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25/04/2024 | LUXEMBOURG | N°73/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 25 avril 2024, 73/24


N° 73 / 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00085 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à D-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la so

ciété à responsabilité limitée JURISLUX, inscrite à la liste V du tableau de...

N° 73 / 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00085 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à D-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée JURISLUX, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, et la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établissement public, établie à L-2449 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J93, défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué rendu le 2 mars 2023 sous le numéro 2023/0072 (No. du reg.: ADIV 2022/0027) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 22 mai 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE »), déposé le 23 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 19 juillet 2023 par la CAE à PERSONNE1.), déposé le 21 juillet 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le comité-directeur de la CAE avait, par décision du 9 mai 2017, confirmant la décision du président de la CAE, retiré à PERSONNE1.), travailleur frontalier, avec effet au 1er août 2016, le bénéfice de l’allocation familiale perçue pour l’enfant de son épouse, né d’un précédent mariage, au motif que l’enfant n’était plus à considérer comme membre de sa famille en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction telle qu’issue de la loi du 23 juillet 2016 portant notamment modification du Code de la sécurité sociale.

Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait fait droit au recours du demandeur en cassation tendant au rétablissement du paiement de l’allocation familiale.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, dit que la CAE avait, à bon droit, retiré au demandeur en cassation le bénéfice de l’allocation familiale.

Il a dit, en outre, que la CAE avait, à bon droit, retiré au demandeur en cassation le bénéfice de l’allocation d’éducation prolongée pour le compte de l’enfant commun du demandeur en cassation et de son épouse, ce retrait étant la conséquence de la perte de la qualité de membre de la famille du demandeur en cassation, de l’enfant de son épouse.

Ce volet de la décision ne fait pas l’objet du pourvoi en cassation.

Sur les moyens de cassation Enoncé des moyens le premier, « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1er, sous i), et l'article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lus en combinaison avec l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l'article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/ 194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE.

En ce que l’arrêt attaqué n’a pas procédé à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant-non biologique du travailleur frontalier telle que visée par la CJUE dans son arrêt du 2 avril 2020 (C-802/18), alors qu’il aurait dû faire application de cette interprétation large et allouer au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales concernant l’enfant de sa conjointe PERSONNE2.). », le deuxième, « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 587 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Première branche :

En ce que l’arrêt attaqué, après avoir constaté sur base des pièces versées en cause que le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial à l’enfant de sa conjointe, et participait aux frais d’entretien de PERSONNE3.), a conclu que l’époux de Madame PERSONNE2.) ne pourvoyait pas à l’entretien de l’enfant de son épouse.

Alors que l’énoncé de motifs contradictoires constitue un défaut de motif qui est un vice de forme justifiant la cassation de l’arrêt du 2 mars 2023.

Deuxième branche :

En ce que l’arrêt attaqué, prétendant faire siennes les dispositions de l’arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 (C-802/18), et affirmant donc procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier, a en fait procédé à une interprétation restrictive de cette notion.

Alors que les magistrats d’appel, conformément à l’interprétation de la CJUE dans ses arrêts des 15 décembre 2016 et 2 avril 2020, auraient dû procéder à une interprétation large et non restrictive de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier. », le troisième, « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tels que modifiés par la loi du 23 juillet 2016 et tels qu’interprétés à la lumière de l’arrêt C-802/18 de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 2 avril 2020 ;

en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a retenu que la partie demanderesse ne pourvoyait pas à l’entretien de son bel-enfant et qu’elle ne prouvait pas qu’elle contribuait à l’entièreté des frais du ménage ;

alors que la partie demanderesse partage un domicile commun avec son bel-

enfant. » et le quatrième, « tiré de l’excès de pouvoir commis par les juges par rapport à l’article 11 paragraphe (5) de la Constitution qui réserve au pouvoir législatif la matière de la sécurité sociale ;

que l’excès de pouvoir est la transgression par le juge, compétent pour connaître du litige, d’une règle d’ordre public par laquelle la loi a circonscrit son autorité » ».

Réponse de la Cour Sur l’interprétation du droit de l’Union européenne, qui est préalable La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la CJUE ») a dit pour droit que « L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doivent être interprétés en ce sens qu’une allocation familiale liée à l’exercice, par un travailleur frontalier, d’une activité salariée dans un Etat membre constitue un avantage social, au sens de ces dispositions » (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants, ECLI:EU:C:2020:269).

La CJUE a encore dit pour droit que « L’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet État membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation » (CJUE 2 avril 2020, op. cit.).

La CJUE a ainsi soumis le droit du travailleur frontalier de bénéficier du versement de l’allocation familiale au titre de l’enfant de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation à la preuve qu’il remplit la condition de pourvoir à l’entretien de cet enfant.

Bien que la réponse en droit fournie par la CJUE vise l’enfant du seul conjoint du travailleur frontalier, il résulte des motifs de l’arrêt que la même solution s’applique à l’enfant du partenaire enregistré du travailleur frontalier avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation (CJUE 2 avril 2020, op. cit., points 51 et 52).

Faisant application de ce critère, les juges d’appel, pour motiver la décision de retrait de l’allocation familiale, - ont dit implicitement, mais nécessairement, que les preuves de l’existence d’un mariage entre le travailleur frontalier et la mère de l’enfant et de l’existence d’un domicile commun entre le travailleur frontalier, son épouse et l’enfant, ces éléments pris isolément ou ensemble, n’établissaient pas que la condition était remplie, - ont retenu que les deux parents biologiques avaient les moyens de contribuer à l’entretien de l’enfant puisqu’ils poursuivaient tous les deux une activité professionnelle et contribuaient à l’entretien de l’enfant, le père devant verser une pension alimentaire à hauteur de 280 euros - une suspension temporaire du paiement de cette pension ne résultant pas des éléments de la cause - pour en conclure que « ce sont dès lors les parents biologiques qui prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien de l’enfant », - ont dit que le demandeur en cassation « reste en défaut de fournir un quelconque élément probant établissant la prise en charge matérielle des frais d’entretien de son beau-fils » et qu’à défaut de ces éléments, la preuve qu’il pourvoyait à l’entretien de l’enfant n’était pas rapportée à suffisance de droit.

La notion de « pourvoir à l’entretien » a été utilisée au départ par la CJUE pour dire qu’un travailleur frontalier peut bénéficier du versement d’une prestation étatique au titre d’un avantage social, en l’espèce des aides financières pour études supérieures, pour son propre enfant, lorsqu’il continue de pourvoir à l’entretien de cet enfant (CJUE 26 février 1992, aff. C-3/90, Bernini, ECLI:EU:C:1992:89, points 25 et 29 ; CJUE 8 juin 1999, aff. C-337/97, Meeusen, ECLI:EU:C:1999:284, point 19 ; CJUE 14 juin 2012, aff. C-542/09, Commission européenne/Pays-Bas, ECLI:EU:C:2012:346, point 35 ; CJUE 20 juin 2013, aff. C-20/12, Guirsch, ECLI:EU:C:2013:411, point 39), sans que la notion ait été définie à travers ces arrêts.

Par la suite, toujours dans le cadre d’un avantage social constitué par une aide financière pour études supérieures, mais ayant trait à un enfant n’ayant pas de lien de filiation avec le travailleur frontalier, la CJUE a précisé la notion de « pourvoir à l’entretien » en disant d’abord qu’elle « ne suppos[e] pas un droit à aliments » (CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, point 58), pour ensuite ajouter que « la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait. Il s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., points 58 et 59). Elle en a conclu « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’État membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant du conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 60).

La CJUE a ensuite appliqué le critère de « pourvoir à l’entretien » à la question de savoir si le travailleur frontalier peut bénéficier de l’avantage social constitué par le versement d’une allocation familiale, au titre d’un enfant avec lequel il n’a pas de lien de filiation, en disant dans les motifs de sa décision « qu’il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier, pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux visés à cette dernière disposition, non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant. Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 2 avril 2020, op. cit, point 50). La CJUE a pris soin de préciser en fait « que le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier. Il semble donc que FV, qui est le conjoint de la mère de HY, pourvoit à l’entretien de cet enfant, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 52).

La CJUE a encore considéré que « la notion de du travailleur frontalier susceptible de bénéficier indirectement de l’égalité de traitement, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, correspond à celle de , au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, les descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire. La Cour a notamment pris en considération, à cet égard, le considérant 1, l’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2014/54 » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 51).

La Cour déduit tout d’abord de ces développements que la précision que la notion de « pourvoir à l’entretien » résulte d’une situation de fait n’implique pas qu’il s’agisse d’une notion de pur fait soustraite au contrôle de la CJUE et de la Cour de cassation, mais que cette formule a été utilisée pour insister sur la circonstance que cette notion s’appréciait en dehors de tout droit de l’enfant à des aliments, tel que relevé expressément dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 58).

La Cour déduit ensuite de ce qui précède que la notion de « pourvoir à l’entretien », dans le cadre de la réglementation afférente au bénéfice des avantages sociaux, constitue une notion autonome du droit de l’Union européenne qui requiert une application et une interprétation uniformes.

Or, pareille interprétation uniforme n’est pas actuellement assurée au regard des interrogations que suscitent les éléments de la discussion.

A cet égard, la Cour est amenée à s’interroger sur la portée de l’exemple repris dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 60) au titre des « éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant », d’une part, quant à la question de savoir si ce point est évoqué à titre de simple exemple ou au contraire à titre de condition, auquel cas se pose la question de savoir s’il s’agit d’une condition suffisante ou d’une condition nécessaire, et, d’autre part, quant à la question de savoir si le mode de financement du domicile commun importe, en ce qu’il faut rechercher si le travailleur frontalier contribue partiellement ou totalement audit financement.

Quant aux besoins de l’enfant à prendre en considération à la satisfaction desquels le travailleur frontalier pourvoit, la Cour est amenée à s’interroger sur la question de savoir si seuls les besoins alimentaires et élémentaires à la subsistance de l’enfant doivent entrer en ligne de compte (nourriture, vêtements, logement, éducation, …), ou si toutes dépenses généralement quelconques, y compris celles d’agrément ou de simple confort (téléphone portable, restaurants, permis de conduire, …) ou même somptuaires, fastueuses ou de luxe (achats réguliers d’équipements électroniques, vacances dans des pays lointains, …) destinées à assurer un certain niveau de vie doivent être considérées.

Quant aux modalités selon lesquelles le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant, la Cour s’interroge sur la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant doit prendre la forme de versements en numéraires directement à l’enfant, ou si elle peut prendre la forme de dépenses faites dans l’intérêt de l’enfant. Dans ce même cadre se pose la question de savoir si la dépense doit être faite, tel que semblent le suggérer les conclusions du Parquet général, dans l’intérêt spécifique, voire exclusif de l’enfant, ou si des dépenses faites dans l’intérêt commun de la cellule familiale (mensualités du prêt hypothécaire, loyer, achat d’équipements utilisés en commun, …) entrent en ligne de compte.

Toujours au titre des modalités concrètes se pose la question de savoir si les dépenses faites par le travailleur frontalier pour pourvoir à l’entretien de l’enfant doivent présenter un certain caractère de récurrence, de régularité ou de périodicité (prêt immobilier, loyer, frais d’électricité et de chauffage, factures de téléphone, …) ou si la prise en charge de dépenses ponctuelles (achats occasionnels de vêtements, …) est également à considérer. Finalement, tout en prenant acte de ce que la CJUE précise que dans le cadre de l’appréciation de la situation de fait, il n’est pas nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier ni d’en chiffrer l’ampleur exacte (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 64 ; CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 50), la Cour s’interroge sur la question de savoir si toute contribution, si minime soit-elle, est à prendre en considération, ou si celle-ci doit présenter un certain niveau significatif, et dans ce dernier cas s’il faut apprécier ce critère par rapport aux besoins de l’enfant ou par rapport à la situation financière du travailleur frontalier.

La provenance des fonds peut encore interroger, en ce que dans certains cas, le travailleur frontalier entretient avec son conjoint ou son partenaire enregistré, parent de l’enfant, un compte bancaire joint ayant servi à payer les dépenses mises en avant dans le cadre de la procédure juridictionnelle pour démontrer que la condition de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant est remplie, sans qu’il alimente ce compte à titre exclusif, respectivement sans qu’il établisse dans quelle mesure il alimente ce compte, auquel cas se pose la question de savoir si la contribution aux besoins de l’enfant provient du travailleur frontalier.

La Cour s’interroge encore sur la portée de la précision apportée par la CJUE dans l’arrêt du 15 décembre 2016 (op. cit., point 62) disant que « le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans », en ce qu’il s’agit de savoir si tout enfant de moins de 21 ans, du seul fait de cette condition d’âge ou combinée avec d’autres facteurs, doit être considéré comme étant pourvu dans ses besoins par le travailleur frontalier.

Il convient ensuite de s’interroger sur la question de la contribution des parents aux besoins de l’enfant. Ceux-ci sont tenus par la loi à une obligation alimentaire, par opposition au travailleur frontalier qui n’est pas tenu à une telle obligation. Le critère de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant impose au contraire dans le chef de ce dernier une appréciation factuelle. Dès lors, se pose la question de savoir s’il est suffisant de constater l’existence et l’ampleur d’une obligation alimentaire dans le chef des parents pour exclure l’existence d’une contribution du travailleur frontalier, ou s’il faut en sus s’assurer que l’obligation alimentaire des parents a été fixée à un montant approprié, et qu’ils exécutent réellement leur obligation alimentaire, de nature à rendre inutile une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier. En l’absence de paiement effectif d’un tel secours se pose la question de savoir s’il faut vérifier si le conjoint ou le partenaire enregistré du travailleur frontalier a du moins tenté de procéder à des mesures d’exécution forcée et si en fin de compte la contribution du travailleur frontalier vient combler la défaillance de l’un des parents. Par rapport à ce secours alimentaire et à la question de savoir s’il est fixé à un montant approprié, le mode de fixation par voie judiciaire ou conventionnelle peut éventuellement avoir une incidence. Ces aspects peuvent être liés à l’interrogation, évoquée ci-dessus, de savoir quelles dépenses au titre de l’enfant sont à considérer. Si seules les dépenses alimentaires et essentielles à sa subsistance entrent en ligne de compte, l’obligation alimentaire des parents couvrira en principe ces besoins, rendant sans objet une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier pour couvrir de tels besoins.

Par rapport aux relations avec l’autre parent de l’enfant, il faut encore s’interroger sur la question de savoir s’il est pertinent d’examiner les modalités selon lesquelles l’enfant séjourne alternativement auprès de ses deux parents, en ce qu’un droit de visite et d’hébergement étendu ou une résidence partagée peuvent amener l’autre parent en principe à assumer plus substantiellement en nature ses obligations alimentaires, laissant moins de place à une éventuelle nécessité de couvrir des besoins de l’enfant par le travailleur frontalier.

Toutes ces interrogations doivent en principe être vues sur arrière fond d’un principe d’interprétation large des dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 58), et partant des éventuelles limites d’un tel principe d’interprétation large.

Ces considérations amènent la Cour, avant tout autre progrès en cause, à soumettre à la CJUE les questions préjudicielles sur la portée du droit de l’Union européenne telles que reprises dans le dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1a) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme étant donnée, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait du mariage ou d’un partenariat enregistré entre le travailleur frontalier et un parent de l’enfant - du seul fait d’un domicile ou d’une résidence commune entre le travailleur frontalier et l’enfant - du seul fait de la prise en charge par le travailleur frontalier d’une dépense généralement quelconque venant au profit de l’enfant, alors même o qu’elle couvre des besoins autres qu’essentiels ou alimentaires o qu’elle est faite à un tiers et ne profite qu’indirectement à l’enfant o qu’elle n’est pas faite dans l’intérêt exclusif ou spécifique de l’enfant, mais profite à tout le ménage o qu’elle n’est qu’occasionnelle o qu’elle est inférieure à celle des parents o qu’elle n’est qu’insignifiante au regard des besoins de l’enfant - du seul fait que les dépenses sont prises en charge à partir d’un compte commun au travailleur frontalier et à son conjoint ou partenaire enresgistré, parent de l’enfant, sans égard à la provenance des fonds y inscrits - du seul fait que l’enfant est âgé de moins de 21 ans ? 1b) En cas de réponse négative à la première question, est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » doit être interprétée comme étant établie, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, lorsque deux ou plusieurs de ces circonstances sont données ? 2) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme n’étant pas donnée, et partant comme excluant le droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait de l’existence d’une obligation alimentaire à charge des parents de l’enfant, indépendamment o de la question de savoir si cette créance alimentaire est fixée judiciairement ou par voie conventionnelle o du montant auquel cette créance alimentaire a été fixée o de la question de savoir si le débiteur s’acquitte effectivement de cette dette alimentaire o de la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier comble une défaillance d’un parent de l’enfant - du seul fait que l’enfant séjourne périodiquement, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ou d’une résidence alternée ou d’une autre modalité, auprès de l’autre parent ? sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

réserve les dépens.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (affaire n° CAS-2023-00085 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 23 mai 2023, d’un mémoire en cassation, signifié le 22 mai 2023 à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 2023/00072 rendu contradictoirement le 2 mars 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro ADIV 2022/0027 du registre.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.

Le pourvoi est par ailleurs recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.

Il attaque une décision en dernier ressort ayant tranché tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1 et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi de 1885 »), rendus applicables par l’effet de l’article 455, alinéa 4, précité, du Code de la sécurité sociale, qui dispose que « [l]e pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale ».

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par PERSONNE1.) d’un recours contre une décision de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « CAE ») du 3 février 2017, ayant retiré au requérant, qui est assuré transfrontalier résidant en Allemagne, avec effet rétroactif au 1er août 2016, en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tel qu’ils ont été modifiés par une loi du 23 juillet 20163, entrée en vigueur le 1er août 20164, le bénéfice des 1 L’arrêt attaqué a été notifié au demandeur en cassation en date du 9 mars 2023. Il s’ensuit que le délai du pourvoi, qui est de deux mois et quinze jours (le demandeur en cassation résidant en Allemagne) (articles 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et 167, point 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile) a été respecté.

2 Le demandeur en cassation a, dans le délai du recours, déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi de 1885 ont été respectées.

3 Loi du 23 juillet 2016 portant modification : 1. du Code de la sécurité sociale ; 2. de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, et abrogeant la loi modifiée du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant (Mémorial, A, 2016, n° 138, page 2347).

4 Voir l’article VII de la loi précitée, disposant que celle-ci entra en vigueur « le premier jour du mois qui suit sa publication au Mémorial », cette publication ayant eu lieu le 28 juillet 2016, de sorte que la loi entra en vigueur le premier jour du mois suivant, soit le 1er août 2016.

allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse, né d’un précédent mariage, et, par voie de conséquence, sur base des articles 299 et 302 anciens du Code de la sécurité sociale tels qu’ils avaient été en vigueur avant leur abrogation par une loi du 19 décembre 20145, le bénéfice de l’allocation d’éducation pour un enfant commun des deux conjoints, le Conseil arbitral de la sécurité sociale faisait droit au recours, partant, réformait la décision attaquée. Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma le jugement entrepris, donc dit que la CAE avait retiré à bon droit au requérant le bénéfice des allocations familiales pour l’enfant de son épouse, né d’un précédent mariage, et, par voie de conséquence, celui de l’allocation d’éducation pour un enfant commun des conjoints.

Sur le cadre juridique Les articles 269 et 270 CSS dans leur version antérieure à la loi du 23 juillet 2016 Dans l’état du droit antérieur au 1er août 2016, le Code de la sécurité sociale disposait que :

« Article 269. A droit aux allocations familiales dans les conditions prévues par le présent chapitre, a) pour lui-même, tout enfant, résidant effectivement et d’une façon continue au Luxembourg et y ayant son domicile légal ;

b) pour les membres de sa famille, conformément à l’instrument international applicable, toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements communautaires ou d’un autre instrument bi-

ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] La condition suivant laquelle l’enfant doit avoir son domicile légal au Luxembourg est présumée remplie dans le chef de l’enfant mineur lorsque la personne - auprès de laquelle l’enfant a son domicile légal conformément à l’article 108 du Code civil, ou bien - dans le ménage de laquelle l’enfant est élevé ou au groupe familial de laquelle il appartient en application de l’article 270, a elle-même son domicile légal au Luxembourg conformément à l’alinéa 3.

[…] Article 270. […] Sont considérés comme appartenant à un même groupe familial, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’octroi des allocations familiales, tous les enfants légitimes ou légitimés issus des mêmes conjoints, ainsi que tous les enfants adoptés par les mêmes conjoints en vertu d’une adoption plénière.

5 Loi du 19 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du paquet d’avenir – première partie (2015), Mémorial, A, 2014, n° 257, du 24 décembre 2014, page 5472, article 2, point 10.

Sont assimilés aux enfants légitimes d’une personne, aussi longtemps qu’ils sont légalement déclarés et élevés dans son ménage et qu’ils remplissent les conditions visées à l’alinéa précédent a) les enfants adoptés en vertu d’une adoption simple ;

b) les enfants naturels qu’elle a reconnus ;

c) les enfants du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

d) ses petits-enfants, lorsqu’ils sont orphelins ou que les parents ou celui d’entre eux qui en a la garde effective sont incapables au sens de la loi.

[…] ».

Suivant ces dispositions, les enfants du conjoint avec lesquels le titulaire du droit n’avait pas de lien de filiation ouvraient droit à l’allocation familiale, à condition que les enfants étaient légalement déclarés et élevés dans le ménage du titulaire du droit.

Les articles 269 et 270 CSS issus de la réforme de la loi du 23 juillet 2016 Depuis le 1er août 2016, par suite de l’entrée en vigueur de la loi précitée du 23 juillet 2016, le Code de la sécurité sociale dispose que :

« Article 269. (1) Il est introduit une allocation pour l’avenir des enfants, ci-après « allocation familiale ».

Ouvre droit à l’allocation familiale :

a) chaque enfant, qui réside effectivement et de manière continue au Luxembourg et y ayant son domicile légale, b) les membres de famille tels que définis à l’article 270 de toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements européens ou d’un autre instrument bi- ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] […] Article 270. Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. ».

Cette réforme implique que le travailleur frontalier, demeurant dans un autre Etat membre de l’Union européenne et étant, du fait de son activité professionnelle à Luxembourg, affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, peut uniquement prétendre à des allocations familiales du chef de ses propres enfants, à l’exclusion des enfants de son conjoint avec lesquels il n’a pas de lien de filiation.

Cette réforme a été motivée comme suit :

« Etant donné qu’il n’existe pas de définition exacte du membre de la famille dans les textes actuels, l’article 270 du PL 6832 définit le(s) membre(s) de la famille d’un travailleur ouvrant droit à l’allocation familiale. Il s’agit de tous les enfants propres, indépendamment qu’ils soient nés dans ou hors mariage ou adoptifs. »6.

Comme l’article 270, nouveau, du Code de la sécurité sociale se limite à définir « les membres de la famille » au sens de l’article 269, paragraphe 1er, point b), de ce Code, donc les membres de la famille de travailleurs frontaliers affiliés, du fait de leur activité professionnelle à Luxembourg, auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise, cette restriction s’applique aux enfants du conjoint de ces travailleurs, qui, n’étant pas « les enfants propres » du travailleur frontalier, n’ouvrent pas droit à l’allocation familiale.

Le terme « membre de la famille » est repris de l’article 1er, point i), du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le Règlement n° 883/2004 »)7, qui dispose notamment que « les termes « membre de la famille » désignent : 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ; […] 2) Si la législation d’un Etat membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille ; […] ».

Les auteurs de la loi précitée du 23 juillet 2016 relèvent à ce sujet que « [c]e règlement consacre le membre de la famille comme étant le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge, ceci à défaut de toute autre définition fournie par la législation nationale en question »8.

L’article 270, nouveau, avait, de ce point de vue, pour objectif de consacrer dans la législation nationale une « définition exacte du membre de la famille »9, qui exclut « le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge ».

L’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) de la Cour de justice du 2 avril 2020 La Cour de justice de l’Union européenne, qui avait été saisie sur demande préjudicielle du Conseil supérieur de la sécurité sociale, a constaté dans son arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) du 2 avril 202010, la contrariété de 6 Rapport de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, du 6 juin 2016, sur le Projet de loi n° 6832, ayant donné lieu à la loi précitée du 23 juillet 2016 (Document parlementaire n° 6832-10), page 14, sous « Article 270 », premier alinéa.

7 Journal officiel de l’Union européenne, L 166 du 30.4.2004, page 1.

8 Rapport précité de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, page 14, deuxième alinéa.

9 Idem, même page, sous « Article 270 », premier alinéa.

10 Cour de justice de l’Union européenne, 2 avril 2020, C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), ECLI:EU:C:2020:269.

cette législation au droit de l’Union européenne, en disant pour droit que « [l]’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 […], lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres […] s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation »11.

Il est à préciser que la Cour de justice subordonne le constat de contrariété au droit de l’Union européenne à la condition que « les travailleurs frontaliers […] pourvoient à l’entretien » « [des enfants] de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation ».

La Cour déduit cette condition de sa jurisprudence relative à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), garantissant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne et disposant que celle-ci « implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité »12, et à l’article 7 du Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le Règlement n° 492/2011 »)13.

Ce dernier article dispose que le travailleur ressortissant d’un Etat membre « ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux [et] bénéficie [dans les autres Etats membres] des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».

En application de ces dispositions « il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux, visés à cette dernière disposition non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant »14. « Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »15.

Aux fins de saisir la portée de ce critère du « pourvoi à l’entretien de l’enfant », il y a lieu de se référer à la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres16 qui, reprenant une définition qui avait été inscrite dans l’article 10 du Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la 11 Dispositif de l’arrêt, point 2).

12 Article 45, paragraphe 2, TFUE.

13 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1.

14 Arrêt précité, point 50 (c’est nous qui soulignons). La Cour se réfère à son arrêt C-401/15 à C-403/15, du 15 décembre 2016, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, rendu sur question préjudicielle de la Cour administrative dans le contexte de la législation luxembourgeoise alors en vigueur relative à l’aide financière pour la poursuite d’études supérieures, qui ne pouvait être sollicitée par un travailleur frontalier du chef de l’enfant de son conjoint.

15 Idem et loc.cit.

16 Journal official de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77.

libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté17, dispose dans son article 2, point 2), que « [a]ux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) « membre de la famille » : […] c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge […] »18 et au considérant 1 de la directive 2014/54/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs19, suivant lequel :

« La libre circulation des travailleurs est une liberté fondamentale des citoyens de l’Union et constitue l’un des piliers du marché intérieur de l’Union consacré par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle trouve sa concrétisation dans le droit de l’Union visant à garantir le plein exercice des droits conférés aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille. L’expression « membres de leur famille » devrait être comprise comme ayant la même signification que l’expression définie à l’article 2, point 2), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, qui s’applique également aux membres de la famille des travailleurs frontaliers. »20.

Cette directive dispose dans article 1er que « [l]a présente directive énonce des dispositions destinées à faciliter et à uniformiser la manière d’appliquer et de faire respecter les droits conférés par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par les article 1er et 10 du règlement (UE) n° 492/2011. La présente directive s’applique aux citoyens de l’Union qui exercent ces droits et aux membres de leur famille […] »21. Elle dispose dans son article 2 que « 1. La présente directive s’applique aux aspects suivants de la libre circulation des travailleurs, tels qu’ils sont visés par l’article 1er à l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 : […] c) le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux ; […] 2) Le champ d’application de la présente directive est identique à celui du règlement (UE) n° 492/2011 »22.

La Cour de justice a, dans son arrêt 316/85, Lebon, du 18 juin 198723, interprété les termes de « membre de la famille » et, à cette fin, de descendants qui sont « à charge », comme « ne suppos[ant] pas […] un droit à des aliments »24 et comme impliquant « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait [parce que] [i]l s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée »25. « Cette interprétation est exigée par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, partie des fondements de la Communauté, doivent être interprétées largement »26.

17 Journal official de l’Union européenne L 257 du 19.10.1968, page 2. Ce règlement disposait dans son article 10 : « Article 10. 1. Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge ; […] » (c’est nous qui soulignons).

18 C’est nous qui soulignons.

19 Journal official de l’Union européenne L 128 du 30.4.2014, page 8.

20 C’est nous qui soulignons.

21 C’est nous qui soulignons.

22 Les références aux disposition précitées ont été faites par la Cour de justice dans son arrêt précité C-401/15 à C-

403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, points 4 à 11.

23 ECLI:EU:C:1987:302.

24 Point 21 de l’arrêt précité 316/85, Lebon.

25 Point 22 de cet arrêt.

26 Point 23 de cet arrêt.

Elle a, dans son arrêt C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour administrative dans le contexte de l’aide financière luxembourgeoise pour la poursuite d’études supérieures, précisé que cette « interprétation s’applique également lorsqu’est en cause la contribution d’un travailleur frontalier à l’entretien des enfants de son conjoint ou de son partenaire reconnu »27.

Elle ajouta que :

« Il y a lieu de considérer, en l’occurrence, que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant de conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »28.

Dans ses conclusions sous l’arrêt Depesme e.a., l’avocat général Monsieur Melchior WATHELET considéra que cette jurisprudence « préfère l’expression large de « pourvoir à l’entretien de l’enfant » plutôt que celle d’« enfant à charge » »29.

Dans le cadre de cette appréciation de la situation de fait, à effectuer par les autorités nationales, un critère pertinent énoncé par la Cour consiste à s’interroger si « le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier »30, le défaut de paiement pouvant inciter à admettre, sous réserve de vérification des autorités nationales, que « le conjoint de la mère […] pourvoit à l’entretien de cet enfant »31.

Votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022 Votre Cour a rendu dans une espèce similaire à la présente l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-

2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022.

Vous y avez rejeté un moyen tiré de ce que la preuve imposée au travailleur frontalier du fait qu’il a pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint est discriminatoire par rapport aux travailleurs résidant à Luxembourg, qui n’ont pas à établir ce fait, aux motifs que :

« Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne prohibant toute 27 Point 59 de l’arrêt précité C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016.

28 Point 60 de cet arrêt.

29 ECLI:EU:C:2016 :430. Voir le point 68 de ces conclusions, cité par le demandeur en cassation dans son mémoire.

30 Point 52 de l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020.

31 Idem et loc.cit.

discrimination directe ou indirecte entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne.

La Cour de Justice de l’Union européenne a retenu que les textes de droit européen « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants , à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation. ».

Elle a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge « résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte ». (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ; CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).

Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé. »32.

Vous avez par ailleurs décidé, en réponse à un moyen critiquant les critères par lesquels les juges du fond avaient apprécié si le travailleur frontalier avait pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint, que cette appréciation échappe à votre contrôle et relève du pouvoir souverain des juges du fond :

« Sous le couvert de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier les ayant amenés à retenir que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant de son conjoint, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli. »33.

Sur le litige Le demandeur en cassation est travailleur frontalier, résidant en Allemagne et travaillant et étant affilié à la sécurité sociale à Luxembourg34. Il cohabite en Allemagne avec son épouse et l’enfant de celle-ci, né d’un précédent mariage35. Il demanda et se vit conférer à ce titre des 32 Arrêt cité, réponse au deuxième moyen.

33 Arrêt cité, réponse au quatrième moyen.

34 Arrêt attaqué, page 4, antépénultième alinéa.

35 Idem et loc.cit.

allocations familiales à Luxembourg sous l’empire du droit antérieur à la loi précitée du 23 juillet 201636. Suite à l’entrée en vigueur, à partir du 1er août 2016, de cette loi, refusant l’octroi d’allocations familiales aux travailleurs frontaliers du chef des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, la CAE retira, par décision du 3 février 2017, le bénéfice des allocations familiales au demandeur en cassation avec effet rétroactif au 1er avril 201637.

Sur recours du demandeur en cassation, le Conseil arbitral de la sécurité sociale réforma la décision entreprise de la CAE, en se référant à l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020, de la Cour de justice, aux motifs, notamment, que la décision attaquée repose sur une base légale qui n’est pas conforme au droit de l’Union européenne38.

Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma ce jugement.

Il considéra, en se référant à l’arrêt précité de la Cour de justice, qu’il appartient au travailleur frontalier de prouver qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint et que cette preuve n’est pas rapportée par le seul constat d’un domicile commun, qui, pour être « un des critères pour apprécier si [le demandeur en cassation] pourvoit à l’entretien de l’enfant de son épouse […] n’est pas le seul à entrer en ligne de compte, dès lors qu’il n’a été cité [par la Cour de justice dans son arrêt Depesme] qu’à titre d’exemple pour illustrer la notion plus globale d « éléments objectifs » »39.

Procédant à cette analyse de la situation de fait de l’espèce, il retint :

- que l’enfant vit au domicile du travailleur frontalier et de l’épouse de ce dernier40 ;

- que « [c]e sont […] les parents biologiques qui prennent en charge l’entièreté des frais d’entretien de l’enfant »41 et - que le demandeur en cassation « reste en défaut de fournir un quelconque élément probant établissant la prise en charge matérielle des frais d’entretien de son beau-fils [de sorte que] la preuve que le beau-père pourvoit à l’entretien de [l’enfant de son conjoint] n’est pas rapportée à suffisance de droit »42.

Il en déduisit que c’est à juste titre que la CAE avait retiré au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales.

36 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

37 Idem, page 2, sixième alinéa.

38 Idem, même page, dernier alinéa.

39 Idem, page 8, premier alinéa.

40 Idem, même page, quatrième alinéa.

41 Idem, même page, cinquième alinéa.

42 Idem, même page, antépénultième alinéa.

Sur les premier et troisième moyens de cassation réunis Le premier moyen est tiré de la violation les articles 1er, sous i)43, et 6744 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le règlement 883/2004 »)45, lus en combinaison avec l’article 746, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le règlement 492/2011 »)47 et avec l’article 2, point 248, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (ci-après « la directive 2004/38 »)49, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union 43 « Article premier. Définitions. Aux fins du présent règlement : […] i) les termes "membre de la famille" désignent: 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies; ii) pour ce qui est des prestations en nature selon le titre III, chapitre 1, sur la maladie, la maternité et les prestations de paternité assimilées, toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation de l'État membre dans lequel réside l'intéressé. 2) Si la législation d'un État membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille. 3) Au cas où, conformément à la législation applicable en vertu des points 1) et 2), une personne n'est considérée comme membre de la famille ou du ménage que lorsqu'elle vit dans le même ménage que la personne assurée ou le titulaire de pension, cette condition est réputée remplie lorsque cette personne est principalement à la charge de la personne assurée ou du titulaire de pension ; […] ».

44 « Article 67. Membres de la famille résidant dans un autre État membre. Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. Toutefois, le titulaire d'une pension a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent pour sa pension. ».

45 Journal officiel de l’Union européenne L 166 du 30.4.2004, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004R0883 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

46 « SECTION 2. De l’exercice de l’emploi et de l’égalité de traitement. Article 7. 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage. 2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. 3. Il bénéficie également, au même titre et dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux, de l’enseignement des écoles professionnelles et des centres de réadaptation ou de rééducation. 4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d’autre réglementation collective portant sur l’accès à l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l’égard de travailleurs ressortissants des autres États membres. ».

47 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32011R0492 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

48 « Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille": a) le conjoint; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

49 Journal officiel de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004L0038 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et le demandeur en cassation n’ayant fourni un quelconque élément probant établissant une prise en charge matérielle des frais d’entretien de l’enfant, alors que, au regard du moyen complété par sa discussion, suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne « les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs […] doivent être interprétées largement » (arrêt Depesme e.a., point 58), de sorte que le fait de cohabiter avec l’enfant et de contribuer aux frais du ménage suffisent pour retenir que le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint et que le Conseil supérieur a procédé, contrairement aux exigences de la jurisprudence de la Cour, à une interprétation stricte de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant.

Le troisième moyen est tiré de la violation des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tels qu’il y a lieu de les interpréter à la lumière de l’arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), de la Cour de justice de l’Union européenne, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et le demandeur en cassation n’ayant fourni un quelconque élément probant établissant une prise en charge matérielle des frais d’entretien de l’enfant,, alors que le fait que le travailleur frontalier partage un domicile commun avec le bel-

enfant suffit à établir qu’il pourvoit à l’entretien de cet enfant.

Les premier et troisième moyens critiquent le bien-fondé de l’appréciation faite par les juges du fond du point de savoir si le demandeur en cassation pourvoit, en l’espèce, à l’entretien de l’enfant de son conjoint. Vous avez décidé dans la réponse au quatrième moyen de votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022 que cette appréciation est souveraine et échappe à votre contrôle.

A appliquer cette solution, le moyen ne saurait être accueilli.

Votre mission consiste à censurer la non-conformité des décisions vous soumises aux règles de droit50. A cette fin vous contrôlez, en principe, la qualification des faits, par hypothèse 50 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, 6e édition, 2023,, n° 01.16, page 4, citant l’article 604 du Code de procédure civile français.

souverainement constatés par les juges du fond, au regard de la loi51. Toutefois dans différentes matières vous faites exception à ce principe en refusant le contrôle de notions légales ou d’éléments constitutifs de ces notions52. Ce refus, qui n’est pas formellement motivé, est expliqué par la doctrine par des considérations tirées de ce que les notions non contrôlées relèvent de celles pour lesquelles le législateur a entendu s’en remettre à une appréciation concrète des juges du fond, insusceptible de toute généralisation53 ou concernent des notions qui reposent sur l’appréciation d’un état psychologique ou mental54 ou des notions reposant sur une appréciation technique55 ou celles nécessitant une appréciation quantitative non réglementée56.

Il est admis en France que le contrôle devrait porter sur les notions imposées par des lois d’ordre public57. Or, le droit de l’Union européenne relève de l’ordre public. Par ailleurs « [l]es restrictions au contrôle de l’interprétation qui sont motivées par la souveraineté des juges du fond […] ont pour conséquence l’absence de toute interprétation uniforme de la norme juridique sur le territoire […] »58.

Il s’ajoute que si la Cour de justice a dans ses arrêts Depesmes e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) retenu que la qualification de membre de la famille à charge résulte d’une « situation de fait qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier »59, elle a énoncé des directives d’interprétation, à savoir que cette qualification peut être déduite « d’éléments objectifs »60, tel que le « domicile commun » du travailleur avec l’enfant61, qu’il n’est pas « nécessaire […] de déterminer les raisons de [la] contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »62, que la qualification s’effectue « sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé »63. La Cour de justice n’a donc pas abandonné pur et simplement l’appréciation du fait, qualifiant l’enfant du conjoint comme membre de la famille du travailleur, de la contribution par ce dernier à l’entretien de l’enfant aux administrations et juridictions nationales, mais a donné certaines directives d’interprétation. Il serait difficilement compréhensible que votre Cour se refuse de contrôler le respect de ces directives par les juges du fond. Il en est ainsi d’autant plus que la Cour de justice a, sur base de l’article 267 TFUE le pouvoir d’interpréter le droit de l’Union européenne et que « le mécanisme préjudiciel établi par cette disposition vise à assurer en toutes circonstances au droit de l’Union le même effet dans tous les États membres et ainsi à 51 Idem, n° 65.101, page 318.

52 Idem, n° 65.111, page 318.

53 Idem, n° 65.112, page 319. Les auteurs citent l’exemple de la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude.

54 Idem, n° 65.113, page 319. Les auteurs citent les exemples des notions de bonne foi, affectio societatis, intention libérale, fraude, insanité d’esprit, etc.

55 Idem, n° 65.114, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère apparent ou caché du vice de la chose vendue.

56 Idem, n° 656.115, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère manifestement excessif d’une clause pénale.

57 Idem, n° 65.125, page 322.

58 Idem, n° 62.40, page 270.

59 Arrêt Depesmes e.a., point 60.

60 Idem et loc.cit.

61 Idem et loc.cit.

62 Idem et loc.cit. et arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

63 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

prévenir des divergences dans l’interprétation de celui-ci que les juridictions nationales ont à appliquer »64.

Il existe donc des motifs légaux sérieux qui devraient vous amener à revenir sur votre jurisprudence qui abandonne cette appréciation au pouvoir souverain des juges du fond et à accepter le contrôle des directives d’interprétation de la Cour de justice65.

Si vous avez des doutes sur le point de savoir si un tel contrôle est imposé par le droit de l’Union européenne, il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? ».

Si, par revirement de jurisprudence, vous acceptez un tel contrôle, il y a ensuite lieu de s’interroger si les juges du fond ont, en l’espèce, correctement appliqué les directives d’interprétation de la Cour de justice.

Le Conseil supérieur constata :

- que l’enfant du conjoint du demandeur en cassation vit au même domicile que ce dernier66, - que ce sont les parents biologiques de l’enfant qui prennent en charge l’entièreté de ses frais d’entretien67 et 64 Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi (CILFIT II), C-561/19, ECLI:EU:C:2021:799, point 28.

65 Le soussigné vous avait, dans cette même logique, proposé, dans ses conclusions sous votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022, de rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Caisse pour l’avenir des enfants, qui vous avait invité à ne pas accueillir le quatrième moyen parce que ce dernier reviendrait à remettre en discussion l’appréciation souveraine des juges du fond (voir, à cet égard, les conclusions du soussigné, 20221110_CAS-2021-00117_131p (public.lu) (consulté le 10 octobre 2023), page 44, deuxième alinéa).

66 Arrêt attaqué, page 8, quatrième alinéa.

67 Idem, même page, cinquième alinéa.

- que le demandeur en cassation « reste en défaut de fournir un quelconque élément probant établissant la prise en charge matérielle des frais d’entretien de son beau-fils »68.

La jurisprudence précitée de la Cour de justice assimile à la notion d’enfant légalement à charge, celle de l’enfant à l’entretien duquel une personne non légalement tenue d’entretenir l’enfant, pourvoit cependant en fait. Suivant les constatations souveraines des juges du fond le demandeur en cassation non seulement ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant, mais ne prend même pas en charge une quelconque part de ses frais d’entretien.

Dans ces circonstances le critère exigé par la jurisprudence de la Cour de justice n’est pas respecté par le demandeur en cassation et l’arrêt attaqué, se limitant à appliquer ce critère, est parfaitement conforme à cette jurisprudence, partant, ne saurait donner lieu à critique au regard de son respect du droit de l’Union européenne.

Il s’ajoute, concernant la critique exposée dans le premier moyen, tirée de ce que l’arrêt ne respecterait pas l’exigence d’une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant, que si la Cour de justice a, dans son arrêt Depesme e.a., souligné « le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs […] doivent être interprétées largement »69, cette interprétation large a pour objet d’étendre « la qualité de membre de la famille à charge »70 des enfants qui ont, à l’égard du travailleur migrant, « un droit à des aliments »71 à ceux qui sont à considérer comme enfants à charge en raison « d’une situation de fait » 72, donc en l’absence de lien de droit, lorsque, en fait, « le soutien [de l’enfant] est assuré par le travailleur » 73, qui « pourvoit à l’entretien de cet enfant »74. L’interprétation large pratiquée par la Cour consiste donc à assimiler la situation de l’enfant légalement à charge du travailleur à celle de l’enfant dont l’entretien est, en fait, assuré, sans obligation légale, par le travailleur. En revanche, le principe de l’interprétation large n’a pas été formellement appliqué en outre à l’appréciation du critère du pourvoi à l’entretien de l’enfant par le travailleur. La Cour de justice renvoie l’appréciation de cette « situation de fait […] à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales »75 et précise qu’elle est à effectuer « sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé »76. Elle donne tout au plus comme directive d’interprétation qu’il n’est pas « nécessaire […] de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »77 et qu’il peut être tenu compte « d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun »78. Ces directives, si elles impliquent l’usage, par les juridictions nationales, d’une certaine souplesse dans l’appréciation de la situation de fait à qualifier, ne sont cependant pas de nature à dispenser celles-ci d’apprécier, de façon concrète et en tenant compte des circonstances de l’espèce, si le travailleur, qui soutient avoir l’enfant de son conjoint à charge, pourvoit à l’entretien de ce dernier. Dans la mesure où le moyen tend à soutenir que les juridictions nationales sont, en application d’un principe allégué d’interprétation large, dispensées de procéder à cette 68 Idem, même page, sixième alinéa.

69 Point 58 de l’arrêt Depesme e.a..

70 Idem.

71 Idem.

72 Idem.

73 Idem.

74 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), point 50.

75 Idem.

76 Idem.

77 Idem.

78 Arrêt Depesme e.a., point 60.

appréciation, voire violeraient le droit de l’Union européenne en y procédant, il repose sur une prémisse inexacte.

Si vous avez cependant des doutes sur cette solution, vous devriez, comme le demandeur en cassation entend déduire le statut de l’enfant de son conjoint comme enfant à sa charge du domicile commun qu’il partage avec l’enfant, saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle libellée comme suit :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il ne participe certes pas à des dépenses d’entretien de l’enfant, cet entretien étant assuré par les parents biologiques, mais que l’enfant cohabite avec lui et son conjoint dans un même domicile ? ».

Aux fins d’éviter un retard trop important de la procédure, il se recommanderait, si vous jugez que ces questions sont pertinentes et nécessaires, de les poser de façon simultanée.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen est tiré, pour contradiction de motifs, de la violation des articles 89, ancien, de la Constitution (devenu article 109, nouveau, de celle-ci) et 587 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et le demandeur en cassation n’ayant fourni un quelconque élément probant établissant une prise en charge matérielle des frais d’entretien de l’enfant, alors que, première branche, les motifs tirés de ce que, d’une part, le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial et participait aux frais d’entretien de l’enfant et de ce que, d’autre part, il ne pourvoyait pas à l’entretien de ce dernier sont contradictoires et que, seconde branche, le fait d’affirmer procéder à une interprétation large de la notion d’enfant à charge tout en donnant à cette notion une interprétation restrictive est contradictoire.

Le deuxième moyen est tiré d’une double contradiction de motifs, exposée dans deux branches.

Sur la première branche du moyen Le Conseil supérieur se serait contredit en retenant que « sur base des pièces versées en cause […] le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial à l’enfant de sa conjointe, et participait aux frais d’entretien de [l’enfant] »79, tout en concluant qu’il ne pourvoyait pas à l’entretien de l’enfant.

Le Conseil supérieur constata que « [e]n l’espèce, il n’est pas contesté que [l’enfant] vit au même domicile que l’intimé et son épouse, qui est sa mère biologique »80 et que le demandeur en cassation « reste en défaut de fournir un quelconque élément probant établissant la prise en charge matérielle des frais d’entretien de son beau-fils »81.

Il ne constatait donc, contrairement à ce qui est allégué dans la branche du moyen, ni que « sur base des pièces versées en cause […] le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial à l’enfant de sa conjointe » 82, se limitant à constater que les conjoints et l’enfant cohabitent sans se prononcer sur le point de savoir si le demandeur en cassation « fournissait » ce domicile, ni que le demandeur en cassation « participait aux frais d’entretien de [l’enfant] »83, constatant, tout au contraire, qu’aucune participation à ces frais n’était établie.

La branche du moyen, qui déduit l’existence d’une contradiction de motifs que le Conseil supérieur n’a pas exprimés, manque en fait.

Dans un ordre subsidiaire il est ajouté que le grief du défaut de motifs, dont celui de la contradiction de motifs constitue une variante, est un vice de forme qui n’est pas pertinent pour discuter du bien-fondé des motifs.

Il s’ensuit, à titre subsidiaire, que la branche du moyen, qui critique que le Conseil supérieur aurait, sur base des faits, dû parvenir à une autre conclusion du point de savoir si le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, donc critique le bien-fondé des motifs, n’est pas fondée.

Sur la seconde branche du moyen Dans la seconde branche, le demandeur en cassation soulève une seconde contradiction de motifs. Le Conseil supérieur aurait fait « siennes les dispositions de l’arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 (C-802/18) […] affirmant donc procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier »84, mais il aurait « en 79 Mémoire en cassation, page 10, sous « Première branche », premier alinéa.

80 Arrêt attaqué, page 8, quatrième alinéa.

81 Idem, même page, sixième alinéa.

82 Mémoire en cassation, page 10, sous « Première branche », premier alinéa.

83 Idem et loc.cit.

84 Mémoire en cassation, page 11, sous « Deuxième branche », premier alinéa.

fait procédé à une interprétation restrictive de cette notion [alors] que les magistrats d’appel, conformément à l’interprétation de la CJUE dans ses arrêts des 15 décembre 2016 et 2 avril 2020, auraient dû procéder à une interprétation large et non restrictive de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier »85.

Le Conseil supérieur n’a pas, dans les motifs de son arrêt, affirmé « procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier ». Un tel motif ne saurait par ailleurs être déduit de la référence faite par le Conseil à l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier). Dans cet arrêt la Cour de justice interprète largement la notion d’enfant à charge en y assimilant l’enfant à l’entretien duquel pourvoit en fait, sans obligation légale, le conjoint ou partenaire du parent de l’enfant. Il ne résulte toutefois pas de l’arrêt que la notion du pourvoi à l’entretien de l’enfant doit à son tour être interprétée largement.

Le demandeur en cassation fait donc soutenir l’existence d’une contradiction entre des motifs qui ne figurent pas dans l’arrêt attaqué.

Sous le couvert du grief de la contradiction de motifs, il fait par ailleurs exprimer une critique sur le bien-fondé des motifs par lesquels le Conseil supérieur a dénié au demandeur en cassation la qualification de personne pourvoyant à l’entretien de l’enfant de son conjoint. Or, ce grief, qui est un grief de forme, n’est pas pertinent pour critiquer le bien-fondé des motifs.

Il s’ensuit que la branche du moyen, qui critique une contradiction entre des motifs qui n’ont pas été exprimés par l’arrêt, manque en fait et, en ce qu’elle critique, sous le couvert du grief d’une contradiction de motifs, le bien-fondé de ces derniers, est étranger au cas d’ouverture, donc irrecevable.

Conclusion Le deuxième moyen est à rejeter.

Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen est tiré, pour excès de pouvoir, de la violation de l’article 11, paragraphe 5, ancien, de la Constitution (devenu article 34, nouveau, de celle-ci), en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le 85 Idem, loc.cit., premier et second alinéa.

demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et le demandeur en cassation n’ayant fourni un quelconque élément probant établissant une prise en charge matérielle des frais d’entretien de l’enfant, alors que, ainsi qu’il est exposé dans la discussion du moyen, le Conseil supérieur exige, contrairement à la jurisprudence précitée de la Cour de justice, par immixtion dans l’exercice du pouvoir législatif, que le beau-parent n’est à considérer pourvoir à l’entretien de l’enfant que s’il prouve, d’une part, que les parents biologiques ne participent nullement à cet entretien et, d’autre part, qu’il assure cet entretien de façon intégrale.

Le moyen est tiré d’un excès de pouvoir. Le demandeur en cassation omet de préciser dans l’énoncé de son moyen ce en quoi consiste le grief allégué. Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi de 1885, chaque moyen doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, ce en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué. Cette exigence n’ayant pas été respectée, le moyen est irrecevable.

Dans un ordre subsidiaire il est relevé que le demandeur en cassation critique que le Conseil supérieur aurait subordonné la preuve que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint à la condition que les parents biologiques ne participent d’aucune façon à cet entretien et que ce dernier est intégralement assumé par le travailleur migrant.

Dans l’arrêt attaqué le Conseil supérieur, appréciant les faits de l’espèce, conclut que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant parce que, d’une part, il reste en défaut de fournir un quelconque élément probant établissant la prise en charge matérielle des frais d’entretien de l’enfant et que, d’autre part, l’entretien est assuré par ailleurs par les parents biologiques. Il n’a donc pas subordonné la qualification en question aux deux conditions alléguées par le moyen.

Ce dernier manque dès lors, à titre subsidiaire, en fait.

Dans un ordre plus subsidiaire il est précisé que le moyen est tiré d’un excès de pouvoir. Ce dernier est la transgression par le juge, compétent pour connaître du litige, d’une règle d’ordre public par laquelle la loi a circonscrit son autorité86.

Le reproche tiré de ce que les juges du fond auraient mal interprété la notion d’enfant à charge d’un travailleur migrant, elle-même interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice comme supposant que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant, constituerait tout au plus, à le supposer établi, une simple violation de la loi et ne rentrerait pas dans la définition de l’excès de pouvoir.

Il s’ensuit, à titre plus subsidiaire, que le moyen, exposant un grief étranger au cas d’ouverture, est irrecevable.

86 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 6 juillet 2023, n° 91/2023 pénal, numéro CAS-2022-00125 du registre.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable.

Les deuxième et quatrième moyens sont à rejeter.

Dans le cadre de l’examen des premier et troisième moyens réunis il y a lieu de retenir, contrairement à ce qui a été décidé en réponse au quatrième moyen de l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022, que le contrôle de la correcte qualification de la notion de « pourvoi à l’entretien de l’enfant du conjoint du travailleur migrant » sur base des faits souverainement constatés par les juges du fond appartient à votre Cour, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? » A l’issue de ce contrôle il y a lieu de conclure que le Conseil supérieur a correctement appliqué le droit de l’Union européenne, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il ne participe certes pas à des dépenses d’entretien de l’enfant, cet entretien étant assuré par les parents biologiques, mais que l’enfant cohabite avec lui et son conjoint dans un même domicile ? ».

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 30


Synthèse
Numéro d'arrêt : 73/24
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-04-25;73.24 ?

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