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19/10/2023 | LUXEMBOURG | N°107/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 19 octobre 2023, 107/23


N° 107 / 2023 pénal du 19.10.2023 Not. 16399/22/CD Numéro CAS-2022-00130 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, dix-neuf octobre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de 1) la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), 2) la société SOCIETE2.) LIMITED, établie et ayant son siège social à ADRESSE2.) représentée par SOCIETE3.) Limited, sinon par l

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N° 107 / 2023 pénal du 19.10.2023 Not. 16399/22/CD Numéro CAS-2022-00130 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, dix-neuf octobre deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de 1) la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), 2) la société SOCIETE2.) LIMITED, établie et ayant son siège social à ADRESSE2.) représentée par SOCIETE3.) Limited, sinon par le représentant légal, inscrite sous le numéro NUMERO2.), 3) la société anonyme SOCIETE4.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO3.), demanderesses en cassation, comparant par Maître Max MAILLIET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 22 décembre 2022 sous le numéro 1293/22 Ch.c.C. par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ; Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Max MAILLIET, avocat à la Cour, au nom de la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) »), de la société SOCIETE2.) (ci-après « la société SOCIETE2.) ») et de la société anonyme SOCIETE4.) (ci-après « la société SOCIETE4.) »), suivant déclaration du 23 décembre 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 19 janvier 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un juge d’instruction du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile introduite par les demanderesses en cassation contre quatre personnes du chef d’abus de biens sociaux, d’abus de pouvoirs et de blanchiment d’abus de biens sociaux. La chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé cette ordonnance.

Sur le premier moyen de cassation, pris en ses deux branches Enoncé du moyen « violation de l’obligation de motivation Tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, ainsi que la violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’homme, du défaut de réponse constituant également un défaut de motivation (première branche) et de l’insuffisance de motivation (deuxième branche) ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a confirmé l’ordonnance de première instance sans avoir répondu au moyen de la requérante tiré de la violation l'article 56 du code de procédure pénale aux termes duquel , de sorte qu’il suffit, pour que la constitution de partie civile soit recevable devant les juridictions d'instruction, que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction (Cour d’appel, Chambre du conseil, 13 mai 2013, n°249/13 du rôle) ;

alors que les demanderesses en cassation avaient explicitement libellé ce moyen dans un point II.A. de leur note de plaidoiries (Pièce n°4 : Note de plaidoiries versées en appel) ;

2 qu’il en résulte que Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé les dispositions précitées. ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « En l’occurrence, dans la mesure où il ne résulte pas de la plainte avec constitution de partie civile déposée au cabinet d’instruction le 20 mai 2022 par Maître Max MAILLIET, que les parties plaignantes, actionnaires directs ou indirects, sinon créanciers de la société SOCIETE5.) LLC et de la société SOCIETE6.) S.A. qui auraient été victimes d’abus de biens social, auraient subi un préjudice personnel et direct en rapport avec les faits repris dans la plainte, qui serait distinct de celui éventuellement subi par les sociétés SOCIETE6.) S.A et SOCIETE5.) LLC elles-mêmes, c’est à juste titre que la juge d’instruction a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile. », les juges d’appel ont constaté que les demanderesses en cassation ne faisaient pas valoir un préjudice personnel et direct. Ils ont dès lors motivé l’arrêt sur le point considéré.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le deuxième, « violation de l’article 56 du Code de procédure pénale Tiré de la violation de l’article 56 du Code de procédure pénale ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a retenu qu’il ne résulterait pas de la plainte avec constitution de partie civile que les parties demanderesses auraient subi un préjudice personnel et direct en rapport avec les faits repris dans la plainte, qui serait distinct de celui éventuellement subi par les sociétés SOCIETE6.) S.A. et SOCIETE5.) LLC ;

3 alors que l’article 56 du Code de procédure pénale ne prévoit pas comme condition de recevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile, la nécessité d’un préjudice personnel et direct ;

qu’il en résulte que Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. ».

et le troisième, « l’existence d’un préjudice personnel distinct Tiré de la violation de l’article 56 du Code de procédure pénale ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors qu’il n’appartient pas à la Chambre du Conseil de la Cour d’appel de préjuger du fond, cette dernière devant se limiter à analyser s’il peut y avoir la possibilité d’un préjudice ou un préjudice éventuel. ».

Réponse de la Cour L’action civile devant les juridictions répressives est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement enfermé dans les limites fixées par l’article 56 du Code de procédure pénale.

La recevabilité d’une constitution de partie civile suppose la preuve d’une possibilité de préjudice personnel et direct subi par la partie civile du fait des infractions dénoncées.

En retenant qu’il ne résulte pas de la plainte avec constitution de partie civile que les parties plaignantes ont subi un préjudice personnel et direct en rapport avec les faits repris dans la plainte qui serait distinct de celui éventuellement subi par les sociétés victimes des abus de biens sociaux invoqués, la chambre du conseil de la Cour d’appel n’a pas violé la disposition visée aux moyens.

Il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’homme 4 Tiré de la violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’homme ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors que l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’homme, combiné avec l’article 56 du Code de Procédure Pénale prévoient le droit à voir entendue sa cause ;

qu’il en résulte que la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. ».

Réponse de la Cour Le droit d’accès au juge prévu à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas absolu. Les limitations au droit d’accès à la justice peuvent résulter des règles procédurales tenant aux conditions de recevabilité d’une constitution de partie civile.

En vérifiant la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile par rapport à la question de l’existence d’un préjudice personnel et direct dans le chef des demanderesses en cassation, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les cinquième et septième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le cinquième, « violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne Tiré de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors que l’article 47 de la charte, combiné avec l’article 56 CPC prévoient le droit à voir entendue sa cause ;

5 qu’il en résulte que la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. » et le septième, « violation de l’article 17 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne tiré de la violation de l’article 17 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors que l’article précité protège le droit de propriété, et qu’en ne donnant pas aux parties demanderesses en cassation la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété, les tribunaux luxembourgeois privent les parties demanderesses ainsi que M. PERSONNE1.), qui est résident luxembourgeois, de leur propriété, et cautionnent les agissements de M. PERSONNE2.), kleptocrate producteur de drones militaires;

qu’il en résulte que la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. ».

Réponse de la Cour Les cinquième et septième moyens sont tirés de la violation des articles 47 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La procédure pénale engagée par les demanderesses en cassation ne présente aucun lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne.

Les griefs tirés de la violation des articles 47 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont dès lors étrangers au litige.

Il s’ensuit que les moyens sont inopérants.

Sur les sixième et huitième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le sixième, « violation de l’article 1, du protocole n°1 à la Convention européenne des Droits de l’homme 6 Tiré de la violation de l’article 1er du protocole n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors que l’article précité protège le droit de propriété, et qu’en ne donnant pas aux parties demanderesses en cassation la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété, les tribunaux luxembourgeois privent les parties demanderesses ainsi que M. PERSONNE1.), qui est résident luxembourgeois, de leur propriété, et cautionnent les agissements de M. PERSONNE2.), kleptocrate producteur de drones militaires;

qu’il en résulte que la Chambre du conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. » et le huitième, « tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution ;

en ce que la Chambre du Conseil de la Cour d’Appel a retenu que les parties demanderesses en cassation n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir pour voir dire non fondé l’appel ;

alors que l’article précité protège le droit de propriété, et qu’en ne donnant pas aux parties demanderesses en cassation la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété, les tribunaux luxembourgeois privent les parties demanderesses ainsi que M.

PERSONNE1.), qui est résident luxembourgeois, de leur propriété, et cautionnent les agissements de M. PERSONNE2.), kleptocrate producteur de drones militaires ;

qu’il en résulte que la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a violé la disposition précitée. ».

Réponse de la Cour Les demanderesses en cassation font grief à la chambre du conseil de la Cour d’appel d’avoir violé l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 16 de la Constitution en les privant de la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété.

Il ne résulte ni de l’arrêt attaqué ni d’aucune pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que les moyens tirés de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 16 de la Constitution, dans sa version applicable au moment du prononcé de l’arrêt critiqué, aient été soumis à la Cour d’appel.

Les moyens sont dès lors nouveaux et, en ce qu’ils comporteraient un examen de l’existence du préjudice allégué, mélangés de fait et de droit.

Il s’ensuit que les moyens sont irrecevables.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi;

condamne les demanderesses en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 2,25 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, dix-neuf octobre deux mille vingt-trois, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, qui, à l’exception des conseillers Marie-Laure MEYER et Laurent LUCAS, qui se trouvaient dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Serge WAGNER et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation société anonyme SOCIETE1.) S.A.

société SOCIETE2.) Limited et société anonyme SOCIETE4.) S.A.

en présence du Ministère public (CAS-2022-00130) Par déclaration au greffe de la Cour supérieure de justice en date du 23 décembre 2022, la société anonyme SOCIETE1.) S.A., la société SOCIETE2.) Limited et la société SOCIETE4.) S.A. ont formé un recours en cassation contre un arrêt numéro 1293/22 (not. 16399/22/CD) rendu le 22 décembre 2022 par la chambre du conseil de la Cour d’appel de Luxembourg, statuant contradictoirement.

Le pourvoi a été introduit dans le délai d’un mois prévu à l’article 41 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation. La déclaration de recours a été faite auprès du greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, dans les formes prévues à l’article 417 du Code de procédure pénale.

Cette déclaration a été suivie du dépôt au greffe de la Cour supérieure de justice d’un mémoire en cassation en date du 19 janvier 2023.

Le pourvoi est recevable, au titre de l’article 416 du Code d’instruction criminelle, en ce qu’il a été statué définitivement sur le principe de l’action civile dans l’arrêt entrepris.

Sur les faits Par ordonnance n°A04 (not. 19399/22/CD) rendue en date du 13 juillet 2022, un juge d’instruction près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile du 20 mai 2022 déposée par la société anonyme SOCIETE1.) S.A., la société SOCIETE2.) Limited et la société SOCIETE4.) S.A..

Sur appel des prédites sociétés, la chambre du conseil de la Cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

9 Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour défaut de réponse à conclusions équivalant à un défaut de motivation (première branche) et pour insuffisance de motivation (deuxième branche).

Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris de ne pas avoir répondu au moyen des demanderesses en cassation tiré de la violation de l’article 56 du Code de procédure civile qui dispose que « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent ».

En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

L’arrêt dont pourvoi a retenu :

« En l’occurrence, dans la mesure où il ne résulte pas de la plainte avec constitution de partie civile déposée au cabinet d’instruction le 20 mai 2022 par Maître Max MAILLIET, que les parties plaignantes, actionnaires directs ou indirects, sinon créanciers de la société SOCIETE5.) LLC et de la société SOCIETE6.) S.A. qui auraient été victimes d’abus de biens social, auraient subi un préjudice personnel et direct en rapport avec les faits repris dans la plainte, qui serait distinct de celui éventuellement subi par les sociétés SOCIETE6.) S.A et SOCIETE5.) LLC elles-mêmes, c’est à juste titre que la juge d’instruction a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile.

Il suit de ce qui précède que l’appel est à déclarer non-fondé. » En retenant que les demanderesses en cassation n’avaient à faire valoir aucun préjudice personnel et distinct de celui des sociétés SOCIETE6.) et SOCIETE5.), les juges d’appel ont implicitement mais nécessairement répondu à la question si ces sociétés avaient un préjudice personnel éventuel à faire valoir. L’arrêt est motivé sur le point considéré. Le moyen, pris dans ses deux branches, n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen de cassation pris ensemble :

Le deuxième et le troisième moyen sont tirés de la violation de l’article 56 du Code de procédure pénale.

Le deuxième moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir exigé que les demanderesses en cassation justifient d’un préjudice personnel et direct, alors qu’à ce stade de la procédure un préjudice éventuel serait suffisant, tandis que le troisième moyen reproche à l’arrêt entrepris d’avoir préjugé le fond au lieu de se limiter à analyser s’il pouvait y avoir la possibilité d’un préjudice ou d’un préjudice éventuel.

La société dispose d'une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. Elle a un patrimoine propre qui obéit à ses règles propres. Si les actionnaires veulent déposer une plainte avec constitution de partie civile sur la base de l’article 56 du Code de procédure pénale, au motif qu’ils sont lésés par un crime ou un délit, ils ne peuvent dès lors pas invoquer le préjudice subi par la société, mais ils doivent invoquer un préjudice personnel et distinct.

Ce principe du voile social est appliqué en droit français :

« Une société actionnaire majoritaire d'une autre société victime d'abus de biens sociaux peut exercer l'action civile à titre personnel si elle invoque un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l'infraction.

Tout associé d’une société victime d’abus de biens sociaux peut exercer l’action civile de deux manières. Il peut d’abord exercer l’action civile au nom de la société dont les organes sont souvent défaillants à cet égard : c’est l’action sociale ut singuli, dont l’objectif est d’obtenir réparation pour la société du préjudice généré par les abus de biens sociaux, c’est-à-dire du préjudice social (C. civ., art. 1843-5, al. 1 ; C. com., art. L. 223-22, al. 3 et L. 225-252). Il peut aussi exercer une action civile personnelle, pour son propre compte (mêmes textes). La Cour de cassation, dans deux arrêts célèbres (Cass. crim., 13 déc. 2000, n° 99-80.387 et n° 99-84.855 : Bull. crim. nos 373 et 378), se montre hostile à une telle action, qu’il s’agisse d’un associé invoquant la perte de valeur de ses titres résultant d’un abus de biens sociaux, ou d’un associé avançant la dévalorisation du capital social suite à une telle infraction, de tels préjudices se confondant avec celui subi par la société. Et la jurisprudence ultérieure a confirmé cette irrecevabilité de principe, notamment lorsque l’actionnaire qui agit détient la quasi-totalité du capital de la société victime ou s’il ne réclame qu’un euro de dommages-intérêts ou s’il se prévaut d’un préjudice moral subi en sa qualité d’associé ou même lorsque la société est dissoute. Le principe est net : le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-

même et non à chaque associé.

[…] Ce n’est pas la première fois que la chambre criminelle desserre quelque peu l’étau de sa jurisprudence en admettant la recevabilité de l’action civile d’un associé s’il démontre l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social et découlant directement de l’infraction (Cass. crim., 12 sept. 2001, n° 01-80.895 ; Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-

80.387 ; Cass. crim., 3 déc. 2014, n° 13-87.224 : Bull. crim. n° 254). Mais la voie est étroite, n’ayant pour l’heure pas abouti. Il a été ainsi jugé que l’action civile de deux associés est irrecevable quand ils demandent réparation du préjudice résultant pour eux de la ruine de la société découlant de l’abus de biens sociaux retenu contre le prévenu (Cass. crim., 12 sept. 2001, préc.). La solution est identique pour l’action civile de l’associé s’il invoque un 11 préjudice moral résultant de l’utilisation quasi exclusive de la société par son dirigeant et de l’état de difficultés financières de la société résultant des abus de biens sociaux (Cass.

crim., 5 juin 2013, préc.). »1 En droit belge, l’action en réparation de l’actionnaire est également soumise à l’existence d’un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société:

« Lorsqu’il est porté atteinte au patrimoine d’une société, l’action en réparation qui résulte de ce dommage appartient à cette société et à son organe compétent. Quid des actionnaires ? Ceux-ci ne disposent pas d’un droit d’action autonome en réparation d’un préjudice collectif causé au patrimoine de la société. Ils ne peuvent agir que pour obtenir réparation d’un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société. La perte de dividende ne constitue pas un préjudice propre.

[…] En droit belge, il est communément admis que lorsqu’il est porté atteinte au patrimoine d’une société, l’action en réparation qui résulte de ce dommage appartient à cette société et à son organe compétent. Quid des actionnaires ? Ceux-ci ne disposent pas d’un droit d’action autonome en réparation d’un préjudice collectif causé au patrimoine de la société.

Ils ne peuvent agir que pour obtenir réparation d’un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société, c’est-à-dire de préjudices « ressentis par eux, distincts du préjudice subi par la société ».

C’est donc sur ce fondement que les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire belge ont eu à apprécier cette condition de personnalisation suffisante. Ils ont par exemple considéré, dans des arrêts de 20032 et 20123, que le préjudice que les actionnaires subissent du fait de la perte de valeur de leurs actions n’était pas considéré comme un préjudice individuel.

L’arrêt précité de la Cour de cassation du 23 février 2012 se prononce clairement sur cette question. Dans les faits, une société avait fait faillite et les actionnaires avaient introduit une action en responsabilité de la banque, en sa qualité de dispensateur de crédit à la société. La Cour décida que seule la société est en droit de réclamer réparation d’un tel dommage, lequel n’ouvre pas de droit d’action aux actionnaires agissant individuellement :

« Une société a le droit de réclamer réparation à un tiers par la faute duquel il a été porté atteinte au patrimoine de la société. Ce dommage n’ouvre pas de droit d’action propre aux actionnaires. » 1 https://open.lefebvre-dalloz.fr/actualites/droit-affaires/abus-biens-sociaux-prive-necessairement-associe-action-

civile_f83575371-0943-4e02-ad02-8e65856f0a0e L’abus de biens sociaux ne prive pas nécessairement un associé de son action civile, Wilfried Jeandidier, Open Lefebvre-Dalloz, Actualité, Droit des affaires, 14 juin 2023 2 Bruxelles, 11 décembre 2003, DAOR, 2004, p.65 3 Cass. 23 février 2012, R.W., 2011-2012, p.1658.C11.0459.N Autrement dit, l’impact pour les actionnaires d’une atteinte portée au patrimoine de la société- en particulier la diminution de leurs titres, de son cours de bourse ou de la « capacité dividendaire » de la société-par la faute d’un tiers ou d’un organe ne constitue pas un préjudice « par répercussion » susceptible de réparation dans leur chef. Si le préjudice allégué par les actionnaires n’est que le « reflet » de celui subi par la société, qu’il n’est que la conséquence qui en résulte pour leurs titres ou sur leur situation d’actionnaires, ils ne peuvent en obtenir réparation à titre personnel.

Même si le préjudice de la société se traduit par une diminution de la valeur des titres des actionnaires, cette diminution de la valeur n’est censée être que le « reflet » du préjudice subi par la société. Elle ne crée pas, pour l’actionnaire, un préjudice distinct, autonome. Le caractère personnel du dommage fait donc défaut dans le chef de l’actionnaire. » 4 Le même principe trouve application en droit luxembourgeois :

Il est de jurisprudence constante que l'amoindrissement du patrimoine social ne peut constituer un préjudice personnel à l'associé.

Dans un jugement du Tribunal d'arrondissement du 24 janvier 19925, relatif à une faillite, la notion de préjudice commun à l'ensemble des créanciers a été définie comme étant les «droits résultant de dommages causés par la faute de toute personne qui a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif». En l'espèce, la société avait fonctionné normalement pendant plusieurs années avant d'être déclarée en faillite, malgré le fait que le dirigeant fondateur avait vidé la société de l'intégralité de son capital social dans les jours qui suivaient sa constitution. Ainsi, aucun préjudice au détriment de la masse des créanciers n'avait été rapporté.

Dans un jugement du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 29 juin 20076, la société demanderesse, actionnaire de la société venderesse, alléguait que le prix de vente d'un immeuble n'avait pas été versé à cette dernière et qu'il était purement fictif. Néanmoins, les juges de la chambre commerciale ont retenu que le préjudice consistant dans l’amoindrissement du patrimoine social était subi par la société venderesse. La perte de dividende invoquée par la société demanderesse n'était donc que la conséquence indirecte du préjudice subi par la société, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’un préjudice personnel et distinct à cet actionnaire, mais d’un préjudice commun à la collectivité des actionnaires de la société venderesse. Puisque ce préjudice était considéré comme propre au patrimoine de la société venderesse, la recherche en responsabilité de l'actionnaire contre les dirigeants de la société venderesse fut déclarée non fondée.

4 L’actionnaire est-il recevable à introduire une action en justice pour un préjudice subi par la société, Denis Philippe, Revue Internationale de Droit Economique, 2020/4, t. XXXIV, pp.483-494 5 TAL, 2e ch., 24 janvier 1992, n°40774 6 TAL, 2e ch., 29 juin 2007, n° 793/07 Un jugement du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 7 juillet 20107 illustre un autre cas où un préjudice commun à tous les créanciers avait été retenu par les juges du fond.

Dans ce jugement, la société demanderesse est l’un des actionnaires de la société défenderesse. La société demanderesse reproche à la société défenderesse d’avoir cédé à vil prix les actions que cette dernière détenait au sein d’une autre société, alors que ces actions constituaient son seul actif et que, par conséquence, la valeur des actions détenues par la société demanderesse au sein de la société défenderesse s’en trouvait amoindrie. Dans ce jugement, les juges ont indiqué que la vente des actifs d’une société à un prix largement insuffisant, à la supposer établie, constituait un préjudice commun à tous les actionnaires.

La société requérante, actionnaire de la société défenderesse, ne justifiait partant d’aucun préjudice distinct de celui de la société.

Cette jurisprudence constante se reflète en matière pénale par l’irrecevabilité d’une constitution de partie civile de la part d’un actionnaire d’une société victime d’une infraction, lorsque l’actionnaire ne démontre pas l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant de l’infraction.8 Ainsi «les associés ne peuvent être indemnisés individuellement pour le préjudice indirect subi du fait de l’appauvrissement de la société dans laquelle ils sont intéressés ».9 Dans la plainte avec constitution de partie civile, les demanderesses en cassation ont fait valoir que :

« SOCIETE5.) s’est vue dépouillée de son actif industriel par le comportement totalement déraisonnable et frauduleux de SOCIETE7.) et de SOCIETE8.) d’autant que SOCIETE5.) s’avère être contrôlée par les administrateurs d’SOCIETE6.) qui sont des employés de SOCIETE7.) ( !) Autrement dit et pour être tout à fait clair, c’est SOCIETE7.), de par son comportement déloyal, lequel a causé un préjudice pécunier direct considérable tant à SOCIETE6.) qu’à SOCIETE5.), qui contrôle les prises de décisions dans ces dernières ».10 et:

« Or, sans rentrer dans les détails, il ne faut pas perdre de vue que SOCIETE1.) avait contracté un prêt pour SOCIETE5.), de sorte que la perte de SOCIETE5.) provoque a fortiori la perte de valeur de SOCIETE1.) et lui porte préjudice ».11 7 TAL, 15e ch., 7 juillet 2010, n° 776/2010 8 Ch.c.C. 28 mars 2023, n°313/23, not. 14871/22/CD ; Cass. fr. , crim., 17 mai 2023, n° 22-83.762 9 Cass. fr. , crim., 17 mai 2023 précitée 10 Plainte avec constitution de partic civile, page 21, milieu de page 11 idem, page 21, antépénultième paragraphe et:

« En effet, alors qu’il est clair que SOCIETE5.) s’est vue dépouillée de son actif industriel par le comportement totalement déraisonnable et frauduleux de SOCIETE7.) et de SOCIETE8.) , il était du devoir des administrateurs et, en particulier de ceux de SOCIETE6.), de réagir en empêchant cela.

Toujours est-il qu’en adoptant une position plus que passive, c’est-à-dire en s’abstenant d’agir en responsabilité contre SOCIETE7.) du fait de la perte de l’actif industriel de SOCIETE5.), les administrateurs de SOCIETE6.) se sont rendus coupables d’abus de biens sociaux ».12 et :

« En l’espèce, les administrateurs de SOCIETE6.) ont, consciemment avec la volonté de favoriser SOCIETE7.) et, partant SOCIETE8.), sociétés à l’égard desquels ils sont manifestement liés, ce au mépris de l’intérêt social SOCIETE6.) société pour laquelle ils remplissent pourtant les fonctions d’administrateurs, fait un usage des biens de SOCIETE6.) et, en particulier du principal actif de sa filiale SOCIETE5.), à savoir l’usine [….] et de manière contraire à l’intérêt tant de SOCIETE6.) que de SOCIETE5.) [… ]».13 et :

«De même, les administrateurs de SOCIETE6.) ont, consciemment avec la volonté de favoriser SOCIETE7.) et, partant SOCIETE8.), sociétés à l’égard desquels ils sont manifestement liés, ce au mépris de l’intérêt social SOCIETE6.) société pour laquelle ils remplissent pourtant les fonctions d’administrateurs, fait un usage de leurs pouvoirs et voix [….] et de manière contraire à l’intérêt tant de SOCIETE6.) que de SOCIETE5.) [… ]».14 et encore :

« En l’espèce, les administrateurs de SOCIETE6.), lesquels sont proches de SOCIETE7.) et partant SOCIETE8.) ont laissé l’usine sortir du patrimoine de SOCIETE5.) sans réagir autrement ni utilement et ce dans l’unique dessein de favoriser SOCIETE7.) et SOCIETE8.).

D’ailleurs, toute la chronologie des faits exposés ci-dessus démontre, sans l’ombre de nul doute et à suffisance de droit, l’orchestration opérée par SOCIETE7.) et SOCIETE8.) aux fins de dépouiller SOCIETE5.) de son usine. »15 12 idem, page 22, neuvième et dixième paragraphes 13 idem, page 23, troisième paragraphe 14 idem, page 23, quatrième paragraphe 15 idem, page 24, deux premiers paragraphesIl découle de tous ces extraits de la plainte avec constitution de partie civile relatifs au préjudice invoqué par les demanderesses en cassation que celles-ci invoquaient le dépouillement de SOCIETE5.) par la perte de son usine, et le préjudice direct considérable causé à SOCIETE6.) et à SOCIETE5.). Dès lors, même à supposer que les sociétés demanderesses en cassation aient subi un préjudice du fait des agissements faisant l’objet de la plainte, il s’agit de la conséquence indirecte du préjudice social subi par les sociétés SOCIETE5.) et SOCIETE6.).

En déclarant la plainte avec constitution de partie civile irrecevable au motif que les parties demanderesses en cassation n’ont pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir, l’arrêt attaqué a fait une correcte application de l’article 56 du Code de procédure pénale.

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Les demanderesses en cassation font grief à l’arrêt entrepris de les avoir privées de leur droit à voir entendue leur cause, violant ainsi la disposition visée au moyen, combinée avec l’article 56 du Code de procédure pénale.

L’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention européenne présuppose l’existence en droit interne d’un droit matériel défendable. Or, tel que nous l’avons exposé dans le cadre du moyen précédent, la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile n’est ouverte qu’à l’actionnaire qui invoque un préjudice personnel et distinct de celui de la société dont il est actionnaire.

Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme, celle-ci ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné. Par ailleurs, pour déterminer si le droit en question a un fondement en droit interne, le point de départ doit être les dispositions de la législation pertinente et leur interprétation par les juridictions internes16. Compte tenu des dispositions légales pertinentes, dont l’article 56 du Code de procédure pénale, il apparaît que l’on ne saurait prétendre, même de manière défendable, que le droit revendiqué par les demanderesses en cassation est reconnu en droit interne.17 Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, les procédures judiciaires en matière de plainte avec constitution de partie civile ne font entrer en jeu aucun droit reconnu en droit interne en 16 Avis consultatif de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme du 13 avril 2023 (P16-2022-001) n°66 et 67 17 Nous nous permettons ici de renvoyer à nos conclusions plus détaillées concernant les deux moyens précédents faveur de l’actionnaire qui invoque un préjudice qui n’est que la conséquence indirecte du préjudice social subi par la société dont il est actionnaire. Dès lors, l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à l’égard des demanderesses en cassation.

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le cinquième et le septième moyen de cassation réunis Le cinquième et le septième moyen sont tirés de la violation de l’article 47, respectivement de l’article 17, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La procédure pénale engagée par les demanderesses en cassation ne présente aucun lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne.

Les griefs tirés des articles 47 et 17 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice en date du 7 décembre 2000 sont dès lors étrangers au litige.18 Les deux moyens sont inopérants.

Sur le sixième moyen de cassation Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Les demanderesses en cassation font grief à l’arrêt entrepris d’avoir retenu qu’elles n’auraient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir, alors que l’article visé au moyen protègerait le droit de propriété. En ne leur donnant pas la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété, les tribunaux luxembourgeois les priveraient de leur propriété.

La disposition visée au moyen n’a pas été invoquée devant les juges du fond, de sorte que le moyen est nouveau. Devant les juges du fond, les demanderesses en cassation ont agi en leur nom propre, et actuellement elles prétendent agir au nom de la société dont le patrimoine serait visé par une mesure, sans préciser de quelle société il s’agit (SOCIETE6.) ou SOCIETE5.), voire les deux). Aux fins de voir faire abstraction de la personnalité morale propre de la société et autoriser les actionnaires à soumettre aux juridictions des griefs qui concernent une mesure touchant leur société, ils invoquent des circonstances exceptionnelles consistant dans l’impossibilité pour la société de saisir les juridictions par l’intermédiaire de ses organes statutaires ou –en cas de liquidation-par ses liquidateurs.

18 Cass. n° 20 / 13 du 21.3.2013, n° 3127 du registre ; Cass. n° 5 / 2012 pénal du 12.1.2012, not. 3267/08/XD, n° 3001 du registre ; Cass. n° 7 / 2013 pénal du 31.1.2013, not. 1543/11/XD, n° 3108 du registre.Le moyen est mélangé de fait et de droit dans la mesure où votre Cour devrait apprécier s’il existe une impossibilité dans le chef d’SOCIETE6.) ou de SOCIETE5.) de saisir les juridictions par l’intermédiaire de ses/leurs organes statutaires.

Le moyen est dès lors irrecevable.

Subsidiairement :

Le moyen est contradictoire dans la mesure où, dans l’exposé du moyen, les demanderesses en cassation reprochent à l’arrêt entrepris d’avoir retenu qu’elles n’avaient pas de préjudice personnel et distinct à faire valoir, tandis que, dans la discussion du moyen, elles se plaignent de ne pas avoir été autorisées en tant qu’actionnaires à exercer un recours au pénal contre une mesure touchant la société dont elles sont actionnaires. Elles reconnaissent ainsi que c’est le patrimoine de la société dont elles sont actionnaires qui a subi le préjudice invoqué.

Le moyen est irrecevable19.

Plus subsidiairement :

L’article 1er du Protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’Homme comporte trois normes distinctes :

« la première, d’ordre général, énonce le principe du respect de la propriété ; elle s’exprime dans la première phrase du premier alinéa. La deuxième vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; elle figure dans la seconde phrase du même alinéa. Quant à la troisième elle reconnaît aux Etats le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin ; elle ressort du deuxième alinéa ».20 Le moyen est difficilement compréhensible. Non seulement les demanderesses en cassation n’indiquent pas laquelle des trois normes susmentionnées est visée, il s’y ajoute que l’atteinte au droit de propriété invoqué n’est pas imputable à une mesure étatique, mais aux agissements de particuliers, plus précisément les personnes contre lesquelles est dirigée la plainte avec constitution de partie civile. Les demanderesses en cassation ne se plaindraient donc pas d’une ingérence des autorités portant atteinte à leur droit de propriété, mais invoqueraient des obligations positives à charge des autorités dans le cadre d’un litige entre particuliers.

Dans la mesure où les demanderesses en cassation se plaignent de ne pas avoir eu la possibilité d’agir au pénal pour défendre leur droit de propriété, l’ingérence dénoncée constituerait un 19 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz, 4e éd. 2018/2019, n°111.02 et 111.21 20 CEDH arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982, n°7151/75 et 7152/75, §61 manquement à l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le moyen se recoupe avec le quatrième moyen et il est renvoyé aux conclusions relatives à ce moyen qui sont censées réitérées ici.

Le moyen cite encore une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à la qualité de victime au sens de l’article 34 reconnue à un actionnaire. Or, cette jurisprudence n’a aucune incidence sur l’appréciation du préjudice subi par un actionnaire. Il est de jurisprudence constante que, pour la Cour de Strasbourg, la qualité de victime est indépendante de celle de préjudice et qu’une violation de la Convention offre la possibilité de saisir la Cour même s’il n’en résulte aucun préjudice21, celui-ci ne jouant un rôle qu’au regard de l’éventualité d’une satisfaction équitable en vertu de l’article 4122. Il ne saurait partant être déduit de la recevabilité du recours individuel d’un actionnaire que la Cour de Strasbourg aurait retenu que celui-ci avait subi un préjudice personnel et distinct de celui de la société.

En retenant que les actionnaires n’avaient pas de préjudice personnel et distinct à valoir, les juges d’appel ont implicitement mais nécessairement constaté que les actionnaires n’avaient pas subi d’atteinte à leur droit de propriété. Les demanderesses en cassation ayant pu saisir une juridiction impartiale et indépendante qui a statué, dans le cadre d’une procédure contradictoire, sur l’existence du préjudice allégué, elles ont disposé d’un recours.

Le moyen n’est pas fondé.

Encore plus subsidiairement :

Les demanderesses en cassation allèguent des circonstances exceptionnelles consistant dans l’impossibilité pour la société de saisir les juridictions par l’intermédiaire de ses organes statutaires ou –en cas de liquidation-par ses liquidateurs.

Elles passent sous silence qu’elles avaient demandé en référé la nomination d’un administrateur provisoire pour la société SOCIETE6.). Cette procédure s’est soldée par un arrêt rendu date du 11 novembre 202023 qui comporte la motivation suivante concernant le fonctionnement des organes de la société :

« Pour justifier la désignation d’un administrateur provisoire au sein d’SOCIETE6.), les appelantes font encore valoir que les administrateurs, mis en place par le créancier gagiste, la société SOCIETE7.), n’agiraient pas dans l’intérêt social de la société SOCIETE6.), mais dans le seul intérêt du créancier gagiste SOCIETE7.). SOCIETE6.) aurait perdu un actif important, à savoir sa filiale située en Géorgie, suite à la vente publique de cette société par la banque SOCIETE9.). Les administrateurs de catégorie A et B refuseraient d’agir en responsabilité contre qui de droit, de sorte qu’il y aurait un dysfonctionnement des organes 21 CEDH GCH arrêt Brumarescu c. Roumanie du 28 octobre 1999, §50 22 CEDH GCH arrêt Nada c. Suisse du 12 septembre 2012, § 128 23 CA, 7e ch. référé, n°150/20, du 11 novembre 2020, n° CAL-2020-00232 du rôlesociaux au sein de la société SOCIETE6.). Cette situation créerait un blocage au niveau du fonctionnement de la société, exposant la société SOCIETE6.) à un péril imminent.

Force est tout d’abord de relever que contrairement à l’argumentation des appelantes, les organes sociaux d’SOCIETE6.) continuent à fonctionner. Les réunions du conseil d’administration sont tenues, les actionnaires sont convoqués en assemblées générales et des résolutions sont votées au sein du conseil d’administration et adoptées par l’assemblée générale. Il n’est pas non plus établi que les résolutions adoptées par l’assemblée générale aient été adoptées dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de l’actionnaire minoritaire SOCIETE2.) et que l’adoption de ces résolutions soit contraire à l’intérêt social d’SOCIETE6.).

Tout en admettant que les organes sociaux de la société SOCIETE6.) ne sont pas paralysés, les appelantes font plaider que la situation de blocage résulterait du fait que les administrateurs de catégorie A et B, mis en place par la société SOCIETE7.) dans le seul intérêt de celle-ci, refuseraient d’engager une action de quelque nature que ce soit en rapport avec la perte de l’usine SOCIETE5.) en Géorgie, mettant ainsi en péril les intérêts sociaux d’SOCIETE6.).

L’affirmation des appelantes qu’SOCIETE6.) se voit confrontée à un péril imminent susceptible de lui causer un préjudice irrémédiable est contredite par l’existence d’actions en justice pendantes tant en Géorgie qu’en Grande-Bretagne introduites par la société SOCIETE6.), sinon par son bénéficiaire économique, afin d’obtenir l’annulation de la vente publique de la filiale d’SOCIETE6.), respectivement réparation du préjudice leur accru du fait de la vente aux enchères de l’usine SOCIETE5.). Il n’est pas contesté que ces procédures ont été engagées à une époque où les actuels administrateurs de catégorie A et B n’étaient pas encore membres du conseil d’administration de la société SOCIETE6.). Il s’ajoute qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir que la situation économique d’SOCIETE6.) est compromise. Il n’est pas critiqué que les comptes annuels de la société relatifs aux années 2016 à 2019 ont été déposés et mis à part le reproche tiré de l’inaction de certains membres du conseil d’administration en rapport avec la vente publique de l’usine d’azote en Géorgie, aucune situation de blocage au niveau du fonctionnement des organes de la société SOCIETE6.) n’est établi.

Il importe de relever le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la société SOCIETE6.) du 11 mars 2019 et celui de l’assemblée générale des actionnaires du 2 juin 2020 lors de laquelle a été adoptée à la majorité de 90 % une résolution « to vote against the dissolution of the company and to pursue the Company’s activities, in accordance with article 480-2 of the Companies Act », étant précisé que l’actionnaire SOCIETE2.) s’est abstenue lors de ce vote (pièce n° 60 des appelantes).

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à juste titre que le magistrat de première instance a retenu que les conditions cumulatives de l’atteinte au fonctionnement normal de la société et de l’existence d’un péril imminent ne sont pas données en l’espèce 20 et a dit irrecevable la demande en désignation d’un administrateur provisoire au sein de la société SOCIETE6.) sur toutes les bases invoquées. » Cette motivation contredit l’impossibilité alléguée de saisir les juridictions dans le chef des organes statutaires d’SOCIETE6.).

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le huitième moyen de cassation Le huitième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution qui dispose que « tout non-Luxembourgeois qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».

Le moyen fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir retenu que les demanderesses en cassation n’avaient pas de préjudice personne et distinct à faire valoir, violant ainsi l’article visé qui protègerait le droit de propriété.

Cependant la disposition visée au moyen n’a pas spécifiquement trait à la protection du droit de propriété, mais elle reprend l’ancien article 111 de la Constitution, qui garantit aux étrangers, qui se trouvent sur le territoire luxembourgeois, la même protection que celle accordée aux Luxembourgeois :

« La proposition de révision place directement après le principe de l’égalité des Luxembourgeois devant la loi le libellé de l’article 111 de la Constitution actuelle qui dispose que les étrangers, qui se trouvent sur le territoire luxembourgeois, jouissent de la même protection que les Luxembourgeois.

Cette protection peut être restreinte par la loi».24 Le Conseil d’Etat a écrit à propos de l’ancien article 111 de la Constitution, devenu article 16 :

« Les étrangers jouissent au Luxembourg de tous les droits qui ne leur sont pas spécialement refusés. A défaut de texte contraire, ils sont assimilés aux nationaux. Aucun droit ne peut être refusé à l’étranger, à moins que le législateur n’en ait expressément décidé ainsi. »25 Cette disposition concerne exclusivement le principe d’assimilation des étrangers aux nationaux, de sorte que le grief articulé est étranger à la disposition visée.

Le moyen est irrecevable.

24 Proposition de révision du chapitre II de la Constitution, doc.parl. n°7755, exposé des motifs, page 4 25 Conseil d’Etat, 4 février 1964, Pas. 19, p.266Conclusion Le pourvoi est recevable, mais à rejeter.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le 1er avocat général, Marie-Jeanne Kappweiler 22


Synthèse
Numéro d'arrêt : 107/23
Date de la décision : 19/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-10-19;107.23 ?

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