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16/11/2023 | LUXEMBOURG | N°124/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 16 novembre 2023, 124/23


N° 124 / 2023 du 16.11.2023 Numéro CAS-2023-00019 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize novembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège

social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au r...

N° 124 / 2023 du 16.11.2023 Numéro CAS-2023-00019 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize novembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée Unalome Legal, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Marielle STEVENOT, avocat à la Cour, et PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 122/22 - III - TRAV, rendu le 17 novembre 2022 sous le numéro CAL-2020-00184 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière de droit du travail ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 16 février 2023 par la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) ») à PERSONNE1.), déposé le 16 février 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 6 avril 2023 par PERSONNE1.) à la société SOCIETE1.), déposé le 11 avril 2023 au greffe de la Cour ;

Ecartant le mémoire le mémoire en réplique signifié le 24 août 2023 par la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), déposé le 28 août 2023, en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur les conclusions de l’avocat général Anita LECUIT.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal du travail de Luxembourg s’était déclaré incompétent ratione materiae pour connaître de la demande en réparation dirigée par la société SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) du chef de deux fautes graves commises par la défenderesse en cassation dans le cadre du contrat de travail. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de l’insuffisance de constatations de fait constitutive d’un défaut de base légale au regard de l’article 25 du Nouveau Code de Procédure Civile, En ce que l’arrêt attaqué a dit l’appel non fondé et en déboute » et a déclaré qu’ il y a partant lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’incompétence rationae materiae du Tribunal du travail pour connaître de la demande en réparation dirigée par SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) » Au motif que :

Première branche Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A.

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière » Alors que, aux termes de l’article 25 du Nouveau Code de Procédure civile :

Le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives aux contrats de travail, aux contrats d’apprentissage et aux régimes complémentaires de pension qui s’élèvent entre les employeurs, d’une part, et leurs salariés, d’autre part, y compris celles survenant après que l’engagement a pris fin. » Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail, la Cour d’appel a négligé une partie des constatations de faits qu’elle aurait dû faire pour juger correctement l’affaire :

En omettant d’analyser en quelle qualité Madame PERSONNE1.) avait agi dans le cadre de la négociation et de la conclusion des Accords Secrets, et en particulier en omettant de distinguer précisément les rôles, fonctions et prérogatives relevant respectivement de son mandat d’administratrice-déléguée de la Banque et de son activité salariée en tant que ;

En considérant que le fait pour Madame PERSONNE1.) d’avoir un pouvoir de signature de catégorie A était une prérogative liée à la fonction d’administratrice-

déléguée de la Banque et non pas à sa qualité de salariée, sans vérifier si les autres titulaires d’un pouvoir de signature de catégorie A étaient également administrateurs de la Banque ; et En tirant des conclusions inappropriées sur base d’un échange de courriels inopérant entre Monsieur PERSONNE2.) et le cabinet d’avocats Bonn Steichen & Partners, ne permettant pas de confirmer que Madame PERSONNE1.) avait agi en sa qualité d’administratrice-déléguée de la Banque lors de la conclusion des Accords Secrets.

Et, au motif que, Deuxième branche Quant au deuxième comportement fautif reproché à l’intimée, il se situe, à le supposer établi, dans une période nettement postérieure à la cessation du contrat de travail et se rapporte à l’exécution du mandat social de l’intimée » Alors que, aux termes de l’article 25 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives aux contrats de travail, aux contrats d’apprentissage et aux régimes complémentaires de pension qui s’élèvent entre les employeurs, d’une part, et leurs salariés, d’autre part, y compris celles survenant après que l’engagement a pris fin. » Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail la Cour d’appel a négligé une partie des constatations de faits qu’elle aurait dû faire pour juger correctement l’affaire en omettant d’analyser :

en quoi le fait que les dissimulations dans le cadre de l’enquête sur les fautes reprochées à Madame PERSONNE1.) se sont déroulées dans une période empêche de considérer qu’il s’agit d’une contestation , relevant de la compétence du tribunal du travail selon l’article 25 du Nouveau Code de Procédure Civile ; et en quoi les agissements de Madame PERSONNE1.) lors de l’enquête PwC ne seraient pas en lien avec les obligations découlant de son contrat de travail. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen En retenant, quant au premier comportement fautif reproché à la défenderesse en cassation, « Si le cumul entre les fonctions de mandataire social, chargé de la direction d’une société, et celles de salarié de cette même société est possible, encore faut-il que ces dernières fonctions soient nettement distinctes et dissociables des fonctions de mandataire social et que, dans leur exercice, l’intéressé se trouve dans un état de subordination à l’égard de la société. Concernant la spécificité des fonctions de salarié, il est généralement admis que celles-ci doivent être nécessairement distinctes des fonctions relevant du mandat social, en ce sens qu’elles doivent être insusceptibles d’être considérées comme découlant du mandat social (cf. not. Cour d’appel, III, 25.06.2015, n° du rôle 40 805 ; 14.07.2015, n° du rôle 40 526 ; VIII, 13.07.2017, n° du rôle 43 962).

Le premier comportement fautif que l’appelante reproche à l’intimée, se situe en juin 2015, par conséquent dans la période pendant laquelle l’intimée était à la fois salariée et administratrice-déléguée de l’appelante.

L’appelante reproche plus précisément à PERSONNE1.) d’avoir pris, au nom et pour compte de l’appelante, des engagements secrets envers des tiers, aux conséquences gravement préjudiciables.

Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A.

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière.

Il est relevé à cet égard qu’antérieurement à la signature des accords litigieux, PERSONNE2.) s’est adressé au cabinet d’avocats BONN STEICHEN & PARTNERS, appelé à être le dépositaire de ces accords, par courriel daté du 17 juin 2014 (cf. pièce n° 12 de la farde I de l’appelante), pour l’informer de ce que les documents seraient signés par l’intimée en tant que titulaire d’une signature de la catégorie A et par lui-même en tant que titulaire d’une signature de la catégorie B (« … all relevant documents will be signed by S. PERSONNE1.) as signatory A and myself as signatory B ») et demande à son interlocuteur si ce dernier a besoin de documents sociaux en vue de la conclusion formelle des accords engageant SOCIETE1.) (« please send me the list of the corporate documents that you require for the signing of the escrow documents for SOCIETE1.) »).

Dans sa réponse, envoyée le lendemain (cf. pièce n° 12 de la farde I de l’appelante), l’interlocuteur de PERSONNE2.) auprès du cabinet d’avocats BONN STEICHEN & PARTNERS, écrit qu’il n’a pas besoin d’autres documents, l’extrait du registre du commerce renseignant l’identité de PERSONNE1.) (« For the purpose of deposition of documents in escrow, I will need nothing. I obtained today an extract from RCS and given that it explicitly mentions PERSONNE1.), we can rely on that »).

L’échange reproduit ci-dessus ne fait que confirmer que la conclusion des accords dont il s’agit relevait de la fonction de mandataire social de PERSONNE1.), et non pas de sa fonction de salariée. », les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, analysé les mandats détenus par la défenderesse en cassation au sein de la société SOCIETE1.) ainsi que les tâches qui s’y rattachaient, avant de constater qu’elle avait agi en tant que mandataire social dans le cadre de la négociation et de la conclusion des « accords secrets », de sorte que les juridictions du travail étaient incompétentes ratione materiae pour connaître de la demande.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la seconde branche du moyen En retenant, quant au second comportement fautif reproché à la défenderesse en cassation, à la suite de la motivation reproduite ci-avant, que les faits reprochés à la défenderesse en cassation avaient trait à l’exécution de son mandat social et se situaient dans une période résolument postérieure à la cessation du contrat de travail, les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, examiné les critères leur permettant d’en déduire leur incompétence ratione materiae.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré, de la violation de l’article 89 de la Constitution luxembourgeoise et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de Procédure civile, en sa première branche, pour défaut de réponse à conclusions et, en sa deuxième branche, pour motifs hypothétiques.

En ce que l’arrêt attaqué a dit l’appel et a déclaré qu’ il y a partant lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’incompétence rationae materiae du Tribunal du travail pour connaître de la demande en réparation dirigée par SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) » Au motif que :

Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A ».

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière » Et que Quant au deuxième comportement fautif reproché à l’intimée, il se situe, à le supposer établi, dans une période nettement postérieure à la cessation du contrat de travail et se rapporte à l’exécution du mandat social de l’intimée » Alors que, Première branche L’article 89 de la Constitution luxembourgeoise dispose que :

Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique » Et que l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure civile dispose que :

« La rédaction des jugements contiendra les noms des juges, du procureur d'Etat, s'il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l'exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements. » Qu’aux termes d’une jurisprudence constante, le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un cas d’ouverture à cassation.

Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail et donc écarter l’application de l’article 25 du Nouveau Code de Procédure Civile, la Cour d’appel :

n’a pas répondu aux conclusions de la partie demanderesse en cassation (pages 11 et 12 de l’acte d’appel, point 2.3 des conclusions I de Me Lutgen) qui exposait que Madame PERSONNE1.) avait pris les engagements qui lui étaient reprochés en sa qualité de salariée de la Banque ;

n’a pas répondu aux conclusions de la partie demanderesse en cassation (page 8 de l’acte d’appel et page 4 des conclusions IV de Me Lutgen) qui exposait qu’un lien existait entre les manœuvres de dissimulation commises par Madame PERSONNE1.) et les obligations découlant de son contrat de travail, nonobstant le fait qu’ils ont eu lieu postérieurement à la fin du contrat de travail.

Et alors que, Deuxième branche L’article 89 de la Constitution luxembourgeoise dispose que :

Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique » Et que l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure civile dispose que :

La rédaction des jugements contiendra les noms des juges, du procureur d'Etat, s'il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l'exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements. » Que selon la jurisprudence constante et la doctrine autorisée en la matière, le fait de fonder une décision sur des motifs hypothétiques est une forme du défaut de motifs et constitue dès lors un cas d’ouverture à cassation.

Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail et donc écarter l’application de l’article 25 du Nouveau Code de Procédure Civile, la Cour d’appel s’est fondée sur des motifs hypothétiques en affirmant que Madame PERSONNE1.) avait agi en sa qualité de membre du conseil d’administration, en charge de la gestion journalière, sans faire reposer cette affirmation sur la constatation d’un fait réel et certain. ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies En tant que tirés de la violation des articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau Code de procédure civile, le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Par les motifs, non hypothétiques, énoncés au premier moyen, les juges d’appel ont motivé leur décision.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Marie-

Jeanne KAPPWEILER et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation la société anonyme SOCIETE1.) S.A contre PERSONNE1.) N°CAS – 2023 - 00019 du registre Par mémoire signifié le 16 février 2023 et déposé au greffe de la Cour le même jour, PERSONNE1.) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt n° 122/22-III-TRAV rendu contradictoirement, le 17 novembre 2022, par la troisième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière de droit du travail, dans la cause entre les parties citées ci-

dessus et inscrite sous le numéro CAL-2020-00184 du rôle.

Suivant les renseignements fournis, ce jugement n’a pas été signifié à la partie demanderesse en cassation.

Le pourvoi, déposé dans les formes et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est recevable.

Le mémoire en réponse de la partie défenderesse en cassation, signifié le 6 avril 2023 à PERSONNE1.) en son domicile élu et déposé au greffe de la Cour en date du 11 avril 2023, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

La partie demanderesse en cassation a signifié un mémoire en réplique en date du 24 août 2023 et l’a déposé au greffe de la Cour le 28 août 2023. Ce mémoire répond aux exceptions d’irrecevabilité soulevées par la partie défenderesse en cassation par rapport au premier moyen, pris en ses deux branches.

L’article 17, ensemble avec l’article 19, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation prévoit que jusqu’au jour fixé pour le rapport à l’audience de la Cour de cassation, la partie demanderesse en cassation peut faire signifier un nouveau mémoire, soit pour redresser l’appréciation fausse que la partie défenderesse aura faite des faits qui servent de fondement au recours, soit pour répondre à un pourvoi incident ou aux exceptions et aux fins de non-recevoir opposées au pourvoi par la partie défenderesse.

Dans la mesure où le mémoire en réplique n’est relatif qu’à la recevabilité d’un moyen de cassation, il ne répond pas aux exigences de l’article 17 de la loi modifiée du 18 février 1885 et ne peut donc pas être pris en considération.

Faits et rétroactes :

Le présent pourvoi se situe dans le cadre d’un litige ayant trait à l’action en allocation de dommages-intérêts engagée par la société anonyme SOCIETE1.) S.A. (ci-après « SOCIETE1.) ») à l’encontre de PERSONNE1.) devant les juridictions du travail, tendant à la réparation du préjudice subi suite à deux fautes graves commises par cette dernière au cours de l’exécution de son contrat de travail et après la résiliation dudit contrat de travail.

Il était en substance reproché en premier lieu à PERSONNE1.), d’avoir, en sa qualité de salariée SOCIETE1.), conclu des accords secrets au nom et pour compte de la demanderesse en cassation qui auraient porté gravement préjudice à cette dernière et, en second lieu, d’avoir refusé de coopérer dans le cadre des investigations diligentées postérieurement à la résiliation du contrat de travail. PERSONNE1.) s’est opposée à cette demande en soulevant l’incompétence matérielle du tribunal du travail au motif que les accords litigieux auraient été signés par elle en sa qualité d’administratrice-

déléguée SOCIETE1.) et que le prétendu défaut de coopération lui reproché serait nettement postérieur à la résiliation de son contrat de travail.

Suivant jugement n° 3665/19 rendu le 2 décembre 2019, le tribunal du travail s’est déclaré matériellement incompétent pour connaître de la demande. Le tribunal du travail a motivé sa décision en jugeant que la première faute reprochée à PERSONNE1.), à la supposer établie, constituerait une violation de ses obligations de mandataire social et non pas de ses obligations de salariée. Pour ce qui est de la seconde faute, le tribunal a retenu qu’elle portait sur des actes qui n’auraient pas été posés en sa qualité de salariée et que par ailleurs le champ d’application de l’article L.121-9 du Code du travail ne saurait en principe être étendu à des actes commis après la fin de la relation de travail.

Suivant arrêt n°122/22-III-TRAV rendu le 17 novembre 2022 par la Cour d’appel, troisième chambre, siégeant en matière de droit du travail, l’appel SOCIETE1.) a été déclaré non fondé et le jugement entrepris a été confirmé.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Quant au premier moyen de cassation :

« tiré de l’insuffisance de constatations de fait constitutive d’un défaut de base légale au regard de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile ».

Le premier moyen est tiré du défaut de base légale au regard de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile en ce que l’arrêt attaqué a dit l’appel « non fondé et en déboute » et a déclaré qu’ « il y a partant lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’incompétence ratione materiae du Tribunal du travail pour connaître de la demande en réparation dirigée par SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) ».

Le moyen est présenté sous forme de deux branches.

La première branche fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que, « Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir relevant de la catégorie A ».

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière ».

Alors que, aux termes de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile :

« Le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives aux contrats de travail, aux contrats d’apprentissage et aux régimes complémentaires de pension qui s’élèvent entre les employeurs, d’une part, et leurs salariés, d’autre part, y compris celles survenant après que l’engagement a pris fin » Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail, la Cour d’appel a négligé une partie des constatations de fait qu’elle aurait dû faire pour juger correctement :

(a) En omettant d’analyser en quelle qualité Madame PERSONNE1.) avait agi dans le cadre de la négociation et de la conclusion des Accords Secrets, et en particulier en omettant de distinguer précisément les rôles, fonctions et prérogatives relevant respectivement de son mandat d’administratrice-déléguée de la Banque et de son activité salariée en tant que « Managing Director » ;

(b) En considérant que le fait pour Madame PERSONNE1.) d’avoir un pouvoir de signature de catégorie A était une prérogative liée à la fonction d’administratrice-déléguée de la banque et non pas à sa qualité de salariée, sans vérifier si les autres titulaires d’un pouvoir de signature de catégorie A étaient également administrateurs de la Banque ;

(c) En tirant des conclusions inappropriées sur base d’un échange de courriels inopérant entre Monsieur PERSONNE2.) et le cabinet d’avocats Bonn Steichen & Partners, ne permettant pas de confirmer que Madame PERSONNE1.) avait agi en sa qualité d’administratrice-déléguée de la Banque lors de la conclusion des Accords secrets ».

L’arrêt attaqué est motivé comme suit, « Si le cumul entre les fonctions de mandataire social, chargé de la direction d’une société, et celles de salarié de cette même société est possible, encore faut-il que ces dernières fonctions soient nettement distinctes et dissociables des fonctions de mandataire social et que, dans leur exercice, l’intéressé se trouve dans un état de subordination à l’égard de la société. Concernant la spécificité des fonctions de salarié, il est généralement admis que celles-ci doivent être nécessairement distinctes des fonctions relevant du mandat social, en ce sens qu’elles doivent être insusceptibles d’être considérées comme découlant du mandat social (cf. not. Cour d’appel, III, 25.06.2015, n° du rôle 40 805 ; 14.07.2015, n° du rôle 40 526 ; VIII, 13.07.2017, n° du rôle 43 962).

Le premier comportement fautif que l’appelante reproche à l’intimée, se situe en juin 2015, par conséquent dans la période pendant laquelle l’intimée était à la fois salariée et administratrice-déléguée de l’appelante.

L’appelante reproche plus précisément à PERSONNE1.) d’avoir pris, au nom et pour compte de l’appelante, des engagements secrets envers des tiers, aux conséquences gravement préjudiciables.

Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A.

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière.

Il est relevé à cet égard qu’antérieurement à la signature des accords litigieux, PERSONNE2.) s’est adressé au cabinet d’avocats BONN STEICHEN & PARTNERS, appelé à être le dépositaire de ces accords, par courriel daté du 17 juin 2014 (cf. pièce n° 12 de la farde I de l’appelante), pour l’informer de ce que les documents seraient signés par l’intimée en tant que titulaire d’une signature de la catégorie A et par lui-

même en tant que titulaire d’une signature de la catégorie B (« … all relevant documents will be signed by S. PERSONNE1.) as signatory A and myself as signatory B ») et demande à son interlocuteur si ce dernier a besoin de documents sociaux en vue de la conclusion formelle des accords engageant SOCIETE1.) (« please send me the list of the corporate documents that you require for the signing of the escrow documents for SOCIETE1.) »).

Dans sa réponse, envoyée le lendemain (cf. pièce n° 12 de la farde I de l’appelante), l’interlocuteur de PERSONNE2.) auprès du cabinet d’avocats BONN STEICHEN & PARTNERS, écrit qu’il n’a pas besoin d’autres documents, l’extrait du registre du commerce renseignant l’identité de PERSONNE1.) (« For the purpose of deposition of documents in escrow, I will need nothing. I obtained today an extract from RCS and given that it explicitly mentions PERSONNE1.), we can rely on that »).

L’échange reproduit ci-dessus ne fait que confirmer que la conclusion des accords dont il s’agit relevait de la fonction de mandataire social de PERSONNE1.), et non pas de sa fonction de salariée. » 1) En retenant tout d’abord qu’une même personne peut cumuler les deux qualités de salarié et de mandataire social à condition que les fonctions de salarié soient distinctes et dissociables des fonctions de mandataire social au point de ne pouvoir être considérées comme découlant du mandat social, et en soulignant que les fonctions salariales doivent par ailleurs s’exercer dans un lien de subordination à l’égard de la société, la Cour d’appel n’a fait que rappeler les clés d’un cumul valable.

Ces principes sont d’ailleurs en phase avec la jurisprudence constante selon laquelle un mandataire social peut se voir reconnaître la qualité de salarié à condition qu’il exerce, à côté de son mandat social, une fonction technique nettement distincte dans la société dans l’exécution de laquelle il se comporte comme salarié et se situe dans un rapport de subordination par rapport à la société.

Les magistrats du fond ont ainsi, de façon implicite, précisé qu’il importe qu’au sein d’une même société les fonctions de salarié et de mandataire social ne soient pas confondues. Pour garantir cette séparation, les fonctions reçues en vertu du contrat de travail ne doivent pas interférer avec les fonctions de direction et de gestion de la société.

La motivation de la Cour est non équivoque en ce qu’elle met explicitement l’accent sur la particularité des fonctions de salarié et sous-entend nécessairement que les tâches qui ne peuvent être spécifiquement rattachées aux fonctions de salarié pour être clairement dissociables des fonctions de mandataire social, doivent être considérées comme étant absorbées par ces dernières.

Ce faisant la Cour a posé les critères selon lesquels elle détermine, en cas de cumul des fonctions de mandataire social et de salarié dans le chef d’une même personne, quelle tâche relève de quelle catégorie de contrat.

2) La Cour a ensuite appliqué les critères énoncés au cas d’espèce, en prenant soin de préciser au préalable que les engagements litigieux sont qualifiés par la demanderesse en cassation elle-même -d’engagements secrets aux conséquences hautement préjudiciables, conclus en son nom et pour son compte par PERSONNE1.)-.

Elle a ainsi retenu que, « Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A.

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière. » Ce faisant a Cour a donc tout d’abord constaté que la défenderesse en cassation a été en mesure de signer les engagements litigieux parce qu’elle était investie d’un pouvoir de signature relevant de la catégorie A, soit un pouvoir de signature large, lui permettant d’engager la demanderesse en cassation.

Dans un deuxième temps la Cour a retenu que la conclusion des accords litigieux relevait de la fonction de mandataire social de la défenderesse en cassation et non pas de sa fonction de salariée.

Autrement exprimé, l’emploi du terme « cette prérogative » ne se rapporte, de l’avis de la soussignée, pas au « pouvoir de signature relevant de la catégorie A » dont il est question au paragraphe précédent et comme semble l’admettre la demanderesse en cassation, mais bien la conclusion des engagements litigieux.

Cette lecture de l’arrêt est encore confortée par la conclusion tirée par la Cour de l’échange de courriels dont elle fait état dans la suite de sa motivation, et qui se lit comme suit, « L’échange reproduit ci-dessus ne fait que confirmer que la conclusion des accords dont il s’agit relevait de la fonction de mandataire social de PERSONNE1.), et non pas de sa fonction de salariée. » En retenant que les engagements litigieux, qualifiés par la demanderesse en cassation elle-même comme étant d’importance cruciale, alors qu’elle indique dans le cadre de son mémoire en cassation, que les conséquences de la conclusion des engagements secrets ont constitué pour elle une « menace existentielle »1, la Cour a, en application des critères posés au préalable, implicitement mais nécessairement décidé que, par la nature et la portée des engagements secrets, la conclusion de ces derniers était indissociable des fonctions découlant du mandat social et ne pouvait s’analyser en fonction salariale nettement distincte des fonctions exercées par un mandataire social et caractérisée par un rapport de subordination du salarié envers son employeur.

Pour ce faire, et dans la mesure où la demanderesse en cassation a elle-même, à suffisance, décrit la nature et la portée des engagements litigieux prétendument conclus en son nom et pour son compte par la défenderesse en cassation, la Cour n’avait pas à se pencher plus en avant sur la nature des engagements secrets.

Les juges du fond ont dès lors logiquement exposé, au regard des critères énoncés pour caractériser les fonctions de salarié, et après avoir analysé et constaté les faits pertinents, leur raisonnement selon lequel la signature des accords litigieux en cause ne pouvait être considérée comme relevant d’une fonction distincte et dissociable de la fonction de mandataire social, pour conclure à l’incompétence ratione materiae des juridictions du travail.

1 Mémoire en cassation, page 5, paragraphe 7.

3) Par conséquent, ayant retenu que la conclusion des engagements litigieux ne pouvait être spécialement rattachée à la fonction salariale au regard des critères énoncés, la Cour n’avait pas à « distinguer précisément les rôles, fonctions et prérogatives » relevant du mandat social de la défenderesse en cassation de celles relevant de son activité salariale.

Le grief formulé sub (a) est dès lors dénoué de pertinence au regard du raisonnement de la Cour.

Dans la mesure où la Cour n’a, contrairement à ce que prétend la demanderesse en cassation, pas jugé que le fait de détenir un pouvoir de signature de catégorie A était une prérogative liée à la fonction d’administratrice-déléguée, elle n’avait pas à vérifier si les autres titulaires d’un pouvoir de signature de catégorie A étaient également administrateurs. Le grief formulé sub (b) est dès lors pareillement dénoué de pertinence au regard du raisonnement de la Cour.

Pour ce qui est du grief formulé sub (c) aux termes duquel la demanderesse en cassation reproche à la Cour d’avoir tiré des conclusions inappropriées d’un échange de courriels cité dans le cadre de sa motivation, la soussignée considère que ce grief s’attaque à des motifs surabondants et qu’il est dès lors inopérant.

Ainsi, après avoir fait état de ses motifs décisifs, la Cour invoque encore l’échange de courriels entre PERSONNE2.) et le cabinet d’avocats BONN, SCHMITT & STEICHEN en prenant soin de préciser que cet échange « ne fait que confirmer que la conclusion des accords dont il s’agit relevait de la fonction de mandataire social de PERSONNE1.), et non pas de sa fonction de salariée ».

Tant la formulation que les termes employés indiquent donc clairement que les motifs relatifs à cet échange de courriels sont surabondants et ils n’ont, par conséquent eu aucune influence sur le dispositif de l’arrêt attaqué. Le grief formulé sub (c) est dès lors inopérant.

4) Pour conclure la soussignée retient que le premier moyen, pris en sa première branche n’invoque que certains motifs avancés par les juges d’appel tout en faisant abstraction d’autres motifs pourtant retenus par les juges du fond pour motiver leur décision.

Le premier moyen procède d’une mauvaise lecture de l’arrêt entrepris, étant donné que la Cour d’appel n’a pas retenu que le fait de détenir un pouvoir de signature de catégorie A était une prérogative liée à la fonction d’administratrice-déléguée, mais qu’elle a, au contraire, jugé que la conclusion des accords secrets, qui était d’une importance capitale pour la défenderesse en cassation, ne pouvait être considérée comme étant nettement dissociable des fonctions relevant du mandat social.

Il en suit que la première branche du premier moyen manque en fait en ce qu’elle procède d’une lecture incomplète et erronée de l’arrêt attaqué.

Le premier moyen pris en sa première branche est partant irrecevable.

A titre subsidiaire, la première branche du premier moyen n’est pas fondée puisque par les motifs reproduits en réponse à la première branche du moyen, la Cour d’appel a motivé à suffisance sa décision de se déclarer incompétente ratione materiae en exposant clairement son raisonnement aux termes duquel elle a retenu que les engagements litigieux avaient été signés par la défenderesse en cassation en sa fonction de mandataire sociale.

La deuxième branche du premier moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que, « Quant au deuxième comportement fautif reproché à l’intimée, il se situe, à le supposer établi, dans une période nettement postérieure à la cessation du contrat de travail et se rapporte à l’exécution du mandat social de l’intimée ».

Alors que, aux termes de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile, « Le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives aux contrats de travail, aux contrats d’apprentissage et aux régimes complémentaires de pension qui s’élèvent entre les employeurs, d’une part, et leurs salariés, d’autre part, y compris celles survenant après que l’engagement a pris fin » Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail la Cour d’appel a négligé une partie des constations de fait qu’elle aurait dû faire pour juger correctement l’affaire en omettant d’analyser :

(i) en quoi le fait que les dissimulations dans le cadre de l’enquête sur les fautes reprochées à Madame PERSONNE1.) se sont déroulées dans une période « nettement postérieure à la cessation du contrat de travail » empêche de considérer qu’il s’agit d’une contestation « survenant après que l’engagement a pris fin », relevant de la compétence du tribunal du travail selon l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile ;

(ii) en quoi les agissements de Madame PERSONNE1.) lors de l’enquête PwC ne seraient pas en lien avec les obligations découlant de son contrat de travail.

Dans la mesure où la Cour a retenu que la conclusion des engagements secrets relève des tâches rattachées au mandat social, respectivement n’en est pas dissociable au point de pouvoir être qualifiée comme étant inhérente au contrat de travail, les dissimulations reprochées à la défenderesse en cassation dans le cadre de l’enquête PwC et qui ne sont que la suite, respectivement le prolongement des engagements secrets prémentionnés, ne sauraient, à elles seules, être rattachées à la fonction salariale. Dans la mesure où elles sont en relation causale directe avec les engagements secrets, les dissimulations se rattachent nécessairement aux mêmes fonctions que les accords secrets qui en sont à l’origine.

Le constat fait par la Cour que les dissimulations reprochées à la défenderesse en cassation, à les supposer établies, se soient déroulées à une période nettement postérieure à la cessation du contrat de travail n’a, dans cette optique, eu aucune influence sur le dispositif de l’arrêt attaqué.

Il se dégage dès lors de la réponse que la soussignée propose de donner à la première branche du moyen, à savoir que la motivation en vertu de laquelle la Cour a décidé que la conclusion des engagements secrets relevait de la fonction de mandataire social de la défenderesse en cassation et non pas de sa fonction de salariée, est suffisante, et permet parfaitement à Votre Cour d’exercer son contrôle quant aux conditions d’application de la disposition visée au moyen.

Par conséquent, la seconde branche du premier moyen n’est pas non plus fondée.

Quant au deuxième moyen de cassation :

« tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution luxembourgeoise et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile » Le deuxième moyen de cassation articulé en deux branches, est tiré de la violation de l’article 89 (actuellement l’article 109) de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en sa première branche, pour défaut de réponse à conclusions et, en sa deuxième branche, pour motifs hypothétiques.

En ce que l’arrêt attaqué a dit « non fondé et en déboute » et a déclaré qu’ « il y a partant lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’incompétence ratione materiae du Tribunal du travail pour connaître de la demande en réparation dirigée par SOCIETE1.) contre PERSONNE1.) » Au motif que :

« Or, PERSONNE1.) a pu prendre ces engagements parce qu’elle était investie d’un pouvoir relevant de la catégorie A ».

Cette prérogative était liée, non pas à sa qualité de salariée, responsable du développement de la clientèle, mais à sa fonction d’administratrice de la Banque, en charge de la gestion journalière ».

Et que « Quant au deuxième comportement fautif reproché à l’intimée, il se situe, à le supposer établi, dans une période nettement postérieure à la cessation du contrat de travail et se rapporte à l’exécution du mandat social de l’intimée » Alors que, Première branche L’article 89 de la Constitution luxembourgeoise dispose que :

« Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique. » Et que l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile dispose que :

« La rédaction des jugements contiendra les noms des juges, du procureur d’Etat, s’il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l’exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements ».

Qu’aux termes d’une jurisprudence constante, le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un cas d’ouverture à cassation.

Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail et donc écarter l’application de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile, la Cour d’appel :

a) n’a pas répondu aux conclusions de la partie demanderesse en cassation […] qui exposait que Madame PERSONNE1.) avait pris les engagements qui lui étaient reprochés en sa qualité de salariée de la Banque ;

b) n’a pas répondu aux conclusions de la partie demanderesse en cassation […] qui exposait qu’un lien existait entre les manœuvres de dissimulation commises par Madame PERSONNE1.) et les obligations découlant de son contrat de travail, nonobstant le fait qu’ils ont eu lieu postérieurement à la fin du contrat de travail.

Le deuxième moyen de cassation pris en sa première branche fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas avoir répondu à certains « moyens formulés dans son acte d’appel et de ses conclusions ».

D’après une jurisprudence constante de Votre Cour, seuls les véritables moyens exigent une réponse.

« Sur le fait qu’elle invoque, la partie doit articuler un raisonnement juridique permettant de connaître la portée qu’elle entend lui attribuer. L’énonciation d’un fait qui n’est suivie d’aucune déduction juridique ou la formulation de réserves dont aucune conséquence juridique n’est déduite ne constitue pas un véritable moyen appelant réponse, mais un simple argument. Or, aux termes d’une jurisprudence constante, les juges du fond « ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation. »2 2 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°77.204 « Pour qu’un moyen exige réponse, il ne suffit pas qu’il comporte un élément de fait et une déduction juridique, il faut encore que cette déduction juridique soit de nature à influer sur la solution du procès. Le juge du fond n’a pas à répondre à des conclusions manifestement dépourvues de toute portée. »3 En l’espèce la demanderesse en cassation reproche à la Cour d’appel de s’être déclarée matériellement incompétente, au motif que les comportements fautifs reprochés à la défenderesse en cassation ne seraient pas en lien avec son contrat de travail, sans avoir répondu aux moyens avancés selon lesquels il n’était pas nécessaire d’être mandataire social pour détenir un pouvoir de signature de la catégorie A, pour avoir omis d’analyser si les agissements reprochés n’avaient pas été commis par la défenderesse en cassation en sa qualité de membre du comité de crédit, et pour ne pas avoir tenu compte des développements de la demanderesse en cassation concernant les liens existants entre les dissimulations opérées dans le cadre de l’enquête PwC et les obligations découlant de son contrat de travail.

Il est rappelé que le défaut de réponse à conclusion est une forme du défaut de motifs.

Le juge a satisfait à la loi dès que la décision comporte un motif ou une réponse à conclusions, si incomplets, inopérants ou implicites soient-ils.4 En l’espèce la Cour a, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, décidé que les accords secrets conclus par la défenderesse en cassation ne pouvaient être rattachés à ses fonctions salariales pour en conclure qu’elle était incompétente pour juger des agissements fautifs lui reprochés dans la conclusion desdits accords et des manœuvres de dissimulations postérieures.

Par ces motifs, les magistrats d’appel, qui n’étaient pas tenus d’examiner dans tous les détails l’argumentation développée par l’actuelle demanderesse en cassation, a répondu à toutes les conclusions énoncées.

Il en ensuit que la première branche du second moyen de cassation n’est pas fondée.

Deuxième branche L’article 89 de la Constitution luxembourgeoise dispose que :

« Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique. » Et que l’article 249 alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile dispose que :

« La rédaction des jugements contiendra les noms des juges, du procureur d’Etat, s’il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs 3 idem, n° 77.205 4Voir p.ex. Cour de Cassation, arrêt du 6 janvier 2011, n° 2810 du registre (premier moyen de cassation).

conclusions, l’exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements ».

Que selon la jurisprudence constante et la doctrine autorisée en la matière, le fait de fonder une décision sur des motifs hypothétiques est une forme du défaut de motifs et constitue dès lors un cas d’ouverture à cassation.

Que pour conclure à l’incompétence matérielle des juridictions du travail et donc écarter l’application de l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile, la Cour d’appel s’est fondée sur des motifs hypothétiques en affirmant que Madame PERSONNE1.) avait agi en sa qualité de membre du conseil d’administration en charge de la gestion journalière, sans faire reposer cette affirmation sur la constatation d’un fait réel et certain.

La seconde branche du second moyen de cassation fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que le fait de disposer d’un pouvoir de de signature A était une prérogative qui était liée, non pas à la fonction de salariée de la défenderesse en cassation, mais à sa fonction d’administratrice-déléguée. Ce raisonnement serait hypothétique en ce que la défenderesse en cassation disposait du même pouvoir de signature A en sa qualité de salariée et avait par conséquent le pouvoir de signer et de passer des actes qui engageaient la demanderesse en cassation indépendamment de son mandat social.

La motivation de la Cour a déjà été citée dans son intégralité dans le cadre de la première branche du premier moyen de cassation (page 4 et 5 des présentes conclusions).

Comme déjà exposé plus haut par la soussignée, la défenderesse en cassation ne cite qu’une partie de la motivation de l’arrêt attaqué et le grief formulé procède d’une lecture erronée des motifs ayant amené la Cour d’appel à décliner sa compétence ratione materiae. Il est sur ce point renvoyé aux développements faits dans le cadre de l’analyse de la première branche du premier moyen de cassation.

Les motifs dont fait état l’arrêt attaqué sont clairs et précis, ils n’ont rien d’hypothétique.

Le moyen n’est pas fondé.

Subsidiairement :

Sous la couverture de la violation de l’article 89 (actuellement l’article 109) de la Constitution et de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, la demanderesse en cassation entend remettre en discussion l’appréciation des éléments de preuve et de faits qui ont été souverainement appréciés par les juges du fond et qui échappent au contrôle de la Cour de Cassation.

Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Anita Lecuit 21


Synthèse
Numéro d'arrêt : 124/23
Date de la décision : 16/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-11-16;124.23 ?

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