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22/02/2024 | LUXEMBOURG | N°30/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 22 février 2024, 30/24


N° 30 / 2024 du 22.02.2024 Numéro CAS-2023-00063 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH, établie et ayant son

siège social à L-ADRESSE1.), représentée par les gérants, inscrite au registre de...

N° 30 / 2024 du 22.02.2024 Numéro CAS-2023-00063 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par les gérants, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée MOLITOR Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, et le CENTRE COMMUN DE LA SECURITE SOCIALE, établissement public, établi à L-ADRESSE2.), représenté par le président du conseil d’administration, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Luc OLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence de 1) PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE3.), 2) PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE4.), 3) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE5.), 4) PERSONNE4.), demeurant à L-ADRESSE6.), 5) PERSONNE5.), demeurant à L-ADRESSE7.), 6) PERSONNE6.), demeurant à L-ADRESSE8.), 7) PERSONNE7.), demeurant à L-ADRESSE9.), défendeurs en cassation, comparant par Maître Romain ADAM, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 23 février 2023 sous le numéro 2023/0049 (No. du reg. : CCSS 2022/0214) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 26 avril 2023 par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH (ci-après « la société SOCIETE1.) ») à PERSONNE1.), à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à PERSONNE5.), à PERSONNE6.), à PERSONNE7.) et au CENTRE COMMUN DE LA SECURITE SOCIALE (ci-après « le CCSS »), déposé le 28 avril 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 19 juin 2023 par PERSONNE1.), PERSONNE2.), PERSONNE3.), PERSONNE4.), PERSONNE5.), PERSONNE6.) et PERSONNE7.) à la société SOCIETE1.) et au CCSS, déposé le 22 juin 2023 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 20 juin 2023 par le CCSS à la société SOCIETE1.), à PERSONNE1.), à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à PERSONNE5.), à PERSONNE6.) et à PERSONNE7.), déposé le 22 juin 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc SCHILTZ ;

Vu le mémoire en réplique signifié le 22 janvier 2024 par la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à PERSONNE5.), à PERSONNE6.), à PERSONNE7.) et au CCSS, déposé le 24 janvier 2024 au greffe de la Cour, en ce qu’il répond aux exceptions d’irrecevabilité opposées au pourvoi, et l’écartant pour le surplus, en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Sur la recevabilité du pourvoi L’article 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose en ses alinéas 2 et 3 « Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal.

Il en est de même lorsque l’arrêt ou le jugement rendu en dernier ressort qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure met fin à l’instance. ».

Le principal, ou l’objet du litige au sens de l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile, est déterminé par les prétentions respectives des parties, c’est-à-dire leurs demandes principales, reconventionnelles et incidentes, et non par les moyens soulevés de part et d’autre.

L’objet du recours introduit par la demanderesse en cassation devant les juridictions de la sécurité sociale visait à voir maintenir l’affiliation de ses salariés auprès du régime de sécurité sociale luxembourgeois, demande à l’appui de laquelle elle invoquait, d’une part, la nullité de la décision prise par le conseil d’administration du CCSS et, d’autre part, le défaut de fondement de ladite décision.

En retenant que l’appel était fondé en ce qu’il n’y avait pas lieu à annulation de la décision prise par le conseil d’administration du CCSS et en renvoyant le dossier devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale pour voir statuer sur le fond de l’affaire, le Conseil supérieur de la sécurité sociale n’a ni tranché dans le dispositif de l’arrêt attaqué tout le principal ou une partie du principal ni rendu une décision qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure, a mis fin à l’instance.

Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du CCSS l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation dit le pourvoi irrecevable ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Luc OLINGER, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Ministère Public dans l’affaire de cassation SOCIETE1.) GmbH contre 1) PERSONNE1.) 2) PERSONNE2.) 3) PERSONNE3.) 4) PERSONNE4.) 5) PERSONNE5.) 6) PERSONNE6.) 7) PERSONNE7.) 8) Centre Commun de la Sécurité Sociale n° du registre : CAS-2023-00063

___________________________________________________________________

Par mémoire signifié le 26 avril 2023 et déposé au greffe de la Cour le 28 avril 2023, SOCIETE1.) GmbH a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement entre parties le 23 février 2023 sous le numéro 2023/0049 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.

L’arrêt a été notifié en date du 1er mars 2023 au demandeur en cassation.

Le pourvoi est partant recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ; loi à laquelle renvoie l’article 455 du Code de la sécurité sociale.

Un mémoire en réponse a été signifié le 19 juin 2023 par les parties défenderesses 1) à 7) et déposé au greffe de la Cour le 22 juin 2023.

Un mémoire en réponse a également été signifié le 20 juin 2023 par le Centre Commun de la Sécurité Sociale et déposé au greffe de la Cour le 22 juin 2023.

Ces mémoires en réponse sont conformes, quant à la forme et au délai, à la loi modifiée du 18 février 1885.

Sur les faits et rétroactes Par décision du 04 mai 2021 le président du conseil d’administration a retenu que les parties défenderesses 1) à 7) relèvent du régime allemand et non pas luxembourgeois de la sécurité sociale à partir de dates, selon le cas, entre le 1er avril 2017 et le 30 novembre 2020.

Contre cette décision tant le demandeur en cassation que les parties défenderesses 1) à 7) ont relevé opposition.

En date du 22 octobre 2021 le conseil d’administration du Centre Commun de la Sécurité Sociale a modifié pour partie les périodes visées mais a, en substance, confirmé la décision présidentielle.

Suite à des recours introduits en date des 1er et 03 décembre 2021 le Conseil arbitral a, par jugement du 23 septembre 2022, annulé la décision du conseil d’administration du Centre Commun de la Sécurité Sociale du 22 octobre 2021 pour non-respect de la procédure administrative non contentieuse telle qu’organisée par règlement grand-ducal du 08 juin 1979 ; règlement pris en exécution de la Loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse.

Le Centre Commun de la Sécurité Sociale a interjeté appel contre ce jugement en date du 08 novembre 2022.

Par arrêt du 23 février 2023, le Conseil supérieur de la sécurité sociale, statuant sur le rapport oral du magistrat désigné et les conclusions contradictoires des parties à l’audience, a déclaré l’appel introduit recevable et fondé, a dit, par réformation du jugement entrepris, qu’il n’y a pas lieu à annulation de la décision du conseil d’administration du Centre commun de la sécurité sociale du 22 octobre 2021 prise sur opposition relevée contre la décision présidentielle du 4 mai 2021 et a, en conséquence, renvoyé le dossier pour statuer sur le fond de l’affaire devant le Conseil arbitral autrement composé.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt.

Quant à la recevabilité du pourvoi en cassation :

Aux termes de l’article 455 alinéa 4 du Code de la sécurité sociale :

« Les décisions rendues en dernier ressort par le Conseil arbitral ainsi que les arrêts du Conseil supérieur de la sécurité sociale sont susceptibles d’un recours en cassation.

Le recours ne sera recevable que pour contravention à la loi ou pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité. Le pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale ».

L’article 3 de la Loi modifiée du 18 février 1855 sur les pourvois et la procédure en cassation prévoit quant à lui en ses alinéas 2 et 3 que :

« Les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort en matière civile et commerciale, ainsi que les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix, pourront être déférés à la cour de cassation pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité.

Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal ».

La décision entreprise a « dit qu’il n’y a pas lieu à annulation de la décision du conseil d’administration du Centre commun de la sécurité sociale du 22 octobre 2021 prise sur opposition relevée contre la décision présidentielle du 4 mai 2021 » et pour le surplus a renvoyé « le dossier pour statuer sur le fond de l’affaire devant le Conseil arbitral autrement composé ».

Votre Cour a dit que « Le principal (…) est déterminé par les prétentions respectives des parties (…) et non par les moyens soulevés de part et d’autre »1.

Ainsi le « moyen tiré de l’application de l’article 109 du Code de commerce ne constitue partant pas une partie du principal »2.

Votre Cour a encore décidé qu’en « recevant l’appel, en retenant que la décision de la Caisse du (…) n’était pas nulle, que c’était à tort que la CAISSE s’était basée sur la dernière phrase du paragraphe 4 de l’article L.234-44 du Code du travail pour rejeter la demande de (…) et en renvoyant le dossier devant la CAISSE pour nouvelle décision, le Conseil supérieur de la sécurité sociale, qui ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la demande formulée par (…), n’a pas tranché dans le dispositif de l’arrêt attaqué tout le principal ou une partie du principal, ni rendu une décision qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure, a mis fin à l’instance »3.

En toute logique il devrait en être de même dans le cas d’espèce.

Cette solution n’est pas énervée par la considération qu’à titre principal le demandeur en cassation a demandé l’annulation de la décision du conseil d’administration du Centre commun.

1 Cass., 16.01.2020, n°10/2020, n° de registre CAS-2018-00100 2 Idem 3 Cass., 06.05.2021, n°76/2021, n° de registre CAS-2020-00043 En effet, cette annulation n’est pas une fin en soi en ce qu’elle laisse intact la décision du président et donc l’affiliation querellée tant qu’une décision contraire, du conseil d’administration du Centre commun, du conseil arbitral ou du conseil supérieur de la sécurité sociale, n’est pas intervenue ; les recours n’étant, comme le rappelle, à juste titre, la décision entreprise, pas suspensifs au vœu de l’article 416 du Code des assurances sociales.

Abstraction faite de la formulation utilisée par le demandeur en question la prétention émise est celle d’une affiliation des salariés concernés au régime luxembourgeois et non allemand de la sécurité sociale.

Il s’ensuit que le recours en cassation, à ce stade, est irrecevable car prématuré.

A titre subsidiaire et quant au moyen unique de cassation :

tiré de « la violation, sinon de la fausse application, sinon encore de la fausse interprétation de l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse ».

Le demandeur en cassation, par son moyen de cassation, reproche à l’arrêt entrepris d’avoir considéré « que les règles de cette procédure légale administrative non contentieuse ne sont pas applicables à une décision prise par le CCSS, à l’issu d’un tel examen, enquête ou contrôle, en matière d’affiliation des administrés au régime luxembourgeois de sécurité sociale, au seul motif de l’existence de règles de procédures administratives particulières instituées par l’article 416 du Code de la sécurité sociale »4.

A l’appui de son moyen le demandeur en cassation invoque un arrêt de Votre Cour aux termes duquel :

« le droit de l’administré d’exercer des recours devant les juridictions compétentes contre une décision administrative individuelle ne supplée pas les droits prévu par règles de la procédure administrative non contentieuse aux fins de protection de l’administré dans ses rapports avec l’administration, respectivement avant et dès la prise de décision par celle-ci »5.

Or, dans le cas d’espèce soumis à Votre Cour la situation est fondamentalement différente en ce que les droits du requérant ne se limitaient justement pas au contrôle juridictionnel.

4 Mémoire en cassation, page 5 5 Cass., 23.05.2019, n°89/2019, n° du registre CAS-2018-00043 Ainsi, la décision entreprise a retenu que :

« La première question est donc de savoir si la décision de désaffiliation prise par le CCSS est à considérer ou non comme une décision administrative individuelle, au sens de l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978, émanant d’une autorité administrative et à laquelle s’appliquent les règles de la procédure non contentieuse établies par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

L’article 4 en question dispose que les règles générales à établir par règlement grand-

ducal et destinées à réglementer la procédure administrative non contentieuse « s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré ».

La mission d’intérêt général dont est chargé le CCSS et qui comprend, entre autres, l’affiliation des assurés à la sécurité sociale, constitue une prérogative de droit public faisant partie de l’exercice de la puissance publique, de sorte que les décisions individuelles unilatérales prises par le CCSS en matière d’affiliation et opposables aux destinataires sont à considérer comme des décisions administratives auxquelles devraient s’appliquer, en principe, les règles de la procédure non contentieuse fixées par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Reste partant la deuxième question qui est celle de vérifier si la procédure particulière prévue en matière d’affiliation des assurés à la sécurité sociale offre, le cas échéant, une protection au moins équivalente à celle instituée par le règlement grand-ducal de 1979, dispensant d’appliquer ledit règlement, conformément à l’article 4 de la loi habilitante.

Quant au respect d’une procédure protectrice des droits des administrés :

La société SOCIETE1.) GmbH, de même que les salariés concernés, estiment qu’il y a eu violation de leurs droits de la défense alors qu’aucune prise de position ne leur aurait été demandée avant le 5 août 2020, qu’ils n’auraient pas eu connaissance de l’intégralité des éléments à la base de la décision de désaffiliation et qu’ils n’auraient pas eu communication, avant le 5 août 2020, des rapports d’enquête.

Il importe de souligner d’emblée que dans la mesure où, conformément aux dispositions de l’article 433 du code de la sécurité sociale, seules sont susceptibles d’un recours devant les juridictions sociales les décisions du conseil d’administration du CCSS, la pertinence de l’argumentation des parties intimées doit s’analyser à la lumière de la procédure ayant abouti à la décision du conseil d’administration du 22 octobre 2021.

En l’espèce, la société SOCIETE1.) GmbH a connu en 2016 une procédure d’enquête identique avec comme suite une désaffiliation de 6 salariés non autrement contestée. À l’opposé de son argumentation, il convient de noter qu’également dans le cadre de la présente enquête de contrôle opérée par le CCSS conformément aux pouvoirs lui conférés par les articles 442 à 445 du code de la sécurité sociale, la société a été, dès le début des opérations, soit le jour même du 19 juillet 2018, mise au courant par le représentant du CCSS s’étant déplacé à ADRESSE10.) et n’ayant trouvé aucun responsable de la société, de se mettre en contact avec lui afin de fixer une entrevue.6 L’article 442 du code de la sécurité sociale dispose :

« Les organes et mandataires des organismes de sécurité sociale, ainsi que les autres autorités, fonctionnaires ou employés exerçant le contrôle sont autorisés à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles relevant de leur champ de compétence sont effectivement observées et notamment :

a) à s’informer auprès de l’employeur sur la nature, l’établissement et l’activité de l’entreprise ainsi que sur l’identité, la résidence, l’activité, le lieu de travail, la durée d’occupation et le montant de la rémunération des personnes qu’elle occupe;

b) à demander à l’employeur la communication dans les meilleurs délais de tous documents et pièces relatifs aux renseignements prévus au point a);

c) à visiter, pendant les heures de travail, les locaux de l’entreprise et les lieux d’occupation du personnel et à prendre inspection de tous documents et pièces ayant trait aux renseignements prévus au point a). » Conformément aux dispositions de l’article 445 du code de la sécurité sociale, les chefs d’entreprise ou autres employeurs qui ne s’exécutent pas ou qui exécutent tardivement les obligations leur imposées ou qui fournissent tardivement ou de façon inexacte les renseignements auxquels ils sont tenus ou ceux qui ne se conforment pas (…) peuvent être frappés d’une amende d’ordre, sans même parler des dispositions pénales édictées par les articles 449 et suivants du code de la sécurité sociale.

L’entrevue avec le représentant de la société, Monsieur PERSONNE8.), a eu lieu le 4 septembre 2018 où, en toute transparence des vérifications à faire conformément aux dispositions européennes, plusieurs documents avaient été sollicités par le CCSS7.

Il s’ensuit des transmissions de documents, initialement incomplètes, un rappel, des demandes complémentaires de pièces fin 2018, des demandes d’informations supplémentaires début 2019, des communications de relevés de chantiers, de factures clients, de fiches de salaires en 2019 et début 2020 avec un retard affiché suite au départ de la société de l’interlocuteur, Monsieur PERSONNE8.). Une rencontre avec le nouveau représentant a été sollicitée et un ultime déplacement au siège de la société a eu lieu le 21 juillet 2020. Le rapport du 15 mai 2020 a ensuite été repris intégralement dans le rapport du 3 août 2020 lequel a été complété après les dernières analyses et vérifications opérées. Durant toute cette période, la société a été au courant de l’objet du contrôle, de sa cause et de sa finalité éventuelle en cas de non-respect des dispositions européennes8. L’implication, à ce stade, des salariés n’est pas prévue par 6 Mise en évidence ajoutée 7 Idem 8 Idem les dispositions précitées et ne se conçoit guère alors que le CCSS doit forcément, dans un premier temps, vérifier si la société exerce une activité substantielle sur le territoire luxembourgeois et ce n’est qu’une fois la conclusion négative à tirer du rapport du 3 août 2020 prise après étude de toute la documentation fournie par la société, que les salariés affiliés par l’employeur en violation des dispositions nationales et européennes peuvent être identifiés. Le résultat des investigations menées leur a ensuite été transmis par courrier recommandé du 5 août 2020, à savoir que depuis 2017 leur employeur n’exerce pas une partie substantielle de son activité au Luxembourg, de sorte que les conditions définies par l’article 12, paragraphe 1er du règlement (CE) N°883/2004 permettant le détachement des salariés par l’employeur dans un autre Etat membre, ne sont pas remplies et que partant les salariés sont à désaffilier et à soumettre à la législation allemande à partir du 1er janvier 2017 en application de l’article 11,3 a) du règlement précité, étant sous-entendu que depuis le 1er mai 2010, les États membres de l’UE appliquent les nouveaux règlements européens portant sur la coordination des régimes nationaux de sécurité sociale (CE n° 883/2004 et CE n° 987/2009).

La prohibition légale de l’affiliation au régime de sécurité sociale luxembourgeoise d’une personne en tant que salarié qui ne satisfait ni aux dispositions nationales, ni aux dispositions européennes, n’entraîne pas la caducité du contrat de travail signé entre les salariés et leur employeur, ce n’est que l’affiliation du salarié au Luxembourg qui est prohibée.

Il ne peut être dénié que la désaffiliation rétroactive crée une insécurité à l’égard des salariés qui dépendent de la situation juridique de leur employeur à laquelle ils sont étrangers. En considérant le principe fondamental de l’unicité de la législation applicable qui veut éviter qu’une personne exerçant une activité professionnelle ne soit assurée dans aucun pays, le CCSS a en l’espèce transmis une copie du courrier du 5 août 2020 pour exécution à la « Deutsche Verbindungsstelle Krankenversicherung-

Ausland, GKV Spitzenverband » alors que pour le CCSS les salariés relèvent du régime allemand de sécurité sociale en vertu de l’article 13, paragraphe 1er, b), i) du règlement précité, le siège d’exploitation de l’employeur ayant été situé en Allemagne pendant les périodes litigieuses, constat qui, d’après les éléments figurant au dossier, semble ne pas avoir été remis en cause par l’homologue allemand.

Contrairement à l’argumentation des parties intimées, même si les salariés ont eu connaissance du changement de leur affiliation que suite à ce courrier du 5 août 2020 et que le CCSS, sur base des résultats dégagés par le contrôle, est obligé de régulariser la situation légale des concernés conformément aux dispositions applicables, toujours est-il que ce courrier ne constitue pas une décision de nature à pouvoir ouvrir un recours juridictionnel. Conformément à l’article 416 du code de la sécurité sociale qui prévoit que les questions d’affiliation peuvent, mais ne doivent pas, faire l’objet d’une décision du président ou de son délégué, sauf à la demande de l’assuré ou de l’employeur, le CCSS a donc pu valablement procéder de la sorte étant rappelé que, pour toute question d’affiliation, une décision présidentielle ne doit être prise qu’à la demande de l’assuré ou de l’employeur.

C’est ainsi, par l’entremise de leur syndicat, que deux des salariés, par courrier enregistré le 9 octobre 2020, ont soumis leur argumentation au CCSS avec prière de « revoir vos conclusions des courriers du 5 août 2020 ou à défaut de nous fournir une décision susceptible de voie de recours (…) ». Ces salariés ont ainsi eu recours à la possibilité conférée par les dispositions de l’article 416 du code de la sécurité sociale afin d’obtenir une décision présidentielle. L’employeur a également par la suite eu recours à la disposition précitée. Toutes les parties ont ainsi pu présenter leur argumentation et ont été en possession des pièces pertinentes avant la prise de la décision présidentielle du 4 mai 2021. Dans le cadre des oppositions relevées, chaque partie concernée a, à nouveau, présenté ses observations et arguments, ayant par ailleurs engendré une réformation partielle de la décision présidentielle.

Il résulte encore des dispositions de l’article 416 du code de la sécurité sociale que même une opposition n’a pas d’effet suspensif, partant qu’une désaffiliation au Luxembourg reste acquise durant toute la procédure, étant entendu qu’en l’espèce les salariés n’étaient pas sans affiliation alors que le CCSS a fait les démarches nécessaires en vue d’une affiliation au régime de sécurité sociale allemand.

L’argumentation des salariés-intimés que la désaffiliation du Luxembourg avec une affiliation en Allemagne leur a créée ou pourrait leur créer des préjudices n’est guère imputable au CCSS lequel a l’obligation de régulariser la situation légale. Il convient à cet égard de relever que la société SOCIETE1.) GmbH, dans sa prise de position envoyée le 11 novembre 2020 par lettre recommandée au président du CCSS, n’a pas en soi contesté le bien-fondé de la désaffiliation des salariés intervenue pour les années 2017, 2018 et 2019 alors que pour chaque salarié concerné, la société a détaillé le travail effectué par ce salarié sur le territoire luxembourgeois pour solliciter « une réaffiliation de ces derniers à partir du 1 janvier 2020 » sur base de l’article 13, paragraphe 1er, b), i) en arguant que les activités, à partir de cette date, sont désormais exercées en alternances.

En tout cas, contrairement aux développements des juges de première instance, toutes les parties concernées étaient en possession des éléments essentiels à la base desquels le CCSS, après avoir recueilli les positions et arguments aussi bien de l’employeur que des salariés, a pris la décision présidentielle du 4 mai 2021. Sur opposition relevée par toutes les parties concernées, un échange supplémentaire de prises de position respectives a eu lieu ayant amené le conseil d’administration, par décision du 22 octobre 2021, à réformer partiellement la décision présidentielle »910.

Suite à ces développements l’arrêt entrepris a pu valablement – et souverainement – conclure qu’en :

« guise de conclusion, il y a lieu de retenir que les dispositions légales en matière d’affiliation des assurés à la sécurité sociale prévoient des règles de procédures particulières tenant compte d’une façon suffisante des droits des personnes assurées et 9 Arrêt entrepris, pages 8 et suivants 10 Mise en évidence ajoutée leur procurent au moins une protection égale à celle créé par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et exceptant de son application les procédures spéciales présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré »11.

Il s’ensuit que l’unique moyen de cassation n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi en cassation est irrecevable.

A titre subsidiaire, l’unique moyen de cassation n’est pas fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Marc SCHILTZ 11 Arrêt entrepris, page 12 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30/24
Date de la décision : 22/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-02-22;30.24 ?

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