La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/02/2024 | LUXEMBOURG | N°33/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 29 février 2024, 33/24


N° 33 / 2024 du 29.02.2024 Numéro CAS-2023-00069 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en ca

ssation, comparant par Maître Luc OLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel...

N° 33 / 2024 du 29.02.2024 Numéro CAS-2023-00069 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Luc OLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 24/23 - VII - CIV, rendu le 22 février 2023 sous le numéro CAL-2022-00811 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 4 mai 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 12 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 27 juin 2023 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 3 juillet 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Serge WAGNER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré non fondée la demande du demandeur en cassation en remboursement d’un prêt après avoir rejeté le moyen tiré de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1348 du Code civil en ce que l’arrêt attaqué a dit pour droit que l’analphabétisme d’PERSONNE1.), à le supposer établi, ne justifierait de toute manière pas l’application de l’article 1348 du Code civil alors pourtant que l’article 1348 du Code civil correctement appliqué aurait dû amener la Cour d’appel à retenir que l’analphabétisme d’PERSONNE1.), à le supposer établi, justifierait l’application de l’article 1348 du Code civil. ».

Réponse de la Cour Par exception à l’article 1341 du Code civil, l’article 1348 du même code n’exige pas la production d’une preuve littérale de l’acte juridique invoqué, notamment lorsque l’une des parties n’a pas eu la possibilité matérielle de se procurer une telle preuve.

L’impossibilité matérielle de se procurer une preuve littérale s’apprécie in concreto.

Sous le couvert de la violation de la disposition visée au moyen, le demandeur en cassation ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la possibilité matérielle pour le demandeur en cassation de se procurer un écrit, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 1.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 1.000 euros ;

condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation, avec distraction au profit de la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Ministère Public dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) (Numéro CAS-2023-00069 du registre) Par mémoire signifié en date du 4 mai 2023 et déposé au greffe de la Cour le 12 mai 2023, PERSONNE1.) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt N° 24/23-

VII-CIV contradictoirement rendu entre parties le 22 février 2023 par la Cour d’appel de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2022-00811 du rôle.

Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié au demandeur en cassation.

Le mémoire en réponse, signifié le 27 juin 2023 à PERSONNE1.) en son domicile élu et déposé au greffe de la Cour le 3 juillet 2023, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Faits et rétroactes Saisi d’une demande en remboursement d’un prêt d’un montant de 40.000,- euros dirigée par PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) et d’une demande reconventionnelle de PERSONNE2.) tendant à voir condamner PERSONNE1.) au paiement du montant de 4.329,- euros, sinon de 4.095,- euros, avec les intérêts légaux à partir du 13 novembre 2020, à titre de frais et honoraires d’avocat, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, a, par jugement rendu le 25 mai 2021, reçu les demandes principale et reconventionnelle en la forme.

Quant au fond de la demande principale, les juges de première instance ont retenu que « la remise des fonds d’un montant de 40.000,- euros à PERSONNE2.) a eu lieu au nom et pour compte de PERSONNE1.) », mais qu’il n’existe aucune convention écrite organisant les droits et obligations réciproques des parties relativement au transfert du montant de 40.000,- euros.

Ils ont encore décidé que PERSONNE1.) n’a pas rapporté la preuve d’un commencement de preuve par écrit et ils ont rejeté le moyen tiré de l’impossibilité morale de se procurer un écrit.

En se basant sur l’article 225 du Nouveau Code de procédure civile, ils ont ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture et ils ont « renvoyé le dossier aux parties pour leur permettre de conclure sur la prétendue impossibilité matérielle de PERSONNE1.) [de se procurer un écrit] et de verser des pièces supplémentaires le cas échéant ».

Par jugement rendu le 4 mai 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, statuant en continuation du jugement du 25 mai 2021, a :

* déclaré la demande de PERSONNE1.) non fondée * déclaré la demande de paiement des honoraires d’avocats formulée par PERSONNE2.) fondée.

Pour statuer ainsi, les magistrats de première instance ont retenu que PERSONNE1.) n’est pas parvenu à prouver qu’il ne sait ni lire ni écrire et ils ont rejeté le moyen tiré de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Par exploit d’huissier du 15 juin 2022, PERSONNE1.) a relevé appel contre le jugement du 4 mai 2022, lequel lui a été signifié le 23 mai 2022.

Par arrêt N° 24/23-VII-CIV contradictoirement rendu entre parties le 22 février 2023, la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, a dit les appels principal et incident non fondés et a confirmé le jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 4 mai 2022.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt du 22 février 2023.

Quant à l’unique moyen de cassation « Tiré de la violation de l’article 1348 du Code civil en ce que l’arrêt attaqué a dit pour droit que l’analphabétisme de PERSONNE1.), à le supposer établi, ne justifierait de toute manière pas l’application de l’article 1348 du Code civil alors pourtant que l’article 1348 du Code civil correctement appliqué aurait dû amener la Cour d’appel à retenir que l’analphabétisme de PERSONNE1.), à le supposer établi, justifierait l’application de l’article 1348 du Code civil. ».

L’article 1348 du Code civil dispose que l’obligation de produire une preuve littérale reçoit exception lorsque l’obligation résulte d’un des faits réglés par les articles 1371 à 1380 du Code civil ou lorsqu’une des parties, soit n’a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l’acte, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure.

A titre principal Le demandeur en cassation considère que l’analphabétisme – à le supposer établi – constitue automatiquement une impossibilité matérielle au sens de l’article 1348 du Code civil.

Or l’impossibilité matérielle, tout comme l’impossibilité morale, s’apprécient au cas par cas en fonction des circonstances de fait tel que l’a retenu à bon droit la Cour d’appel.

Les juges du fond apprécient souverainement la question de savoir si une partie s’est trouvée ou ne s’est pas trouvée dans l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Sous le couvert de la violation de l’article 1348 du Code civil, le moyen de cassation ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond de l’impossibilité matérielle alléguée par PERSONNE1.), échappant au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que l’unique moyen de cassation ne saurait être accueilli.

A titre subsidiaire En retenant :

« Dans un souci de logique juridique, il convient d’analyser en premier lieu si un éventuel analphabétisme dans le chef de de PERSONNE1.) est susceptible de constituer une impossibilité matérielle de se procurer une preuve littérale.

Il paraît assez difficile de trouver des critères précis permettant de définir la notion d’impossibilité matérielle. Ce qui est impossible relève, en réalité, des cas d’espèces et s’apprécie en fonction des circonstances de fait. L’impossibilité matérielle vise des circonstances particulières de la naissance de l’acte empêchant la rédaction d’un écrit.

L’exemple classique est celui du contrat conclu sur un champ de bataille ou dans une foire (voir JurisClasseur Notarial Formulaire, fasc. 10 : verbo acte notarié, n°105 et suivants).

En l’espèce, PERSONNE1.) soutient avoir remis la somme de 40.000,- euros en liquide à sa cousine et il affirme que cette dernière aurait effectué un virement du montant en question à PERSONNE2.).

Le prétendu prêt, à le supposer établi, n’a dès lors pas été contracté à la va-vite, mais a nécessité l’intervention de la cousine pour la prétendue remise des fonds.

Rien n’aurait empêché PERSONNE1.) de demander à sa cousine, sinon à un autre tiers, de lui préparer un écrit eu égard au fait que cette dernière était de toute manière mêlée à l’affaire.

D’ailleurs, il a été jugé que « l’analphabétisme des demandeurs n’a pas constitué une impossibilité de se procurer une preuve littérale du prêt invoqué ni même une difficulté majeure, étant donné qu’ils avaient la possibilité certaine de se faire assister pour la rédaction d’un écrit » (Cour d’appel, 8 janvier 1987, numéro du rôle 8735).

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que l’analphabétisme de PERSONNE1.), à le supposer établi, ne justifierait de toute manière pas l’application de l’article 1348 du Code civil.

Dès lors, les offres de preuve par témoignage et par comparution personnelle des parties sont à déclarer irrecevables.

A défaut d’avoir rapporté la preuve littérale du prêt allégué, l’appel n’est pas fondé et il y a lieu de confirmer le jugement du 4 mai 2022 quoique pour d’autres motifs. », les juges d’appel ont fait une application correcte de l’article 1348 du Code civil.

Il s’ensuit que l’unique moyen de cassation n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Serge WAGNER 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 33/24
Date de la décision : 29/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-02-29;33.24 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award