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28/03/2024 | LUXEMBOURG | N°58/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 28 mars 2024, 58/24


N° 58 / 2024 pénal du 28.03.2024 Not. 15381/15/CD Numéro CAS-2023-00118 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-huit mars deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), alias PERSONNE2.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Roumanie), demeurant à RO-ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 6 juin 2023 sous le numéro 33/

23 - Ch. Crim. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre crim...

N° 58 / 2024 pénal du 28.03.2024 Not. 15381/15/CD Numéro CAS-2023-00118 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-huit mars deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), alias PERSONNE2.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Roumanie), demeurant à RO-ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 6 juin 2023 sous le numéro 33/23 - Ch. Crim. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), alias PERSONNE2.), suivant déclaration du 4 juillet 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 20 juillet 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière criminelle, avait, par jugement rendu sur opposition, condamné le demandeur en cassation, du chef de séquestration et de viol, à une peine de réclusion, partiellement assortie du sursis probatoire.

La Cour d’appel a réduit la peine de réclusion, a retiré au demandeur en cassation le bénéfice du sursis probatoire et a confirmé le jugement pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de :

- L’article 89 de la Constitution qui dispose que (…) » En effet, il est reproché aux juges de la Cour d’appel de ne pas avoir suffisamment motivé leur décision présentement attaquée, ce qui constitue un défaut de motivation. ».

Réponse de la Cour Il résulte des développements consacrés au moyen que le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de n’avoir pas suffisamment motivé leur décision de prendre en considération le relevé du casier judiciaire européen dit ECRIS (European Criminal Records Information System).

En tant que tiré d’une insuffisance de motifs, le moyen vise le défaut de base légale qui se définit comme l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit, vice de fond, non visé par la disposition invoquée.

La disposition indiquée au moyen, qui vise le défaut de motifs, constitutif d’un vice de forme, est partant étrangère au grief invoqué.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le deuxième, « Tiré de la violation de :

- L’article 6§3 d) de la CEDH qui prévoit que 2 convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

Il en est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir fait droit à la demande expresse de faire entendre la dame PERSONNE3.) comme témoin alors que cette audition est d’une importance capitale dans le cadre de cette affaire et constitue un droit au terme de l’article susmentionné. », le troisième, « Tiré de la violation de :

- L’article 6§1 de la CEDH qui prévoit que (…) » Il en est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir fait droit à la demande expresse de faire entendre la dame PERSONNE3.) comme témoin alors que cette audition est d’une importance capitale dans le cadre de cette affaire et l’exigence du procès équitable édicté dans l’article susmentionné. », le quatrième, « Tiré de la violation de :

- L’article 6§3 d) de la CEDH qui prévoit que convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

Il en est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir fait droit à la demande expresse de faire entendre l’expert SCHILTZ comme témoin alors que cette audition est d’une importance capitale dans le cadre de cette affaire et constitue un droit au terme de l’article susmentionné. » et le cinquième, « Tiré de la violation de :

- L’article 6§1 de la CEDH qui prévoit que (…) » 3 Il en est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir fait droit à la demande expresse de faire entendre l’expert SCHILTZ comme témoin alors que cette audition est d’une importance capitale dans le cadre de cette affaire et l’exigence du procès équitable édicté dans l’article susmentionné. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions de l’article 6, paragraphe 3, point d), et de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en refusant de faire droit à sa demande de réentendre la victime et l’expert judiciaire en tant que témoins.

En retenant qu’il n’y avait pas lieu de réentendre ces personnes, dont l’audition n’avait pas été demandée par le demandeur en cassation lors de l’instruction de l’affaire après opposition, et dont les déclarations, relatées dans le jugement appelé, ont pu être librement débattues à l’audience et ont été appréciées quant à leur portée par les juges du fond, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées aux moyens.

Il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés.

Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de :

- L’article 6§1 de la CEDH qui prévoit que (…) » Il en est reproché à la Cour d’appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir répondu à l’exigence du procès équitable édicté dans les articles susmentionnés en refusant la jonction des affaires des prévenus PERSONNE1.) et PERSONNE4.). ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir refusé la jonction de l’appel par lui interjeté avec celui relevé par son co-prévenu.

En retenant « Pour ce qui concerne la demande de joindre les poursuites dirigées contre les deux prévenus, il convient de rappeler qu’en matière pénale, il y a indivisibilité lorsque les poursuites sont dirigées contre les auteurs et complices d’un même fait 4 ou lorsque les infractions sont reliées d’une manière tellement intime qu’on ne pourrait les dissocier. Dans ce cas, la jonction des causes est obligatoire, du moins quand elle est possible. Toutefois, le refus de joindre des causes indivisibles ne pourrait normalement pas donner lieu à cassation, car la jonction relève de l’appréciation souveraine du juge (Michel Franchimont, Ann Jacobs, Adrien Masset, Manuel de procédure pénal, p. 765).

En l’occurrence, étant donné, tel qu’il vient d’être expliqué par le représentant du ministère public, que le co-prévenu est actuellement incarcéré à l’étranger de sorte qu’une procédure d’extradition est nécessaire, que ce dernier a été entendu exhaustivement dans ses explications sur les faits en litige, la Cour d’appel qui apprécie souverainement la question de la jonction des deux poursuites introduites ainsi que la question de l’audition en instance d’appel de la victime PERSONNE3.) et de l’expert, ne voit pas la pertinence de joindre les deux affaires ni la pertinence de réentendre PERSONNE3.) et l’expert Robert Schiltz, étant donné qu’il est difficilement concevable que le co-prévenu et lesdites personnes fassent des déclarations différentes et contraires par rapport à celles qui figurent déjà au dossier répressif et cela d’autant plus que ces faits se sont passés en 2015.

Il faut déduire de ce qui précède que le droit à un procès équitable n’a pas été violé, étant donné que le co-prévenu et les personnes dont la défense fait état ont été entendus par le tribunal. », les juges d’appel n’ont pas violé le droit du demandeur en cassation à un procès équitable, qui n’impose pas la poursuite simultanée, devant le même juge, de tous les auteurs d’une même infraction ou d’infractions connexes.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le septième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de :

- L’article 6§1 de la CEDH qui prévoit que raisonnable, (…) » Il en est reproché à la Cour d’Appel, par la partie demanderesse en cassation, de ne pas avoir tiré les bonnes conséquences de la violation du délai raisonnable retenue par la Cour d’appel, alors que la Cour d’appel n’a pas conclu à l’irrecevabilité des poursuites pour dépérissement des preuves, ceci même alors qu’PERSONNE3.) n’a pas pu être réentendue en présence du sieur PERSONNE1.). ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir retenu l’irrecevabilité des poursuites en raison du dépérissement des preuves à la suite du dépassement du délai raisonnable constaté par eux, dépérissement caractérisé par le défaut de réaudition de la victime.

Le refus de réentendre la victime a été motivé non pas par le dépassement du délai raisonnable, mais par le défaut de pertinence.

En retenant « Les conséquences du dépassement doivent être examinées à deux niveaux, d’une part, sous l’angle de l’administration de la preuve des faits et du respect des droits de la défense et, d’autre part, sous l’angle de la peine à prononcer le cas échéant.

Ainsi la durée anormale de la procédure peut-elle avoir pour résultat la déperdition des preuves et la juridiction peut constater, dans cette hypothèse, qu’elle est dans l’impossibilité de dire si les faits sont établis en raison de la disparition d’éléments de preuve.

En l’espèce, il convient de constater au vu des développements faits ci-dessus que le fait de ne pas réentendre la victime, ainsi que l’expert n’a pas d’incidence sur l’administration de la preuve des faits et le respect des droits de la défense.

Le dossier ne reflétant pas un dépérissement des preuves, il en suit que le moyen ayant trait à l’irrecevabilité des poursuites est à rejeter. », les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 12 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-huit mars deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.), alias PERSONNE2.) en présence du Ministère Public N° CAS-2023-00118 du registre Par déclaration faite le 4 juillet 2023 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.), alias PERSONNE2.), un recours en cassation contre un arrêt n° 33/23 Ch. Crim. rendu le 6 juin 2023 par la Cour d’appel, chambre criminelle.

Cette déclaration de recours a été suivie le 20 juillet 2023 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Lynn FRANK.

Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Il en suit que le pourvoi est recevable.

Faits et rétroactes Par jugement n°59/2019 du 24 octobre 2019 rendu contradictoirement à l’égard de PERSONNE4.) et par défaut à l’égard de PERSONNE1.), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre criminelle, a condamné PERSONNE4.) à une peine de réclusion de 15 ans dont 7 ans avec sursis et PERSONNE1.) à une peine de réclusion de 15 ans du chef de séquestration et de viol d’PERSONNE3.) avec la circonstance que le viol a été commis par plusieurs.

Par jugement du 11 février 2021, statuant sur l’opposition relevée par PERSONNE1.), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre criminelle, a condamné celui-ci à une peine de réclusion de 15 ans dont 10 ans ont été assortis du sursis probatoire.

Sur l’appel du prévenu et du Ministère Public, la chambre criminelle de la Cour d’appel a ramené la peine de réclusion à une durée de 10 ans et a enlevé à PERSONNE1.) le bénéfice du sursis probatoire.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt rendu en date du 6 juin 2023.

Quant au premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 89 (actuellement l’article 109) de la Constitution1. Il est reproché aux magistrats d’appel de ne pas avoir suffisamment motivé leur décision, ce qui constituerait un défaut de motivation.

Dans le cadre du développement du moyen, le demandeur en cassation reproche aux magistrats d’appel de s’être contentés de confirmer le jugement de première instance du 24 octobre 2019 en omettant de s’entourer de tous les éléments du dossier et de statuer sur l’intégralité des moyens soulevés.

Il est en particulier critiqué que les magistrats d’appel auraient refusé de toiser la question de la recevabilité du relevé de condamnations européennes dit ECRIS (European Criminal Records Information System2) et cela nonobstant le fait que ce relevé, qui renseignait deux condamnations en Italie, était en contradiction avec l’extrait du casier judiciaire italien qui portait la mention « néant ».

Le demandeur en cassation aurait également demandé le rejet du relevé du casier judiciaire européen au motif qu’il renseignait deux condamnations en Roumaine intervenues à un moment où le demandeur en cassation était mineur. Or, cette demande de rejet n’aurait pas été adressée par l’arrêt attaqué.

Il est fait grief aux juges d’appel de n’avoir pas suffisamment motivé leur décision et notamment de ne pas avoir toisé la question de la recevabilité de l’extrait ECRIS.

En tant que tiré d’une insuffisance de motifs, le moyen vise le défaut de base légale qui se définit comme l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit, vice 1 Depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2023 de la nouvelle Constitution, l’obligation de motivation est prévue par l’article 109 de la Constitution en les termes suivants (identiques à ceux de l’article 89 de l’ancienne Constitution) : « Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique ».

2 ECRIS a été instauré par la décision-cadre n° 2009/315/JAI du Conseil de l'Union européenne du 26 février 2009 concernant l'organisation et le contenu des échanges d'informations extraites du casier judiciaire entre les États membres et la décision n° 2009/316/JAI du Conseil de l'Union européenne du 6 avril 2009 relative à la création du système européen d’information sur les casiers judiciaires (ECRIS). Ces décisions-cadre ont été modifiée, respectivement remplacée par la Directive (UE) 2019/884 du 17 avril 2019 modifiant la décision-cadre 2009/315/JAI du Conseil en ce qui concerne les échanges d’informations relatives aux ressortissants de pays tiers ainsi que le système européen d’information sur les casiers judiciaires (ECRIS), et remplaçant la décision 2009/316/JAI du Conseil.de fond. L’article 109 de la Constitution, qui vise le défaut de motifs, constitutif d’un vice de forme, est partant étranger au grief invoqué. Le moyen est partant irrecevable3.

A titre subsidiaire et pour autant qu’il soit considéré, sur base des développements du moyen, que celui-ci vise un défaut de motivation, respectivement un défaut de réponse à conclusions qui est la forme la plus répandue du défaut de motifs4, il convient de faire les observations suivantes.

Il ne ressort pas des termes de l’arrêt attaqué que le mandataire du demandeur en cassation ait sollicité le rejet de l’extrait ECRIS, de telle manière que les magistrats d’appel n’avaient pas à spécialement motiver la prise en compte des informations y relevées.

Aux termes de l’arrêt, « il y a lieu de constater que le prévenu ne peut plus bénéficier du sursis simple ni probatoire au vu de ses antécédents judiciaires, dont notamment une condamnation inscrite sur son casier judiciaire français et roumain ».

Aucune référence n’est faite aux condamnations intervenues en Italie, de telle manière que le moyen manque en fait.

Pour le reste, une décision judiciaire est régulière en la forme, dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Il se dégage de l’extrait cité ci-dessus que les magistrats d’appel ont motivé pourquoi le demandeur en cassation ne peut plus bénéficier d’un aménagement de sa peine de réclusion, de sorte que le moyen est à rejeter.

Quant aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens de cassation réunis :

Les deuxième et quatrième moyens de cassation sont tirés de la violation de l’article 6 paragraphe 3 d) de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH ») qui prévoit que « 3. Tout accusé a droit notamment à : (…) d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

Les troisième et cinquième moyens de cassation sont tirés de la violation de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH qui prévoit que 3 Voir dans ce sens : Cass. 27 octobre 2022, n° 126/2022 pénal, n° CAS-2021-00129 du registre ; Cass. 23 mai 2019, n° 83/2019 pénal, n° CAS-2018-00062 du registre.

4 J. et L. BORÉ, La cassation en matière pénale, 4e édition, 2018/2019, p. 224, n° 82.21.

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…)» Ces moyens reprochent à la Cour d’appel de ne pas avoir fait droit à la demande expresse du demandeur en cassation de faire entendre PERSONNE3.) et l’expert judiciaire Robert SCHILTZ comme témoins alors que ces auditions auraient été d’une importance capitale dans le cadre de la présente affaire.

Ces quatre moyens peuvent être analysés ensemble. La Cour européenne des droits de l’homme décide en effet que « les exigences du paragraphe 3d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition »5.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la notion de « témoin » revêt un sens autonome dans le système de la CEDH. Dès lors qu’une déposition est susceptible de fonder, d’une manière substantielle, la condamnation du prévenu, elle constitue un témoignage à charge et les garanties prévues par l’article 6 paragraphes 1 et 3 lui sont applicables6.

Dans ce sens, tant les victimes7 que les experts sont à considérer comme témoins au sens des dispositions visées aux moyens.

En effet, il a été jugé par la Cour européenne des droits de l’homme que « si le libellé de l’article 6 § 3 d) se réfère aux témoins et non pas aux experts, les garanties du paragraphe 3 constituent des éléments inhérents du droit à un procès équitable prévue au paragraphe 1 de l’article 6. La Cour a alors conclu que le droit de l’accusé d’interroger des experts est protégé par le principe général posé par l’article 6 § 1 et il est examiné sous l’angle de celui-ci, « tout en ayant aussi à l’esprit les exigences du paragraphe 3 » (…). L’avis d’un expert nommé par la juridiction compétente pour traiter les questions soulevées par l’affaire est susceptible de peser de manière significative sur la manière dont ladite juridiction appréciera l’affaire. (…) Si un tribunal décide qu’une expertise est nécessaire, la défense de l’accusé devrait avoir la possibilité de poser des questions aux experts, de contester leurs conclusions et de les examiner directement à l’audience »8.

Le demandeur en cassation reproche aux magistrats d’appel de ne pas avoir fait droit à sa demande de faire réentendre PERSONNE3.)9 et Robert SCHILTZ et de l’avoir ainsi privé du droit à un procès équitable.

La Cour d’appel a considéré que :

5 Cour EDH, affaire Schatschaschwili c. Allemagne, 15 décembre 2015, n°100.

6 Voir Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Droit à un procès équitable (volet pénal), p. 96, n° 495.

7 Cour EDH, 24 juillet 2008, affaire Vladimir Romanov c. Russie, Requête n° 41461/02, n° 97.

8 Cour EDH, 6 octobre 2016, affaire Constantinides c. Grèce, Requête n ° 76438/12, n° 37.

9 Le mémoire en cassation n’aborde pas la question de savoir si, en sa qualité de partie civile, PERSONNE3.) aurait encore pu être interrogée en tant que témoin.

« En l’occurrence, étant donné, tel qu’il vient d’être expliqué par le représentant du ministère public, que le co-prévenu est actuellement incarcéré à l’étranger de sorte qu’une procédure d’extradition est nécessaire, que ce dernier a été entendu exhaustivement dans ses explications sur les faits en litige, la Cour d’appel qui apprécie souverainement la question de la jonction des deux poursuites introduites ainsi que la question de l’audition en instance d’appel de la victime PERSONNE3.) et de l’expert, ne voit pas la pertinence de joindre les deux affaires ni la pertinence de réentendre PERSONNE3.) et l’expert Robert Schiltz, étant donné qu’il est difficilement concevable que le co-prévenu et lesdites personnes fassent des déclarations différentes et contraires par rapport à celles qui figurent déjà au dossier répressif et cela d’autant plus que ces faits se sont passés en 2015.

Il faut déduire de ce qui précède que le droit à un procès équitable n’a pas été violé, étant donné que le co-prévenu et les personnes dont la défense fait état ont été entendus par le tribunal ».

La Cour d’appel, suite à une appréciation souveraine, ci-avant reproduite, a décidé qu’il n’était pas pertinent d’accomplir des actes d’instruction complémentaires.

Votre Cour retient que les juges d’appel sont libres d’apprécier la pertinence et l’opportunité de procéder à une mesure d’instruction supplémentaire, notamment à l’audition de témoins et que cette appréciation, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond, échappe à Votre contrôle10. En ce que le demandeur en cassation ne tend in fine qu’à remettre en cause la libre appréciation par les juges du fond de la pertinence d’une mesure d’instruction, ainsi que de la valeur des éléments de preuve déjà collectés, appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond, le moyen ne saurait être accueilli.

A titre subsidiaire, il y a lieu de remarquer que Votre Cour s’est déjà prononcée sur les dispositions visées aux moyens comme suit :

« L’article 6 de la Convention ne réglemente pas l’administration des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit national des Etats membres. La Convention vise à garantir que la procédure, y compris la manière dont les preuves ont été recueillies, a été équitable dans son ensemble.

L’article 6 de la Convention ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe au juge national de décider, au vu de la motivation de la demande d’audition de témoins, si celle-ci est nécessaire ou opportune pour la manifestation de la vérité et le respect des droits de la défense.

10 voir en ce sens, par exemple : Cass., 28 avril 2016, n° 17/2016 pénal, numéro 3589 du registre ; Cass., 24 janvier 2019, n° 13/2019 pénal, numéro 4074 du registre ; Cass., 24 janvier 2019, n°12/2019 pénal, n°4076 du registre ; Cass.,14 janvier 2021, n° 05/2021 pénal, n° CAS-2020-00009 du registre. Dans le cadre de cette dernière affaire, le demandeur en cassation n’avait pas pu confronter le témoin, ni dans le cadre de la première instance, ni en appel. Aucune disposition légale n’interdit aux juridictions répressives de joindre l’incident de procédure soulevé au fond.

Il résulte de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont, dans un premier temps, décidé de joindre l’incident de procédure soulevé par le demandeur en cassation au fond du litige pour, dans un deuxième temps, rejeter par des motifs circonstanciés et pertinents la demande en annulation de la citation à prévenu, en constatant notamment que le prévenu avait, en première instance, été confronté aux témoins de l’accusation11. Il n’y a partant pas eu atteinte à l’équité globale du procès.

Il s’ensuit que le moyen en ce qu’il porte sur l’existence d’une obligation légale d’entendre les témoins en instance d’appel n’est pas fondé »12.

De même :

« Le droit de faire interroger des témoins n’est pas un droit absolu. Il appartient au juge d’apprécier la nécessité d’entendre ou de réentendre un témoin, au regard des circonstances de l’affaire et des raisons avancées par la défense. Les juges d’appel n’étaient partant pas obligés de réentendre les témoins entendus en première instance13, de sorte que la Cour d’appel n’a pas violé les dispositions visées au moyen. Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé14 ».

Ces décisions ont été rendues dans des affaires dans le cadre desquelles l’accusé a eu la possibilité de faire interroger les témoins en cours de première instance.

En l’espèce, il est constant en cause que le témoin et victime PERSONNE3.) n’a pas été interrogée oralement en présence du demandeur en cassation, ni en première instance, ni en instance d’appel.

En effet, le demandeur en cassation était défaillant lors de l’audience du 3 octobre 2019 au cours de laquelle PERSONNE3.) était entendue comme témoin avant de se constituer partie civile. L’expert Robert SCHILTZ n’a pas été entendu oralement lors de cette audience.

Suite à l’opposition relevée par le demandeur en cassation, PERSONNE3.) n’a pas été recitée à comparaître.

A la lecture du jugement rendu sur opposition du 11 février 2021, il apparaît que le demandeur en cassation n’avait pas demandé à être confronté ni à PERSONNE3.) ni à l’expert Robert SCHILTZ dans le cadre des débats de la procédure d’opposition. Cette demande n’a été formulée qu’en appel.

11 Partie soulignée par la soussignée.

12 Cass., 11 mai 2023, n° 53/2023 pénal, n° CAS-2022-00089 du registre.

13 Partie soulignée par la soussignée.

14 Cass., 11 mai 2023, n° 52/2023 pénal, n° CAS-2022-00068 du registre ; voir également dans le même sens :

Cass., 20 avril 2023, n° 41/2023 pénal, n° CAS-2022-00069 du registre.Aux termes d’un arrêt du 18 janvier 1996, Votre Cour a jugé dans un tel cas de figure et face aux mêmes dispositions légales visées que « il résulte des motifs de l’arrêt attaqué que le demandeur en cassation avait, lors de l’instruction de l’affaire après opposition, la possibilité de faire réentendre les témoins entendus lors de l’instruction à laquelle il avait fait défaut ; qu’il n’a cependant pas demandé que ces témoins soient interrogés à nouveau ; que dans ces circonstances le moyen manque en fait et ne saurait être accueilli »15.

Dans ce même sens, la Cour de cassation française a jugé que « les demandeurs ne sauraient faire grief à la cour d’appel d’avoir rejeté leur demande d’audition de témoins dès lors qu’ils n’ont pas usé, devant les premiers juges, du droit (…) de faire eux-mêmes citer et interroger les témoins de leur choix »16.

Sur base de ces jurisprudences, reflétant le fait que l’instruction d’une affaire pénale s’opère en principe en première instance, les moyens encourent un rejet.

A titre plus subsidiaire, il y a lieu de renvoyer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de laquelle la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et il revient aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles.

Selon la Cour, « la tâche assignée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable »17.

De même, « les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (arrêts Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A no 238, p. 21, § 49, et Van Mechelen et autres, précité, p. 711, § 51) » et « comme la Cour l'a précisé à plusieurs reprises (voir, entre autres, les arrêts Isgrò c.

Italie du 19 février 1991, série A no 194-A, p. 12, § 34, et Lüdi précité, p. 21, § 47), dans certaines circonstances il peut s'avérer nécessaire, pour les autorités judiciaires, d'avoir recours à des dépositions remontant à la phase de l'instruction préparatoire, notamment lors du refus de les réitérer en public par crainte des conséquences pour la 15 Cass., 18 janvier 1996, Pas. 30, p. 49.

16 Cass. fr., 25 juin 1996, Recueil Dalloz, 1997, jurisprudence, p. 100.

17 Cour EDH, 27 février 2001, Affaire Lucà c. Italie, Requête n° 33354/96, n°38.sécurité de l'auteur des dépositions, ce qui peut être le cas dans le cadre de procès visant les agissements d'organisations mafieuses. Si l'accusé a eu une occasion adéquate et suffisante de contester pareilles dépositions, au moment où elles sont faites ou plus tard, leur utilisation ne se heurte pas en soi à l'article 6 §§ 1 et 3 d). Il s'ensuit, cependant, que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l'accusé n'a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l'instruction ni pendant les débats (voir les arrêts Unterpertinger c. Autriche du 24 novembre 1986, série A no 110, pp. 14-15, §§ 31-33, Saïdi c. France du 20 septembre 1993, série A no 261-C, pp. 56-57, §§ 43-44, et Van Mechelen et autres précité, p. 712, § 55; voir aussi Dorigo c. Italie, requête no 33286/96, rapport de la Commission du 9 septembre 1998, § 43, non publié, et, sur cette même affaire, Résolution du Comité des Ministres DH (99) 258 du 15 avril 1999) » 18.

Se référant aux critères exposés ci-dessus, la Cour européenne des droits de l’homme a encore exposé qu’elle a « clairement établi que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur les dépositions d'un témoin que ni au stade de l'instruction ni pendant les débats l'accusé n'a eu la possibilité d'interroger ou faire interroger (voir, notamment, Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A n o 191-A, § 37, Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A n o 261-C, §§ 43-44, A.M. c. Italie, n o 37019/97, 14 décembre 1999, § 25, et P.S. c. Allemagne, n o 33900/96, 20 décembre 2001, §§ 22-24).

Ainsi, l'article 6 n'autorise les juridictions à fonder une condamnation sur les dépositions d'un témoin à charge que l' « accusé » ou son conseil n'ont pu interroger à aucun stade de la procédure, que dans les limites suivantes : premièrement, lorsque le défaut de confrontation est dû à l'impossibilité de localiser le témoin, il doit être établi que les autorités compétentes ont activement recherché celui-ci aux fins de permettre cette confrontation ; deuxièmement, le témoignage litigieux ne peut en tout état de cause constituer le seul élément sur lequel repose la condamnation.

En l'espèce, les juridictions répressives qui ont statué sur l'opposition formée par le requérant ont condamné ce dernier pour trois délits distincts sur le fondement de déclarations faites par des témoins à l'occasion de l'enquête ou de l'instruction.

Or le requérant n'avait pas été confronté à ces témoins à ce stade de la procédure et le tribunal correctionnel de Reims a rejeté sa demande tendant à l'audition de ceux-ci.

Quant à la cour d'appel de Reims, elle a certes fait droit à cette demande, mais n'a effectivement entendu que le témoin du troisième délit – lequel, au demeurant, a déclaré à l'audience ne pas reconnaître le requérant comme étant la personne qu'il avait mise en cause au cours de l'enquête –, les autres témoins n'ayant pas déféré à leur citation.

Il est vrai que la cour d'appel a plusieurs fois ajourné l'affaire en vue de permettre la comparution des témoins ; elle n'a renoncé à l'audition de cinq d'entre eux qu'après 18 Cour EDH, Affaire Lucà c. Italie 27 février 2001, Requête n° 33354/96, n°39 et 40. avoir constaté qu'ils n'avaient pas déféré à leur citation et que, pour trois autres, le mandat d'amener délivré par la suite n'avait pu être exécuté. Il n'en résulte pas moins que, pour deux des trois délits pour lesquels il était poursuivi, le requérant a été condamné sur le fondement exclusif – le texte du jugement du 24 mars 1998 et de l'arrêt du 2 décembre 1998 ne laisse aucun doute à cet égard – de déclarations de témoins qu'il n'a pu, à aucun stade de la procédure, interroger ou faire interroger.

Il est vrai également que les juridictions saisies statuaient sur opposition, sept ans après les faits, de sorte que la localisation des témoins en question présentait probablement une certaine difficulté, difficulté que le requérant a peut-être contribué à créer en ne déférant pas aux convocations de la justice et en provoquant sa condamnation par défaut. Cependant, vu l'importance particulière que revêt le respect des droits de la défense dans le procès pénal, et eu égard au fait que les garanties de l'article 6 ont la même pertinence que l'accusé soit jugé après renvoi devant les juges du fond ou que ceux-ci soient saisis sur opposition (dans ce sens, voir Van Geyseghem c. Belgique [GC], n o 26103/95, CEDH 1999-I, 21 janvier 1999), cette cette circonstance ne saurait être déterminante »19.

Ces enseignements ont été précisés par deux arrêts de Grande Chambre dans les affaires Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni20 et Schatschaschwili c. Allemagne21, rendus en 2011 et 2015.

Il s’en dégage qu’il doit être examiné notamment si l’absence du témoin au procès se justifiait par un motif sérieux, si la déposition du témoin absent était la preuve « unique ou déterminante » et s’il existait des « éléments compensateurs » suffisants pour garantir une appréciation équitable et correcte de la fiabilité des preuves en question.

Dans son arrêt de 2015, la Cour avait confirmé que l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin ne pouvait en soi rendre un procès inéquitable, tout en ajoutant néanmoins que pareille lacune demeurait un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès.

La déclaration d’un témoin est considérée comme fondement déterminant de la condamnation si elle est considérée comme une preuve dont l’importance était telle qu’elle est susceptible d’emporter la décision sur l’affaire.

Quant aux « éléments compensateurs », trois facteurs alternatifs de contrepoids dans la procédure se cristallisent à l’examen de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : 1. la possibilité de donner sa propre version des faits et de mettre en doute la crédibilité des témoins absents et de signaler toute incohérence ou contradiction dans 19 Cour EDH, 13 novembre 2003, RACHDAD c. France, requête n° 71846/01, n° 23-25.

20 Cour EDH, 11 décembre 2011, AL-KHAWAJA et TAHERY c. Royaume-Uni, requêtes n° 26766/05 et 22228/06.

21 Cour EDH, 15 décembre 2015, requête n°9154/10.leurs déclarations, 2. la disponibilité d’autres éléments de preuve corroborants et 3. le fait d’avoir pu participer à des confrontations avec les témoins au cours de l’enquête préliminaire et d’avoir pu les contre-interroger22.

En l’espèce, la Cour d’appel a retenu que « en l’occurrence, étant donné, tel qu’il vient d’être expliqué par le représentant du ministère public, que le co-prévenu est actuellement incarcéré à l’étranger de sorte qu’une procédure d’extradition est nécessaire, que ce dernier a été entendu exhaustivement dans ses explications sur les faits en litige, la Cour d’appel qui apprécie souverainement la question de la jonction des deux poursuites introduites ainsi que la question de l’audition en instance d’appel de la victime PERSONNE3.) et de l’expert, ne voit pas la pertinence de joindre les deux affaires ni la pertinence de réentendre PERSONNE3.) et l’expert Robert Schiltz, étant donné qu’il est difficilement concevable que le co-prévenu et lesdites personnes fassent des déclarations différentes et contraires par rapport à celles qui figurent déjà au dossier répressif et cela d’autant plus que ces faits se sont passés en 2015.

Il faut déduire de ce qui précède que le droit à un procès équitable n’a pas été violé, étant donné que le co-prévenu et les personnes dont la défense fait état ont été entendus par le tribunal ».

Il a encore été retenu que « En l’occurrence, la Cour d’appel constate qu’un problème d’équité ne se pose pas étant donné que les juges de première instance ne se sont pas uniquement basés sur les déclarations d’PERSONNE3.), mais aussi sur d’autres éléments et que c’est sur base de l’ensemble des éléments recueillis que le tribunal a retenu la culpabilité du prévenu.

(…) S’agissant de la crédibilité des déclarations d’PERSONNE3.), il faut rappeler qu’en présence des contestations du prévenu et du principe de la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe au ministère public qui doit rapporter la preuve de la matérialité des infractions qui sont reprochées au prévenu, tant en fait qu’en droit. La Code de procédure pénale adopte, par ailleurs, le système de la libre appréciation de la preuve par le juge pénal qui forme son intime conviction librement sans être tenu par telle preuve plutôt que par telle autre. Ainsi, il interroge sa conscience et décide en fonction de son intime conviction. Le juge pénal apprécie souverainement, en fait, la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde son intime conviction, étant précisé que si le juge pénal peut fonder sa décision sur l’intime conviction, il faut cependant que cette conviction résulte de moyens de preuve légalement admis et administrés en la forme.

En d’autres termes, sa conviction doit être l’effet d’une conclusion, d’un travail préliminaire de réflexion et de raisonnement, ne laissant plus de doute dans l’esprit d’une personne raisonnable, étant précisé que le juge est libre d’apprécier la valeur des preuves produites devant lui.

22 Voir F. KUTY, « Chronique de jurisprudence. Le droit à un procès pénal équitable au sens de la jurisprudence strasbourgeoise en 2020 », Revue de Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 2021/7.En l’occurrence, face aux contestations de PERSONNE1.) qui affirme que le co-prévenu PERSONNE4.) a payé PERSONNE3.) pour avoir des relations sexuelles, relations qui avaient été consenties, la crédibilité des déclarations de celle-ci est à examiner.

Il y a lieu de constater que le psychologue Robert Schiltz a été nommé expert par ordonnance du juge d’instruction du 9 juin 2015 avec la mission d’« examiner PERSONNE3.) et de se prononcer sur la question de savoir si les accusations portées par … à l’encontre de PERSONNE2.) … sont crédibles , sur base de l’ensemble des éléments du dossier répressif, y compris ses propres déclarations ».

A cet égard, la Cour d’appel rappelle que les expertises de crédibilité ne constituent pas en elles-mêmes un mode de preuve mais ont pour objectif de mettre en relief des éléments fournis par le témoignage des victimes.

Pour ce qui concerne les déclarations sur les faits effectuées par la victime PERSONNE3.), il faut constater à l’instar du tribunal, que celles-ci sont restées les mêmes tout au long de l’enquête policière, de l’expertise de crédibilité et de l’instruction à l’audience des juges de première instance. En effet, son récit sur le déroulement des faits de la nuit du 30 mai 2015 près de la ADRESSE3.) est resté le même à l’exception de certains détails insignifiants.

Plus particulièrement, il y a lieu de se reporter aux déclarations d’PERSONNE3.) consignées dans l’annexe 2 du rapport de police SREC-Lux-JDA-44498-26-SCPA du 30 juin 2015, par lesquelles celle-ci relate de manière très précise et sans aucune exagération le déroulement des faits: « C’est le convoyeur qui m’a obligé de me déshabiller. Donc en fait le conducteur n’était pas trop involvé dans cela. J’avais l’impression qu’il était là sans vraiment vouloir être là. C’est plutôt le convoyeur que le conducteur qui m’a forcé à lui faire une fellation. Le convoyeur a demandé au conducteur de me tenir par les bras… », de sorte qu’il faut constater que la victime est cohérente en ce qu’elle témoigne objectivement des faits qu’elle a subis et ce sans ressentiments de colère visibles vis-à-vis du prévenu.

En outre, la crédibilité des déclarations d’PERSONNE3.) est corroborée par sa réaction face à la photo montrant PERSONNE4.). A cet égard, il y a lieu de se reporter aux observations de la police consignées dans le procès-verbal no 21004 du 30 mai 2015 :

« Das Opfer war beim Eintreffen von Amtierenden nackt, hatte kein Kleidungsstück mehr auf sich, jedoch waren ihre sàmtlichen Kleidungsstücke über die Strasse verteilt…. Das Opfer stand sichtlich unter Schock… », respectivement dans le procès-verbal no SREC-

Lux -JDA-44498-2-SCPA du 2 juin 2015, à savoir: « Nachdem PERSONNE3.) die erste Seite der Lichtbildmappe vorgelegt wurde, enfernte sie sich ruckartig mit ihrem Stuhl vom Tisch und brach in Tränen aus. Sie zitterte am ganzen Körper und war nicht mehr in der Lage zu antworten. Sie starrte das Foto auf der ersten Seite an und schluchzte „numéro1“…„c’est lui“…„c’est le convoyeur“… Sie verstarrte völlig und konnte ihren Blick nicht mehr von dem Foto wenden ».

18 Par ailleurs, il résulte du rapport d’expertise du 14 septembre 2015 que PERSONNE3.) présente des troubles post-traumatiques. En effet, dans le cadre de l’expertise de crédibilité, l’expert note à ce propos : « - Symptômes post-traumatiques : Madame PERSONNE3.) présente plusieurs symptômes d’un fonctionnement post-traumatique typique : Elle se fait des reproches, elle dit que sa vie n’est plus comme avant, elle se sent avilie, elle a peur de rencontrer ses agresseurs dans la rue, elle souffre de troubles du sommeil et elle se sent mal à l’aise dans les contacts sociaux. Sa consommation de drogues a augmenté considérablement ».

Finalement, selon l’expert Robert Schiltz, les déclarations de la victime PERSONNE3.) sont crédibles « L’examen du dossier de la présumée victime n’a pas mis en évidence d’éléments susceptibles de mettre en doute la crédibilité de fond de ses déclarations… ».

En conséquence, les juges de première instance se sont à juste titre basés sur le contenu des déclarations effectuées par PERSONNE3.) pour forger leur intime conviction par rapport à la culpabilité de PERSONNE1.) ».

La Cour d’appel s’est ainsi livrée à un examen détaillé de la crédibilité d’PERSONNE3.) et de la fiabilité de ses dépositions et du rapports d’expertise. Il peut en être conclu qu’il existe des « éléments compensateurs suffisants », y compris des mesures permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité du témoignage, pour contrebalancer les difficultés causées à la défense résultant du fait que le demandeur en cassation n’a pas été confronté personnellement ni au témoin, ni à l’expert.

Ce n’est que si Votre Cour estime, eu égard à l’importance que revêtaient les déclarations du témoin/victime de l’infraction pour laquelle le demandeur en cassation a été condamné, que les mesures compensatrices prises par la Cour d’appel ont été insuffisantes pour permettre une appréciation équitable et adéquate de la fiabilité des éléments de preuve, qu’il y a lieu de conclure que la procédure a été rendue inéquitable dans son ensemble. Dans un tel cas de figure, les moyens de cassation seraient à déclarer fondés.

Quant au sixième moyen de casation :

Le sixième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH qui prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) » Il est reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir garanti au demandeur en cassation un procès équitable en refusant la jonction de son appel avec celui interjeté par son co-

prévenu, PERSONNE4.). Ce serait à tort que la Cour d’appel a accepté la disjonction de l’affaire alors que les mêmes infractions sont reprochées aux deux prévenus.

Cette disjonction aurait privé le demandeur en cassation de poser des questions au co-

prévenu sans que la Cour, ayant fait état de son pouvoir d’appréciation souveraine, n’aitbasé son raisonnement sur des documents prouvant l’impossibilité de faire extrader le co-prévenu pour être jugé au Luxembourg dans un proche futur.

La Cour d’appel a motivé comme suit le rejet de la demande de joindre les poursuites dirigées contre les deux prévenus : « il convient de rappeler qu’en matière pénale, il y a indivisibilité lorsque les poursuites sont dirigées contre les auteurs et complices d’un même fait ou lorsque les infractions sont reliées d’une manière tellement intime qu’on ne pourrait les dissocier. Dans ce cas, la jonction des causes est obligatoire, du moins quand elle est possible. Toutefois, le refus de joindre des causes indivisibles ne pourrait normalement pas donner lieu à cassation, car la jonction relève de l’appréciation souveraine du juge (Michel Franchimont, Ann Jacobs, Adrien Masset, Manuel de procédure pénal, p. 765).

En l’occurrence, étant donné, tel qu’il vient d’être expliqué par le représentant du ministère public, que le co-prévenu est actuellement incarcéré à l’étranger de sorte qu’une procédure d’extradition est nécessaire, que ce dernier a été entendu exhaustivement dans ses explications sur les faits en litige, la Cour d’appel qui apprécie souverainement la question de la jonction des deux poursuites introduites ainsi que la question de l’audition en instance d’appel de la victime PERSONNE3.) et de l’expert, ne voit pas la pertinence de joindre les deux affaires ni la pertinence de réentendre PERSONNE3.) et l’expert Robert Schiltz, étant donné qu’il est difficilement concevable que le co-prévenu et lesdites personnes fassent des déclarations différentes et contraires par rapport à celles qui figurent déjà au dossier répressif et cela d’autant plus que ces faits se sont passés en 2015.

Il faut déduire de ce qui précède que le droit à un procès équitable n’a pas été violé, étant donné que le co-prévenu et les personnes dont la défense fait état ont été entendus par le tribunal »23.

Il n’est pas reproché à la Cour d’appel d’avoir mal défini la notion d’indivisibilité ou d’en avoir fait une mauvaise application. Seule la violation du droit à un procès équitable est invoquée. Or, le demandeur en cassation reste en défaut de préciser en quoi la disposition invoquée lui donne un droit inconditionnel à être confronté avec son co-

prévenu.

Si, comme il a été exposé ci-dessus, la notion de « témoin » au sens de l’article 6 paragraphe 3 de la CEDH revêt un sens autonome et peut potentiellement inclure les coaccusés, il reste qu’en l’espèce, PERSONNE4.), en ce que ses déclarations concordent dans les grandes lignes avec celles du demandeur en cassation, ne tombe a priori pas sous la définition autonome du terme « témoin »24 et qu’en tout état de cause, la violation de l’article 6 paragraphe 3 de la CEDH n’est pas invoquée.

23 Arrêt attaqué, p.40.

24 Comme exposé ci-dessus, pour être considéré comme témoin il faut que la déposition de cette personne soit susceptible de fonder, d’une manière substantielle, la condamnation du prévenu.Il a par ailleurs été jugé par la Cour de cassation belge que « le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et le droit à un procès équitable garanti par l’article 6.1 de la CEDH n’imposent pas la poursuite simultanée, devant le même juge, de tous les auteurs d’une même infraction ou d’infractions connexes » 25.

Il s’ensuit que la Cour d’appel n’a pas violé l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH et le moyen est à rejeter.

Quant au septième moyen de cassation :

Le septième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH qui prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable (…) ».

Il est reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir tiré les bonnes conséquences du dépassement du délai raisonnable qui a été retenue. Selon le demandeur en cassation, la Cour aurait dû conclure à l’irrecevabilité des poursuites pour dépérissement des preuves au vu du fait qu’PERSONNE3.) n’a pas pu être réentendue sur le déroulement des faits en litige.

Aux termes de l’arrêt attaqué :

« Les conséquences du dépassement doivent être examinées à deux niveaux, d’une part, sous l’angle de l’administration de la preuve des faits et du respect des droits de la défense et, d’autre part, sous l’angle de la peine à prononcer le cas échéant.

Ainsi la durée anormale de la procédure peut-elle avoir pour résultat la déperdition des preuves et la juridiction peut constater, dans cette hypothèse, qu’elle est dans l’impossibilité de dire si les faits sont établis en raison de la disparition d’éléments de preuve.

En l’espèce, il convient de constater au vu des développements faits ci-dessus que le fait de ne pas réentendre la victime, ainsi que l’expert n’a pas d’incidence sur l’administration de la preuve des faits et le respect des droits de la défense.

Le dossier ne reflétant pas un dépérissement des preuves, il en suit que le moyen ayant trait à l’irrecevabilité des poursuites est à rejeter.

Il découle cependant des éléments du dossier qu’un délai de huit ans s’est écoulé entre les faits du 30 mai 2015 et le 2 mai 2023, date de l’instance d’appel.

S’il ne résulte d’aucun élément du dossier qu’en raison de l’écoulement de ce délai le prévenu ait été privé de la possibilité de présenter utilement ses moyens de défense 25 Cass. b., 5 avril 2006, RG P.06.0098.F, Pas.b., 2006, p. 781.toujours est-il que ce délai est trop long, l’affaire en litige n’ayant présenté aucune complexité particulière.

Dès lors, il y a eu dépassement du délai raisonnable dont il convient de tenir compte dans le cadre de l’appréciation de la peine à prononcer le cas échéant ».

Il en résulte que les magistrats d’appel ont retenu qu’il y a eu dépassement du délai raisonnable mais que ce dépassement n’entraîne pas l’irrecevabilité des poursuites pénales à défaut de constatation d’un impact sur l’administration de la preuve des faits mais devait être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de la peine à prononcer.

Il est bien établi en jurisprudence que l’appréciation, par les juges du fond, des conséquences à tirer de la constatation d’un dépassement du délai raisonnable, d’une part, sur la recevabilité des poursuites et, d’autre part, sur la peine à prononcer, relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de Votre Cour26.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable ;

Le premier moyen de cassation est irrecevable, sinon manque en fait, sinon est à rejeter ;

Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens de cassation ne sauraient être accueillis, sinon sont à rejeter. Dans un dernier ordre de subsidiarité, ils sont fondés ;

Le sixième moyen de cassation est à rejeter ;

Le septième moyen de cassation ne saurait être accueilli.

Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 26 Cass., 9 juillet 2009, n° 2673 du registre ; Cass., 27 janvier 2011, n° 2817 du registre ; Cass., 7 juillet 2011, n° 2891 du registre ; Cass., 17 janvier 2019, n° 4066 du registre ; Cass., 30 avril 2020, n° 60 / 2020 pénal, n° CAS-

2019-00068 du registre ; Cass., 10 mars 2022, n° 39/2022 pénal, n° CAS-2021-00017 du registre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 58/24
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-03-28;58.24 ?

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