La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2024 | LUXEMBOURG | N°80/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 16 mai 2024, 80/24


N° 80 / 2024 du 16.05.2024 Numéro CAS-2023-00123 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize mai deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.) SICAV SIF, en liquidation volonta

ire, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), inscrite au registre de...

N° 80 / 2024 du 16.05.2024 Numéro CAS-2023-00123 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize mai deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.) SICAV SIF, en liquidation volontaire, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), représentée par les liquidateurs, agissant au nom et pour le compte de son compartiment « X », demanderesse en cassation, comparant par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société anonyme SOCIETE2.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE2.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO2.), défenderesse en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 56/23 IV - COM, rendu le 18 avril 2023 sous les numéros CAL-2018-00832 et CAL-2018-00886 du rôle, tel que rectifié par l’arrêt numéro 113/23 IV - COM rendu le 6 juin 2023 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 12 juillet 2023 par la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « SOCIETE1.) ») à la société anonyme SOCIETE2.) (ci-après « SOCIETE2.) »), déposé le 13 juillet 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc SCHILTZ.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait déclaré fondée en son principe la demande de SOCIETE2.) en exécution forcée de ses demandes de rachat des parts du compartiment «X» (ci-après « X ») de SOCIETE1.) et avait sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat de SOCIETE1.).

Par réformation, les juges d’appel ont dit qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer et ils ont condamné SOCIETE1.), agissant au nom et pour le compte de son compartiment «X», à payer à SOCIETE2.) un certain montant au titre du prix de rachat des parts.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré, (i) en sa première branche, de la contradiction de motifs valant défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-

après, la ) qui dispose que :

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil […] », de l’article 89 de la Constitution d’après lequel motivé […] », et des articles 249 et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, lesquels disposent respectivement que 2noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l'exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements » et que », (ii) en sa deuxième branche, de la dénaturation d’un écrit clair, au regard de l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile, lequel dispose que :

L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties […] », et l’article 6, paragraphe 1er, de la CEDH précité, (iii) en sa troisième branche, du défaut de base légale, au regard de l’article 579, paragraphe 1er, du Nouveau Code de procédure civile, en vertu duquel :

Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. », ensemble l’article 580 du Nouveau Code de procédure civile, qui dispose que :

Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel, indépendamment des jugements sur le fond, que dans les cas spécifiés par la loi et sous réserve des dispositions de l’article 580-1. », et (iv) à titre subsidiaire par rapport à sa troisième branche exposée ci-avant, en sa quatrième branche, de la violation de la loi, par fausse qualification des faits, sinon par fausse application de la loi, sinon par refus d’application de la loi, in specie de l’article 579, paragraphe 1er, du Nouveau Code de procédure civile précité, ensemble l’article 580 du Nouveau Code de procédure civile précité, en ce que la Cour d’appel a, pour dire recevable l’appel interjeté par la partie défenderesse en cassation, retenu qu’ :

En disant fondée en son principe la demande de SOCIETE2.) en exécution forcée des demandes de rachat des 19.358,074 parts détenues dans le compartiment «X» de SOCIETE1.) ainsi que la demande en condamnation de SOCIETE1.) pour le montant de 2.632,794,47 euros, le tribunal a incontestablement tranché dans son dispositif, du moins une partie du principal.

Le tribunal n’a toutefois pas prononcé de condamnation mais a sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat.

Les juges de première instance ont motivé leur décision par le fait que la décision de suspension s’imposait aux actionnaires et créanciers de SOCIETE1.) et que le paiement ne pouvait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

3 Ce faisant, ils n’ont en réalité par ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter la décision à intervenir.

[…] Par ailleurs, force est de constater qu’à part l’une des demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dès lors une décision définitive, ayant tranché tout le principal, contre laquelle le droit d’appel est ouvert en ce qu’elle fait grief aux deux parties.

Les appels interjetés par les deux parties sont dès lors recevables. », alors que, * * * (i) première branche, la Cour européenne des droits de l’homme a retenu que et qu’il oblige les tribunaux à motiver leurs décisions » (Van de Hurk c/ Pays-Bas, 19 avril 1994, requête n° 16034/90, §§ 59-61), que Votre Cour retient avec constance que de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision » (voy. p. ex., Cour de cassation, 17 novembre 2022, n° CAS-2022-00015 du registre, arrêt n° 137/2022), qu’après avoir d’abord constaté que les premiers juges n’avaient pas prononcé de condamnation mais qu’ils avaient sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension, la Cour d’appel retient subséquemment que par le jugement a quo rendu le 29 mars 2018 le fond du litige aurait été épuisé, que les juges d’appel se sont de ce fait contredits de manière flagrante, que cette contradiction entre des motifs de fait totalement incompatibles, qui a affecté la pensée même de la Cour d’appel, a exercé une influence sur l’Arrêt Rectifié tel que rectifié par l’Arrêt Rectificatif qui préjudicie à la partie demanderesse en cassation, (ii) deuxième branche, il est de jurisprudence constante que les juges d’appel ne sauraient se méprendre sur la portée d’une décision judiciaire en la 4dénaturant par adjonction d’énonciations que celle-ci ne comporte pas (voy. Cour de cassation fr., 2ème civ., 6 mars 2003, pourvoi n° 01-02.449 ; 18 septembre 2003, pourvoi n° 01-13.902), sous peine de violer les principe et textes visés au moyen unique, pris en sa deuxième branche, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a retenu dans son prédit jugement du 29 mars 2018 qu’ :

Il résulte des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, que la décision de suspension des demandes de rachat reste en vigueur à l’heure actuelle de sorte que le paiement ne saurait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

Il convient par conséquent de sursoir à statuer quant à la demande principale de SOCIETE2.) ainsi quant à sa demande en allocation d’indemnité sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile. », en conséquence de quoi, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a surs[is] à statuer quant à la demande de la société d'investissement à capital variable SOCIETE2.) SA en attendant l'issue de la décision de suspension des ordres de rachat du conseil d'administration de la société anonyme sous forme d'une société d'investissement à capital variable SOCIETE1.) SA » et quant à la demande de la société d'investissement à capital variable SOCIETE2.) SA en allocation d'une indemnité sur base de l'article 240 du Nouveau Code de procédure civile », a et a fix[é] l’affaire au rôle général », que les premiers juges ont ainsi, sans ambiguïté aucune, prononcé la surséance à statuer, qu’il n’appartenait pas à la Cour d’appel d’altérer de la sorte les dispositions du jugement préqualifié du 29 mars 2018, peu important le bien-fondé de la décision du tribunal ordonnant un sursis à statuer, qu’en se déterminant ainsi, la Cour d’appel a méconnu le sens clair et précis de dispositions exemptes d’interprétation du prédit jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 29 mars 2018 (pièce 1), (iii) troisième branche, pour recevoir les appels respectifs des parties à la cause en la pure forme, la Cour d’appel énonce que les juges de première instance n’auraient en réalité pas ordonné de sursis à statuer, mais un sursis à exécuter, et auraient toisé l’intégralité du litige, qu’elle retient ensuite que le jugement entrepris du 29 mars 2018 précité serait une décision définitive ayant tranché tout le principal, qu’elle a cependant négligé de rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la partie demanderesse en cassation (pièce 14, points 5 à 18), si la mesure prononcée par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg et qualifiée par ce dernier de surséance à statuer n’était pas une mesure provisoire, 5que la Cour d’appel a donc privé sa décision de base légale, (iv) quatrième branche (présentée à titre subsidiaire par rapport à la troisième branche du présent moyen unique), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a retenu dans son prédit jugement du 29 mars 2018 qu’ :

Il résulte des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, que la décision de suspension des demandes de rachat reste en vigueur à l’heure actuelle de sorte que le paiement ne saurait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

Il convient par conséquent de sursoir à statuer quant à la demande principale de SOCIETE2.) ainsi quant à sa demande en allocation d’indemnité sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile. », en conséquence de quoi, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a surs[is] à statuer quant à la demande de la société d'investissement à capital variable SOCIETE2.) SA en attendant l'issue de la décision de suspension des ordres de rachat du conseil d'administration de la société anonyme sous forme d'une société d'investissement à capital variable SOCIETE1.) SA » et quant à la demande de la société d'investissement à capital variable SOCIETE2.) SA en allocation d'une indemnité sur base de l'article 240 du Nouveau Code de procédure civile », a réserv[é] le surplus et les frais » et a fix[é] l’affaire au rôle général », que, partant, les juges de première instance n’ont pas tranché tout le principal, mais ont, au contraire, d’une part, tranché une partie du principal et, d’autre part, ordonné une mesure de surséance à statuer, laquelle :

- première sous-branche, constituait une mesure provisoire, - seconde sous-branche (invoquée à titre subsidiaire par rapport à la première sous-branche de la branche sous examen du moyen unique), ne constituait ni une mesure d’instruction ni une mesure provisoire, que, par conséquent, en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé les textes visés au moyen unique, pris en sa quatrième branche, * * * qu’il s’ensuit que, le moyen unique de la partie demanderesse en cassation étant fondé en ses quatre (4) branches, l’Arrêt Rectifié tel que rectifié par l’Arrêt Rectificatif encourt la cassation. ».

6Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel de s’être « contredits de manière flagrante » en constatant d’abord que les juges de première instance avaient sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension, pour retenir ensuite que par le jugement attaqué, le fond du litige avait été épuisé.

En retenant « En disant fondée en son principe la demande de SOCIETE2.) en exécution forcée des demandes de rachat des 19.358,074 parts détenues dans le compartiment «X» de SOCIETE1.) ainsi que la demande en condamnation de SOCIETE1.) pour le montant de 2.632,794,47 euros, le tribunal a incontestablement tranché dans son dispositif, du moins une partie du principal.

Le tribunal n’a toutefois pas prononcé de condamnation mais a sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat.

Les juges de première instance ont motivé leur décision par le fait que la décision de suspension s’imposait aux actionnaires et créanciers de SOCIETE1.) et que le paiement ne pouvait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

Ce faisant, ils n’ont en réalité pas ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter la décision à intervenir. » et « Par ailleurs, force est de constater qu’à part l’une des demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dès lors une décision définitive, ayant tranché tout le principal, contre laquelle le droit d’appel est ouvert en ce qu’elle fait grief aux deux parties. », les juges d’appel ne se sont pas contredits, la seconde constatation s’appuyant sur la première.

Il s’ensuit que la première branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la deuxième branche du moyen La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir dénaturé le jugement de première instance en méconnaissant le sens clair et précis de dispositions exemptes d’interprétation.

7En retenant, par la motivation reproduite dans la réponse donnée à la branche précédente, que les juges de première instance n’ont pas ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter, les juges d’appel ont tranché, hors toute dénaturation, le litige conformément aux principes directeurs du procès.

Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la troisième branche du moyen La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir privé leur décision de base légale en négligeant de rechercher si le sursis à statuer prononcé par le Tribunal n’était pas une mesure provisoire et d’avoir ainsi violé les articles 579, paragraphe 1, et 580 du Nouveau Code de procédure civile.

Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

En retenant « (…) [les juges de première instance] n’ont en réalité pas ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter la décision à intervenir. » et « Par ailleurs, force est de constater qu’à part l’une des demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dès lors une décision définitive, ayant tranché tout le principal, contre laquelle le droit d’appel est ouvert en ce qu’elle fait grief aux deux parties. », les juges d’appel ont procédé aux constatations nécessaires pour pouvoir conclure, en application des dispositions de l’article 579 du Nouveau Code de procédure civile, à la recevabilité de l’appel de la défenderesse en cassation.

Il s’ensuit que la troisième branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la quatrième branche du moyen La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 579, paragraphe 1, du Nouveau Code de procédure civile, ensemble l’article 580 du même code, en déclarant recevable l’appel de la défenderesse en cassation, alors que les juges de première instance n’avaient tranché qu’une partie du principal et ordonné une mesure de surséance à statuer laquelle constituait une mesure provisoire, (première sous-branche), sinon ne constituait ni une mesure d’instruction ni une mesure provisoire, (seconde sous-branche).

8En déclarant fondée en son principe la demande de la défenderesse en cassation en exécution forcée de ses demandes de rachat de parts et en condamnation de la demanderesse en cassation au paiement d’une certaine somme d’argent, les juges de première instance ont tranché tout le principal du litige, dont le sursis « en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat » fait partie.

En retenant « Par ailleurs, force est de constater qu’à part l’une des demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dès lors une décision définitive, ayant tranché tout le principal, contre laquelle le droit d’appel est ouvert en ce qu’elle fait grief aux deux parties. », les juges d’appel ont pu, sans violer les dispositions visées à la branche, conclure à la recevabilité de l’appel de la défenderesse en cassation.

Il s’ensuit que la branche n’est fondée en aucune de ses sous-branches.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.

9Conclusions du Ministère Public dans l’affaire de cassation SOCIETE1.) S.A.

contre SOCIETE2.) S.A.

Numéro de registre: CAS-2023-00123

___________________________________________________________________

Par mémoire signifié le 12 juillet 2023 et déposé au greffe de la Cour le 17 juillet 2023, SOCIETE1.) S.A. a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement entre parties le 18 avril 2023 par la Cour d’appel, 4ème chambre, siégeant en matière commerciale, lequel a été rectifié en son dispositif par un arrêt rendu contradictoirement entre parties le 06 juin 2023 par la Cour d’appel, 4ème chambre, siégeant en matière commerciale.

Les arrêts en question ont été signifiés au demandeur en cassation respectivement en date des 15 mai et 19 juin 2023.

Le délai pour l’introduction du recours en cassation étant en l’espèce de deux mois, le pourvoi est partant recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Sur les faits et rétroactes En date des 21 novembre et 12 décembre 2014 le demandeur en cassation a introduit des demandes de rachat de parts du défendeur en cassation.

Par note du 16 mars 2015 le défendeur en cassation a été informé de la décision du demandeur en cassation de suspendre tous les ordres de rachat ainsi que le calcul de la valeur nette d’inventaire à partir du 31 mars 2015 et jusqu’à nouvel ordre.

Le 30 juillet 2015 le défendeur en cassation a mis le demandeur en cassation en demeure de procéder à l’exécution des ordres de rachat.

Le 27 juillet 2017 l’assemblée générale des actionnaires du défendeur en question a décidé la liquidation du compartiment visé.

10 Par acte d’huissier de justice du 28 juillet 2017 le défendeur en cassation a fait donner assignation au demandeur en cassation aux fins de le voir condamner à l’exécution forcée des ordres de rachat ainsi qu’à une indemnité de procédure.

Le demandeur en cassation a formulé une demande reconventionnelle à titre de frais et honoraires d’avocat et d’indemnité de procédure.

Par un jugement commercial du 29 mars 2018 les demandes principales et reconventionnelles ont été reçues, et la demande tendant à l’exécution forcée des demandes de rachat a été dit fondée en principe.

Par le même jugement les demandes reconventionnelles ont été déclarées non fondées.

Le jugement a cependant sursis à la demande en condamnation présentée par le défendeur en cassation en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat ainsi qu’à sa demande en obtention d’une indemnité de procédure.

Pour le surplus les frais ont été réservés et l’affaire fixée au rôle général.

Par exploit d’huissier des 27 juillet et 03 août 2018 les deux parties ont interjeté appel contre ce jugement.

Par arrêt du 18 avril 2023, dont le dispositif a été rectifié par arrêt du 06 juin 2023, la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, statuant contradictoirement, a joint les deux appels, a dit l’appel du demandeur en cassation non fondé et celui du défendeur en cassation fondé et a dit qu’il n’y a pas lieu à surseoir à statuer.

Par voie de conséquence le demandeur en cassation a été condamné à payer au défendeur en cassation la somme principale de 2.632.794,47.-EUR ainsi qu’une indemnité de procédure de 2.500.-EUR.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt rectifié.

Quant au moyen unique de cassation :

L’unique moyen de cassation est subdivisé en quatre branches dont la quatrième est subsidiaire à la troisième.

11Quant à la première branche du moyen unique :

tirée de « la contradiction de motifs valant défaut de motifs, en contravention aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil […] » de l’article 89 de la Constitution d’après lequel « [t]out jugement est motivé […] ».

et des articles 249 et 587 combinés du Nouveau Code de procédure civile, lesquels disposent respectivement que « [l]a rédaction des jugements contiendra les noms des juges, du procureur d’Etat, s’il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l’exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements » et que « [l]es autres règles établies pour les tribunaux inférieurs sont observées en instance d’appel ».

Le demandeur en cassation, par sa première branche du moyen unique, reproche à l’arrêt entrepris d’avoir « d’abord constaté que les premiers juges n’avaient pas prononcé de condamnation mais qu’ils avaient sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension » et « subséquemment que par le jugement a quo rendu le 29 mars 2018 le fond du litige aurait été épuisé ».

Ce faisant les juges d’appel se seraient « contredits de manière flagrante ».

La première branche du moyen pèche cependant par une lecture erronée de l’arrêt entrepris.

L’arrêt entrepris se lit ainsi comme suit sur le point considéré :

« Le tribunal n’a toutefois pas prononcé de condamnation mais a sursis à statuer en attendant l’issue de la décision de suspension des ordres de rachat.

Les juges de première instance ont motivé leur décision par le fait que la décision de suspension s’imposait aux actionnaires et créanciers de SOCIETE1.) et que le paiement ne pouvait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

Ce faisant, ils n’ont en réalité pas ordonné un sursis à statuer, mais un sursis à exécuter la décision à intervenir1.

Par ailleurs, le sursis à statuer est défini comme un arrêt de la procédure pour un temps déterminé ou déterminable par référence à la survenance d’un événement (cf. Serge Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz, 2005/2006, n°352.21).

1 Mise en évidence ajoutée 12 Or, le temps d’arrêt de la procédure n’était en l’espèce pas déterminé ni déterminable par référence à la survenance d’un évènement, dans la mesure où la mainlevée de la suspension de dépendait pas d’un élément extérieur, mais du bon vouloir de SOCIETE1.), débitrice de l’obligation.

Par ailleurs, force est de constater qu’à part l’une des demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dés lors une décision définitive, ayant tranché tout le principal, contre laquelle le droit d’appel est ouvert en ce qu’elle fait grief aux deux parties. »2.

Il résulte incontestablement du passage cité que l’arrêt entrepris y a motivé, sans aucune contradiction, en quoi la qualification de sursis à statuer des premiers juges était une qualification erronée.

Le défaut de motif, auquel il y a lieu d’associer la contradiction de motifs, étant un vice de pure forme, la première branche du moyen unique manque ainsi en fait.

Quant à la deuxième branche du moyen unique :

tirée de « la dénaturation d’un écrit clair, au regard de l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents en cause, ensemble l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile, lequel dispose que :

« L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties […] », et l’article 6, paragraphe 1er, de la CEDH précité ».

Le demandeur en cassation reproche, par sa deuxième branche, à l’arrêt entrepris d’avoir, par les considérations citées sous la première branche, dénaturé le jugement de première instance lequel aurait retenu que :

« Il résulte des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, que la décision de suspension des demandes de rachat reste en vigueur à l’heure actuelle de sorte que le paiement ne saurait intervenir qu’après la mainlevée de cette décision.

Il convient par conséquent de statuer quant à la demande principale de SOCIETE2.) ainsi quant à sa demande en allocation d’indemnité sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile. ».

2 Arrêt entrepris, page 9 13A titre principal cette branche du moyen est irrecevable alors que le demandeur en cassation n’indique ni en quoi il aurait eu violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ni en quoi l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile serait violé alors que la branche du moyen se limite à reprocher aux juges d’appel non pas une violation des prétentions des parties mais une prétendue dénaturation du jugement de première instance.

Par ailleurs, mis à part dans certains cas d’espèces particulièrement flagrants3, Votre Cour n’a jamais admis, contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation française, le moyen tiré de la dénaturation d’écrits au motif que « Sous le couvert tiré de la violation de la dénaturation de l’écrit clair, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges de fond, des éléments de fait (…) , appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation »4.

A la supposer recevable, la deuxième branche du moyen ne saurait ainsi être accueillie.

A titre plus subsidiaire, et pour autant que la deuxième branche du moyen serait recevable et accueillie, elle serait non fondée.

En effet, il appartient aux juridictions, y compris celles de deuxième instance, en application de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile de trancher les litiges « conformément aux règles de droit applicables ».

En retenant dans la motivation citée sous la première branche que les premiers juges n’ont en réalité pas ordonné un sursis à statuer mais un sursis à exécuter, la Cour d’appel n’a fait que respecter les principes directeurs du procès qui s’imposent à elle.

Les arrêts de la Cour de cassation cités par le demandeur en cassation n’énervent aucunement cette conclusion alors qu’ils concernent des situations différentes.

Ainsi l’arrêt du 18 septembre 2003, pourvoi n°01-123.902, est relatif à une méconnaissance des juges d’appel de l’envergure d’une cassation d’un arrêt précédent par la Cour de cassation.

L’arrêt du 06 mars 2003, pourvoi n°01-02.449, est, quant à lui, relatif à une situation d’espèce où les juges d’appel ont retenu, pour déclarer une opposition irrecevable, une mention inscrite dans un précédent arrêt d’appel alors qu’une telle mention n’existait pas.

Dans les deux cas il s’agissait donc de la « dénaturation » d’une décision de justice d’une juridiction supérieure respectivement d’un niveau égal et non pas d’une 3 Voir à titre exemplatif : Cass. ; 31.10.2019, n° 138/2019, numéro du registre CAS-2018-

00097 4 Voir à titre exemplatif : Cass. ; 29.06.2023, n° 83/2023, numéro du registre CAS-2022-

00115 14appréciation conforme au droit d’une décision d’une juridiction supérieure par rapport à une décision d’une juridiction inférieure.

Quant à la troisième branche du moyen unique :

tirée du « défaut de base légale, au regard de l’article 579, paragraphe 1er, du Nouveau Code de procédure civile, en vertu duquel :

« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. », ensemble l’article 580 du Nouveau code de procédure civile, qui dispose que :

« Les autres jugements ne peuvent être frappés d’appel, indépendamment des jugements sur le fond, que dans les cas spécifiés par la loi et sous réserve des dispositions de l’article 580-1. ».

Le demandeur en cassation, par sa troisième branche du moyen unique, reproche aux juges d’appel d’avoir retenu « que le jugement entrepris du 29 mars 2018 précité serait une décision définitive ayant tranché tout le principal », sans rechercher, comme l’auraient invité les conclusions du demandeur en cassation, si la mesure prononcée par la juridiction de première instance ne serait pas une mesure provisoire.

Cette troisième branche du moyen, à l’instar de la première branche, pèche par une lecture erronée de l’arrêt entrepris.

En effet, le défaut de base légale se définit comme « l’insuffisance des constations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit »5.

Or, en retenant que « force est de constater qu’à part les demandes accessoires, aucune demande, moyen ou question ne restait à être toisé par les juges de première instance.

La décision entreprise est dès lors une décision définitive »6, la juridiction d’appel a procédé à l’ensemble des constatations de fait nécessaires pour pouvoir conclure, en application de l’article 579 du Nouveau Code de procédure civile à la recevabilité de l’appel.

Abstraction faite de ce que l’arrêt entrepris, de par les passages cités ci-avant, a encore nécessairement – et du moins implicitement – retenu que la mesure ordonnée en première instance n’était pas une mesure provisoire, l’argumentation supplémentaire quant à un défaut de réponse à certains passages des conclusions du demandeur en 5 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Dalloz, édition 2023/2024, Page 441, n°78.31 6 Arrêt entrepris, page 9 15question, est étrangère au cas d’ouverture qui est tiré du défaut de base légale et non pas de défaut de réponse à conclusions.

La troisième branche du moyen manque dès lors encore en fait.

Quant à la quatrième branche du moyen unique :

La quatrième branche du moyen unique, formulée à titre subsidiaire par rapport à la troisième branche du moyen, est tirée « de la violation de la loi, par fausse qualification des faits, sinon par fausse application de la loi, sinon par refus d’application de la loi, in specie de l’article 579, paragraphe 1er, du Nouveau Code de procédure civile précité, ensemble l’article 580 du Nouveau Code de procédure civile précité ».

Le demandeur en cassation reproche ainsi à l’arrêt entrepris de ne pas avoir retenu que « les juges de première instance n’ont pas tranché tout le principal, mais ont, au contraire, d’une part, tranché une partie du principal et, d’autre part, ordonné une mesure de surséance à statuer, laquelle » serait à considérer soit de mesure provisoire soit ne constituait ni une mesure d’instruction ni une mesure provisoire.

Au vœu de l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile : « L’objet du litige », donc le principal, « est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense ».

Or, il résulte du jugement de première instance que parmi d’autres demandes, l’actuel demandeur en cassation « conclut encore au rejet de la demande de SOCIETE2.) en faisant valoir que la décision de suspension des demandes de rachat et du calcul de la VNI prise par son conseil d’administration est valable et opposable à (…) SOCIETE2.) »7.

En faisant droit à cette demande les premiers juges ont donc manifestement statué sur le principal de sorte que c’est à juste titre que les appels ont été déclarés recevables.

La solution inverse aurait d’ailleurs pour effet de priver le défendeur en cassation de toute possibilité de faire valoir judiciairement ses droits alors que la fin de la décision de suspension dépend non pas d’un élément extérieur mais du seul bon vouloir du demandeur en cassation.

Une telle solution serait difficilement compatible avec l’exigence d’un accès à un tribunal indépendant dans un délai raisonnable.

Il s’ensuit que la quatrième branche du moyen unique est non fondée.

7 Jugement de première instance, Pièce n°1 contenue dans la farde de 14 pièces déposée par le demandeur en cassation, page 6 16 Conclusion Le pourvoi en cassation est recevable.

L’unique moyen de cassation, en ses quatre branches, est cependant à rejeter.

Pour le Procureur Général d’Etat, le premier avocat général Marc SCHILTZ 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 80/24
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-05-16;80.24 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award