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25/04/2024 | LUXEMBOURG | N°78/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 25 avril 2024, 78/24


N° 78/ 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00090 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par M

aître Vincent BOLARD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,...

N° 78/ 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00090 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Vincent BOLARD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établissement public, établie à L-2449 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J93, défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué rendu le 2 mars 2023 sous le numéro 2023/0076 (No. du reg.: ALFA 2022/0099) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 24 mai 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE »), déposé le même jour au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 20 juillet 2023 par la CAE à PERSONNE1.), déposé le 21 juillet 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;

Vu la note de plaidoiries présentée par Maître Vincent BOLARD à l’audience du 21 mars 2024 ;

Entendu Maître Rachel JAZBINSEK et le procureur général d’Etat adjoint John PETRY en leurs plaidoiries.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le comité-directeur de la CAE avait, par décision du 20 décembre 2016, confirmant la décision du président de la CAE, retiré à PERSONNE1.), travailleur frontalier, avec effet au 1er août 2016, le bénéfice de l’allocation familiale perçue pour les deux enfants de son épouse, nées d’un précédent mariage, au motif que les enfants n’étaient plus à considérer comme membres de sa famille en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction telle qu’issue de la loi du 23 juillet 2016 portant notamment modification du Code de la sécurité sociale.

Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait fait droit au recours de PERSONNE1.) tendant au rétablissement à son profit du paiement de l’allocation familiale.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, dit que la CAE avait, à bon droit, retiré à PERSONNE1.) le bénéfice de l’allocation familiale.

Sur les moyens de cassation Enoncé des moyens le premier, « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit l’appel fondé, et réformé le jugement de première instance en disant que c’est à bon droit que la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS a retiré à PERSONNE1.) le bénéfice des allocations familiales pour le compte des enfants de son épouse PERSONNE2.), nés d’un précédent mariage, à savoir les enfants PERSONNE3.) et PERSONNE4.) ;

Aux motifs que :

-

les dispositions des articles 269 et 270 du code de la sécurité sociale en ce que suivant le nouveau texte, les enfants du conjoint ne peuvent plus être considérés comme membres de la famille du travailleur transfrontalier (…).

La modification législative intervenue par la loi du 23 juillet 2016 a été sanctionnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 2 avril 2020 (affaire C-802/18) (…).

Dans cet arrêt, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu que :

1) Suivant les dispositions du droit de l'Union applicables, une allocation familiale liée à l'exercice, par un travailleur frontalier, d'une activité salariée dans un État membre constitue un avantage social.

2) Les dispositions du droit de l'Union s'opposent à des dispositions d'un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l'exercice, par ceux-ci, d'une activité salariée dans cet État membre que pour leurs propres enfants, à l'exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n'ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l'entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation » (…) En application des principes communautaires de l’égalité de traitement et de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, la Cour a constaté une discrimination indirecte dans le chef des travailleurs frontaliers s’opposant à ce qu’il ne peuvent percevoir des allocations familiales pour les enfants de son conjoint suivant les conditions définies par l’arrêt » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 5) ; et que - l’arrêt du 2 avril 2020 de la CJUE (affaire C-802/18), le Conseil supérieur de la sécurité sociale a déclaré dans un arrêt du 15 juillet 2021 le retrait à un travailleur frontalier par la CAE du bénéfice des allocations familiales pour le compte des enfants de sa conjointe fondé.

Saisi d’un recours en cassation par le travailleur frontalier, opposant notamment que la façon de procéder de la CAE serait discriminatoire, alors que son droit élémentaire en tant que travailleur frontalier serait d’être traité sur un pied d’égalité avec les résidents luxembourgeois, la Cour de cassation a rejeté ce moyen au motif que : (….) " (…) (La Cour de Justice de l’Union européenne) a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge [ résulte d'une situation de fait qu'il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridicions nationales d'apprécier, sans qu'il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d'en chiffrer l'ampleur exacte ]. (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ;

CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 a C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).

Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen. " (arrêt attaqué, pièce 1, p. 6) ; et que - Cour de justice de l'Union européenne a considéré que la notion de " membre de la famille " du travailleur frontalier susceptible de bénéficier indirectement de l’égalité de traitement, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011, correspond à celle de " membre de la famille ", au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, les descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire. La Cour a notamment pris en considération, à cet égard, le considérant 1, l'article 1er et l'article 2, paragraphe 2, de la directive 2014/54 (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, Depesme e.a., C-401/15 à C-403/15, EU:C:2016:955, points 52 à 54).

Dans l'affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier. Il semble donc que FV, qui est le conjoint de la mère de HY, pourvoit à l'entretien de cet enfant, ce qu'il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier. » L'arrêt Depesme de la CJUE du 15 décembre 2016 auquel l’arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 renvoie a précisé qu'il Il résulte de ce qui précède que la CJUE a, en tenant compte de l’article 2 (2) c) de la directive 2004/38/CE du Parlement européen du Conseil, considéré que le travailleur migrant doit pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint pour être éligible à l’obtention de l’allocation familiale. (arrêt attaqué, pièce 1, p. 7) ; et que -

possibilité de rapporter cette preuve par la présomption prévue par l’article 2 (2) c), première partie de la phrase, de la directive 2004/38, dès lors que cette partie s'applique uniquement aux descendants directs du travailleur migrant, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu'ils sont âgés de moins de vingt et un ans et qui restent membres de la famille au-delà de vingt et un ans s'il est rapporté qu'ils sont toujours à charge. Une telle possibilité n'est pas prévue par l’article 2 (2) c) pour les descendants directs du conjoint visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire ». (arrêt attaqué, pièce 1, p. 7) ; et que -

le domicile commun comme critère pour apprécier si l'intimé pourvoit à l'entretien des enfants de sa conjointe. Néanmoins, il résulte des termes employés par la CJUE que ce critère n'est pas le seul à entrer en ligne de compte, dès lors qu'il n’a été cité qu'à titre d'exemple pour illustrer la notion plus globale d' " éléments objectifs " ».

(arrêt attaqué, pièce 1, p. 8) ; et que -

ressortissant belge, résidant en Belgique et affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, avait introduit une demande en paiement des allocations familiales pour le compte de PERSONNE3.) et PERSONNE4.), enfants d’un premier mariage de son épouse PERSONNE2.). Il est constant en cause que les enfants vivent dans le ménage que l’intimé forme avec son épouse, suite au divorce des parents biologiques » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 4) ; et enfin que, toujours selon l’arrêt attaqué -

même domicile que l'intimé et son épouse, qui est la mère biologique des enfants.

PERSONNE2.) est employée privée auprès d'une crèche, elle dispose partant d'un revenu propre. (…) l'autorité parentale est conjointe et le père biologique doit payer une pension alimentaire à hauteur de 150 euros pour chaque enfant.

Il faut déduire de ce qui précède que la mère est en mesure de pourvoir à l'entretien de ses enfants à hauteur de la moitié qui lui incombe dans le cadre du divorce. II est rappelé que en principe chacun des parents biologiques contribue à l'entretien et à l’éducation des enfants communs, à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent ainsi que des besoins des enfants et en cas de séparation des parents, la contribution à leur entretien et à leur éducation prend la forme d'une pension alimentaire versée, selon le cas, par l'un des parents à l'autre. Ce sont dès lors les parents biologiques qui prennent en charge l'entièreté des frais d'entretien de l'enfant.

Cette constatation n'est pas remise en doute par les virements produits par PERSONNE1.) portant sur des frais du ménage courants, dès lors qu'il ne résulte pas de ces éléments que l'intimé est le seul détenteur du compte débiteur et il n'est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés.

A défaut d’autres éléments, la preuve que le beau-père pourvoit aux frais d'entretien de Louna et PERSONNE3.) n'est pas rapportée à suffisance de droit.

L'appel de la CAE est dès lors fondé et, par reformation du jugement de première instance entrepris, il convient de dire que c'est à bon droit que la CAE a retiré à PERSONNE1.) le bénéfice des allocations familiales en faveur de ses belles-filles Louna et PERSONNE3.). » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 8) ;

Alors que, (première branche), suivant une jurisprudence ancienne et confirmée, la qualité de membre de la famille d’un travailleur est une notion soumise au (CJUE, ; Depesme, para 21 à 23) ; que ce principe d’interprétation large s’applique ( e.a., 15 décembre 2016, C) ; qu’appliquant ce principe d’interprétation large, la CJUE a jugé que la ne suppose pas un , mais qu’il s’agit d’une « situation de fait », cette qualité pouvant (-401/15 à C) ;

Que c’est en se référant explicitement à cet arrêt et donc en appliquant le même principe d’interprétation large que la CJUE a enfin précisé que l’exigence que le travailleur frontalier pourvoie à l’entretien de l’enfant de son conjoint est (CJUE, 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants c. FV, GW, C-802-18, point 50) ;

Qu’en ce que l’arrêt attaqué retient pourtant une interprétation restrictive de la qualité de du travailleur frontalier, et notamment en ce que les juges d’appel ont constaté que les enfants mineurs résidaient au domicile du travailleur et qu’à titre superfétatoire, il avait fourni des éléments de preuve confirmant sa participation – a priori évidente – aux charges de son propre ménage, mais qu’ils ont pourtant exclu la contribution du travailleur frontalier à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage au motif que les parents biologiques contribuaient aussi (ou étaient à même de contribuer aussi) à l’entretien de ces enfants ;

autrement dit, en ce que l’arrêt attaqué subordonne l’existence d’une contribution du travailleur aux suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ de cette contribution au regard de celle des parents biologiques (en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt CJUE, 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants c. FV, GW, C-802-18, para 50) ;

Les juges d’appel ont ainsi violé par refus d’application le lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, qui constitue l’un des fondements de l’Union, doivent être interprétées largement » (CJUE, ) ; et Alors aussi que, (deuxième branche), suivant l’article 2, point 2, c, de la directive 2004/38/CE les enfants de moins de 21 ans sont présumés à charge, et cette présomption est applicable aux enfants des conjoints des travailleurs transfrontaliers ; que ceci résulte directement des Conclusions de l’Avocat Général dans les , para 70-71, qui ont été confirmées explicitement dans l’arrêt aff., para 61-

62 (visant le travailleur d’un étudiant) ; que cette solution s’impose d’ailleurs également au titre du principe d’interprétation large de la notion de membre de la famille des travailleurs (précité), Qu’en ce que les juges d’appel ont cependant refusé de reconnaître le bénéfice de cette présomption de l’article 2, point 2, c, de la directive 2004/38/CE au travailleur en affirmant sur le fondement d’une interprétation erronée de la jurisprudence européenne que la preuve que les enfants étaient à sa charge par la présomption prévue par l’article 2 (2) c), première partie de la phrase, de la directive 2004/38, dès lors que cette partie s'applique uniquement aux descendants directs du travailleur migrant, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu'ils sont âgés de moins de vingt et un ans et qui restent membres de la famille au-delà de vingt et un ans s'il est rapporté qu'ils sont toujours à charge.(…) » ;

L’arrêt attaqué a ainsi violé par refus d’application, sinon fausse interprétation, l’article 2, point 2, de la Directive 2004/38/CE, qui suivant l’arrêt CJUE, , para 61-62 (visant le travailleur ), implique bien que les enfants des conjoints des travailleurs transfrontaliers qui ont moins de 21 ans sont présumés à charge ;

Alors que, (troisième branche), suivant le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), art. 45 , points 1 et 2, la au sein de l'Union ; qu’en ce qui concerne notamment le droit des travailleurs frontaliers à des allocations familiales perçues au titre des membres de leur famille, la CJUE a dit pour droit que (CJUE, 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants c. FV, GW, C-802-18 ; nous soulignons) ;

Qu’en ce que les juges d’appel ont cependant donné une interprétation restrictive de la qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier et de sa participation à l’entretien des enfants mineurs de son conjoint vivant à leur domicile commun, notamment en refusant d’appliquer la présomption tirée de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE suivant laquelle les enfants mineurs qui ont moins de 21 ans sont présumés à charge, et en subordonnant la participation du travailleur à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage aux suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ de cette contribution au regard de celle des parents biologiques (et donc en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt CJUE, 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants c. FV, GW, C-802-18, para 50) ; ceci alors que tous les enfants résidant au Luxembourg ont le droit de percevoir l’allocation familiale litigieuse ;

L’arrêt attaqué a ainsi violé par refus d’application, sinon fausse interprétation, le principe de la et l’interdiction des discriminations, directes ou indirectes, consacrés à l’article 45 TFUE points 1 et 2, ainsi que l’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE ;

Alors enfin que (quatrième branche, subsidiaire), au regard de l’article 267, alinéa 3, TFUE, une juridiction suprême a l’obligation de saisir la CJUE dès lors qu’une question relative à l’interprétation du droit de l’UE est soulevée devant elle, sauf si le moyen n’est pas pertinent, que la disposition concernée a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la CJUE ou que l’application correcte du droit de l’UE ne laisse place à aucun doute raisonnable ; que, sauf le défaut de pertinence, le critère déterminant est l’évidence de la solution retenue, une juridiction suprême ne pouvant se dispenser de question préjudicielle que s’il est certain que à la CJUE (CJUE, Commission contre ) ; que le refus illégitime de poser une question préjudicielle ouvre le recours en manquement (ibidem) et constitue une atteinte à l’article 6 Convention EDH (Rép ; . , § 68 ; Vergauwen et autres c. Belgique (déc.), 2012 ;

française, 2011, § 56 ) ;

Qu’en la présente espèce, si les trois premières branches du moyen peuvent être accueillies sans aucun risque de contrariété avec le droit de l’UE, leur rejet, en revanche, impliquerait une solution très incertaine au regard de la jurisprudence précitée de la CJUE ; que, si Votre Cour envisageait de rejeter les trois premières branches du moyen (quod non), il y aurait donc lieu de poser préalablement trois questions préjudicielles à la CJUE, ainsi libellées :

1. Est-ce que le libre circulation des travailleurs, qui constitue l’un des fondements de l’Union, doivent être interprétées largement » (CJUE, ) s’oppose à ce que des dispositions d’un Etat membre soient interprétées en ce sens que les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre pour les enfants de leurs conjoints, lorsque ces enfants sont mineurs et résident dans le ménage du travailleur transfrontalier, au motif que les parents biologiques de l’enfant participent aussi, ou sont aussi à même de participer, à son entretien ? 2. Est-ce que la présomption tirée de l’article 2, point 2, c de la directive 2004/38/CE suivant laquelle les enfants qui ont moins de 21 ans sont présumés à charge s’applique aux enfants des conjoints des travailleurs frontaliers qui vivent dans leur ménage ? 3. Est-ce que le principe de la « libre circulation des travailleurs » et l’interdiction des discriminations résultant des points 1 et 2 de l’article 45 TFUE, ainsi que l’article 1er, sous i) et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE, s’opposent à ce que des dispositions d’un Etat membre soient interprétées en ce sens que les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre pour les enfants de leurs conjoints, lorsque ces enfants ont moins de 21 ans et résident dans le ménage du travailleur transfrontalier, au motif que les parents biologiques de l’enfant participent aussi à son entretien, ceci alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation ? » et le second, « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit l’appel fondé, et réformé le jugement de première instance en disant que c’est à bon droit que la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS a retiré à PERSONNE1.) le bénéfice des allocations familiales pour le compte des enfants de son épouse PERSONNE2.), nés d’un précédent mariage, à savoir les enfants PERSONNE3.) et PERSONNE4.) ;

Aux motifs que :

-

les dispositions des articles 269 et 270 du code de la sécurité sociale en ce que suivant le nouveau texte, les enfants du conjoint ne peuvent plus être considérés comme membres de la famille du travailleur transfrontalier (…) » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 4), La modification législative intervenue par la loi du 23 juillet 2016 a été sanctionnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 2 avril 2020 (affaire C-802/18) (…).

Dans cet arrêt, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu que :

1) Suivant les dispositions du droit de l'Union applicables, une allocation familiale liée à l'exercice, par un travailleur frontalier, d'une activité salariée dans un État membre constitue un avantage social.

2) Les dispositions du droit de l'Union s'opposent à des dispositions d'un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l'exercice, par ceux-ci, d'une activité salariée dans cet État membre que pour leurs propres enfants, à l'exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n'ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l'entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation;

Pour arriver à cette conclusion, la CJUE a considéré que « le principe d'égalité de traitement inscrit tant à l'article 45 TFUE qu'à l'article 7 du règlement n° 492/2011 prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêts du 13 avril 2010, Bressol e.a., C-73/08, EU:C:2010:181, point 40, ainsi que du 10 juillet 2019, Aubriet, C-410/18, EU:C:2019:582, point 26; voir également, par analogie, arrêt du 14 décembre 2016, Bragança Linares Verruga e.a., C-238/15, EU:C:2016:949, point 41).

En l'occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en vertu de la législation nationale en cause au principal, tous les enfants résidant au Luxembourg peuvent prétendre à ladite allocation familiale, ce qui implique que tous les enfants faisant partie du ménage d'un travailleur résidant au Luxembourg peuvent prétendre à la même allocation, y compris les enfants du conjoint de ce travailleur. En revanche, les travailleurs non-résidents ne peuvent y prétendre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n'ont pas de lien de filiation.

Une telle distinction fondée sur la résidence, qui est susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d'autres Etats membres dans la mesure ou les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité qui ne pourrait être admise qu'à la condition d'être objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2019, Aubriet, C-410/18, EU:C:2019:582, point 28 et jurisprudence citée) En application des principes communautaires de l’égalité de traitement et de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, la Cour a constaté une discrimination indirecte dans le chef des travailleurs frontaliers s’opposant à ce qu’il ne peuvent percevoir des allocations familiales pour les enfants de son conjoint suivant les conditions définies par l’arrêt ; (arrêt attaqué, pièce 1, p. 4 et 5) ; et que - l’arrêt du 2 avril 2020 de la CJUE (affaire C-802/18), le Conseil supérieur de la sécurité sociale a déclaré dans un arrêt du 15 juillet 2021 le retrait à un travailleur frontalier par la CAE du bénéfice des allocations familiales pour le compte des enfants de sa conjointe fondé.

Saisi d’un recours en cassation par le travailleur frontalier, opposant notamment que la façon de procéder de la CAE serait discriminatoire, alors que son droit élémentaire en tant que travailleur frontalier serait d’être traité sur un pied d’égalité avec les résidents luxembourgeois, la Cour de cassation a rejeté ce moyen au motif que : (….) " (…) La Cour de Justice de l’Union européenne a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge « résulte d'une situation de fait qu'il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridicions nationales d'apprécier, sans qu'il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d'en chiffrer l'ampleur exacte ". (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ;

CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 a C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).

Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen. » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 6) ; et que -

2004/38/CE du Parlement européen du Conseil, considéré que le travailleur migrant doit pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint pour être éligible à l’obtention de l’allocation familiale. » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 7) ; et que -

possibilité de rapporter cette preuve par la présomption prévue par l’article 2 (2) c), première partie de la phrase, de la directive 2004/38, dès lors que cette partie s'applique uniquement aux descendants directs du travailleur migrant, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu'ils sont âgés de moins de vingt et un ans et qui restent membres de la famille au-delà de vingt et un ans s'il est rapporté qu'ils sont toujours à charge. Une telle possibilité n'est pas prévue par l’article 2 (2) c) pour les descendants directs du conjoint visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire ». (arrêt attaqué, pièce 1, p. 7) ; et que -

le domicile commun comme critère pour apprécier si l'intimé pourvoit à l'entretien des enfants de sa conjointe. Néanmoins, il résulte des termes employés par la CJUE que ce critère n'est pas le seul à entrer en ligne de compte, dès lors qu'il n’a été cité qu'à titre d'exemple pour illustrer la notion plus globale d' " éléments objectifs ".

(arrêt attaqué, pièce 1, p. 8) ; et que -

ressortissant belge, résidant en Belgique et affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, avait introduit une demande en paiement des allocations familiales pour le compte de PERSONNE3.) et PERSONNE4.), enfants d’un premier mariage de son épouse PERSONNE2.). Il est constant en cause que les enfants vivent dans le ménage que l’intimé forme avec son épouse, suite au divorce des parents biologiques » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 4) ; et enfin que, toujours suivant l’arrêt -

même domicile que l'intimé et son épouse, qui est la mère biologique des enfants.

PERSONNE2.) est employée privée auprès d'une crèche, elle dispose partant d'un revenu propre. (…) l'autorité parentale est conjointe et le père biologique doit payer une pension alimentaire à hauteur de 150 euros pour chaque enfant.

Il faut déduire de ce qui précède que la mère est en mesure de pourvoir à l'entretien de ses enfants à hauteur de la moitié qui lui incombe dans le cadre du divorce. II est rappelé que en principe chacun des parents biologiques contribue à l'entretien et à l’éducation des enfants communs, à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent ainsi que des besoins des enfants et en cas de séparation des parents, la contribution à leur entretien et à leur éducation prend la forme d'une pension alimentaire versée, selon le cas, par l'un des parents à l'autre. Ce sont dès lors les parents biologiques qui prennent en charge l'entièreté des frais d'entretien de l'enfant.

Cette constatation n'est pas remise en doute par les virements produits par PERSONNE1.) portant sur des frais du ménage courants, dès lors qu'il ne résulte pas de ces éléments que l'intimé est le seul détenteur du compte débiteur et il n'est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés.

A défaut d’autres éléments, la preuve que le beau-père pourvoit aux frais d'entretien de Louna et PERSONNE3.) n'est pas rapportée à suffisance de droit.

L'appel de la CAE est dès lors fondé et, par reformation du jugement de première instance entrepris, il convient de dire que c'est à bon droit que la CAE a retiré à PERSONNE1.) le bénéfice des allocations familiales en faveur de ses belles-filles Louna et PERSONNE3.). » (arrêt attaqué, pièce 1, p. 8) ;

Alors que l’article 1er du Protocole n° 12 de la Convention EDH et l’article 14 de la Convention EDH, sont applicables conjointement au droit à des prestations sociales ou à des pensions (V . p. ex. CEDH, STEC et autres c. RU, 12 avril 2006, Req.n° 65731/01 et 65900/01, Luczak c. Pologne, 2007; Andrejeva c. Lettonie [GC], 2009; Koua Poirrez c. France, 2003; Gaygusuz c. Autriche, 1996; Pichkur c.

Ukraine, 2013) ;

Que, pour apprécier s’il y a eu discrimination au sens l’article 1er du Protocole n° 12 de la Convention EDH et de l’article 14 de la Convention EDH, la Cour EDH attache une à la position de la CJUE (CEDH, STEC et autres c. RU, 12 avril 2006, Req.nos 65731/01 et 65900/01, para 58) ;

Qu’en l’occurrence, la CJUE a déjà constaté le caractère discriminatoire à l’égard des travailleurs frontaliers de nombreuses dispositions luxembourgeoises, qu’il s’agisse de dispositions subordonnant (CJUE du 20 juin 2013, C-20/12) ; ou de dispositions (CJUE du 14 décembre 2016, C-238/15) ; ou de dispositions l’octroi d’une aide financière pour études supérieures aux étudiants non-résidents à la condition que, à la date de la demande d’aide financière, l’un des parents de l’étudiant ait été employé ou ait exercé une activité dans cet État membre pendant une durée d’au moins cinq ans sur une période de référence de sept ans calculée rétroactivement à partir de la date de ladite demande d’aide financière, dans la mesure où elle ne permet pas d’appréhender de manière suffisamment large l’existence d’un éventuel lien de rattachement suffisant avec le marché du travail de cet État membre. » (CJUE du 10 juillet 2019, C-410/18) ; à chaque fois, la CJUE s’est prononcée en faveur des frontaliers, en condamnant toutes les distinctions censées justifier une inégalité de traitement avec les résidents ;

Qu’en particulier, la CJUE a sanctionné des dispositions desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale (…) que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation. (CJUE du 2 avril 2020, C-802/18) ; elle a précisé que la notion de contribution d’un travailleur frontalier à l’entretien des enfants de son conjoint est soumis à un principe d’interprétation large (CJUE, & 59) ; elle a aussi jugé que l’article 2, point 2 de la directive 2004/38/CE suivant laquelle les enfants de moins de 21 ans sont présumés à charge s’applique aux enfants des conjoints des travailleurs transfrontaliers (suivant les Depesme, para 70-71, confirmées explicitement dans l’arrêt e.a., 15 décembre 2016, C, para 61-62), Qu’en ce que le jugement attaqué a cependant retenu une interprétation restrictive de la qualité de d’un travailleur frontalier, et de sa participation à l’entretien des enfants mineurs de son conjoint vivant à leur domicile commun, et notamment en refusant d’appliquer la présomption tirée de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE suivant laquelle les enfants mineurs qui ont moins de 21 ans sont présumés à charge, et en subordonnant la participation du travailleur à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage aux « raisons de cette contribution » suivant qu’elle était liée ou non aux fait que les parents biologiques participaient également à l’entretien de l’enfant, et à une évaluation de l’ de cette contribution au regard de la contribution des parents biologiques (et donc en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt CJUE, 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants c. FV, GW, C-802-18, para 50) , ceci alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir l’allocation familiale litigieuse ;

Les juges d’appel ont opéré une nouvelle discrimination illicite entre les travailleurs transfrontaliers et les travailleurs résidents qui constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et qui ne repose sur aucun objectif légitime ; et qu’ils ont partant violé par refus d’application l’article 1er du Protocole n° 12 de la Convention EDH ensemble l’article 14 de la Convention EDH. ».

Réponse de la Cour Sur l’interprétation du droit de l’Union européenne, qui est préalable La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la CJUE ») a dit pour droit que « L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doivent être interprétés en ce sens qu’une allocation familiale liée à l’exercice, par un travailleur frontalier, d’une activité salariée dans un Etat membre constitue un avantage social, au sens de ces dispositions » (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants, ECLI:EU:C:2020:269).

La CJUE a encore dit pour droit que « L’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet État membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation » (CJUE 2 avril 2020, op. cit.).

La CJUE a ainsi soumis le droit du travailleur frontalier de bénéficier du versement de l’allocation familiale au titre de l’enfant de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation à la preuve qu’il remplit la condition de pourvoir à l’entretien de cet enfant.

Bien que la réponse en droit fournie par la CJUE vise l’enfant du seul conjoint du travailleur frontalier, il résulte des motifs de l’arrêt que la même solution s’applique à l’enfant du partenaire enregistré du travailleur frontalier avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation (CJUE 2 avril 2020, op. cit., points 51 et 52).

Faisant application de ce critère, les juges d’appel, pour motiver la décision de retrait de l’allocation familiale, - ont dit implicitement, mais nécessairement, que les preuves de l’existence d’un mariage entre le travailleur frontalier et la mère des enfants et de l’existence d’un domicile commun entre le travailleur frontalier, son épouse et les enfants, ces éléments pris isolément ou ensemble, n’établissaient pas que la condition était remplie, - ont retenu que les deux parents biologiques avaient les moyens de contribuer à l’entretien des enfants et y contribuaient, alors que la mère poursuivait une activité professionnelle et que le père devait payer une contribution alimentaire de 150 euros pour chacun des enfants, pour en conclure que « ce sont les parents biologiques qui prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien des enfants », - ont dit que la preuve de virements portant sur des frais du ménage courants ne démontrait pas à suffisance de droit que PERSONNE1.) pourvoyait à l’entretien des enfants, dès lors qu’il n’était pas établi qu’il était le seul détenteur du compte débité.

La notion de « pourvoir à l’entretien » a été utilisée au départ par la CJUE pour dire qu’un travailleur frontalier peut bénéficier du versement d’une prestation étatique au titre d’un avantage social, en l’espèce des aides financières pour études supérieures, pour son propre enfant, lorsqu’il continue de pourvoir à l’entretien de cet enfant (CJUE 26 février 1992, aff. C-3/90, Bernini, ECLI:EU:C:1992:89, points 25 et 29 ; CJUE 8 juin 1999, aff. C-337/97, Meeusen, ECLI:EU:C:1999:284, point 19 ; CJUE 14 juin 2012, aff. C-542/09, Commission européenne/Pays-Bas, ECLI:EU:C:2012:346, point 35 ; CJUE 20 juin 2013, aff. C-20/12, Guirsch, ECLI:EU:C:2013:411, point 39), sans que la notion ait été définie à travers ces arrêts.

Par la suite, toujours dans le cadre d’un avantage social constitué par une aide financière pour études supérieures, mais ayant trait à un enfant n’ayant pas de lien de filiation avec le travailleur frontalier, la CJUE a précisé la notion de « pourvoir à l’entretien » en disant d’abord qu’elle « ne suppos[e] pas un droit à aliments » (CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, point 58), pour ensuite ajouter que « la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait. Il s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., points 58 et 59). Elle en a conclu « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’État membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant du conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 60).

La CJUE a ensuite appliqué le critère de « pourvoir à l’entretien » à la question de savoir si le travailleur frontalier peut bénéficier de l’avantage social constitué par le versement d’une allocation familiale, au titre d’un enfant avec lequel il n’a pas de lien de filiation, en disant dans les motifs de sa décision « qu’il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier, pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux visés à cette dernière disposition, non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant. Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 2 avril 2020, op. cit, point 50). La CJUE a pris soin de préciser en fait « que le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier. Il semble donc que FV, qui est le conjoint de la mère de HY, pourvoit à l’entretien de cet enfant, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 52).

La CJUE a encore considéré que « la notion de du travailleur frontalier susceptible de bénéficier indirectement de l’égalité de traitement, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, correspond à celle de , au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, les descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire. La Cour a notamment pris en considération, à cet égard, le considérant 1, l’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2014/54 » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 51).

La Cour déduit tout d’abord de ces développements que la précision que la notion de « pourvoir à l’entretien » résulte d’une situation de fait n’implique pas qu’il s’agisse d’une notion de pur fait soustraite au contrôle de la CJUE et de la Cour de cassation, mais que cette formule a été utilisée pour insister sur la circonstance que cette notion s’appréciait en dehors de tout droit de l’enfant à des aliments, tel que relevé expressément dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 58).

La Cour déduit ensuite de ce qui précède que la notion de « pourvoir à l’entretien », dans le cadre de la réglementation afférente au bénéfice des avantages sociaux, constitue une notion autonome du droit de l’Union européenne qui requiert une application et une interprétation uniformes.

Or, pareille interprétation uniforme n’est pas actuellement assurée au regard des interrogations que suscitent les éléments de la discussion.

A cet égard, la Cour est amenée à s’interroger sur la portée de l’exemple repris dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 60) au titre des « éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant », d’une part, quant à la question de savoir si ce point est évoqué à titre de simple exemple ou au contraire à titre de condition, auquel cas se pose la question de savoir s’il s’agit d’une condition suffisante ou d’une condition nécessaire, et, d’autre part, quant à la question de savoir si le mode de financement du domicile commun importe, en ce qu’il faut rechercher si le travailleur frontalier contribue partiellement ou totalement audit financement.

Quant aux besoins de l’enfant à prendre en considération à la satisfaction desquels le travailleur frontalier pourvoit, la Cour est amenée à s’interroger sur la question de savoir si seuls les besoins alimentaires et élémentaires à la subsistance de l’enfant doivent entrer en ligne de compte (nourriture, vêtements, logement, éducation, …), ou si toutes dépenses généralement quelconques, y compris celles d’agrément ou de simple confort (téléphone portable, restaurants, permis de conduire, …) ou même somptuaires, fastueuses ou de luxe (achats réguliers d’équipements électroniques, vacances dans des pays lointains, …) destinées à assurer un certain niveau de vie doivent être considérées.

Quant aux modalités selon lesquelles le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant, la Cour s’interroge sur la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant doit prendre la forme de versements en numéraires directement à l’enfant, ou si elle peut prendre la forme de dépenses faites dans l’intérêt de l’enfant. Dans ce même cadre se pose la question de savoir si la dépense doit être faite, tel que semblent le suggérer les conclusions du Parquet général, dans l’intérêt spécifique, voire exclusif de l’enfant, ou si des dépenses faites dans l’intérêt commun de la cellule familiale (mensualités du prêt hypothécaire, loyer, achat d’équipements utilisés en commun, …) entrent en ligne de compte.

Toujours au titre des modalités concrètes se pose la question de savoir si les dépenses faites par le travailleur frontalier pour pourvoir à l’entretien de l’enfant doivent présenter un certain caractère de récurrence, de régularité ou de périodicité (prêt immobilier, loyer, frais d’électricité et de chauffage, factures de téléphone, …) ou si la prise en charge de dépenses ponctuelles (achats occasionnels de vêtements, …) est également à considérer. Finalement, tout en prenant acte de ce que la CJUE précise que dans le cadre de l’appréciation de la situation de fait, il n’est pas nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier ni d’en chiffrer l’ampleur exacte (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 64 ; CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 50), la Cour s’interroge sur la question de savoir si toute contribution, si minime soit-elle, est à prendre en considération, ou si celle-ci doit présenter un certain niveau significatif, et dans ce dernier cas s’il faut apprécier ce critère par rapport aux besoins de l’enfant ou par rapport à la situation financière du travailleur frontalier.

La provenance des fonds peut encore interroger, en ce que dans certains cas, le travailleur frontalier entretient avec son conjoint ou son partenaire enregistré, parent de l’enfant, un compte bancaire joint ayant servi à payer les dépenses mises en avant dans le cadre de la procédure juridictionnelle pour démontrer que la condition de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant est remplie, sans qu’il alimente ce compte à titre exclusif, respectivement sans qu’il établisse dans quelle mesure il alimente ce compte, auquel cas se pose la question de savoir si la contribution aux besoins de l’enfant provient du travailleur frontalier.

La Cour s’interroge encore sur la portée de la précision apportée par la CJUE dans l’arrêt du 15 décembre 2016 (op. cit., point 62) disant que « le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans », en ce qu’il s’agit de savoir si tout enfant de moins de 21 ans, du seul fait de cette condition d’âge ou combinée avec d’autres facteurs, doit être considéré comme étant pourvu dans ses besoins par le travailleur frontalier.

Il convient ensuite de s’interroger sur la question de la contribution des parents aux besoins de l’enfant. Ceux-ci sont tenus par la loi à une obligation alimentaire, par opposition au travailleur frontalier qui n’est pas tenu à une telle obligation. Le critère de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant impose au contraire dans le chef de ce dernier une appréciation factuelle. Dès lors, se pose la question de savoir s’il est suffisant de constater l’existence et l’ampleur d’une obligation alimentaire dans le chef des parents pour exclure l’existence d’une contribution du travailleur frontalier, ou s’il faut en sus s’assurer que l’obligation alimentaire des parents a été fixée à un montant approprié, et qu’ils exécutent réellement leur obligation alimentaire, de nature à rendre inutile une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier. En l’absence de paiement effectif d’un tel secours se pose la question de savoir s’il faut vérifier si le conjoint ou le partenaire enregistré du travailleur frontalier a du moins tenté de procéder à des mesures d’exécution forcée et si en fin de compte la contribution du travailleur frontalier vient combler la défaillance de l’un des parents. Par rapport à ce secours alimentaire et à la question de savoir s’il est fixé à un montant approprié, le mode de fixation par voie judiciaire ou conventionnelle peut éventuellement avoir une incidence. Ces aspects peuvent être liés à l’interrogation, évoquée ci-dessus, de savoir quelles dépenses au titre de l’enfant sont à considérer. Si seules les dépenses alimentaires et essentielles à sa subsistance entrent en ligne de compte, l’obligation alimentaire des parents couvrira en principe ces besoins, rendant sans objet une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier pour couvrir de tels besoins.

Par rapport aux relations avec l’autre parent de l’enfant, il faut encore s’interroger sur la question de savoir s’il est pertinent d’examiner les modalités selon lesquelles l’enfant séjourne alternativement auprès de ses deux parents, en ce qu’un droit de visite et d’hébergement étendu ou une résidence partagée peuvent amener l’autre parent en principe à assumer plus substantiellement en nature ses obligations alimentaires, laissant moins de place à une éventuelle nécessité de couvrir des besoins de l’enfant par le travailleur frontalier.

Toutes ces interrogations doivent en principe être vues sur arrière fond d’un principe d’interprétation large des dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 58), et partant des éventuelles limites d’un tel principe d’interprétation large.

Ces considérations amènent la Cour, avant tout autre progrès en cause, à soumettre à la CJUE les questions préjudicielles sur la portée du droit de l’Union européenne telles que reprises dans le dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1a) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme étant donnée, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait du mariage ou d’un partenariat enregistré entre le travailleur frontalier et un parent de l’enfant - du seul fait d’un domicile ou d’une résidence commune entre le travailleur frontalier et l’enfant - du seul fait de la prise en charge par le travailleur frontalier d’une dépense généralement quelconque venant au profit de l’enfant, alors même o qu’elle couvre des besoins autres qu’essentiels ou alimentaires o qu’elle est faite à un tiers et ne profite qu’indirectement à l’enfant o qu’elle n’est pas faite dans l’intérêt exclusif ou spécifique de l’enfant, mais profite à tout le ménage o qu’elle n’est qu’occasionnelle o qu’elle est inférieure à celle des parents o qu’elle n’est qu’insignifiante au regard des besoins de l’enfant - du seul fait que les dépenses sont prises en charge à partir d’un compte commun au travailleur frontalier et à son conjoint ou partenaire enregistré, parent de l’enfant, sans égard à la provenance des fonds y inscrits - du seul fait que l’enfant est âgé de moins de 21 ans ? 1b) En cas de réponse négative à la première question, est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » doit être interprétée comme étant établie, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, lorsque deux ou plusieurs de ces circonstances sont données ? 2) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme n’étant pas donnée, et partant comme excluant le droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait de l’existence d’une obligation alimentaire à charge des parents de l’enfant, indépendamment o de la question de savoir si cette créance alimentaire est fixée judiciairement ou par voie conventionnelle o du montant auquel cette créance alimentaire a été fixée o de la question de savoir si le débiteur s’acquitte effectivement de cette dette alimentaire o de la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier comble une défaillance d’un parent de l’enfant - du seul fait que l’enfant séjourne périodiquement, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ou d’une résidence alternée ou d’une autre modalité, auprès de l’autre parent ? sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

réserve les dépens.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (affaire n° CAS-2023-00090 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 24 mai 2023, d’un mémoire en cassation, signifié le même jour à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 2023/0076 rendu contradictoirement le 2 mars 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro ALFA 2022/0099 du registre.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.

Le pourvoi est par ailleurs recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.

Il attaque une décision en dernier ressort ayant tranché tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1 et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi de 1885 »), rendus applicables par l’effet de l’article 455, alinéa 4, précité, du Code de la sécurité sociale, qui dispose que « [l]e pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale ».

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par PERSONNE1.) d’un recours contre une décision de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « CAE ») du 22 septembre 2016, qui est assuré transfrontalier résidant en Belgique, lui ayant retiré avec effet rétroactif au 1er août 2016, en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tel qu’ils ont été modifiés par 1 L’arrêt contradictoire attaqué a été notifié (conformément à l’article 458 du Code de la sécurité sociale) au demandeur en cassation en date du 10 mars 2023. Comme le pourvoi a été formé le 24 mai 2023, le délai de recours, de deux mois et quinze jours (le demandeur en cassation résidant en Belgique), prévu par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et par l’article 167, point 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile, a été respecté.

2 Le demandeur en cassation a, dans le délai du recours, déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi de 1885 ont été respectées.

une loi du 23 juillet 20163, entrée en vigueur le 1er août 20164, le bénéfice des allocations familiales pour le compte des enfants de son épouse, nées d’un précédent mariage, le Conseil arbitral de la sécurité sociale faisait droit au recours, partant, réformait la décision attaquée. Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma le jugement entrepris, donc dit que la CAE avait retiré à bon droit au requérant le bénéfice des allocations familiales.

Sur le cadre juridique Les articles 269 et 270 CSS dans leur version antérieure à la loi du 23 juillet 2016 Dans l’état du droit antérieur au 1er août 2016, le Code de la sécurité sociale disposait que :

« Article 269. A droit aux allocations familiales dans les conditions prévues par le présent chapitre, a) pour lui-même, tout enfant, résidant effectivement et d’une façon continue au Luxembourg et y ayant son domicile légal ;

b) pour les membres de sa famille, conformément à l’instrument international applicable, toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements communautaires ou d’un autre instrument bi-

ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] La condition suivant laquelle l’enfant doit avoir son domicile légal au Luxembourg est présumée remplie dans le chef de l’enfant mineur lorsque la personne - auprès de laquelle l’enfant a son domicile légal conformément à l’article 108 du Code civil, ou bien - dans le ménage de laquelle l’enfant est élevé ou au groupe familial de laquelle il appartient en application de l’article 270, a elle-même son domicile légal au Luxembourg conformément à l’alinéa 3.

[…] Article 270. […] Sont considérés comme appartenant à un même groupe familial, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’octroi des allocations familiales, tous les enfants légitimes ou légitimés issus des mêmes conjoints, ainsi que tous les enfants adoptés par les mêmes conjoints en vertu d’une adoption plénière.

3 Loi du 23 juillet 2016 portant modification : 1. du Code de la sécurité sociale ; 2. de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, et abrogeant la loi modifiée du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant (Mémorial, A, 2016, n° 138, page 2347).

4 Voir l’article VII de la loi précitée, disposant que celle-ci entra en vigueur « le premier jour du mois qui suit sa publication au Mémorial », cette publication ayant eu lieu le 28 juillet 2016, de sorte que la loi entra en vigueur le premier jour du mois suivant, soit le 1er août 2016.

Sont assimilés aux enfants légitimes d’une personne, aussi longtemps qu’ils sont légalement déclarés et élevés dans son ménage et qu’ils remplissent les conditions visées à l’alinéa précédent a) les enfants adoptés en vertu d’une adoption simple ;

b) les enfants naturels qu’elle a reconnus ;

c) les enfants du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

d) ses petits-enfants, lorsqu’ils sont orphelins ou que les parents ou celui d’entre eux qui en a la garde effective sont incapables au sens de la loi.

[…] ».

Suivant ces dispositions, les enfants du conjoint avec lesquels le titulaire du droit n’avait pas de lien de filiation ouvraient droit à l’allocation familiale, à condition que les enfants étaient légalement déclarés et élevés dans le ménage du titulaire du droit.

Les articles 269 et 270 CSS issus de la réforme de la loi du 23 juillet 2016 Depuis le 1er août 2016, par suite de l’entrée en vigueur de la loi précitée du 23 juillet 2016, le Code de la sécurité sociale dispose que :

« Article 269. (1) Il est introduit une allocation pour l’avenir des enfants, ci-après « allocation familiale ».

Ouvre droit à l’allocation familiale :

a) chaque enfant, qui réside effectivement et de manière continue au Luxembourg et y ayant son domicile légale, b) les membres de famille tels que définis à l’article 270 de toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements européens ou d’un autre instrument bi- ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] […] Article 270. Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. ».

Cette réforme implique que le travailleur frontalier, demeurant dans un autre Etat membre de l’Union européenne et étant, du fait de son activité professionnelle à Luxembourg, affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, peut uniquement prétendre à des allocations familiales du chef de ses propres enfants, à l’exclusion des enfants de son conjoint avec lesquels il n’a pas de lien de filiation.

Cette réforme a été motivée comme suit :

« Etant donné qu’il n’existe pas de définition exacte du membre de la famille dans les textes actuels, l’article 270 du PL 6832 définit le(s) membre(s) de la famille d’un travailleur ouvrant droit à l’allocation familiale. Il s’agit de tous les enfants propres, indépendamment qu’ils soient nés dans ou hors mariage ou adoptifs. »5.

Comme l’article 270, nouveau, du Code de la sécurité sociale se limite à définir « les membres de la famille » au sens de l’article 269, paragraphe 1er, point b), de ce Code, donc les membres de la famille de travailleurs frontaliers affiliés, du fait de leur activité professionnelle à Luxembourg, auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise, cette restriction s’applique aux enfants du conjoint de ces travailleurs, qui, n’étant pas « les enfants propres » du travailleur frontalier, n’ouvrent pas droit à l’allocation familiale.

Le terme « membre de la famille » est repris de l’article 1er, point i), du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le Règlement n° 883/2004 »)6, qui dispose notamment que « les termes « membre de la famille » désignent : 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ; […] 2) Si la législation d’un Etat membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille ; […] ».

Les auteurs de la loi précitée du 23 juillet 2016 relèvent à ce sujet que « [c]e règlement consacre le membre de la famille comme étant le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge, ceci à défaut de toute autre définition fournie par la législation nationale en question »7.

L’article 270, nouveau, avait, de ce point de vue, pour objectif de consacrer dans la législation nationale une « définition exacte du membre de la famille »8, qui exclut « le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge ».

L’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) de la Cour de justice du 2 avril 2020 La Cour de justice de l’Union européenne, qui avait été saisie sur demande préjudicielle du Conseil supérieur de la sécurité sociale, a constaté dans son arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) du 2 avril 20209, la contrariété de cette législation au droit de l’Union européenne, en disant pour droit que « [l]’article 1er, sous 5 Rapport de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, du 6 juin 2016, sur le Projet de loi n° 6832, ayant donné lieu à la loi précitée du 23 juillet 2016 (Document parlementaire n° 6832-10), page 14, sous « Article 270 », premier alinéa.

6 Journal officiel de l’Union européenne, L 166 du 30.4.2004, page 1.

7 Rapport précité de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, page 14, deuxième alinéa.

8 Idem, même page, sous « Article 270 », premier alinéa.

9 Cour de justice de l’Union européenne, 2 avril 2020, C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), ECLI:EU:C:2020:269.

i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 […], lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres […] s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation »10.

Il est à préciser que la Cour de justice subordonne le constat de contrariété au droit de l’Union européenne à la condition que « les travailleurs frontaliers […] pourvoient à l’entretien » « [des enfants] de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation ».

La Cour déduit cette condition de sa jurisprudence relative à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), garantissant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne et disposant que celle-ci « implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité »11, et à l’article 7 du Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le Règlement n° 492/2011 »)12.

Ce dernier article dispose que le travailleur ressortissant d’un Etat membre « ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux [et] bénéficie [dans les autres Etats membres] des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».

En application de ces dispositions « il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux, visés à cette dernière disposition non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant »13. « Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »14.

Aux fins de saisir la portée de ce critère du « pourvoi à l’entretien de l’enfant », il y a lieu de se référer à la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres15 qui, reprenant une définition qui avait été inscrite dans l’article 10 du Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la 10 Dispositif de l’arrêt, point 2).

11 Article 45, paragraphe 2, TFUE.

12 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1.

13 Arrêt précité, point 50 (c’est nous qui soulignons). La Cour se réfère à son arrêt C-401/15 à C-403/15, du 15 décembre 2016, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, rendu sur question préjudicielle de la Cour administrative dans le contexte de la législation luxembourgeoise alors en vigueur relative à l’aide financière pour la poursuite d’études supérieures, qui ne pouvait être sollicitée par un travailleur frontalier du chef de l’enfant de son conjoint.

14 Idem et loc.cit.

15 Journal official de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77.

libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté16, dispose dans son article 2, point 2), que « [a]ux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) « membre de la famille » : […] c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge […] »17 et au considérant 1 de la directive 2014/54/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs18, suivant lequel :

« La libre circulation des travailleurs est une liberté fondamentale des citoyens de l’Union et constitue l’un des piliers du marché intérieur de l’Union consacré par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle trouve sa concrétisation dans le droit de l’Union visant à garantir le plein exercice des droits conférés aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille. L’expression « membres de leur famille » devrait être comprise comme ayant la même signification que l’expression définie à l’article 2, point 2), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, qui s’applique également aux membres de la famille des travailleurs frontaliers. »19.

Cette directive dispose dans article 1er que « [l]a présente directive énonce des dispositions destinées à faciliter et à uniformiser la manière d’appliquer et de faire respecter les droits conférés par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par les article 1er et 10 du règlement (UE) n° 492/2011. La présente directive s’applique aux citoyens de l’Union qui exercent ces droits et aux membres de leur famille […] »20. Elle dispose dans son article 2 que « 1. La présente directive s’applique aux aspects suivants de la libre circulation des travailleurs, tels qu’ils sont visés par l’article 1er à l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 : […] c) le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux ; […] 2) Le champ d’application de la présente directive est identique à celui du règlement (UE) n° 492/2011 »21.

La Cour de justice a, dans son arrêt 316/85, Lebon, du 18 juin 198722, interprété les termes de « membre de la famille » et, à cette fin, de descendants qui sont « à charge », comme « ne suppos[ant] pas […] un droit à des aliments »23 et comme impliquant « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait [parce que] [i]l s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée »24. « Cette interprétation est exigée par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, partie des fondements de la Communauté, doivent être interprétées largement »25.

16 Journal official de l’Union européenne L 257 du 19.10.1968, page 2. Ce règlement disposait dans son article 10 : « Article 10. 1. Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge ; […] » (c’est nous qui soulignons).

17 C’est nous qui soulignons.

18 Journal official de l’Union européenne L 128 du 30.4.2014, page 8.

19 C’est nous qui soulignons.

20 C’est nous qui soulignons.

21 Les références aux disposition précitées ont été faites par la Cour de justice dans son arrêt précité C-401/15 à C-

403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, points 4 à 11.

22 ECLI:EU:C:1987:302.

23 Point 21 de l’arrêt précité 316/85, Lebon.

24 Point 22 de cet arrêt.

25 Point 23 de cet arrêt.

Elle a, dans son arrêt C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour administrative dans le contexte de l’aide financière luxembourgeoise pour la poursuite d’études supérieures, précisé que cette « interprétation s’applique également lorsqu’est en cause la contribution d’un travailleur frontalier à l’entretien des enfants de son conjoint ou de son partenaire reconnu »26.

Elle ajouta que :

« Il y a lieu de considérer, en l’occurrence, que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant de conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »27.

Dans ses conclusions sous l’arrêt Depesme e.a., l’avocat général Monsieur Melchior WATHELET considéra que cette jurisprudence « préfère l’expression large de « pourvoir à l’entretien de l’enfant » plutôt que celle d’« enfant à charge » »28.

Dans le cadre de cette appréciation de la situation de fait, à effectuer par les autorités nationales, un critère pertinent énoncé par la Cour consiste à s’interroger si « le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier »29, le défaut de paiement pouvant inciter à admettre, sous réserve de vérification des autorités nationales, que « le conjoint de la mère […] pourvoit à l’entretien de cet enfant »30.

Votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022 Votre Cour a rendu dans une espèce similaire à la présente l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-

2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022.

Vous y avez rejeté un moyen tiré de ce que la preuve imposée au travailleur frontalier du fait qu’il a pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint est discriminatoire par rapport aux travailleurs résidant à Luxembourg, qui n’ont pas à établir ce fait, aux motifs que :

« Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne prohibant toute 26 Point 59 de l’arrêt précité C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016.

27 Point 60 de cet arrêt.

28 ECLI:EU:C:2016 :430. Voir le point 68 de ces conclusions, cité par le demandeur en cassation dans son mémoire à la page 13, dernier alinéa.

29 Point 52 de l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020.

30 Idem et loc.cit.

discrimination directe ou indirecte entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne.

La Cour de Justice de l’Union européenne a retenu que les textes de droit européen « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants , à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation. ».

Elle a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge « résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte ». (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ; CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).

Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé. »31.

Vous avez par ailleurs décidé, en réponse à un moyen critiquant les critères par lesquels les juges du fond avaient apprécié si le travailleur frontalier avait pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint, que cette appréciation échappe à votre contrôle et relève du pouvoir souverain des juges du fond :

« Sous le couvert de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier les ayant amenés à retenir que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant de son conjoint, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli. »32.

Sur le litige Le demandeur en cassation est travailleur frontalier, résidant en Belgique et travaillant et étant affilié à la sécurité sociale à Luxembourg33. Il cohabite en Belgique avec son épouse et les enfants de celle-ci, nées d’un précédent mariage34. Il demanda et se vit conférer à ce titre des 31 Arrêt cité, réponse au deuxième moyen.

32 Arrêt cité, réponse au quatrième moyen.

33 Arrêt attaqué, page 4, huitième alinéa.

34 Idem et loc.cit.

allocations familiales à Luxembourg sous l’empire du droit antérieur à la loi précitée du 23 juillet 201635. Suite à l’entrée en vigueur, à partir du 1er août 2016, de cette loi, refusant l’octroi d’allocations familiales aux travailleurs frontaliers du chef des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, la CAE retira, par décision du 22 septembre 2016, le bénéfice des allocations familiales au demandeur en cassation avec effet rétroactif au 1er avril 201636.

Sur recours du demandeur en cassation, le Conseil arbitral de la sécurité sociale réforma la décision entreprise de la CAE, en se référant à l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020, de la Cour de justice, aux motifs, notamment, que la décision attaquée repose sur une base légale qui n’est pas conforme au droit de l’Union européenne37.

Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma ce jugement.

Il considéra, en se référant à l’arrêt précité de la Cour de justice, que la condition de pourvoir à l’entretien de l’enfant du conjoint le rendant éligible aux allocations familiales s’apprécie par rapport à la situation de fait qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier sur base d’éléments objectifs38.

Procédant à cette analyse de la situation de fait de l’espèce, il retint :

- que l’enfant vit au domicile du travailleur frontalier et de l’épouse de ce dernier39 ;

- que les parents biologiques prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien de l’enfant40 ;

- que cette constatation n’est pas remise en doute par les virements produits par le demandeur en cassation portant sur des frais du ménage courants, dès lors qu’il ne résulte pas de ces éléments que le demandeur en cassation est le seul détenteur du compte débiteur et qu’il n’est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés41.

Il en déduisit que c’est à juste titre que la CAE avait retiré au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation d’un principe du droit de l’Union européenne, déduit de l’arrêt Depesme e.a. de la Cour de justice de l’Union européenne, suivant lequel les dispositions consacrant la libre circulation des travailleurs doivent être interprétées largement, 35 Idem, même page, neuvième (ou antépénultième) alinéa.

36 Idem, page 2, sixième alinéa.

37 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

38 Idem, page 8, premier alinéa.

39 Idem, même page, quatrième alinéa.

40 Idem, même page, cinquième (ou antépénultième) alinéa.

41 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

l’article 2, point 242, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (ci-après « la directive 2004/38 »)43, de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») ensemble avec les articles 1er, sous i)44, et 6745 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le règlement 883/2004 »)46 lus en combinaison avec l’article 747, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le règlement 492/2011 »)48 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38 et de l’article 267, alinéa 3, TFUE, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte des enfants de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de 42 « Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille": a) le conjoint; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

43 Journal officiel de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004L0038 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

44 « Article premier. Définitions. Aux fins du présent règlement : […] i) les termes "membre de la famille" désignent: 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies; ii) pour ce qui est des prestations en nature selon le titre III, chapitre 1, sur la maladie, la maternité et les prestations de paternité assimilées, toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation de l'État membre dans lequel réside l'intéressé. 2) Si la législation d'un État membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille. 3) Au cas où, conformément à la législation applicable en vertu des points 1) et 2), une personne n'est considérée comme membre de la famille ou du ménage que lorsqu'elle vit dans le même ménage que la personne assurée ou le titulaire de pension, cette condition est réputée remplie lorsque cette personne est principalement à la charge de la personne assurée ou du titulaire de pension ; […] ».

45 « Article 67. Membres de la famille résidant dans un autre État membre. Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. Toutefois, le titulaire d'une pension a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent pour sa pension. ».

46 Journal officiel de l’Union européenne L 166 du 30.4.2004, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004R0883 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

47 « SECTION 2. De l’exercice de l’emploi et de l’égalité de traitement. Article 7. 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage. 2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. 3. Il bénéficie également, au même titre et dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux, de l’enseignement des écoles professionnelles et des centres de réadaptation ou de rééducation. 4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d’autre réglementation collective portant sur l’accès à l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l’égard de travailleurs ressortissants des autres États membres. ».

48 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32011R0492 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint parce que les parents biologiques prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien de l’enfant et que cette constatation n’est pas remise en doute par les virements produits par le demandeur en cassation portant sur des frais du ménage courants, dès lors qu’il ne résulte pas de ces éléments que le demandeur en cassation est le seul détenteur du compte débiteur et qu’il n’est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés, tout en rejetant un moyen tiré de ce que l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 érige en présomption que le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien des enfants de son conjoint dès lors que ces enfants sont âgés de moins de 21 ans, aux motifs que « la CJUE n’a pas laissé au travailleur frontalier la possibilité de rapporter cette preuve par la présomption prévue par l’article 2 (2) c, première partie de la phrase, de la directive 2004/38, dès lors que cette partie s’applique uniquement aux descendants directs du travailleur migrant, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu’ils sont âgés de moins de vingt et un ans et qui restent membres de la famille au-delà de vingt et un ans s’il est rapporté qu’ils sont toujours à charge [étant donné que] [u]une telle possibilité n’est pas prévue par l’article 2 (2) c pour les descendants directs du conjoint visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire »49, alors que, première branche, suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne « les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs […] doivent être interprétées largement » (arrêt Depesme e.a., point 58), de sorte que « la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier » (idem, point 60), que cette qualité « peut ainsi ressortir […] d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre [le] travailleur et [l’enfant de son conjoint], sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à [l’enfant de son conjoint] ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (idem et loc.cit, ce principe ayant également été rappelé par l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50), que les juges d’appel ont retenu, contrairement à ces exigences, « une interprétation restrictive de la qualité de « membre de la famille » du travailleur frontalier, et notamment en ce que les juges d’appel ont constaté que les enfants mineurs résidaient au domicile du travailleur et qu’à titre superfétatoire, il avait fourni des éléments de preuve confirmant sa participation – a priori évidente – aux charges de son propre ménage, mais qu’ils ont pourtant exclu la contribution du travailleur frontalier à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage au motif que les parents biologiques contribuaient aussi (ou étaient à même de contribuer aussi) à l’entretien des enfants ; autrement dit, en ce que l’arrêt attaqué subordonne l’existence d’une contribution du travailleur « aux raisons de cette contribution » suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ « ampleur » de cette contribution au regard de celle des parents biologiques (en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt [Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50] »50; que, deuxième branche, l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 présume que les enfants du conjoint du travailleur frontalier sont à charge de ce dernier et que le Conseil supérieur a, par les motifs cités ci-avant, conclu que cette présomption ne s’appliquait pas dans ce cas de figure, 49 Arrêt attaqué, page 7, avant-dernier alinéa.

50 Mémoire en cassation, page 5, avant-dernier alinéa.

méconnaissant ainsi la disposition en question ; que, troisième branche, la Cour de justice a, dans son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dit pour droit que les enfants du conjoint d’un travailleur frontalier à l’entretien de qui ce dernier pourvoit ouvrent droit à l’octroi d’une allocation familiale dès lors que tous les enfants résidant dans l’Etat membre d’emploi du travailleur frontalier ont le droit de percevoir cette allocation, de sorte qu’en motivant le refus d’octroi de l’allocation familiale à un travailleur frontalier du chef d’un enfant de son conjoint « en donnant une interprétation restrictive de la qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier et de sa participation à l’entretien des enfants mineurs de son conjoint vivant à leur domicile commun, notamment en refusant d’appliquer la présomption tirée de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE […] et en subordonnant la participation du travailleur à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage aux « raisons de cette contribution » suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ « ampleur » de cette contribution au regard de celle des parents biologiques »51, alors que tous les enfants résidant dans l’Etat d’emploi du travailleur frontalier ont le droit de percevoir cette allocation, le Conseil supérieur méconnaît les articles 45 TFUE, 1, sous i) et 67 du règlement 883/2004 lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement 492/2011 et 2, point 2, de la directive 2004/38 ; que, quatrième branche, subsidiaire aux trois premières, si votre Cour envisageait de rejeter les trois premières branches, une telle décision impliquerait une solution très incertaine au regard de la jurisprudence précitée de la Cour de justice, de sorte que vous êtes, sur base de l’article 267, alinéa 3, TFUE, tenus de saisir cette Cour de trois questions préjudicielles proposées.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale appliqua, en l’espèce, les critères énumérés dans les arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), à savoir que le droit du travailleur frontalier de percevoir une allocation familiale du fait de l’enfant de son conjoint suppose :

- qu’il « pourvoit à l’entretien de cet enfant »52, - exigence qui « résulte d’une situation de fait »53, donc qui ne suppose pas « un droit à des aliments »54 de l’enfant à l’égard du travailleur frontalier, « interprétation [qui] est exigée par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs […] doivent être interprétées largement »55, - « situation de fait »56 « qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier »57, - cette appréciation s’effectuant « sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé »58, 51 Idem, page 8, deuxième alinéa.

52 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50.

53 Idem et loc.cit.

54 Arrêt Depesme e.a., point 58.

55 Idem et loc.cit.

56 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50.

57 Idem et loc.cit.

58 Idem et loc.cit.

- « sans qu’il soit nécessaire pour [l’administration et les juridictions nationales] de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »59, - cette situation pouvant « ressortir […] d’éléments objectifs tels que l’existence d’un domicile commun entre [le] travailleur et [l’enfant de son conjoint] »60 - étant précisé que lorsque « le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier [i]l semble que […] le conjoint de la mère […] pourvoi[e] à l’entretien de cet enfant, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction [nationale] de vérifier »61.

Le pourvoi critique, dans ses deux moyens, la façon dont cette appréciation a été effectuée en l’espèce.

Dans votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022 vous avez retenu que cette appréciation échappe à votre contrôle et relève du pouvoir souverain des juges du fond62.

A suivre votre jurisprudence, les moyens ne sauraient donc être accueillis.

S’agissant du premier moyen, cette conclusion vaut pour la première et la troisième branche du moyen. Elle ne s’applique, en revanche, pas à la deuxième branche, tirée de la méconnaissance d’une présomption qui découlerait de l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38, qui critique, contrairement à la première et à la troisième branche, non l’appréciation du fait si le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien des enfants de son épouse, mais l’interprétation de la directive, donc un motif de droit.

Il sera vu ci-après, s’agissant de la recevabilité de la première et de la troisième branche du moyen, que la jurisprudence abandonnant l’appréciation en question au pouvoir souverain des juges du fond est problématique et devrait être abandonnée parce qu’elle paraît être contraire au droit de l’Union européenne.

Les quatre branches du moyen appellent par ailleurs les observations complémentaires suivantes.

Sur la première branche Dans la première branche du moyen le demandeur en cassation déduit une violation du droit de l’Union européenne de ce que l’appréciation effectuée en l’espèce par le Conseil supérieur du fait allégué que le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien des enfants de son conjoint méconnaîtrait un principe d’interprétation large des dispositions du droit de l’Union européenne qui consacrent la libre circulation des travailleurs.

59 Idem et loc.cit.

60 Arrêt Depesme e.a., point 60.

61 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 52.

62 Réponse au quatrième moyen.

Un grief qui repose sur une lecture erronée de l’arrêt Le demandeur en cassation fait critiquer le Conseil supérieur pour avoir procédé à :

« une interprétation restrictive de la qualité de « membre de la famille » du travailleur frontalier, et notamment en ce que les juges d’appel ont constaté que les enfants mineurs résidaient au domicile du travailleur et qu’à titre superfétatoire, il avait fourni des éléments de preuve confirmant sa participation – a priori évidente – aux charges de son propre ménage, mais qu’ils ont pourtant exclu la contribution du travailleur frontalier à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage au motif que les parents biologiques contribuaient aussi (ou étaient à même de contribuer aussi) à l’entretien des enfants ; autrement dit, en ce que l’arrêt attaqué subordonne l’existence d’une contribution du travailleur « aux raisons de cette contribution » suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ « ampleur » de cette contribution au regard de celle des parents biologiques (en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt [Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50] »63.

Il fait donc valoir que le Conseil supérieur a considéré :

- qu’il était certes établi, par le fait de la participation aux frais du ménage par le travailleur, que ce dernier pourvoit à l’entretien des enfants de son conjoint, - mais que cette contribution à l’entretien, qui était ainsi établie, n’est pas pertinente parce que les parents biologiques contribuent aussi à l’entretien de l’enfant.

En réalité, le Conseil supérieur constate que « [l]e virements produits par [le demandeur en cassation] portant sur des frais du ménage courants [ne sont pas de nature à prouver que le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien des enfants parce qu’il] « ne résulte pas de ces éléments que [le demandeur en cassation] est le seul détenteur du compte débiteur et il n’est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés »64. Il constate donc que les « virements produits » n’établissent ni des dépenses effectuées par le demandeur en cassation (la preuve n’étant pas rapportée que le compte est exclusivement approvisionné par le demandeur en cassation, donc si et dans quelle mesure ce dernier est à l’origine des paiements effectués), ni des dépenses effectuées dans l’intérêt spécifique, voire exclusif, de l’enfant. Le Conseil supérieur constate donc que les dépenses alléguées sont tout au plus des contributions du travailleur aux charges du mariage conclu avec son conjoint, qui est l’exécution d’une obligation légale découlant du mariage, mais non une contribution à l’entretien de l’enfant.

Le travailleur n’a donc, suivant les constatations du Conseil supérieur, pas invoqué des pièces pertinentes établissant qu’il contribue à l’entretien des enfants de son conjoint. Les pièces se limitent tout au plus à prouver, le cas échéant (à supposer que les paiements aient été effectués par ses fonds et non par ceux de son épouse), sa contribution, légalement imposée, aux charges du mariage avec son conjoint, mais non l’existence d’une contribution à l’entretien de l’enfant du conjoint. Le Conseil constate donc une absence de preuve d’une quelconque contribution matérielle à l’entretien des enfants. Contrairement à ce que postule le moyen, son appréciation n’a pas pour objet de constater que le travailleur a certes, en fait, contribué à cet entretien, mais 63 Mémoire en cassation, page 5, avant-dernier alinéa.

64 Arrêt attaqué, page 8, avant-dernier alinéa.

que cette contribution ne saurait, en droit, recevoir cette qualification, donc n’est pas pertinente pour être prise en considération.

Le raisonnement du Conseil consiste donc à constater, d’une part, que le travailleur n’établit pas une contribution (matérielle quelconque) à l’entretien des enfants et, d’autre part, que les parents biologiques pourvoient par ailleurs exclusivement à cet entretien. Ce second constat surabondant complète le premier, qui est déjà en soi suffisant pour rejeter la prétention.

Le grief exprimé par la branche du moyen, qui postule que le Conseil a constaté que le travailleur a établi avoir contribué, par sa participation à des frais de ménage, à l’entretien de l’enfant, mais a jugé que cette contribution n’était pas pertinente en raison de l’existence d’une contribution des parents biologiques de l’enfant à l’entretien de ce dernier, repose dès lors sur une prémisse erronée, donc sur une lecture erronée de l’arrêt.

Il s’ensuit que la branche du moyen manque en fait.

Un grief qui repose sur une lecture erronée de l’arrêt Depesmes e.a.

La première branche du moyen critique que le refus de reconnaissance, en l’espèce, de l’existence d’une contribution du travailleur à l’entretien de l’enfant du conjoint, méconnaîtrait un principe tiré de ce que les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs doivent être interprétées largement. Ce principe est déduit de l’arrêt Depesme e.a.

Cet arrêt a, dans son point 58, évoqué ce principe pour justifier « que la qualité de membre de la famille à charge […] ne suppos[e] pas un droit à des aliments [mais que] la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait [à savoir du] soutien [qui] est assuré par le travailleur [à un membre de sa famille, en l’occurrence aux enfants de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation, donc aucun lien de droit], sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée ».

Ce principe justifie donc de qualifier les enfants du conjoint du travailleur dont l’entretien est, en fait, donc en dehors de toute obligation légale, assuré par ce dernier comme membres de sa famille ayant droit à des prestations familiales. Cette solution a été, en l’espèce, acceptée par le Conseil supérieur.

Les demandeurs en cassation font valoir que ce principe oblige les juridictions nationales d’apprécier la preuve du pourvoi par le travailleur frontalier à cet entretien d’une façon large et critiquent le Conseil supérieur d’avoir méconnu le principe en constatant en l’espèce l’absence de preuve d’un tel pourvoi à l’entretien.

Cette thèse procède d’une mauvaise lecture de l’arrêt Depesmes e.a.

Celui-ci déduit du principe invoqué l’assimilation de l’enfant du conjoint du travailleur dont l’entretien est assuré par ce dernier à un membre de sa famille. Il ne déduit, en revanche, pas de ce principe des conséquences relatives à la constatation de l’existence d’un tel pourvoi à l’entretien de l’enfant, générateur de l’assimilation de l’enfant du conjoint du travailleur à un membre de la famille de ce dernier.

Il définit par ailleurs les conditions de la constatation de ce fait, à savoir, d’une part, « qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier [cette situation de fait] »65, et, d’autre part, que cette appréciation est à effecteur sur base « d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre [l]e travailleur et [l’enfant du conjoint], sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’[enfant] ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »66. La Cour de justice s’est donc déjà prononcée de façon exhaustive sur cette question. Sa réponse n’implique pas que les administrations et juridictions nationales pourraient se dispenser de l’examen de l’existence du pourvoi, par le travailleur, à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou devraient, en l’absence d’éléments objectifs justifiant l’existence d’un tel pourvoi à l’en entretien, considérer ce dernier comme étant acquis en raison de l’application d’un principe tiré de l’interprétation large des dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs.

Il s’ensuit que la première branche manque encore en fait pour ce motif supplémentaire.

Sur la deuxième branche La directive 2004/38 dispose dans son article 2 ce qui suit :

« Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille":

a) le conjoint;

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil;

c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); […] ».

d) d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

Le demandeur en cassation avait fait soutenir en instance d’appel « que l’article 2 (2) c) de la directive 2004/38 prévoirait une présomption de prise en charge dans le chef d’un enfant de moins de 21 ans, de sorte que la vérification de [la] contribution financière [du travailleur frontalier] quant à l’entretien des enfants [de son épouse] ne serait pas nécessaire »67.

Le Conseil supérieur refusa cette prétention aux motifs que « la CJUE n’a pas laissé au travailleur frontalier la possibilité de rapporter cette preuve par la présomption prévue par l’article 2 (2) c, première partie de la phrase, de la directive 2004/38, dès lors que cette partie s’applique uniquement aux descendants directs du travailleur migrant, qui sont présumés être 65 Point 60 de l’arrêt Depesme e.a.

66 Idem et loc.cit.

67 Arrêt attaqué, page 4, quatrième alinéa.

membres de la famille lorsqu’ils sont âgés de moins de vingt et un ans et qui restent membres de la famille au-delà de vingt et un ans s’il est rapporté qu’ils sont toujours à charge [étant donné que] [u]une telle possibilité n’est pas prévue par l’article 2 (2) c pour les descendants directs du conjoint visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire »68.

Cette analyse est correcte.

La référence à l’âge de 21 ans se limite au cas de figure, visé dans la première partie du c) du point 2 de l’article 2 de la directive, aux « descendants directs » du travailleur migrant se prévalant de liberté de circulation réglementée par la directive, à l’exclusion des « descendants directs du conjoint ou du partenaire » du travailleur migrant, visés par la seconde partie du c) précité :

- parmi les descendants directs du travailleur migrant, ceux âgés de moins de 21 ans sont présumés être des membres de sa famille, tandis que ceux âgés de plus de 21 ans ne sont susceptibles de recevoir cette qualification que s’ils sont à charge, alors que - une présomption similaire au profit des enfants âgés de moins de 21 ans n’est pas prévue pour les descendants du conjoint ou du partenaire du travailleur migrant, la Cour de justice ayant, dans ses arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) défini sous quelles conditions ces enfants sont susceptibles d’être qualifiés d’enfants à charge, à savoir lorsque le travailleur frontalier pourvoit à leur entretien.

Cette solution, qui résulte du libellé de la directive, n’est pas remise en cause par le point 62 de l’arrêt Depesme e.a.. La Cour de justice y exposa que la qualification de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant comme enfant à charge de ce dernier suppose que celui-ci pourvoit à l’entretien de l’enfant, situation de fait qu’il appartient aux administrations et aux juridictions nationales d’apprécier69. Le Gouvernement avait fait valoir contre cette solution qu’il était, en pratique, difficile pour les administrations nationales de procéder à la vérification de cette situation de fait. La Cour de justice rejeta cet argument pour un double motif. L’un des motifs était tiré de ce que le législateur luxembourgeois avait déjà, dans sa législation sur les aides financières pour étudiants, exigé le respect d’un tel critère, partant, anticipé le contrôle par l’administration nationale du respect de ce critère70. L’autre était que le législateur de l’Union européenne avait à son tour anticipé cette difficulté en créant, dans l’article 2, point 2, sous c), une présomption de prise en charge pour les enfants âgés de moins de 21 ans71. La Cour de justice n’affirme pas, en énonçant cet argument, que cette présomption s’applique aux enfants du conjoint ou partenaire du travailleur migrant. L’argument a, dans le contexte du raisonnement de la Cour, uniquement pour objet de rappeler que le législateur de l’Union européenne a anticipé la difficulté des administrations nationales de déterminer quelles personnes sont à charge du travailleur migrant en facilitant cette tâche par la définition de présomptions. Le fait que le passage en question n’est pas à comprendre comme une affirmation par la Cour de justice de l’existence d’une présomption que l’enfant du conjoint ou partenaire 68 Idem, page 7, avant-dernier alinéa.

69 Point 60 de l’arrêt Depesme e.a..

70 Point 62 de l’arrêt précité.

71 Point 62 de l’arrêt précité et le point 71 des conclusions de l’avocat général M. Melchior WATHELET sous cet arrêt (ECLI:EU:C:2016:430).

du travailleur migrant est à charge de ce dernier lorsqu’il est âgé de moins de 21 ans résulte, outre du libellé de l’article 2, point 2, sous c), de ce que la Cour n’a, dans l’exposé des critères suivant lesquels un tel enfant est à qualifier d’enfant à charge, aucunement fait référence à un critère tiré de l’âge. Elle exige que le travailleur migrant assure l’entretien de l’enfant tout en ajoutant qu’il s’agit d’une situation de fait (tandis que l’âge serait, au contraire, un critère de droit) et que cette situation est à apprécier par les administrations et juridictions nationales72.

Elle fait référence à des éléments objectifs susceptibles d’être pris en considération pour apprécier cette situation de fait73. Or, parmi ces éléments objectifs elle ne mentionne pas l’âge de l’enfant74. Elle ne fait pas non plus mention de l’âge des enfants concernés dans son exposé des faits75, ce qui confirme à nouveau qu’elle n’attache aucune pertinence à ce critère. Cette conclusion est confirmée par l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), qui concerne les allocations en cause en l’espèce, dans lequel la Cour, tout en maintenant les critères exposés dans l’arrêt Depesme e.a., parmi lesquels ne figure pas l’âge de l’enfant, ne fait aucune référence à un tel critère ou à une présomption susceptible d’en être déduite.

Le Conseil supérieur a donc répondu par des motifs corrects en droit à la prétention du travailleur frontalier de déduire la qualité d’enfants à charge d’une présomption tirée de ce que l’enfant était âgé de moins de 21 ans.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Suivant la jurisprudence constante de la Cour de justice, une juridiction nationale, telle que votre Cour, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel est libérée de l’obligation de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle sur base de l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsque, la question soulevée étant pertinente, la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de justice ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse de place à aucun doute raisonnable76. En l’espèce, les critères de qualification de l’enfant du conjoint du travailleur migrant à l’égard duquel ce dernier n’a pas de lien de filiation comme « membre de la famille à charge » ont déjà fait l’objet d’une interprétation exhaustive de la part de la Cour de justice et l’interprétation correcte du droit de l’Union au sujet de la thèse soulevée paraît s’imposer avec une telle évidence qu’il se justifie de conclure que vous êtes dispensés de saisir la Cour de justice de cette thèse.

Si vous avez des doutes sur cette conclusion, il y aurait alors lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que, à la lumière du point 62 de l’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 2016, C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, dans lequel la Cour de justice a constaté « que le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans, ainsi que cela résulte notamment de l’article 2, point 2, sous c), de directive 2004/38 », l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 72 Point 60 de l’arrêt Depesme e.a..

73 Idem.

74 Idem.

75 Points 17 à 32 de l’arrêt précité.

76 Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management Catania Multiservizi (CILFIT II), ECLI:EU:C:2021:799, point 33.

29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE est à interpréter en ce sens qu’il érige en présomption que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant du conjoint d’un travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, donc est à considérer à la lumière des arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, du 2 avril 2020, comme enfant à sa charge, parce que l’enfant est âgé de moins de vingt et un ans ? ».

Sur la troisième branche Dans son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) la Cour de justice avait décidé, dans le dispositif de son arrêt, que le droit de l’Union européenne s’oppose aux dispositions du droit luxembourgeois « en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée [à Luxembourg] que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation »77.

Dans la deuxième branche du moyen, le demandeur en cassation fait soutenir que la circonstance, ainsi soulignée par la Cour de justice, que tous les enfants résidant à Luxembourg ont le droit de percevoir l’allocation familiale s’oppose à « une interprétation restrictive de la qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier et de sa participation à l’entretien des enfants mineurs de son conjoint vivant à leur domicile commun, [par le refus] d’appliquer la présomption tirée de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE […] et en subordonnant la participation du travailleur à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage aux « raisons de cette contribution » suivant qu’elle est liée ou non à une défaillance des parents biologiques, et à une évaluation de l’ « ampleur » de cette contribution au regard de celle des parents biologiques »78, alors que tous les enfants résidant dans l’Etat d’emploi du travailleur frontalier ont le droit de percevoir cette allocation Un grief qui repose, en partie, sur une lecture erronée de l’arrêt Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion de la première branche du moyen, que le Conseil supérieur avait constaté en l’espèce que le travailleur n’établit pas une contribution (matérielle quelconque) à l’entretien de l’enfant et, d’autre part, que les parents biologiques pourvoient par ailleurs à cet entretien. Suivant les constatations souveraines du Conseil, le travailleur n’a pas établi qu’il a financé les dépenses invoquées par lui. Il s’ajoute que ces dépenses ne constituent que des contributions du travailleur aux charges du mariage conclu avec son conjoint, donc l’exécution d’une obligation légale découlant du mariage s’imposant à lui, mais n’établissent pas que le travailleur contribue à l’entretien de l’enfant de son conjoint.

77 Dispositif de l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 2 (c’est nous qui soulignons).

78 Mémoire en cassation, page 8, deuxième alinéa.

Dans la deuxième branche du moyen, le demandeur en cassation renouvelle sa critique que le Conseil supérieur aurait dû assimiler la contribution (d’ailleurs même pas établie) aux frais du ménage à une contribution à l’entretien de l’enfant. Cette critique suppose que les frais invoqués soient susceptibles de recevoir cette qualification de pourvoi à l’entretien de l’enfant et que, bien que la contribution ait, à première vue, pu recevoir cette qualification, le Conseil refusa celle-ci par suite d’une interprétation restrictive. En réalité, le Conseil constata que les frais invoqués étaient étrangers à l’entretien de l’enfant. Ces frais se limitent à établir que le travailleur participe, conformément à ses obligations légales découlant du mariage, aux charges de ce dernier.

Il s’ensuit que la branche du moyen manque dans cette mesure, c’est-à-dire à l’exclusion de la critique relative au rejet de la thèse d’une présomption de pourvoi à l’entretien déduite de l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/34, en fait.

Un grief qui procède d’une lecture erronée de l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) La troisième branche du moyen se fonde sur l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) et plus particulièrement sur la référence faite, dans le dispositif de cet arrêt, à la circonstance que le droit luxembourgeois confère à tous les enfants résidant à Luxembourg le droit de percevoir l’allocation familiale. Or, cette référence est tirée de son contexte. Si la Cour constata l’existence d’une violation du droit de l’Union européenne en raison du refus, par le droit luxembourgeois, de l’allocation familiale aux travailleurs frontaliers du fait des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, alors que le droit luxembourgeois confère à tous les enfants résidant à Luxembourg le droit de percevoir une telle allocation, cette violation n’existe cependant qu’à la condition que les travailleurs « pourvoient à l’entretien »79 de l’enfant. Le droit à l’allocation ne résulte donc pas du seul fait que le travailleur cohabite avec les enfants de son conjoint, mais suppose, en outre, la preuve qu’il pourvoit, bien que n’y étant pas légalement tenu, à l’entretien de ces enfants. Ce n’est qu’à cette condition que les enfants sont est à assimiler à un membre de la famille du travailleur ouvrant droit à l’allocation.

Or, le Conseil supérieur constata en l’espèce que cette condition n’était pas matériellement établie. Eu égard à cette constatation, le refus de l’allocation ne constitue pas une violation du droit de l’Union européenne tant bien même que le droit luxembourgeois confère à tous les enfants résidant à Luxembourg le droit de percevoir l’allocation.

Il s’ensuit que la branche du moyen branche manque encore en fait pour ce motif supplémentaire.

Sur la quatrième branche du moyen Dans la quatrième branche du moyen, le demandeur en cassation propose, en cas de rejet de l’une ou l’autre des trois branches du moyen, des questions préjudicielles invitant en substance la Cour de justice de répondre aux branches rejetées. Ces questions sont présentées au motif 79 Dispositif de l’arrêt, point 2 (c’est nous qui soulignons).

que le rejet de ces branches « impliquerait une solution très incertaine au regard de la jurisprudence […] de la CJUE »80.

La Cour de justice a précisé dans son arrêt CILFIT II, précité, que l’article 267 TFUE est à interpréter en ce sens qu’une « juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne ne saurait être libérée de [son] obligation [de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle] que lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable »81, « qu’il découle du rapport entre les deuxième et troisième alinéas de l’article 267 TFUE que les juridictions visées par le troisième alinéa jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision [de sorte que c]es juridictions ne sont […] pas tenues de renvoyer une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige. »82 et que « l’autorité de l’interprétation donnée par la Cour en vertu de l’article 267 TFUE peut priver l’obligation prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE de sa cause et la vider ainsi de son contenu, notamment lorsque la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue ou, a fortiori, dans le cadre de la même affaire nationale, ou lorsqu’une jurisprudence établie de la Cour résout le point de droit en cause, quelle que soit la nature des procédures qui ont donné lieu à cette jurisprudence, même à défaut d’une stricte identité des questions en litige »83.

Il a été vu ci-avant que la première et la troisième branche du moyen manquent en fait. Les questions préjudicielles soulevées ne sont donc pas nécessaires pour permettre à votre Cour de rendre une décision, partant, ne sont pas pertinentes, de sorte que vous êtes dispensés de les poser84.

80 Mémoire en cassation, page 8, avant-dernier alinéa.

81 Point 33 de l’arrêt précité.

82 Point 34 de l’arrêt précité.

83 Point 36 de l’arrêt précité.

84 Dans la discussion de la quatrième branche du moyen, la partie demanderesse en cassation fait exposer que « [p]our autant, elle relève que, dans une affaire encore plus récente, ayant conduit à un arrêt de Votre Cour du 19 janvier 2023 [n° 6/2023, numéro CAS-2022-00030 du registre] concernant la question voisine du droit à l’allocation pour les enfants placés dans le ménage du travailleur frontalier, le raisonnement du Procureur général d’Etat adjoint [sous l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre du 10 novembre 2022] repris dans l’arrêt attaqué a été nettement contredit par le Premier Avocat général [ayant conclu dans l’arrêt précité du 19 janvier 2023], qui a mis l’accent sur le fait que « la jurisprudence de la CJUE est claire et constante en ce qui concerne la condition de la résidence » et qui a soulevé à titre subsidiaire une question préjudicielle à soumettre à la CJUE, laquelle a effectivement été renvoyée par Votre Cour » (mémoire en cassation, page 12, troisième alinéa). Il est précisé, outre que les auteurs des conclusions du Parquet général sous vos arrêts précités du 10 novembre 2022 et 19 janvier 2023 se sont, bien entendu, concertés avant d’émettre leurs conclusions respectives, qu’il n’existe aucune contradiction entre ces conclusions et arrêts. L’arrêt du 19 janvier 2023 concerne la question de l’octroi de l’allocation familiale au travailleur frontalier du chef de l’enfant placé auprès de lui par décision judiciaire, donc en présence d’un lien de droit entre le travailleur et l’enfant, tandis que l’arrêt du 10 novembre 2022 et la présente espèce concernent la question différente de l’octroi de cette allocation au travailleur frontalier du chef de l’enfant de son conjoint, donc en l’absence de tout lien de droit entre le travailleur et l’enfant.

Cette « situation de fait », qui n’existe évidemment pas en cas de placement judiciaire de l’enfant auprès du travailleur, suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, qui a eu l’occasion de s’exprimer sur cette question à deux reprises, dans ses arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint Ces deux branches se heurtent par ailleurs à votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022, dans lequel vous avez retenu, dans la réponse au quatrième moyen, que l’appréciation du fait de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien des enfants de son conjoint relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et échappe à votre contrôle.

Votre mission consiste à censurer la non-conformité des décisions vous soumises aux règles de droit85. A cette fin vous contrôlez, en principe, la qualification des faits, par hypothèse souverainement constatés par les juges du fond, au regard de la loi86. Toutefois dans différentes matières vous faites exception à ce principe en refusant le contrôle de notions légales ou d’éléments constitutifs de ces notions87. Ce refus, qui n’est pas formellement motivé, est expliqué par la doctrine par des considérations tirées de ce que les notions non contrôlées relèvent de celles pour lesquelles le législateur a entendu s’en remettre à une appréciation concrète des juges du fond, insusceptible de toute généralisation88 ou concernent des notions qui reposent sur l’appréciation d’un état psychologique ou mental89 ou des notions reposant sur une appréciation technique90 ou celles nécessitant une appréciation quantitative non réglementée91.

Il est admis en France que le contrôle devrait porter sur les notions imposées par des lois d’ordre public92. Or, le droit de l’Union européenne relève de l’ordre public. Les « restrictions au contrôle de l’interprétation qui sont motivées par la souveraineté des juges du fond […] ont pour conséquence l’absence de toute interprétation uniforme de la norme juridique sur le territoire […] »93.

Il s’ajoute que si la Cour de justice a dans ses arrêts Depesmes e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) retenu que la qualification de membre d’un travailleur frontalier), la vérification du fait que le travailleur pourvoit à l’entretien de l’enfant. Le souci tiré de ce que le travailleur frontalier ne saurait être discriminé du fait de sa résidence dans un autre Etat membre, donc par suite de l’exercice de sa liberté de circulation, constitue par ailleurs la raison pour laquelle les arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) constatent la contrariété de législations nationales qui opèrent des distinctions sur base de la résidence. Cette évidence n’empêche cependant pas la Cour de justice de subordonner dans ces mêmes arrêts l’assimilation de la « situation de fait » de l’enfant du conjoint d’un travailleur frontalier à un enfant de droit à charge de ce dernier à la preuve que le travailleur pourvoit à l’entretien de l’enfant. La résidence du travailleur dans un autre Etat membre n’est donc pas suffisante pour ouvrir droit à l’octroi de l’allocation familiale. Cette problématique ne se pose sans doute pas (la réponse restant à fournir par la Cour de justice) en cas de placement judiciaire d’un enfant auprès du travailleur frontalier, le placement judiciaire créant à première vue un lien de droit entre le travailleur et l’enfant, dispensant de toute autre preuve.

85 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 6e édition, 2023, n° 01.16, page 4, citant l’article 604 du Code de procédure civile français.

86 Idem, n° 65.101, page 318.

87 Idem, n° 65.111, page 318.

88 Idem, n° 65.112, page 319. Les auteurs citent l’exemple de la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude.

89 Idem, n° 65.113, page 319. Les auteurs citent les exemples des notions de bonne foi, affectio societatis, intention libérale, fraude, insanité d’esprit, etc.

90 Idem, n° 65.114, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère apparent ou caché du vice de la chose vendue.

91 Idem, n° 656.115, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère manifestement excessif d’une clause pénale.

92 Idem, n° 65.125, page 322.

93 Idem, n° 62.40, page 270.

de la famille à charge résulte d’une « situation de fait qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier »94, elle a énoncé des directives d’interprétation, à savoir que cette qualification peut être déduite « d’éléments objectifs »95, tel que le « domicile commun » du travailleur avec l’enfant96, qu’il n’est pas « nécessaire […] de déterminer les raisons de [la] contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »97, que la qualification s’effectue « sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé »98. La Cour de justice n’a donc pas abandonné pur et simplement l’appréciation du fait, qualifiant l’enfant du conjoint comme membre de la famille du travailleur, de la contribution par ce dernier à l’entretien de l’enfant aux administrations et juridictions nationales, mais a donné certaines directives d’interprétation. Il serait difficilement compréhensible que votre Cour se refuse de contrôler le respect de ces directives par les juges du fond. Il en est ainsi d’autant plus que la Cour de justice a, sur base de l’article 267 TFUE le pouvoir d’interpréter le droit de l’Union européenne et que « le mécanisme préjudiciel établi par cette disposition vise à assurer en toutes circonstances au droit de l’Union le même effet dans tous les États membres et ainsi à prévenir des divergences dans l’interprétation de celui-ci que les juridictions nationales ont à appliquer »99.

Il existe donc des motifs légaux sérieux qui devraient vous amener à revenir sur votre jurisprudence qui abandonne cette appréciation au pouvoir souverain des juges du fond et à accepter le contrôle des directives d’interprétation de la Cour de justice100.

Si vous avez des doutes sur le point de savoir si un tel contrôle est imposé par le droit de l’Union européenne, il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans 94 Arrêt Depesmes e.a., point 60.

95 Idem et loc.cit.

96 Idem et loc.cit.

97 Idem et loc.cit. et arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

98 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

99 Arrêt CILFIT II, précité, point 28.

100 Le soussigné vous avait, dans cette même logique, proposé, dans ses conclusions sous votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022, de rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Caisse pour l’avenir des enfants, qui vous avait invité à ne pas accueillir le quatrième moyen parce que ce dernier reviendrait à remettre en discussion l’appréciation souveraine des juges du fond (voir, à cet égard, les conclusions du soussigné, 20221110_CAS-2021-00117_131p (public.lu) (consulté le 10 octobre 2023), page 44, deuxième alinéa).

son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? » La problématique de votre pouvoir de contrôle au sujet de l’interprétation du droit de l’Union européenne n’est toutefois pas nécessairement pertinente. Elle n’est pas pertinente :

- si vous décidez qu’il y a lieu de rejeter la première et la troisième branche du moyen manquent en fait, ainsi qu’il a été exposé ci-avant, de sorte que la question de l’applicabilité de votre jurisprudence ne se pose pas et - si vous considérez de plus que cette irrecevabilité, nonobstant le caractère d’ordre public du droit de l’Union européenne en général et de l’autorité de l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) en particulier, vous dispense d’examiner d’office l’application correcte de ce droit et le respect de l’autorité de cet arrêt par les juges du fond, tant bien même que cette question vous est, en substance, soumise par le moyen, nonobstant les critiques qu’il suscite.

La question est, en revanche, pertinente lorsque :

- vous jugez que la première et la troisième branche du moyen ne manquent pas en fait ou - que le caractère d’ordre public du droit de l’Union européenne et, dans cet ordre d’idées, le respect par les juges du fond des interprétations de ce droit par la Cour de justice, vous oblige d’examiner d’office le respect de cette interprétation.

Les deux branches précitées, si elles paraissent se heurter aux difficultés exposées ci-avant, soulèvent néanmoins en substance la question du respect par les juges du fond de l’interprétation de la notion de « pourvoi à l’entretien de l’enfant » retenue par la jurisprudence de la Cour de justice. Cette question de l’application correcte du droit de l’Union européenne est d’ordre public. Il paraît dès lors s’imposer de l’examiner, en cas de besoin, d’office.

Si vous jugez, pour l’un ou l’autre de ces motifs, qu’il vous est nécessaire de vous prononcer sur votre pouvoir de contrôle de la notion de « pourvoi à l’entretien de l’enfant », il vous est suggéré de revenir sur votre jurisprudence et d’accepter ce contrôle, qui s’effectue, bien entendu, sur base des faits souverainement constatés, sinon de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle proposée ci-avant.

Si vous acceptez ce contrôle, il y a donc lieu de vérifier si le Conseil supérieur a correctement interprété la notion de « pourvoi à l’entretien de l’enfant ». Les critères guidant cette interprétation, développés par la Cour de justice, ont été rappelés ci-avant. L’enfant du conjoint n’est à qualifier comme membre de la famille du travailleur frontalier que si ce dernier pourvoit à son entretien. Le Conseil supérieur a constaté que le travailleur frontalier, à qui incombe la charge de la preuve101, n’a pas justifié de dépenses effectuées dans l’intérêt spécifique, voire exclusif, des enfants de son conjoint. Le travailleur n’a, suivant les constatations souveraines du Conseil supérieur, même pas établi que les dépenses invoquées, et jugées non pertinentes au regard de leur objet, ont été effectuées par lui-même. Le Conseil a ajouté que, suivant ses 101 Voir l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50.

constatations, les parents biologiques pourvoient à l’entretien de l’enfant. Cette référence est parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour de justice qui, dans l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), admet la prise en considération, à titre d’élément d’appréciation, du point de savoir si les parents biologiques participent à l’entretien de l’enfant102.

Sur base de ces constatations de fait le Conseil supérieur a donc pu, sans méconnaître le droit de l’Union européenne tel qu’il a été interprété par la Cour de justice, conclure que l’enfant n’était, en l’absence de preuve de participation du travailleur frontalier à son entretien, pas à considérer comme membre de la famille de ce dernier, ouvrant droit à la perception d’allocations familiales.

Si vous avez des doutes sur cette solution, vous devriez saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle libellée comme suit :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il ne participe certes pas à des dépenses d’entretien de l’enfant, cet entretien étant assuré par les parents biologiques, mais participe néanmoins aux dépenses du ménage composé par lui-même, son conjoint et l’enfant de ce dernier, donc à des dépenses qui, si elles ne sont pas spécifiquement destinées à l’enfant, profitent néanmoins indirectement à ce dernier ? ».

Aux fins d’éviter un retard trop important de la procédure, il se recommanderait, si vous jugez que ces questions sont pertinentes et nécessaires, de les poser de façon simultanée.

S’agissant de la deuxième branche du moyen, il a été exposé dans le cadre de la discussion de cette branche, que celle-ci n’est pas fondée, mais qu’il y a, en cas de doute, lieu de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle, dont le libellé a été proposé ci-avant.

Conclusions La première et troisième branche du moyen manquent en fait.

Il y aurait lieu d’examiner d’office l’application correcte par les juges du fond de la notion de « pourvoi par le travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant du conjoint » telle qu’elle a été 102 Point 52 de l’arrêt précité.

interprétée par la Cour de justice dans ses arrêts Despesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier).

A cette fin il y aurait lieu de retenir, contrairement à ce qui a été décidé en réponse au quatrième moyen de l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022, que le contrôle de la correcte qualification de cette notion sur base des faits souverainement constatés par les juges du fond appartient à votre Cour, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle proposée ci-avant.

A l’issue de ce contrôle il se justifie de conclure que le Conseil supérieur a correctement appliqué le droit de l’Union européenne. Si vous avez des doutes sur cette solution, il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle proposée ci-avant.

La deuxième branche du moyen n’est pas fondée. En cas de doute il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle proposée dans le cadre de la discussion de cette branche.

Sur le second moyen de cassation Le second moyen est tiré de la violation de l’article 1er du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, portant interdiction générale de la discrimination, notamment fondée sur l’origine nationale, ensemble avec l’article 14 de cette Convention, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte des enfants de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint parce que les parents biologiques prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien de l’enfant et que cette constatation n’est pas remise en doute par les virements produits par le demandeur en cassation portant sur des frais du ménage courants, dès lors qu’il ne résulte pas de ces éléments que le demandeur en cassation est le seul détenteur du compte débiteur et qu’il n’est pas spécifié en faveur de quel enfant ces frais ont été engagés, alors que les dispositions visées au moyen sont, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, applicables au droit à des prestations sociales, que pour apprécier s’il y a discrimination au sens de ces dispositions, cette Cour attache une valeur hautement persuasive aux conclusions de la Cour de justice de l’Union européenne, que cette dernière Cour a, dans son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), constaté le caractère discriminatoire à l’égard des travailleurs frontaliers de dispositions empêchant ces derniers de percevoir une allocation familiale du chef d’enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien tandis que tous les enfants résidant dans leur Etat d’emploi ont le droit de percevoir cette allocation, cette notion de pourvoi à l’entretien étant d’interprétation large, de sorte « qu’en retenant […] une interprétation restrictive de la qualité de « membre de la famille » d’un travailleur frontalier, et de sa participation à l’entretien des enfants mineurs de son conjoint vivant à leur domicile commun, et notamment en refusant d’appliquer la présomption tirée de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE […], et en subordonnant la participation du travailleur à l’entretien des enfants mineurs vivant dans son ménage aux « raisons de cette contribution » suivant qu’elle était liée ou non aux fait que les parents biologiques participent également à l’entretien de l’enfant, et à une évaluation de l’« ampleur » de cette contribution au regard de la contribution des parents biologiques (et donc en faisant exactement l’inverse de ce que préconise l’arrêt [Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50], ceci alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir l’allocation familiale litigieuse »103, les juges d’appel ont opéré une nouvelle discrimination illicite entre les travailleurs transfrontaliers et les travailleurs résidant qui constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationale et qui ne repose sur aucun objectif légitime.

Dans son second moyen, le demandeur en cassation soulève à nouveau les griefs exposés dans le cadre de son premier moyen, sauf à les tirer de l’interdiction de la discrimination prévue par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cette critique repose sur une double prémisse erronée.

Il est, d’une part, soutenu que le Conseil supérieur aurait procédé à une interprétation restrictive de la notion de « pourvoi par le travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant de son conjoint » en retenant qu’une participation aux « frais du ménage » ne valait pas pourvoi à l’entretien de l’enfant et que la contribution des parents biologiques excluait celle du travailleur frontalier.

Il est, d’autre part, allégué que cette interprétation serait restrictive, alors que la jurisprudence de la Cour de justice, à laquelle la Cour de Strasbourg se réfère pour constater l’existence d’une discrimination au titre de la Convention, exigerait une interprétation large.

Le moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué Le Conseil supérieur a constaté, en l’espèce, que le travailleur frontalier, pour établir qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, s’est limité à faire valoir des pièces documentant le paiement de certains frais du ménage qui, au regard de leur objet, constituent des contributions du travailleur au charge du mariage conclu avec son conjoint, donc l’exécution d’une obligation légale découlant du mariage, mais n’ont pas été accompli dans l’intérêt spécifique, voire exclusif, de l’enfant. Il s’ajoute que, suivant les constatations du Conseil supérieur, il n’est même pas établi que le demandeur en cassation a lui-même financé ces dépenses, par ailleurs dépourvues de pertinence. Le Conseil constate donc une absence de toute preuve d’une contribution matérielle du travailleur à l’entretien de l’enfant. Or, l’enfant n’est, sur base de la jurisprudence de la Cour de justice, à assimiler à un membre de la famille du travailleur frontalier, ouvrant droit à l’octroi d’allocations familiales, que s’il est établi que le travailleur pourvoit à l’entretien de l’enfant.

Le Conseil n’a, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur en cassation, pas retenu que la contribution des parents biologiques excluait celle du travailleur frontalier, mais il a complété son constat que le demandeur en cassation n’a pas établi avoir contribué à l’entretien 103 Mémoire en cassation, page 16, deuxième alinéa.

des enfants de son conjoint par le constat surabondant que cet entretien est par ailleurs, en l’espèce, assuré par les parents biologiques de ces derniers.

Il a enfin rejeté, comme non fondé en droit, la thèse du demandeur en cassation tirée de l’existence d’une présomption de « pourvoi à l’entretien des enfants de son conjoint » lorsque les enfants sont âgés de moins de 21 ans. Or, rejeter une thèse comme étant non fondée en droit ne constitue que l’application du droit et non une interprétation restrictive de ce dernier.

Le moyen repose sur une lecture erronée de la jurisprudence de la Cour de justice Le demandeur en cassation soutient que la jurisprudence de la Cour de justice impose d’interpréter le pourvoi par le travailleur à l’entretien des enfants de son conjoint d’une façon large.

En réalité, la Cour de justice s’est limitée à retenir, dans son arrêt Depesme e.a., que le principe selon lequel les dispositions du droit de l’Union européenne qui consacrent la libre circulation des travailleurs sont à interpréter largement implique d’assimiler aux membres de droit de la famille à charge du travailleur frontalier, ceux qui sont membres de la famille, non sur base d’un rapport de droit, mais d’une situation de fait résultant de ce que « le soutien [de cette personne] est assuré par le travailleur »104. L’interprétation large se limite donc à cette assimilation de la famille de fait à la famille de droit. Elle repose sur le souci d’éviter que « le regroupement familial […] dépendrait des législations nationales, qui varient d’un Etat à l’autre »105.

Or, pour que cette assimilation ait lieu, il faut que soit établi la preuve que « le soutien [de ce membre de fait de la famille] est assuré par le travailleur »106. L’assimilation, qui est admise dans le cadre d’une interprétation large, repose donc sur cette condition. La jurisprudence de la Cour de justice ne dispense pas de cette preuve. Elle confie l’appréciation de celle-ci aux administrations et juridictions nationales et ajoute certaines directives d’interprétation, à savoir la dispense « de déterminer les raisons du recours à ce soutien »107, « de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée »108 ou de « chiffrer l’ampleur exacte »109 de la contribution, la possibilité réservée aux administrations et juridictions nationales, mais non l’obligation leur imposée, de se fonder sur des « éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun »110, l’obligation imposée au travailleur de fournir « des éléments de preuve »111, donc l’imposition à ce dernier de la charge de la preuve ou la prise en considération à titre d’indice du paiement d’une « pension alimentaire »112 par le « père biologique »113.

Ainsi qu’il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion de la quatrième branche du premier moyen, le Conseil supérieur a, en l’espèce, respecté ces directives d’interprétation. S’étant 104 Arrêt Depesme e.a., point 58.

105 Idem et loc.cit.

106 Idem et loc.cit.

107 Idem et loc.cit.

108 Idem et loc.cit.

109 Idem, point 60.

110 Idem et loc.cit.

111 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50.

112 Idem, point 52.

113 Idem et loc.cit.

conformé à la jurisprudence de la Cour de justice et ayant, sur base de celle-ci, constaté que le travailleur n’a pas, en l’espèce, rapporté la preuve d’avoir pourvu à l’entretien des enfants de son conjoint, ces derniers ont pu, à bon droit, ne pas être assimilés à des membres de la famille à charge du travailleur.

Le moyen postulant que le Conseil a méconnu le droit de l’Union européenne tel qu’il est interprété par la Cour de justice, mais ce postulat étant inexact, le moyen manque en fait.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable.

Les moyens sont à rejeter.

Si vous avez des doutes sur le bien-fondé de la deuxième branche du premier moyen, il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que, à la lumière du point 62 de l’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 2016, C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, dans lequel la Cour de justice a constaté « que le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans, ainsi que cela résulte notamment de l’article 2, point 2, sous c), de directive 2004/38 », l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE est à interpréter en ce sens qu’il érige en présomption que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant du conjoint d’un travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, donc est à considérer à la lumière des arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, du 2 avril 2020, comme enfant à sa charge, parce que l’enfant est âgé de moins de vingt et un ans ? ».

Il y a lieu d’examiner d’office l’application correcte par les juges du fond de la notion de « pourvoi par le travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant du conjoint » telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice dans ses arrêts Despesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier).

A cette fin il y a lieu de retenir, contrairement à ce qui a été décidé en réponse au quatrième moyen de l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022, que le contrôle de la correcte qualification de cette notion sur base des faits souverainement constatés par les juges du fond appartient à votre Cour, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? » A l’issue de ce contrôle il y a lieu de conclure que le Conseil supérieur a correctement appliqué le droit de l’Union européenne, sinon de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il ne participe certes pas à des dépenses d’entretien de l’enfant, cet entretien étant assuré par les parents biologiques, mais participe néanmoins aux dépenses du ménage composé par lui-même, son conjoint ou partenaire et l’enfant de ce dernier, donc à des dépenses qui, si elles ne sont pas spécifiquement destinées à l’enfant, profitent néanmoins indirectement à ce dernier ? ».

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 50


Synthèse
Numéro d'arrêt : 78/24
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-04-25;78.24 ?

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