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22/02/2024 | LUXEMBOURG | N°29/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 22 février 2024, 29/24


N° 29 / 2024 du 22.02.2024 Numéro CAS-2023-00091 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par

Maître Yamina NOURA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est él...

N° 29 / 2024 du 22.02.2024 Numéro CAS-2023-00091 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux février deux mille vingt-quatre.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Yamina NOURA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Pierre FELTGEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 10/23 IV - COM, rendu le 17 janvier 2023 sous le numéro CAL-2022-00069 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 16 mai 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 25 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 juin 2023 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 28 juin 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la société anonyme SOCIETE1.), entretemps en faillite, avait contracté un prêt auprès d’un établissement bancaire. PERSONNE2.) et PERSONNE1.) avaient garanti cet emprunt par deux actes de cautionnement personnel, chacun jusqu’à concurrence de la moitié de la dette principale.

PERSONNE2.) avait, en outre, contracté un cautionnement hypothécaire en garantie de l’intégralité de la même dette. Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait dit non fondée la demande de PERSONNE2.) dirigée contre PERSONNE1.) à lui verser, sur base de l’article 2033 du Code civil, la moitié de la somme qu’il avait payée en vertu des deux actes de cautionnement par lui souscrits, au motif que les deux parties au litige n’étaient pas cofidéjusseurs au sens de l’article 2033 du Code civil, puisqu’ils n’étaient pas engagés au paiement d’une même dette, mais de dettes distinctes, à savoir, chacun, à la moitié de la dette de la société. La Cour d’appel a, par réformation, déclaré fondée la demande de PERSONNE2.) et a fixé la part contributive des deux cautions.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 2033 du Code civil qui dispose que :

Mais ce recours n'a lieu que lorsque la caution a payé dans l’un des cas énoncés en l’article précédent. » Si les parties se sont engagées solidairement et indivisiblement avec la Société SOCIETE1.) envers le créancier pour le montant de 175.000 euros chacune.

Aucune solidarité entre les deux cautions n’a été prévue. ».

Réponse de la Cour En constatant que le défendeur en cassation s’était engagé en tant que caution personnelle et réelle et en retenant « La jurisprudence luxembourgeoise précise qu’une sûreté réelle constituée par un tiers est un cautionnement réel, le cautionnement étant caractérisé par l’intervention d’une personne pour garantir la dette d’autrui. Dans les rapports entre caution réelle et débiteur ou autres cautions réelles ou personnelles, ce sont les règles du cautionnement qui priment et la dimension réelle de la sûreté fournie passe au second plan. La caution réelle peut ainsi se retourner contre d’autres cautions réelles ou personnelles, afin de leur faire partager le poids de la dette (cf. CA 10 juillet 2002, Pas. 32, p. 284).

Le caractère réel de l’une des cautions ne fait pas obstacle à son recours contre les autres cautions, fussent-elles seulement personnelles, l’article 2033 ne distinguant pas selon le caractère réel des coobligés. » et « La caution qui a payé dispose d’un double recours personnel et subrogatoire, contre ses cofidéjusseurs. Entre cofidéjusseurs la dette se divise. Il est à ce sujet indifférent que les cautions se soient engagées dans un seul acte ou dans deux actes distincts alors qu’on admet que même si les cautions ont ignoré leurs engagements respectifs, dès lors qu’elles auront garanti la même dette ou le même ensemble de dettes, celle qui aura payé disposera des mêmes recours entre cofidéjusseurs. », excluant ainsi à juste titre la nécessité d’une stipulation expresse d’une solidarité entre cautions pour que le recours entre cofidéjusseurs puisse être exercé, les juges d’appel ont fait l’exacte application de la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil qui dispose que : Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » En examinant la doctrine et la jurisprudence française relatives à l’article 2033 du Code civil luxembourgeois, l’arrêt attaqué a dénaturé les obligations contractuelles des parties en violant l’article 1134 du Code civil. ».

Réponse de la Cour Il ressort des développements du moyen que la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir donné « une tout autre interprétation de la volonté des parties qui n’ont à aucun moment prévu une solidarité entre elles concernant deux dettes totalement distinctes ».

Il résulte de la réponse donnée au premier moyen que l’absence de stipulation d’une solidarité entre les cautions n’a pas d’incidence sur le recours entre cofidéjusseurs.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1202 du Code civil qui dispose que : La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée » Les parties se sont engagées chacune pour la somme de 175.000 euros solidairement et indivisiblement avec la société SOCIETE1.) et non pas entre cautions distincts envers le créancier pour le montant global de 350.000 euros.

Par l’effet de la solidarité, chacun des coobligés peut être contraint pour la totalité de la dette, sans qu’il puisse demander ni la mise en cause de ses codébiteurs ni la division de la dette or les parties au litige n’ont prévu aucune solidarité et l’arrêt attaqué a usé de son pouvoir d’interprétation des dispositions conventionnelles de manière discrétionnaire. ».

Réponse de la Cour Il résulte de la réponse donnée au premier moyen que l’absence de stipulation d’une solidarité entre les cautions n’a pas d’incidence sur le recours entre cofidéjusseurs.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Pierre FELTGEN, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) (n° CAS-2023-00091 du registre) Le pourvoi en cassation a été introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié le 16 mai 2023 à PERSONNE2.), défendeur en cassation. Il a été déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 25 mai 2023. Il est dirigé contre l’arrêt n°10/23-IV-COM, rôle n° CAL-2022-00069, rendu en date du 17 janvier 2023 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, et en matière d’appel contre le jugement rendu le 2 juillet 2021 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière commerciale (n° 2021TALCH02/01091, rôle TAL-2020-07637).

L’arrêt a été signifié le 16 mars 2023 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.).

Le pourvoi en cassation est recevable pour avoir été interjeté dans la forme et le délai prévus de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le mémoire en réponse a été signifié le 21 juin 2023 au domicile élu de la demanderesse en cassation et déposé le 28 juin 2023 au greffe de la Cour Supérieure de Justice.

Faits et rétroactes :

Le 19 avril 2012, la société anonyme SOCIETE1.) a souscrit l’ouverture d’une ligne de crédit pour un montant de 350.000,- euros auprès de la banque SOCIETE2.). L’emprunt était garanti par deux cautionnements solidaires et indivisibles d’un montant de 175.000,- euros chacun, par PERSONNE1.) et PERSONNE2.) et par une hypothèque d’un montant de 350.000,- euros sur une maison d’habitation appartenant à PERSONNE2.). Suite à la faillite de la société SOCIETE1.) en date du 27 mars 2013, PERSONNE2.) a remboursé à la banque SOCIETE2.), au courant de l’année 2014, la dette de la société SOCIETE1.) à concurrence de 356.983,21.- euros.

Le 30 septembre 2020, il a assigné PERSONNE1.) à lui payer la somme de 175.000,-

euros au motif qu’il était subrogé dans les droits de la banque SOCIETE2.) et disposait d’un recours envers elle en application de l’article 2033 du Code civil.

Par décision rendu le 2 juillet 2021 par la deuxième chambre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, PERSONNE2.) a été débouté de sa demande aux motifs qu’il et PERSONNE1.) n’étaient pas cofidéjusseurs au sens de l’article 2033 étant qu’ils n’étaient pas engagés au paiement de la même dette, mais de dettes distinctes, à savoir chaque fois la moitié de la somme empruntée par la société SOCIETE1.) et que PERSONNE1.) n’était pas tenue solidairement avec lui pour l’exécution des obligations de la société SOCIETE1.) envers la banque SOCIETE2.).

Sur appel de PERSONNE2.), la Cour d’appel a reconnu par arrêt rendu le 17 janvier 2023 à la caution réelle le recours de l’article 2033 du Code civil contre la caution personnelle PERSONNE1.) avec comme conséquence qu’il disposait d’un recours contre elle à raison de la part contributive de chacun. Après établissement de la part contributive de chacune des deux cautions, et fixation de celle de PERSONNE2.) à ¾ et celle de PERSONNE1.) à ¼ de la dette, la demande de PERSONNE2.) a été déclarée fondé à concurrence de 89.245,80.- euros.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation Le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 2033 du Code civil en ce que la Cour d’appel a déclaré « le caractère réel de l’un des deux cautions ne fait pas obstacle à son recours contre les autres cautions, fussent-elles seulement personnelles, l’article 2033 ne distinguant pas selon le caractère réel des coobligés ». La demanderesse en cassation fait valoir que la solidarité entre les deux cautions n’a pas été prévue et qu’elles n’ont pas cautionné la même dette. L’article 2033 concernerait le cautionnement de plusieurs personnes pour un même débiteur et pour une même dette ; cette condition ne serait pas remplie en l’espèce.

L’article 2033 du code civil dispose que « Lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion. Mais, ce recours n’a lieu que lorsque la caution a payé dans l’un des cas énoncés en l’article précédent. » La Cour d’appel a fait une exacte application de la loi, après avoir constaté que PERSONNE2.) s’était engagé en tant que caution personnelle et réelle et que suite à son remboursement de la dette à la banque SOCIETE2.), il était subrogé dans les droits de cette dernière, et après avoir exposé tant la doctrine française que les jurisprudences française et luxembourgeoise1, dit que dans les rapports entre caution réelle et débiteur ou autres cautions réelles ou personnelles, ce sont les règles du cautionnement qui priment et que la caution réelle peut se retourner contre d’autres cautions réelles ou 1 Cour d’appel, 10 juillet 2002, P. XXXII, page 284 personnelles afin de leur faire partager le poids de la dette et que le caractère réel de l’une des cautions ne fait pas obstacle à son recours contre les autres cautions, fussent-

elles seulement personnelles au motif que l’article 2033 du code civil ne distinguait pas selon le caractère des coobligés, et constaté que PERSONNE2.) pouvait agir en tant que caution réelle à l’encontre de la caution personnelle PERSONNE1.) sur base de l’article 2033 du Code civil.

Le moyen n’est partant pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil en ce que la Cour d’appel aurait dénaturé les obligations contractuelles des parties qui n’auraient pas prévu de solidarité entre elles concernant deux dettes distinctes.

Il est rappelé qu’à la différence de la Cour de cassation française qui décide que chaque fois que l’acte est clair et précis, le juge du fond ne peut, sous peine d’encourir le reproche de la dénaturation, en modifier le sens ou la portée, Votre Cour refuse de façon constante de connaître du grief de la dénaturation des écrits, qu’il s’agisse de la dénaturation de conventions ou d’écrits autres que des conventions, en considérant que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour interpréter les clauses d’une convention ainsi que l’intention des parties contractantes et que leur décision à ce sujet échappe à Votre contrôle.

Sous le couvert du grief d’une violation de l’article 1134 du Code civil par dénaturation des obligations contractuelles des parties, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation par les juges du fond, du contrat, de l’écrit ou du document qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Sur le troisième moyen de cassation Le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 1202 du Code civil en ce que la Cour d’appel aurait interprété de manière discrétionnaire des dispositions conventionnelles au mépris de la volonté des parties de ne pas prévoir de solidarité entre elles. L’article 1202 du code civil prévoit que « La solidarité ne se présume point : il faut qu’elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans des cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi. » L’interprétation des stipulations d’un contrat et, de façon plus générale, des rapports contractuels entre parties, relève selon la jurisprudence constante de Votre Cour du pouvoir souverain du juge du fond et n’est pas soumise à un contrôle de la part de la Cour de cassation.

Le moyen ne saurait partant être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

pour le Procureur général d’Etat, le Procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 29/24
Date de la décision : 22/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-02-22;29.24 ?

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