenir que la prise en charge de la prothèse dépasse l’utile et le nécessaire au sens de l’article 23 du Code de la sécurité sociale, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il ne paraît pas inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Jean MINDEN, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Ministère Public dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTE (CNS) affaire n° CAS-2023-00152 du registre

___________________________________________________________________

Par mémoire signifié le 14 septembre 2023 et déposé au greffe de la Cour le 15 septembre 2023, PERSONNE1.) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement entre parties le 03 juillet 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.

L’arrêt en question a été notifié au demandeur en cassation en date du 17 juillet 2023.

Le délai pour l’introduction du recours en cassation étant en l’espèce de deux mois, le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

En date du 13 novembre 2023 la défenderesse en cassation a déposé un mémoire en réponse signifié au demandeur en cassation en date du 09 novembre 2023.

Ce mémoire en cassation est également recevable.

Sur les faits et rétroactes Par décision du 02 mars 2018 le président de la défenderesse en cassation a refusé au demandeur en cassation la prise en charge d’une prothèse du membre inférieur gauche du type « Genium X3 » au motif que la prestation dépasse l’utile et le nécessaire.

Suite à une opposition du demandeur en cassation le conseil d’administration de la défenderesse en cassation a confirmé son refus en date du 14 janvier 2019.

Contre cette confirmation un recours fut introduit devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale lequel, par un jugement du 20 décembre 2019, a déclaré le recours du demandeur en cassation recevable en la pure forme mais non fondé.

Le demandeur en cassation a alors, par requête déposée au secrétariat du Conseil supérieur de la sécurité sociale le 07 février 2020, interjeté appel contre ce jugement du 20 décembre 2021.

Par un arrêt interlocutoire du 19 avril 2021 le Conseil supérieur de la sécurité sociale a reçu l’appel en la forme et a institué une expertise médicale aux fins de déterminer « si la prise en charge de la prothèse « Genium X3 » dépasse ce qui est utile et nécessaire pour garantir à PERSONNE1.) des conditions de vie aussi proches que possibles de celles d’une personne n’ayant pas son handicap »1.

Suite au dépôt du rapport d’expertise, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par arrêt du 03 juillet 2023, dit non fondé l’appel et confirmé le jugement entrepris.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt.

Quant au moyen unique de cassation :

L’unique moyen de cassation, qui se limite en fait, à un mélange de considérations de fait et droit, sans respecter les exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation est irrecevable.

Même en tenant compte du fait qu’en l’espèce le «moyen » ait été formulé par un avocat à la Cour non spécialisé dans le domaine des recours en cassation, il résulte des développements qu’il semble reprocher à l’arrêt entrepris à la fois une violation des articles 15 (6), 40 et 102 de la Constitution.

Or, l’article 15 (6) de la Constitution a trait au principe d’égalité et plus particulièrement des personnes handicapées.

L’article 40 de la Constitution prévoit que « L’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié » L’article 102 de la Constitution quant à lui dispose que « Les juridictions n’appliquent les lois et règlements que pour autant qu’ils sont conformes aux normes de droit supérieures ».

Ainsi, le « moyen », même en le lisant avec une certaine bienveillance au vu de la qualification de son auteur, met en œuvre au moins 3 cas d’ouverture différents et est donc encore irrecevable de ce chef.

Le « moyen » est encore irrecevable en ce qu’il reproche à l’arrêt entrepris une violation de la Constitution - certes dans sa version issue des 4 lois du 17 janvier 2023 portant révision de la Constitution et entrée en vigueur le 1er juillet 2023 mais en invoquant des dispositions qui existaient en substance déjà dans la version précédente de la 1 Pièce 6 du demandeur en cassation, page 4 Constitution et notamment les articles 10bis et 11 respectivement 95ter de la Constitution - dont l’examen implique nécessairement un examen des faits - à savoir la situation de fait du demandeur en cassation - alors que ce moyen n’a pas été soulevé devant les juridictions de fond et est partant, n’étant pas de pur droit, irrecevable devant Votre Cour.

Même en admettant la prémisse que les articles 15 (6), 40 et 102 de la Constitution soient des dispositions entièrement nouvelles on ne saurait reprocher à l’arrêt entrepris de ne pas les avoir relevés d’office alors qu’aux termes de l’article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile le juge « ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

Ainsi, afin de pouvoir considérer que l’article 23 du Code de la sécurité sociale, dont l’alinéa 1 est rédigé comme suit :

« Les prestations à charge de l’assurance maladie accordées à la suite des prescriptions et ordonnances médicales doivent correspondre au mieux à l’état de santé des assurés.

Les prestations à charge de l’assurance maladie 3) ne peuvent dépasser l’utile et le nécessaire et doivent être faites dans la plus stricte économie compatible avec l’efficacité du traitement et être conformes aux données acquises par la science et à la déontologie médicale. » soit contraire à la Constitution, il aurait fallu, en application du prédit article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile, ordonner une rupture du délibéré et inviter les parties à présenter leurs observations.

Or le moyen ne reproche aucunement à l’arrêt entrepris une violation de cet article 65 alinéa 3 du Nouveau code de procédure civile de sorte qu’il est encore inopérant.

Conclusion Le pourvoi en cassation est recevable.

L’unique moyen de cassation est cependant irrecevable.

Pour le Procureur Général d’Etat Le premier avocat général Marc SCHILTZ 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 108/24
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-07-04;108.24 ?

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