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26/10/2023 | LUXEMBOURG | N°120/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 26 octobre 2023, 120/23


N° 120 / 2023 du 26.10.2023 Numéro CAS-2023-00008 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par MaÃ

®tre Nikolaus BANNASCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,...

N° 120 / 2023 du 26.10.2023 Numéro CAS-2023-00008 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Nikolaus BANNASCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1. PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2. PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE3.), 3. l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTE (CNS), établi et ayant son siège social à L-2144 Luxembourg, 4, rue Mercier, représenté par le président du conseil d’administration, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J21, défendeurs en cassation.

____________________________________________________________________

Vu le jugement attaqué, numéro 2022TALCH14/00164, rendu le 26 octobre 2022 sous le numéro TAL-2021-00094 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel ;

Vu le mémoire en cassation signifié par PERSONNE1.) le 4 janvier 2023 à PERSONNE2.) et à l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTE (ci-

après « la CNS ») et à PERSONNE3.) le 9 janvier 2023, déposé le 17 janvier 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 20 février 2023 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), à PERSONNE3.) et à la CNS, déposé le 1er mars 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Anita LECUIT.

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée PERSONNE2.) conclut à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que les moyens produits à son appui seraient irrecevables pour mettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du juge des faits et des éléments de preuve et pour être mélangés de fait et de droit.

L’irrecevabilité éventuelle des moyens de cassation n’affecte pas la recevabilité du pourvoi en lui-même.

PERSONNE2.) conclut encore à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que l’arrêt entrepris ne violerait pas les textes de loi cités aux moyens.

Le défaut de fondement éventuel des moyens de cassation n’affecte pas la recevabilité du pourvoi en lui-même.

Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le Tribunal de paix de Luxembourg avait dit non fondée l’action dirigée par le demandeur en cassation contre le chirurgien PERSONNE2.) et l’anesthésiste PERSONNE3.), en présence de la CNS, tendant à l’indemnisation des dommages qu’il disait avoir subis lors d’une intervention chirurgicale. Le Tribunal d’arrondissement, siégeant en instance d’appel, a confirmé ce jugement.

Sur les moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « Tiré de la violation sinon de la fausse application sinon de la fausse interprétation de l’article 1142 du Code civil, qui dispose que . Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En ce que les juges d’appel ont considéré que les médecins ne sont responsables des conséquences dommageables de l’intervention pratiquée et des soins donnés qu’en cas de faute respectivement de négligence commise de leur part, Alors que pourtant, accessoirement à leur obligation principale de prodiguer des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science, les médecins s’engagent à garantir au patient sa sécurité physique à l’occasion de l’acte médical et sont partant également tenus d’une obligation accessoire de sécurité laquelle est de résultat de sorte qu’une présomption de responsabilité pèse sur le praticien qui ne peut s’en libérer qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère. » et le second, « Tiré de la violation sinon de la fausse application sinon de la fausse interprétation de l’article 1147 du Code civil, qui dispose que .

En ce que les juges d’appel ont considéré que les docteurs ne sont responsables des conséquences dommageables de l’intervention pratiquée et des soins donnés qu’en cas de faute respectivement de négligence commise de leur part, Alors que pourtant, accessoirement à leur obligation principale de prodiguer des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science, les médecins s’engagent à garantir au patient sa sécurité physique à l’occasion de l’acte médical et sont partant également tenus d’une obligation accessoire de sécurité laquelle est de résultat de sorte qu’une présomption de responsabilité pèse sur le praticien qui ne peut s’en libérer qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère. ».

Réponse de la Cour En disant, d’une part, « Il appartient à l’appelant de rapporter la preuve d’une faute commise par le chirurgien ainsi que par l’anesthésiste dans l’exécution du contrat liant les parties.

Tel que relevé à juste titre par le premier juge, PERSONNE1.) n’invoque aucune faute précise imputable à PERSONNE3.), respectivement à PERSONNE2.). », d’autre part, « Contrairement à la position soutenue par PERSONNE1.), et tel que relevé par PERSONNE2.), l’ordonnance médicale dressée le 5 septembre 2019 par ce dernier, soit postérieurement à l’opération réalisée, ne démontre pas que la perte de deux dents est due à l’opération médicale : en date du 5 septembre 2019, PERSONNE2.) s’est limité à constater la perte de dents au niveau de la mâchoire inférieure.

Il ne ressort ni de ladite ordonnance ni d’un autre élément soumis à l’appréciation du tribunal que la perte de deux dents est la conséquence de l’opération subie. Le simple fait que PERSONNE1.) a perdu ses deux dents ne suffit pas, en l’absence de tout autre élément d’appréciation, de démontrer qu’PERSONNE3.) respectivement PERSONNE2.) ont commis une prétendue faute ou négligence. » et, de troisième part, « C’est également à juste titre et par adoption des motifs que le premier juge a constaté que l’appelant reste en défaut de prouver le lien causal entre l’opération médicale subie et la perte des deux dents. », les juges d’appel ont successivement examiné les questions tenant à l’existence d’une faute dans le cadre de l’exercice de l’activité médicale, à l’existence d’un dommage dans le chef du demandeur en cassation et à l’existence d’une relation de cause à effet entre l’activité médicale et le dommage allégué dans le chef du demandeur en cassation, pour répondre par la négative à la première et à la dernière des trois questions posées.

Les moyens, en ce qu’ils font grief aux juges d’appel de ne pas avoir retenu à charge des deux médecins une obligation de sécurité, ayant les caractéristiques d’une obligation de résultat, les dispensant de la recherche de toute faute, ne discutent que la question relative à la nécessité de démontrer une faute, sans mettre en cause le constat de l’absence de preuve de lien causal entre l’activité médicale et le dommage allégué.

Il en résulte que la cassation, limitée à la question de droit soumise à travers les moyens, serait sans effet sur le rejet au fond de la demande en indemnisation, ce dont il découle que les moyens sont inopérants.

Il s’ensuit que les moyens sont irrecevables.

Sur la demande en allocation de dommages et intérêts Le demandeur en cassation sollicite, au titre des montants versés à son avocat, l’allocation de dommages et intérêts de 3.500 euros sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Au vu de l’issue du litige, les défendeurs en cassation n’ont pas commis de faute ou négligence. Il s’ensuit que la demande n’est pas fondée.

Sur les indemnités de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande subsidiaire en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de PERSONNE2.) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette les demandes du demandeur en cassation en allocation de dommages-

intérêts et d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation à payer à PERSONNE2.) une indemnité de procédure de 2.500 euros.

condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Pierrot SCHILTZ, sur ses affirmations de droit.

Le président Thierry HOSCHEIT, qui a participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Christiane JUNCK en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation 1. PERSONNE1.) contre 1. PERSONNE2.) 2. PERSONNE3.) 3. Caisse Nationale de Santé N°CAS – 2023 - 00008 du registre Le pourvoi en cassation, introduit à la requête de PERSONNE1.), signifié à PERSONNE2.) ainsi qu’à la Caisse Nationale de Santé en date du 4 janvier 2023 et à PERSONNE3.) en date du 9 janvier 2023, et déposé au greffe de la Cour le 17 janvier 2023, est dirigé contre le jugement n°2022TALCH14/00164 rendu en date du 26 octobre 2022 par la quatorzième chambre du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière civile et en instance d’appel, dans la cause inscrite sous le numéro CAS – 2023 -00008 du registre.

Suivant les renseignements fournis, ce jugement n’a pas été signifié à la partie demanderesse en cassation.

Le pourvoi, déposé dans les formes et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est recevable.

Le mémoire en réponse de PERSONNE2.), signifié le 20 février 2023 à PERSONNE1.) en son domicile élu, à la Caisse Nationale de Santé ainsi qu’à PERSONNE3.), et déposé le 1er mars 2023 au greffe de la Cour, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Les parties défenderesses PERSONNE3.) et la Caisse Nationale de Santé n’ont pas déposé de mémoire en réponse.

Faits et rétroactes :

Le présent pourvoi se situe dans le cadre d’un litige ayant trait à l’action de PERSONNE1.) tendant à la réparation du préjudice subi suite à l’endommagement de deux de ses dents prétendument survenu lors d’un pontage de l’artère carotide réalisé par PERSONNE2.), en sa qualité de médecin chirurgien, et par PERSONNE3.), en sa qualité d’anesthésiste.

Suivant jugement n°2595/2020 rendu le 19 octobre 2020 par le tribunal de paix de et à Luxembourg, siégeant en matière civile, PERSONNE1.) a été débouté de toutes ses demandes en indemnisation. Le tribunal de paix a motivé sa décision en jugeant que les obligations des médecins lors d’une opération chirurgicale du type de celle qui a été réalisée en l’espèce, à savoir une désoblitération de l’artère carotide avec intubation endotrachéale, comportent par nature un aléa, en sorte qu’elles sont à qualifier d’obligations de moyens soumises à la preuve d’une faute ou imprudence des médecins.

Il a ensuite constaté que PERSONNE1.), n’avait ni prouvé, ni même allégué une quelconque faute à charge de l’anesthésiste et du chirurgien mis en cause. Finalement le tribunal de paix a encore retenu que PERSONNE1.) est resté en défaut d’établir un lien causal entre la perdition de ses dents et l’opération intervenue.

De ce jugement PERSONNE1.) a relevé appel en faisant valoir, en substance, que c’est à tort que le tribunal de paix aurait retenu qu’il lui appartenait de rapporter la preuve d’une faute commise par l’anesthésiste et le chirurgien, étant donné que les médecins auraient une obligation accessoire de sécurité de résultat vis-à-vis de leurs patients pour ce qui est de l’acte médical réalisé et du matériel utilisé.

Suivant jugement n°2022TALCH14/00164 rendu le 26 octobre 2022 par la quatorzième chambre du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière civile, l’appel de PERSONNE1.) a été déclaré non fondé et le jugement entrepris a été confirmé.

Ce jugement fait l’objet du présent pourvoi.

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :

Dans son mémoire en réponse, la partie défenderesse en cassation sub 1) soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que les deux moyens de cassation qu’il contient seraient irrecevables pour remettre en discussion l’appréciation souveraine des faits et éléments de preuve par les juges du fond, pour faire un mélange de fait et de droit et à défaut de violation des textes légaux invoqués.

Or, l’irrecevabilité éventuelle des moyens de cassation n’affecte pas la recevabilité du pourvoi en lui-même.

Il en suit que le moyen d’irrecevabilité est à rejeter.

Sur le grief invoqué par les deux moyens de cassation réunis :

Il y a tout d’abord lieu de remarquer que si les dispositions légales visées au premier et deuxième moyen de cassation sont différentes, le grief exposé dans le cadre des deux moyens est cependant exactement le même.

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 1142 du Code civil qui dispose que, « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ».

Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 1147 du Code civil qui dispose que, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part », en ce que les juges d’appel ont considéré que les docteurs ne sont responsables des conséquences dommageables de l’intervention pratiquée et des soins donnés qu’en cas de faute respectivement de négligence commise de leur part, alors que pourtant, accessoirement à leur obligation principale de prodiguer des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science, les médecins s’engagent à garantir au patient sa sécurité physique à l’occasion de l’acte médical et sont partant également tenus d’une obligation accessoire de sécurité laquelle est de résultat, de sorte qu’une présomption de responsabilité pèse sur le praticien qui ne peut s’en libérer qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère.

Tant le premier que le deuxième moyen de cassation critiquent donc les magistrats d’appel pour avoir débouté le demandeur en cassation de sa demande en paiement de dommages-intérêts, en retenant que la responsabilité contractuelle des médecins, du chef des conséquences dommageables de l’intervention pratiquée et des soins donnés, est subordonnée à la preuve d’une faute, respectivement négligence commise par eux. Ce faisant les juges auraient fait abstraction de l’existence d’une obligation accessoire de sécurité incombant aux médecins, les obligeant à garantir la sécurité physique de leurs patients à l’occasion de toute intervention médicale, obligation qui serait de résultat, et par conséquent pas subordonnée à la preuve d’une quelconque faute.

Il appert de la partie réservée à la discussion des moyens que le demandeur en cassation semble reprocher plus concrètement au tribunal de ne pas avoir tenu compte de l’existence d’une obligation accessoire de sécurité de résultat dans le chef des médecins pour les dommages occasionnés à la suite d’activités détachables de l’acte médical lui-

même. Autrement-dit, le demandeur en cassation affirme-t-il que lorsqu’un patient subit, suite à une intervention chirurgicale, un dommage à un organe autre que celui sur lequel le médecin est intervenu, pèse alors sur ce dernier une obligation de sécurité qui a le caractère d’une obligation de résultat et dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.

Sur la recevabilité du premier moyen de cassation :

L’article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation exige, sous peine d’irrecevabilité, que chaque moyen doit préciser le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.

Le premier moyen fait grief au jugement entrepris d’avoir violé les termes de l’article 1142 du Code civil « en déniant respectivement en occultant d’analyser l’existence d’une obligation accessoire de sécurité dans le chef des médecins et en retenant uniquement dans leur chef une obligation de moyen ».

Dans la mesure où aucun grief n’est rattaché à la disposition légale visée et que l’article 1142 du Code civil a trait au principe de la réparation par équivalent, il est difficile de déterminer en quoi consiste concrètement la violation de la disposition invoquée.

Le moyen est irrecevable pour manque de précision.

Par ailleurs ont pourrait également considérer que l’article 1142 du Code civil dont la violation est invoquée, est étranger au grief tiré d’une prétendue omission de prise en compte de l’existence d’une obligation accessoire de sécurité dans le chef des médecins mis en cause.

Il s’ensuit que le moyen est encore irrecevable sous cet aspect.

Sur les deux moyens de cassation réunis :

Il y a tout d’abord lieu de revenir à la partie critiquée de la décision entreprise qui se lit comme suit, « Le contrat liant le médecin au client comporte pour le praticien, l’engagement de guérir le malade, du moins de lui donner des soins consciencieux attentifs, réserve faite de circonstances exceptionnelles conformes aux données acquises de la science.

Les obligations contractuelles se divisent en obligations de résultat et de moyens. Tantôt le débiteur est tenu d’accomplir un fait déterminé : l’obligation est strictement précisée, le débiteur doit atteindre un résultat. Tantôt au contraire, le débiteur est seulement tenu de faire diligence, de se conduire avec prudence pour tenter de parvenir au résultat souhaité.

Dans les obligations déterminées, il suffit au créancier de prouver que le résultat n’a pas été atteint, et c’est au débiteur de démontrer une cause étrangère.

Dans les obligations de prudence et de diligence, le créancier doit au contraire faire la preuve d’une négligence ou d’une imprudence du débiteur.

Le critère de distinction sur le terrain contractuel est la volonté des parties et à défaut d’autres circonstances permettant de découvrir cette volonté on recherchera si la réalisation du but poursuivi par le contrat présente un aléa.

Tout acte médical comporte en principe un irréductible aléa qui interdit de faire peser sur le médecin en dehors d’une volonté contraire clairement exprimée de celui-ci l’obligation d’obtenir tel ou tel résultat déterminé relativement à l'état de santé de son patient.

La nature aléatoire ou non de la réalisation du but à atteindre permet donc de découvrir la volonté non exprimée des cocontractants.

Contrairement à la position soutenue par PERSONNE1.), c’est à bon droit, et par adoption des motifs que le tribunal a retenu dans son jugement du 19 octobre 2020 que les docteurs PERSONNE3.) et PERSONNE2.) étaient tenus à l’égard de l’appelant d’une obligation de moyens en ce qui concerne les soins médicaux durant et après l’intervention faite.

Les docteurs PERSONNE3.) et PERSONNE2.) ne sont donc responsables des conséquences dommageables de l’intervention pratiquée et des soins donnés qu’en cas de faute respectivement de négligence commise de leur part.

La faute du médecin est appréciée in abstracto : sa responsabilité est engagée lorsqu’il n’a pas donné au patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.

Il appartient à l’appelant de rapporter la preuve d’une faute commise par le chirurgien ainsi que par l’anesthésiste dans l’exécution du contrat liant les parties. ».

Par ces motifs les magistrats d’appel se sont donc exprimés sur les obligations incombant aux médecins quant aux conséquences de l’acte chirurgical proprement-dit et des soins subséquents apportés par eux. Ils ont jugé qu’au vu de l’aléa généralement inhérent à l’acte médical lui-même, les médecins mis en cause étaient soumis à une simple obligation de moyens obligeant celui qui voudra engager leur responsabilité à rapporter la preuve de la faute ayant causé le dommage allégué.

Or, il ressort cependant encore de la décision attaquée que, pour débouter le demandeur en cassation de sa demande en dommages-intérêts basée sur la responsabilité contractuelle, les magistrats d’appel ont relevé que, « c’est également à juste titre et par adoption des motifs que le premier juge a constaté que l’appelant reste en défaut de prouver le lien causal entre l’opération médicale subie et la perte des deux dents. » Les deux moyens procèdent dès lors d’une lecture erronée du jugement entrepris en ce que les juges d’appel n’ont pas dénié ou occulté d’analyser l’existence d’une obligation accessoire de sécurité dans le chef des médecins, mais qu’ils ont, après avoir rappelé en premier lieu que l’obligation principale des médecins de prodiguer des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science est une obligation de moyens, constaté en deuxième lieu, suite à l’analyse des éléments de fait et de preuve leur soumis, l’absence de lien causal entre l’endommagement des dents et l’intervention médicale elle-même.

Or, dans la mesure où l’existence d’une obligation accessoire de sécurité de résultat (donc une responsabilité sans faute), obligeant les médecins à garantir la sécurité physique de leurs patients pour ce qui est de l’acte médical réalisé ou du matériel utilisé, ne saurait être retenue que dans l’hypothèse où le dommage invoqué est effectivement imputable à l’activité des médecins, les magistrats d’appel, ayant constaté que le demandeur en cassation n’avait aucunement démontré la relation de cause à effet entre la perte des dents et l’activité médicale, n’ont pas violé les articles de loi visés aux deux moyens de cassation en omettant d’invoquer l’existence d’une éventuelle obligation accessoire de sécurité dans le chef des médecins qui sont intervenus dans l’opération du pontage de l’artère carotide du demandeur en cassation.

De par leur motivation en deux temps, les juges du fond ont dès lors logiquement exposé que la responsabilité contractuelle des médecins ne saurait, en tout état de cause, être retenue. Ce faisant ils ont fait une correcte application de la loi au regard des faits par eux constatés.

De l’avis de la soussignée les deux moyens de cassation n’invoquent donc que certains motifs avancés par les juges d’appel tout en faisant abstraction d’autres motifs pourtant retenus par les juges du fond pour motiver leur décision.

Il s’ensuit que le moyen manque en fait.

Subsidiairement On pourrait également considérer que les deux moyens de cassation s’attaquent à des motifs surabondants et qu’ils sont par conséquent inopérants.

Les motifs invoqués retiennent en effet que les médecins étaient tenus à une obligation de moyens en ce qui concerne les « soins médicaux durant et après l’intervention faite » et que leur responsabilité ne saurait être engagée qu’en cas de faute ou négligence prouvée.

Or, la critique porte en l’occurrence sur l’absence de prise en compte d’une obligation accessoire de sécurité du fait de l’endommagement d’organes non impliqués dans l’intervention chirurgicale.

Ce n’est que dans la suite de leurs développements que les magistrats d’appel constatent qu’à défaut d’éléments leur permettant de conclure que « la perte des dents était la conséquence de l’opération subie », il y avait absence de faute ou négligence dans le chef des médecins.

Or, faute de preuve de ce que l’endommagement des dents du demandeur en cassation a été occasionné par ou lors de l’activité médicale, la condition préalable et nécessaire à la mise en œuvre de la présomption simple de faute déclenchée par le constat de l’existence d’une obligation de sécurité de résultat n’est, en tout état de cause, pas donnée. Il s’agit donc là du motif pertinent, celui visé par le demandeur en cassation n’étant pas indispensable au soutien de la décision.

Plus subsidiairement, Tel que relevé plus haut, il ressort de la décision attaquée que le jugement d’appel a confirmé le premier juge en ce qu’il a retenu que le demandeur en cassation reste en défaut d’établir le lien causal entre la perdition de ses dents invoquée et l’opération médicale subie.

Sous le couvert du grief tiré d’une violation des articles 1142 et 1147 du Code civil, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation des juges du fond quant aux éléments de fait et de preuve soumis aux débats qui les ont amenés à considérer que le demandeur en cassation n’a pas établi que la perte des dents est intervenue à l’occasion de l’intervention chirurgicale ou des soins donnés, appréciation qui relève pourtant de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Anita Lecuit 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 120/23
Date de la décision : 26/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-10-26;120.23 ?

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