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30/11/2023 | LUXEMBOURG | N°131/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 30 novembre 2023, 131/23


N° 131 / 2023 du 30.11.2023 Numéro CAS-2023-00020 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente novembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre 1) PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), 2) PERSONNE2.

), demeurant à L-ADRESSE2.), demandeurs en cassation, comparant par la société...

N° 131 / 2023 du 30.11.2023 Numéro CAS-2023-00020 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente novembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre 1) PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), 2) PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), demandeurs en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée BONN & SCHMITT, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Gabriel BLESER, avocat à la Cour, et 1) PERSONNE3.), et son épouse 2) PERSONNE4.), les deux demeurant à L-ADRESSE3.), défendeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, 3) la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE4.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défenderesse en cassation.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 170/22 - II - CIV, rendu le 21 décembre 2022 sous le numéro CAL-2021-00403 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 13 février 2023 par PERSONNE1.) et PERSONNE2.) à PERSONNE3.), à PERSONNE4.) et à la société anonyme SOCIETE1.), déposé le 22 février 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 avril 2023 par PERSONNE3.) et PERSONNE4.) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à la société SOCIETE1.), déposé le 12 avril 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Bob PIRON.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait, après avoir constaté la nullité du compromis de vente conclu entre le vendeur PERSONNE1.) et les acquéreurs, les époux GROUPE1.), dit partiellement fondée la demande en indemnisation dirigée par les acquéreurs contre PERSONNE1.) et non fondée celle dirigée contre PERSONNE2.), épouse commune en biens de PERSONNE1.). La Cour d’appel a confirmé ce jugement, sauf à augmenter le montant des dommages et intérêts.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 1382 du Code civil ;

En ce que la cour d'appel a condamné M. PERSONNE1.) à la somme de 45.091,33 euros augmentée des intérêts légaux au titre de sa responsabilité civile délictuelle ;

Aux motifs qu’il résulte des éléments soumis à la cour d'appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente ; que non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu'à défaut de signature et d'accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire ; qu'en se présentant comme l'unique propriétaire de l'immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s'abstenant d'obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s'est rendu coupable de manœuvres dolosives ; que c'est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont dit que PERSONNE1.) a commis une faute, confinant au dol ; que s'il est vrai qu'en réalité, les deux parties au contrat irrégulier sont chacune fautive ; l'époux pour avoir contracté sans pouvoir, le cocontractant pour n'avoir pas vérifié la réalité de ce pouvoir, l'exigence de vérification par le cocontractant du pouvoir de l'époux avec lequel il contracte ne saurait exonérer celui-ci de toute responsabilité s'il s'est rendu coupable de manœuvres dolosives ; qu'il s'ensuit que la responsabilité délictuelle de PERSONNE1.) a, à juste titre, été retenue en première instance ;

Alors que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que le seul fait d'avoir vendu un immeuble commun sans le consentement de son épouse, fût-ce de façon dolosive, ne constitue pas une faute dont le mari devrait répondre envers l'acquéreur ; qu'il convient en effet de protéger l'épouse des répercussions préjudiciables qu'une condamnation de son mari aurait pour elle ; que la cour d'appel a pourtant relevé que PERSONNE1.) estime que c'est à tort que sa responsabilité a été retenue. Il prétend, en citant diverses doctrines et jurisprudences, que le seul fait par lui d'avoir signé un compromis de vente sans le consentement de son épouse ne constitue pas une faute dont il devrait répondre. Il conviendrait de protéger le conjoint commun en bien, dont le patrimoine, risquerait par ricochet, de se trouver affecté par la condamnation de l'époux vendeur », prenant dès lors bonne note de la règle de droit applicable au litige ; qu'en décidant toutefois, pour retenir la responsabilité civile délictuelle de M. PERSONNE1.), qu'il aurait commis un dol en signant seul le compromis de vente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1382 du Code civil. ».

Réponse de la Cour En retenant « En se présentant comme l’unique propriétaire de l’immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s’abstenant d’obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s’est rendu coupable de manœuvres dolosives. », les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 1116 du Code civil, En ce que la cour d'appel a condamné M. PERSONNE1.) à la somme de 45.091,33 euros augmentée des intérêts légaux au titre de sa responsabilité civile délictuelle ;

Aux motifs qu'il résulte des éléments soumis à la cour d'appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente ; que non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu'à défaut de signature et d'accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire ; qu'en se présentant comme l'unique propriétaire de l'immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s'abstenant d'obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s'est rendu coupable de manœuvres dolosives ; que c'est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont dit que PERSONNE1.) a commis une faute, confinant au dol ; que s'il est vrai qu'en réalité, les deux parties au contrat irrégulier sont chacune fautive ; l'époux pour avoir contracté sans pouvoir, le cocontractant pour n'avoir pas vérifié la réalité de ce pouvoir, l'exigence de vérification par le cocontractant du pouvoir de l'époux avec lequel il contracte ne saurait exonérer celui-ci de toute responsabilité s'il s'est rendu coupable de manœuvres dolosives ; qu'il s'ensuit que la responsabilité délictuelle de PERSONNE1.) a, à juste titre, été retenue en première instance ;

Alors que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il ne se présume pas, et doit être prouvé ; qu'en se bornant à énoncer, pour caractériser le dol dont il se serait rendu coupable, que, d'une part, M. PERSONNE1.) ne pouvait pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente, au motif qu'il avait conclu auparavant et dans un autre contexte un autre compromis signé par son épouse, alors que ce simple fait ne permettait pas de déterminer qu'il savait que le consentement de celle-ci était absolument requis, ni de caractériser une obligation de renseignement à sa charge, ni d'en inférer sa mauvaise foi, d'autant que le compromis litigieux avait été établi non pas par lui, mais par l'agence immobilière SOCIETE1.), professionnel aguerri, qui connaissait quant à elle parfaitement le statut marital de M. PERSONNE1.) pour avoir établi les deux compromis précédents où figurait cette information ; que, d'autre part, il se serait prétendu célibataire, alors que M. PERSONNE1.) a toujours contesté ce fait et que ses adversaires ne l'ont jamais prouvé par autre chose que des écrits émanant d'eux-mêmes, établis ex-post pour les besoins de la cause et en violation du principe, invoqué par les exposants, suivant lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même ; qu'enfin il aurait signé seul le compromis, alors que ce seul fait ne manifeste, en soi, aucune intention dolosive, la cour d'appel a fait une fausse application de la loi et violé l'article 1116 du Code civil. ».

Réponse de la Cour En retenant « Il résulte des éléments soumis à la Cour d’appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente. Non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu’à défaut de signature et d’accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire.

En se présentant comme l’unique propriétaire de l’immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s’abstenant d’obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s’est rendu coupable de manœuvres dolosives. », les juges d’appel ont caractérisé l’intention dolosive dans le chef de l’époux vendeur et n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation des articles 53, 65 et 249 du Nouveau Code de procédure civile, En ce que la cour d'appel a condamné M. PERSONNE1.) à la somme de 45.091,33 euros augmentée des intérêts légaux au titre de sa responsabilité civile délictuelle ;

Aux motifs qu’en ce qui concerne PERSONNE1.), il est d'abord reproché aux juges de première instance que pour retenir une faute confinant au dol dans son chef, ils se sont basés, sans respecter le principe du contradictoire, sur une décision de la Cour d'appel de Caen du 19 janvier 2021, rendue postérieurement à l'ordonnance de clôture du 14 janvier 2021 ; qu'il leur est encore reproché de ne pas avoir motivé leur jugement de ce chef en violation de l'article 249 du Nouveau Code de procédure civile ; que l'article 61 du Nouveau Code de procédure civile est rédigé comme suit :

Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat » ; que cet article prévoit ainsi deux obligations distinctes dans le chef des juges, à savoir celle de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et celle de donner aux faits et actes litigieux leur exacte qualification ; que PERSONNE1.) n'indique cependant, ni dans son moyen proprement dit ni dans la discussion du moyen une quelconque règle de droit qui aurait été violée, mais se limite à reprocher aux juges de première instance de ne pas s'être basés, pour arriver à leur conclusion, sur les doctrines et jurisprudences anciennes produites en cause, mais sur une décision récente de la cour d'appel de Caen ; que le fait par les juges de première instance de se baser sur une décision récente de la cour d'appel de Caen et non pas sur la doctrine et les jurisprudences plus anciennes produites en cause par PERSONNE1.) ne relève pas de l'article 61 du Nouveau Code de procédure civile ; que le reproche leur adressé d'avoir et de ne pas avoir recueilli les observations des parties afin de ( n'est partant pas fondé ;

Alors que, de première part, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que le juge ne peut, sous peine de dénaturation, modifier l'objet du litige ainsi défini ; que si les exposants ont cité plus haut dans leurs conclusions l'article 61 du Nouveau Code de procédure civile, ils se sont surtout expressément prévalus au cas d'espèce et au soutien du grief tiré de la méconnaissance du principe de la contradiction, de l'article 65 du même Code, de sorte qu'en analysant leur grief, pourtant clairement énoncé, au regard de l'article 61 et non au regard de l'article 65, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions, en violation de l'article 53 du Nouveau Code de procédure civile ;

Alors que, de deuxième part, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que le juge ne peut, sous peine de dénaturation, modifier l'objet du litige ainsi défini ; que les exposants ont, outre l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 19 janvier 2021, critiqué l'invocation d'office par les premiers juges d'une note de doctrine sans la soumettre au débat contradictoire, ce que la cour d'appel a omis de rappeler et, partant, d'examiner, en violation de l'article 53 du Nouveau Code de procédure civile ;

Alors que, de troisième part, le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la décision confirmative d'un premier jugement méconnaissant le principe de la contradiction encourt la nullité ; que la cour d'appel a constaté que les premiers juges n'avaient pas respecté le contradictoire en invoquant d'office et sans débat contradictoire un arrêt postérieur à l'ordonnance de clôture, jamais invoqué ni dès lors discuté entre les parties, au mépris du principe précité ; qu'en jugeant cependant que ce reproche n'était pas fondé, la cour d'appel a violé l'article 65 du Nouveau Code de procédure civile.

Alors que, de quatrième part, tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions, équivaut à un défaut de motif ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions des exposants tendant à démontrer que ni l'arrêt de la cour d'appel de Caen ni la note de doctrine dont les premiers juges avaient excipé d'office n'étaient de nature à remettre en cause le principe suivant lequel le seul fait pour le mari de conclure seul la vente d'un bien commun n'est pas de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions claires des exposants sur ce point et violé l'article 249 du Nouveau Code de procédure civile. ».

Réponse de la Cour Sur les première et deuxième branches réunies du moyen Selon l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

En retenant « Le fait par les juges de première instance de se baser sur une décision récente de la Cour d’appel de Caen et non pas sur la doctrine et les jurisprudences plus anciennes produites en cause par PERSONNE1.) ne relève pas de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile.

Le reproche leur adressé d’avoir droit » et de ne pas avoir recueilli les observations des parties afin de n’est partant pas fondé.», les juges d’appel n’ont ni soulevé d’office un moyen qu’ils auraient dû soumettre au débat contradictoire ni modifié l’objet du litige. Ils n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux premières branches, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen Au vu de la réponse donnée aux deux premières branches du moyen, le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur la quatrième branche du moyen Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs qui est un vice de forme. Les juges d’appel ne sont pas tenus de rentrer dans le détail de l’argumentation des parties.

En retenant « Il résulte des éléments soumis à la Cour d’appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente. Non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu’à défaut de signature et d’accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire.

En se présentant comme l’unique propriétaire de l’immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s’abstenant d’obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s’est rendu coupable de manœuvres dolosives.

S’il est vrai qu’en réalité, les deux parties au contrat irrégulier sont chacune fautive ; l’époux pour avoir contracté sans pouvoir, le cocontractant pour n’avoir pas vérifié la réalité de ce pouvoir, l’exigence de vérification par le cocontractant du pouvoir de l’époux avec lequel il contracte ne saurait exonérer celui-ci de toute responsabilité s’il s’est rendu coupable de manœuvres dolosives.», les juges d’appel ont répondu aux conclusions des demandeurs en cassation.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa quatrième branche, n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Les demandeurs en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leur demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge des époux GROUPE1.) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande des demandeurs en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne les demandeurs en cassation à payer aux époux PERSONNE3.) et PERSONNE4.) une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société en commandite simple KLEYR GRASSO sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence de l’avocat général Nathalie HILGERT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de 1) PERSONNE1.) 2) PERSONNE2.), épouse PERSONNE1.) contre 1) PERSONNE3.) 2) PERSONNE4.) en présence de la société anonyme SOCIETE1.) (CAS-2023-00020 du registre) Par mémoire déposé au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg le 22 février 2023, PERSONNE1.) et PERSONNE2.), épouse PERSONNE1.), ont introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt civil portant le numéro 170/22 – II– CIV, contradictoirement rendu entre parties le 21 décembre 2022, par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel.

Les demandeurs en cassation ont déposé un mémoire, signé par un avocat à la Cour, signifié le 13 février 2023 au domicile de PERSONNE3.) et à la personne d’PERSONNE4.) et de la société anonyme SOCIETE1.), antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans le délai1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Faits et rétroactes Le 15 janvier 2019, PERSONNE3.) et PERSONNE4.) ont conclu avec PERSONNE1.) un compromis de vente portant sur l’acquisition d’un appartement d’une surface habitable de 138,34 mètres carrés, sis à L-ADRESSE5.), moyennant un prix de vente de 1.160.000 euros, payable à la signature de l’acte notarié devant intervenir au plus tard pour le 30 avril 2019. Seul PERSONNE1.) est y désigné comme partie venderesse.

Suivant courriel du 13 mai 2019, l’agence immobilière SOCIETE1.) a informé PERSONNE3.) et PERSONNE4.) que le rendez-vous devant le notaire prévu pour le 17 mai 2019 en vue de la signature de l’acte authentique de vente ne pourrait pas se réaliser, étant donné que 1 L’acte de signification de l’arrêt dont pourvoi, versé au dossier, établit que l’arrêt en question a été signifié le 25 janvier 2023 par l’huissier de justice Véronique REYTER à PERSONNE1.), à PERSONNE2.), épouse PERSONNE1.) et à la société anonyme SOCIETE1.).

PERSONNE1.) avait fait part à l’agence du fait que son épouse, PERSONNE2.), s’opposerait à la vente de l’immeuble.

Par exploit d’huissier de justice du 25 février 2020, les époux GROUPE1.) ont assigné PERSONNE1.) et PERSONNE2.) devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour voir déclarer résolu le compromis de vente du 15 janvier 2019 aux torts exclusifs de PERSONNE1.) et de PERSONNE2.), sinon aux torts exclusifs de PERSONNE1.) et pour voir condamner PERSONNE1.) et PERSONNE2.) au paiement de la somme de 116.000 euros au titre de la clause pénale, sinon au paiement de la somme de 270.124,47 euros au titre du préjudice matériel subi, ainsi qu’au paiement de la somme de 50.000 euros au titre du préjudice moral subi.

Par jugement du 26 février 2021, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, après avoir constaté la nullité du compromis de vente du 15 janvier 2019, a dit la demande en indemnisation fondée à l’égard de PERSONNE1.) jusqu’à concurrence du montant de 8.953,51 euros et non fondée à l’égard de PERSONNE2.), et a condamné PERSONNE1.) à payer aux époux GROUPE1.) le montant de 8.953,51 euros à titre de dommages intérêts, augmenté des intérêts légaux à partir du 25 février 2020 jusqu’à solde, ainsi qu’une indemnité de procédure de 2.000 euros.

De ce jugement, PERSONNE1.) et PERSONNE2.) ont relevé appel suivant exploit d’huissier de justice du 31 mars 2021.

Les époux GROUPE1.) ont relevé appel incident.

Par arrêt du 21 décembre 2022, dont pourvoi, la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, a dit l’appel principal non fondé, dit l’appel incident partiellement fondé et a condamné PERSONNE1.) à payer à PERSONNE3.) et PERSONNE4.) la somme de 45.091,33 euros, augmentée des intérêts légaux à partir du 25 février 2020 jusqu’à solde ainsi qu’une indemnité de procédure de 4.500 euros pour la première instance et une indemnité de procédure de 4.500 euros pour l’instance d’appel.

Sur le premier moyen de cassation Aux termes du premier moyen de cassation, les demandeurs en cassation font grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 1382 du Code civil, en ce qu’ils ont condamné PERSONNE1.) à payer à PERSONNE3.) et PERSONNE4.) la somme de 45.091,33 euros au motif que non divorcé au moment de la signature du compromis de vente conclu avec les époux GROUPE1.), PERSONNE1.) s’est présenté comme seul propriétaire de l’immeuble qui faisait l’objet du compromis de vente, en persuadant ainsi ses co-contractants de son pouvoir en se prétendant célibataire, commettent ainsi une faute équipollente au dol qui est à l’origine du dommage subi par les époux GROUPE1.), alors que le seul fait de vendre un immeuble commun, fût-ce de manière dolosive, ne constituerait pas une faute dont le mari devrait répondre envers les acquéreurs.

Les demandeurs en cassation reprochent à la Cour d’appel d’avoir retenu dans son chef une faute et cela contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation française selon laquelle le seul fait d'avoir vendu un immeuble commun sans le consentement de sa femme ne constitue pas une faute dont le mari doit répondre envers l'acquéreur.

L’article 1382 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

L’existence d’une faute, dans le cadre de l’application de l’article 1382 du Code civil, relève du pouvoir d’appréciation des juges du fond et échappe à tout contrôle de Votre Cour.

Le présent moyen ne concerne pas la question de l’appréciation de l’existence d’une faute mais a trait à la question de la responsabilité à l’égard du cocontractant de l’époux qui a outrepassé ses pouvoirs en rapport avec des biens communs avec son conjoint.

Il s’agit d’une question d’ordre juridique qui relève du contrôle de Votre Cour.

La jurisprudence de la Cour de cassation française qui exclut tout recours délictuel de son cocontractant contre l’époux qui a outrepassé son pouvoir est critiquée par une partie de la doctrine.

Tout d’abord la doctrine constate à juste titre que « (…) la passation d’un acte juridique par un époux dépourvu de pouvoir - ou de pouvoir suffisant - est indéniablement une faute. [et] Que cette faute puisse être source de préjudice pour son cocontractant est indéniable2 ».

L’argument en faveur de la position de la Cour de cassation française, consistant à dire que la faute du cocontractant, qui n’a pas vérifié si l’époux qui a contracté avait le pouvoir nécessaire, justifie le refus du recours délictuel contre l’époux n’est pas jugé convaincant par la doctrine.

Tout en admettant que l’époux dépourvu de pouvoir - ou de pouvoir suffisant - et son cocontractant n’ayant pas vérifié la réalité du pouvoir de ce dernier sont tous les deux fautifs, la doctrine retient ce qui suit : « On pourrait donc expliquer la position de la jurisprudence par une sorte de neutralisation de la faute de l’un par l’autre. Mais dès lors que le préjudice du cocontractant évincé est réel, ce constat d’un concours de fautes devrait normalement se traduire par un partage des responsabilités en fonction du rôle causal de chacune d’elles et non par une exonération pure et simple3 ».

En effet, la faute éventuelle de l’acquéreur qui n’a pas pris les renseignements requis est pertinente au niveau d’un éventuel partage de responsabilité entre l’époux vendeur et l’acquéreur, mais elle ne peut pas être exclusive de la faute de l’époux vendeur.

Une partie de la doctrine admet encore qu’une réparation du préjudice causé par un époux qui a outrepassé ses pouvoirs et qui s’est rendu coupable de manœuvres dolosives, en se prétendant célibataire, séparé ou divorcé peut être justifiée par ces manœuvres dolosives. D’autres excluent également tout recours délictuel du cocontractant contre l’époux qui a outrepassé son pouvoir, même en cas de dol de ce dernier4.

Quant à la jurisprudence française, si elle réservait dans un premier temps l’hypothèse du dol, cette réserve ne semble pas avoir été maintenue par la suite.

2 JCL Droit civil, Communauté légale, Fasc.20, (5,2021), n°80 3 Idem n°81 4 Idem 82 Votre Cour a décidé que le seul fait d’avoir vendu un immeuble commun sans le consentement de son épouse ne constitue pas une faute dont le mari devrait répondre envers l’acquéreur et qu’en retenant la responsabilité du demandeur en cassation, après avoir constaté l’absence de manœuvres dolosives de sa part, la Cour d’appel avait violé les dispositions visées au moyen5.

Il semble que l’hypothèse du dol ait été réservée.

Un raisonnement a contrario semble même impliquer qu’en présence d’un dol, la responsabilité de l’époux qui s’en est rendu coupable doit être retenue.

Il appartient à Votre Cour de décider si elle entend suivre la jurisprudence de la Cour de cassation française, le cas échéant parce que vous entendez ne pas vous départir de la plus haute juridiction française.

Or, conformément à la doctrine pré exposée, la solution retenue par la Cour de cassation française n’est guère convaincante.

Un raisonnement consistant à priver un tiers, victime de l’annulation de l’acte conclu par un époux ayant outrepassé ses pouvoirs en rapport avec des biens communs avec son conjoint, du droit à réparation du préjudice qu’il a subi en raison de la faute de l’époux qui a outrepassé ses pouvoirs, pour ne pas pénaliser financièrement l’époux de celui qui a vendu sans pouvoir, semble être justifié par des considérations fondées en opportunité mais non sur un plan strictement juridique.

Il en suit que le premier moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Aux termes du deuxième moyen de cassation, les demandeurs en cassation font grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 1116 du Code civil, en retenant que PERSONNE1.) a signé un compromis de vente sans le consentement de son épouse et s’est présenté à cette fin comme seul propriétaire de l’immeuble qui faisait l’objet du compromis de vente, en persuadant ainsi ses co-contractants de son pouvoir en se prétendant célibataire, commettent ainsi une faute équipollente au dol, alors que malgré le fait que le dol ne se présume pas et qu’il doit être prouvé, la Cour d’appel se serait contenté de déduire le dol dans le chef de PERSONNE1.) des éléments précités, sans que la preuve de leur réalité n’eût été rapportée.

En matière de dol, la Cour de cassation exerce un contrôle nuancé : elle abandonne au pouvoir souverain des juges du fond l’appréciation de l’existence, la pertinence et la gravité des faits allégués comme constitutifs de dol, c’est-à-dire non seulement l’appréciation des preuves tendant à établir l’existence des manœuvres dolosives mais encore l’appréciation de leur caractère déterminant sur la conclusion du contrat.6 5 Cass. 11 juillet 2013, n°60/13, n° 3228 du registre, p.3 6J. Boré, La cassation en matière civile, éd. 2023/2024, n° 67.42 ainsi que les références y citées En revanche, la Cour de cassation contrôle la qualification de dolosive ou non, attribuée par les juges du fond aux manœuvres qu’ils constatent.7 En l’espèce, les demandeurs en cassation, en reprochant à la Cour d’appel d’avoir retenu des faits constitutifs de dol, sans que la preuve de ces faits ne soit rapportée, tentent sous le couvert du grief de la violation de l’article 1116 du Code civil, de remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de la valeur des éléments de preuve qui leur ont été soumis et, par ce biais, de l’existence des éléments constitutifs du dol.

Or, cette appréciation échappe au contrôle de Votre Cour.

Il convient de relever que l’arrêt entrepris est motivé sur le point considéré comme suit :

« Il résulte des éléments soumis à la Cour d’appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente.

Non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX.) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu’à défaut de signature et d’accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire.

En se présentant comme l’unique propriétaire de l’immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s’abstenant d’obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s’est rendu coupable de manœuvres dolosives.

C’est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont dit que PERSONNE1.) a commis une faute, confinant au dol ».

Il en résulte que l’arrêt entrepris a suffisamment caractérisé les éléments constitutifs du dol, et plus particulièrement les manœuvres frauduleuses, de sorte que le moyen est à rejeter.

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi précitée du 18 février 1885, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le troisième moyen articule trois cas d’ouverture distincts, en reprochant aux juges d’appel la dénaturation de l’écrit, en l’espèce des conclusions récapitulatives, la violation de la loi (principe du contradictoire) et le défaut de motivation, de telle sorte que le troisième moyen est à déclarer irrecevable pour être un moyen complexe.

Le troisième moyen est irrecevable.

7 J. Boré, La cassation en matière civile, éd. 2023/2024, n° 67.42 ainsi que les références y citées En ordre subsidiaire :

Quant au troisième moyen, pris en sa première et sa deuxième branche Aux termes de la première branche du troisième moyen, les demandeurs en cassation reprochent aux juges du fond d’avoir méconnu le sens de leurs conclusions récapitulatives et d’avoir tiré de ces écrits des conséquences qu’ils considèrent comme erronées. Les juges d’appel auraient ainsi analysé le grief fait aux premiers juges, consistant à leur reprocher l’application d’une jurisprudence postérieure à la survenance de l’ordonnance de clôture, au regard de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile et non au regard de l’article 65 du même Code, dont la violation aurait été critiquée par les actuels demandeurs en cassation.

Aux termes de la deuxième branche, les demandeurs en cassation reprochent aux juges du fond d’avoir dénaturé l’objet du litige, en ce qu’ils auraient omis de prendre position par rapport à leur moyen tiré de l’article 65 du Nouveau Code de procédure civile.

La dénaturation constitue en France une ouverture de cassation de création jurisprudentielle.

Elle est essentiellement appliquée pour sanctionner une lecture manifestement erronée d'une disposition contractuelle ou d'un acte de procédure8.

Votre Cour refuse toutefois de façon constante de connaître du grief de la dénaturation des écrits, qu’il s’agisse de la dénaturation de conventions ou d’écrits autres que des conventions, y compris les conclusions écrites des parties. Votre Cour retient que de tels moyens tendent à critiquer l’interprétation par les juges du fond des conclusions des parties, qui relèvent de leur pouvoir souverain d’appréciation et dont le contrôle vous échappe9.

Il en suit que le troisième moyen, pris en sa première et sa deuxième branche, est non fondé.

Quant à la troisième branche Cette branche fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir violé le principe du contradictoire en ayant confirmé les premiers juges qui auraient relevé d’office un moyen de droit sans inviter les parties à formuler leurs observations, de sorte que le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté.

L’article 65 du Nouveau Code de procédure civile se situe dans une section intitulée « La contradiction » et dispose que :

« Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

8 J. Boré, La cassation en matière civile, éd. 2023/2024, n° 79.05 ainsi que les références y citées 9 Cass. 8 juillet 2010, n°46/10, n° 2771 du registre, p. 3 Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

Cette disposition est directement reprise de l’article 16 du Nouveau Code de procédure civile français. L’interprétation de ce dernier par la Cour de cassation française pourra donc constituer une source d’inspiration utile.

Deux enseignements pourront être tirés de la jurisprudence de la Cour de cassation française.

D’une part, l’importance de la règle, illustrée par de très nombreuses décisions de cassation, est soulignée par le fait qu’elle ne s’écarte même pas en présence de moyens d’ordre public10 ou de pur droit11.

D’autre part, cependant, le domaine de la règle, donc la notion de « moyens de droit que le juge a relevés d’office », est interprétée d’une façon restrictive.

A première vue, l’on serait tenté de considérer qu’un moyen de droit est relevé d’office « chaque fois que le juge introduit proprio motu dans le débat un élément de droit non invoqué par les parties »12.

En réalité, la notion est interprétée d’une façon plus restrictive comme visant le cas de figure dans lequel « le juge modifie le fondement juridique de la prétention, tel qu’il avait été proposé par la partie demanderesse »13.

« Relever d’office un moyen de droit, c’est faire spontanément application au litige de règles de droit autres que celles dont le demandeur ou le défendeur sollicitait le profit »14, donc, « appliquer une règle de droit autre que celle invoquée par les parties »15.

Ce n’est donc pas le fait en soi de se référer à un moyen de pur droit non invoqué par les parties qui est visé, mais celui d’introduire un moyen nouveau qui est différent de ceux invoqués par les parties.

La raison de cette restriction réside en l’article 61, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile qui oblige le juge de « trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Le juge doit appliquer le droit au fait. L’exercice de cette mission en soi n’est pas soumis à l’obligation de contradiction préalable, donc ne constitue pas le fait de soulever d’office un moyen au sens de l’article 65, même si la règle de droit a été appliquée par le juge sans qu’elle n’ait été invoquée par les parties.

10 JCL Procédure civile, Fasc.152, par Jacques Normand (9,1995), n°140.

11 Idem, n°141.

12 Répertoire Dalloz, Procédure civile, V° Principes directeurs du procès, n°192, page 24 13 Idem, n°200, page 25 14 JCL, Procédure civile, Fasc.152, n°64.

15 JCL, Procédure civile, Fasc.114, par Gérard Couchez (9,1998), n°63.

« Le juge, tenu (…) de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables, n’a soulevé aucun moyen d’office en donnant à sa décision le fondement juridique qui découlait des faits allégués ».16 Il n’y a moyen relevé d’office obligeant à invitation à un débat contradictoire que si le juge donne aux faits un fondement juridique autre que celui invoqué par les parties, donc s’il « procède par substitution »17.

A la lecture du jugement de première instance du 26 février 2021, il s’avère que les demandeurs en cassation ont fait valoir le principe selon lequel le seul fait pour le mari de conclure seul la vente d’un bien commun n’est pas de nature à engager sa responsabilité.

Les premiers juges, en tranchant la question si la responsabilité du mari qui a conclu seul la vente d’un bien commun peut – ou non – être engagée n’ont pas donné aux faits dont ils étaient saisis un fondement juridique autre que celui invoqué par les parties ni n’ont fait état d’un moyen de droit qui ne se trouvait pas dans les débats, de sorte que le principe du contradictoire n’a pas été violé, le fait de se référer à une solution jurisprudentielle distincte de celle invoquée par l’une des parties en cause, ne constituant pas une modification du fondement juridique d’une prétention.

Il ressort de la lecture des conclusions récapitulatives des demandeurs en cassation que ces derniers ont critiqué en instance d’appel les juges de première instance pour avoir basé leur décision sur un arrêt de la Cour d’Appel de Caen du 19 janvier 2021, rendu postérieurement à l’ordonnance de clôture du 14 janvier 2021, pour remettre en cause les jurisprudences anciennes, versées par les demandeurs en cassation. Les demandeurs en cassation ont soulevé que cette façon de procéder des premiers juges était critiquable tant au regard de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile qu’au regard de l’article 65 du Nouveau Code de procédure civile.

Les juges d’appel ont répondu ce qui suit :

« En ce qui concerne PERSONNE1.), il est d’abord reproché aux juges de première instance que pour retenir une faute confinant au dol dans son chef, ils se sont basés, sans respecter le principe du contradictoire, sur une décision de la Cour d’appel de Caen du 19 janvier 2021, rendu postérieurement à l’ordonnance de clôture du 14 janvier 2021.

Il leur est encore reproché de ne pas avoir motivé leur jugement de ce chef en violation de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile.

L’article 61 du Nouveau Code de procédure civile est rédigé comme suit :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

16Cour de cassation française, chambre commerciale, 27 juin 2006, pourvoi n°05-13429 17JCL Procédure civile, Fasc.152, n°147 Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. » Cet article prévoit ainsi deux obligations distinctes dans le chef des juges, à savoir celle de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et celle de donner aux faits et actes litigieux leur exacte qualification.

PERSONNE1.) n’indique cependant, ni dans son moyen proprement dit ni dans la discussion du moyen une quelconque règle de droit qui aurait été violée, mais se limite à reprocher aux juges de première instance de ne pas s’être basés, pour arriver à leur conclusion, sur les doctrines et jurisprudences anciennes produites en cause, mais sur une décision récente de la Cour d’appel de Caen.

Le fait par les juges de première instance de se baser sur une décision récente de la Cour d’appel de Caen et non pas sur la doctrine et les jurisprudences plus anciennes produites en cause par PERSONNE1.) ne relève pas de l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile.

Le reproche leur adressé d’avoir « d’office soulevé un moyen de pur droit » et de ne pas avoir recueilli les observations des parties afin de « respecter le principe du contradictoire » n’est partant pas fondé ».

En confirmant les premiers juges, la Cour d’appel n’a pas commis une violation du principe du contradictoire, l’arrêt critiqué ayant tranché le moyen soulevé par les demandeurs en cassation conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables.

Il en suit que le troisième moyen en sa troisième branche n’est pas fondé.

Quant à la quatrième branche Les demandeurs en cassation reprochent aux juges du fond un défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’Appel n’aurait pas répondu à leurs conclusions critiquant l’interprétation faite par les premiers juges de l’arrêt de la Cour d’appel de Caen du 19 janvier 2021 ainsi que de la doctrine dont les premiers juges avaient excipé d’office.

Il ressort de leurs conclusions récapitulatives du 19 mai 2022 que les actuels demandeurs en cassation ont critiqué l’interprétation faite par les premiers juges de l’arrêt et de la doctrine en question, au motif que les premiers juges se sont basés sur cette jurisprudence et sur cette doctrine pour retenir la responsabilité de PERSONNE1.) alors que PERSONNE1.) et PERSONNE2.) étaient mariés sous le régime de la communauté des biens et que l’arrêt ainsi que la doctrine en question concernaient l’hypothèse de deux époux séparés de biens, de sorte que ni la jurisprudence ni la doctrine en question ne permettraient dans le cas d’espèce de déroger au principe selon lequel le fait pour le mari de conclure seul la vente d’un bien commun n’est pas de nature à engager sa responsabilité.

Les arrêts qui ne contiennent pas de motifs sont déclarés nuls ; le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs18.

18 J. Boré, La cassation en matière civile, éd. 2023/2024, n° 77.180 ainsi que les références y citées Le reproche de défaut de réponse ne saurait aboutir que si les conclusions prétendument laissées sans réponse – la Cour de cassation utilise généralement l’expression : « conclusions prétendument délaissées » - invoquaient un « moyen »19.

Le moyen auquel les juges sont tenus de répondre, n’a pas de définition légale, mais il peut être décrit comme étant un raisonnement qui, partant d’un fait, d’un acte ou d’un texte, aboutit à une conclusion juridique propre à justifier une prétention présentée en demande ou en défense.

A défaut, l’énonciation que le demandeur en cassation reproche aux juges du fond d’avoir passé sous silence est un argument qui n’oblige pas le juge à répondre. La Cour de cassation utilise souvent le terme de « simple argument », qu’elle oppose au moyen proprement dit20.

La caractéristique principale du moyen est donc que l’énonciation s’insère dans un raisonnement juridique, c’est-à-dire que les conclusions tirent, en droit, des conséquences de cette énonciation21.

A supposer même que la partie ait tiré une conséquence de l’énonciation, encore faut-il que celle-ci, à la supposer exacte, conduise à cette conséquence.

La Cour de cassation a toujours affirmé que les juges du fond « ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ». Il n’est évidemment pas demandé aux juges du fond de s’expliquer sur chacun des faits allégués, sur chacun des documents produits, mais ils doivent prendre en considération, examiner ceux de ces éléments qui, dans la mesure où ils sont constants ou constatés, auraient été de nature à fonder la déduction juridique envisagée.

C’est par cet aspect qu’il est parfois difficile de distinguer le moyen de l’argument. Il appartient à la Cour de cassation d’apprécier22.

La question du régime matrimonial applicable constitue un fait invoqué par les demanderesses en cassation sur base duquel elles ont abouti à une conclusion juridique.

Les demandeurs en cassation ont ainsi développé un moyen en faisant valoir que la solution jurisprudentielle et doctrinale invoquée par les premiers juges ne saurait leur être appliquée, compte tenu du fait qu’ils étaient mariés sous un autre régime matrimonial que les parties dont le cas de figure avait été envisagée par la jurisprudence et la doctrine en question.

La réponse faite aux conclusions n’est pas nécessairement explicite. Elle est susceptible de « ressortir » du contexte de la décision et, aussi de « résulter nécessairement » des dispositions de cette décision qui impliquent un rejet du moyen si elles ne font pas apparaître son caractère inopérant.23 La Cour d’appel a donné une réponse au moyen des demandeurs en cassation, ayant tiré comme conclusion de leur moyen qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause le principe selon lequel le seul fait pour PERSONNE1.) de conclure seul la vente d’un bien commun n’est pas de nature à engager sa responsabilité, les juges d’appel ayant retenu ce qui suit :

19 Droit et pratique de la cassation en matière civile, n°533, 3ème édition, LexisNexis, 2012 20 Ibidem 21 Ibidem 22 Droit et pratique de la cassation en matière civile, n°534, 3ème édition, LexisNexis, 2012 23 Droit et pratique de la cassation en matière civile, n°537, 3ème édition, LexisNexis, 2012 « Il résulte des éléments soumis à la Cour d’appel que PERSONNE1.) ne pouvait, au vu de sa situation maritale, pas ignorer que le consentement de son épouse était nécessaire à la vente.

Non divorcé au moment de la signature du compromis avec les époux GROUPE1.) et au vu du fait que son épouse figurait dans un premier compromis de vente établi avec les époux GROUPEX) le 5 octobre 2017, il était bien au courant que PERSONNE2.) devait également figurer comme partie venderesse dans le compromis litigieux avec les époux GROUPE1.) et qu’à défaut de signature et d’accord de PERSONNE2.), la vente ne pouvait pas se faire.

En se présentant comme l’unique propriétaire de l’immeuble, en persuadant son cocontractant de son pouvoir en se prétendant célibataire, en s’abstenant d’obtenir le consentement de son épouse et en signant seul le compromis de vente, PERSONNE1.) s’est rendu coupable de manœuvres dolosives.

C’est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont dit que PERSONNE1.) a commis une faute, confinant au dol.

S’il est vrai qu’en réalité, les deux parties au contrat irrégulier sont chacune fautive ; l’époux pour avoir contracté sans pouvoir, le cocontractant pour n’avoir pas vérifié la réalité de ce pouvoir, l’exigence de vérification par le cocontractant du pouvoir de l’époux avec lequel il contracte ne saurait exonérer celui-ci de toute responsabilité s’il s’est rendu coupable de manœuvres dolosives.

Il s’ensuit que la responsabilité délictuelle de PERSONNE1.) a, à juste titre, été retenue en première instance ».

La Cour a partant adopté une motivation qui implique nécessairement une réponse aux conclusions des demandeurs en cassation.

Il en suit que le troisième moyen en sa quatrième branche n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, L’avocat général, Bob Piron 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 131/23
Date de la décision : 30/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-11-30;131.23 ?

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