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19/10/2023 | LUXEMBOURG | N°106/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 19 octobre 2023, 106/23


N° 106 / 23 du 19.10.2023 Numéro CAS-2022-00122 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf octobre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Anne MOROCUTTI, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) PERSONNE1.), et + 94 autres parties demanderesses,

demandeurs en cassation, comparant par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, en l’é...

N° 106 / 23 du 19.10.2023 Numéro CAS-2022-00122 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf octobre deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Anne MOROCUTTI, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) PERSONNE1.), et + 94 autres parties demanderesses, demandeurs en cassation, comparant par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) le COMMISSARIAT AUX ASSURANCES, établissement public, établi à L-1840 Luxembourg, 7, boulevard Joseph II, représenté par la direction, 2) l’ÉTAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, PLace de Clairefontaine, défendeurs en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 108/22 - IX - CIV, rendu le 13 juillet 2022 sous le numéro CAL-2019-00995 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 24 novembre 2022 par PERSONNE1.) et 94 autres parties demanderesses à l’établissement public COMMISSARIAT AUX ASSURANCES et à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, (ci-après « l’ETAT »), déposé le 25 novembre 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 23 janvier 2023 par le COMMISSARIAT AUX ASSURANCES et l’ETAT aux demandeurs en cassation en leur domicile élu en l’étude de Maître François MOYSE, déposé le 24 janvier 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait dit irrecevables les demandes des demandeurs en cassation, créanciers de la société anonyme SOCIETE1.), en liquidation judiciaire, introduites à l’encontre du COMMISSARIAT AUX ASSURANCES et de l’ETAT et tendant à l’allocation de dommages-intérêts sur base de l’article 24 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances, sinon sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour se heurter au monopole du liquidateur à agir au nom de la masse des créanciers. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 24 de la Loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances, en ce que la Cour d’appel de et à Luxembourg, neuvième chambre, a jugé que [t]oute faute, même d’un tiers, qui a pour effet soit de diminuer l’actif, soit d’aggraver le passif, est un préjudice collectif dont la réparation doit être réclamée par le seul liquidateur, à l’exclusion des créanciers agissant individuellement, à tout le moins tant que les opérations de liquidation ne sont pas clôturées », aux motifs que [l]a "collectivisation" du préjudice subi par les créanciers victimes de la faute d’un tiers est une conséquence de la procédure collective, de sorte que l’action en réparation appartient au liquidateur » et que [m]ais le préjudice collectif n’est rien d’autre que la somme des préjudices subis par chacun des créanciers », alors que l’article 24 de la Loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances prévoit un régime particulier de responsabilité du Commissariat aux Assurances ou de l’État du Grand-Duché de Luxembourg sans restreindre les titulaires de cette action et en distinguant plusieurs catégories de titulaires potentiels qui peuvent tous intenter individuellement une action en responsabilité contre le Commissariat aux Assurances ou l’État du Grand-Duché de Luxembourg au cas où ces derniers ont violé leurs obligations découlant de la Loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances. ».

L’article 24 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 traite de la responsabilité civile de l’Etat ou du Commissariat aux Assurances pour des dommages individuels subis par des clients suite à des mesures prises par le Commissariat en vertu de la loi, partant d’une question relevant du fond du litige et non de la qualité à agir en responsabilité contre l’Etat ou le Commissariat dans un contexte d’insolvabilité d’une compagnie d’assurances. Le grief, en ce qu’il reproche aux juges d’appel d’avoir violé l’article 24 de la loi précitée, vise dès lors une disposition étrangère au litige.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 444 du Code de commerce, suivant lequel , en ce que, première branche, la Cour d’appel de Luxembourg, neuvième chambre, a statué que [l]e liquidateur judiciaire, lorsque le régime de la faillite et notamment l’article 444 du Code de commerce a été jugé applicable à la liquidation tel que c’est le cas de la liquidation d’SOCIETE1.), représente aussi bien la société en liquidation que les créanciers regroupés dans une masse des créanciers », aux motifs que, [à] compter du jugement déclaratif de mise en liquidation, la société est en vertu de l’article 444 du Code de commerce, dessaisie de plein droit de l’administration de tous ses biens, laquelle est confiée à un liquidateur qui, agissant comme mandataire judiciaire, exerce dans l’intérêt tant de la masse des créanciers que de la société, les pouvoirs déterminés par la loi », alors que l’article 444 du Code de commerce ne prévoit pas que les personnes lésées en raison des agissements fautifs d’un tiers à la société en liquidation sont dessaisies de leur qualité à agir aussi longtemps que la procédure de liquidation est en cours et l’introduction d’une action en responsabilité contre un tiers ne relève pas des pouvoirs déterminés expressis verbis par la loi ;

en ce que, deuxième branche, la Cour d’appel de Luxembourg, neuvième chambre, a jugé que [i]l appartient au liquidateur seul d’agir pour assurer les droits communs des créanciers, ceux-ci ne pouvant rendre la procédure collective inopérante en agissant contre la société en liquidation ou contre des tiers en récupération de droits qui reviennent à la masse », aux motifs que, [a]u dessaisissement de la société en liquidation correspond dès lors à un dessaisissement corrélatif dans le chef des créanciers qui ne peuvent en principe plus agir individuellement contre le débiteur en liquidation ou contre des tiers débiteurs de la masse », et que [l]e préjudice excipé par les appelants n’est pas un préjudice distinct de celui subi par l’ensemble des créanciers de SOCIETE1.) en liquidation, qui pourraient pareillement reprocher au CAA de ne pas avoir procédé aux contrôles et mesures qu’ils avancent et de leur avoir ainsi causé un préjudice en ce que leurs créances ne seraient pas nées non plus, ou auraient été moindres, si SOCIETE1.) n’avait pas existé, cessé d’exister plus tôt, ou été soumise à des mesures de contrôle plus stricte », alors que les parties demanderesses en cassation ont subi, en raison de la faute de la partie défenderesse en cassation sub 1), qui les a induites en erreur, un préjudice qui doit être qualifié d’individuel dans la mesure où il n’affecte aucunement le patrimoine de la société en liquidation et ne saurait donc être considéré comme relevant de la masse. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen L’action en responsabilité dirigée contre un tiers dont la faute a diminué l’actif ou augmenté le passif de la société en liquidation appartient au seul liquidateur agissant au nom de la masse de l’ensemble des créanciers, dès lors que cette faute est la cause d’un préjudice collectif pour ceux-ci et lèse des droits qui leur sont, par nature, communs.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la seconde branche du moyen Au vu de la réponse donnée ci-avant, les juges d’appel qui ont décidé, sur base des éléments de droit et de fait leur soumis, que les préjudices invoqués par les demandeurs en cassation ne constituaient pas des préjudices individuellement subis, n’ont pas violé la disposition légale visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 10 de la Directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie (ci-après la ), en ce que, la Cour d’appel de et à Luxembourg, neuvième chambre, a statué que [l]es fautes invoquées n’ont aucune relation directe et individuelle ni n’affectent immédiatement les appelants ou leur investissement, mais ne les concernent qu’à travers leur impact sur l’actif de SOCIETE1.) », aux motifs que [c]es fautes seraient à l’origine de leur préjudice alors que sans elles ils n’auraient pas été en mesure de souscrire aux produits financiers litigieux qui n’auraient pas été mis sur le marché ou qu’ils ne l’auraient pas fait à cause de la médiatisation négative et qu’en tout état de cause ils auraient subi un préjudice moindre », que [p]our arriver à cette conclusion les appelantes procèdent à une inversion de perspective en individualisant leur préjudice et sa cause par la présentation qu’ils en font de leur point de vue », que […] cela n’entame en rien la nature collective du préjudice, si tant est qu’il soit avéré, car il ne se révélera au final qu’après la distribution de l’ensemble des actifs, qui tient à l’insuffisance des actifs, dont la perte alléguée n’est que la répercussion », et que [l]es fautes invoquées, en rendant possible la conduite d’une activité et le préjudice éventuel en résultant, dont la réparation est demandée, se résument en fin de compte à une augmentation du passif ou une diminution de l’actif de l’organisme en liquidation, qui de par les fautes alléguées n’auraient pas été empêchés », alors que l’article 10 de la Directive 2002/83/CE crée des obligations concrètes dans le chef des autorités compétentes de l’État membre et de l’État membre lui-même quant à la surveillance des entreprises d’assurance, obligations dont les particuliers peuvent se prévaloir sur base du principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, qui s’oppose à ce que de l’action de particuliers soit déclarée irrecevable sur base du prétendu monopole du liquidateur au cas où ces particuliers ont intenté une action contre l’autorité prudentielle qui a violé ses obligations découlant du droit de l’Union européenne. ».

Réponse de la Cour Le moyen faisant grief aux juges d’appel d’avoir enfreint l’article 10 de la Directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie, qui met à charge de l’Etat un certain nombre d’obligations en matière prudentielle, vise une disposition étrangère au litige dès lors que ladite disposition n’affecte pas le droit d’action du titulaire en cas de liquidation de la personne morale dans laquelle les créanciers détenaient des intérêts. Le principe d’effectivité du droit de recours n’est, compte tenu du droit d’agir du liquidateur, pas remis en cause.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Le demandeur en cassation entend, en tout état de cause, voir soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de la directive 2002/83/CE (Solvability 1), qui imposent à l’Etat membre de veiller au respect des conditions régissant l’activité d’assurance notamment l’article 10 et qui limitent en matière d’assurance liée à un fonds interne les catégories d’actifs admis (article 23), créent-elles des obligations d’ordre public européen ? Des négligences graves et le non-respect des obligations luxembourgeois, en tant qu’il réserverait ne fut-ce que temporairement à la décision discrétionnaire du liquidateur ou du curateur de la compagnie d’assurances la possibilité d’intenter en lieu et place des souscripteurs d’assurances une action en responsabilité contre l’Etat et/ou le régulateur luxembourgeois du secteur des assurances fondée sur la violation d’un tel droit subjectif, avec la circonstance que l’action puisse être prescrite avant que les souscripteurs ne recouvrent leur droit d’agir individuellement à l’issue de la mission du liquidateur ou du curateur, viole-

t-il le principe d’effectivité du droit européen et donc de la Directive susmentionnée ? Au vu de la réponse donnée au moyen, il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chacun d’eux une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne les demandeurs en cassation in solidum à payer à chaque défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

les condamne in solidum aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Patrick KINSCH, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Serge WAGNER et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) ainsi que 94 autres parties c/ l’établissement public COMMISSARIAT AUX ASSURANCES et l’ETAT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG (affaire n° CAS-2022-00122 du registre) Le pourvoi des parties demanderesses en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 25 novembre 2022 d’un mémoire en cassation, signifié le 24 novembre 2022 aux parties défenderesses en cassation, est dirigé contre un arrêt n° 108/22 - IX - CIV rendu contradictoirement en date du 13 juillet 2022 par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2019-

00995 du rôle.

Selon les informations des défendeurs en cassation, l’arrêt attaqué n’aurait été signifié qu’à deux des demandeurs en cassation résidant en France et en Belgique et que pour ces deux demandeurs en cassation, le délai pour se pourvoir en cassation aurait été respecté. A défaut de la remise des actes de signification, ces affirmations ne peuvent pas être contrôlées. En tout état de cause, les défendeurs en cassation ne contestent pas la recevabilité du pourvoi.

Sur base des éléments du dossier, il y a partant lieu de conclure que le pourvoi a été déposé dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation. Il attaque un arrêt rendu en dernier ressort qui, en confirmant la décision d’irrecevabilité de la demande, a mis fin à l’instance.

Le mémoire en réponse des défendeurs en cassation signifié le 23 janvier 2023 aux demandeurs en cassation en leur domicile élu et déposé au greffe de la Cour le 24 janvier 2023, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Faits et rétroactes Les demandeurs en cassation ont investi des avoirs dans des produis d’assurance-vie commercialisés par la société anonyme SOCIETE1.) qui, en tant qu’entreprise d’assurance, a été soumise au contrôle et à la surveillance du Commissariat aux Assurances.

La société SOCIETE1.) a été mise en liquidation par jugement du tribunal d’arrondissement du 12 juillet 2012 sur base de l’article 60 b) de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances (ci-après la « Loi de 1991 »). Ce jugement a rendu applicable à cette liquidation un grand nombre de dispositions du Code de commerce relatives aux faillites, dont notamment les articles 444 et 452.

Reprochant des fautes et omissions au Commissariat aux Assurances dans le cadre de sa mission de contrôle et de surveillance de la société SOCIETE1.), les demandeurs en cassation l’ont assigné en responsabilité sur base de l’article 24 de la Loi de 1991, sinon des articles 1382 et 1383 du Code civil1. L’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a été assigné en ce qu’il répond des mesures prises par le Commissariat aux Assurances aux termes de l’article 24 alinéa 1er de la Loi de 1991.

Par jugement du 17 juillet 2019, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a déclaré les demandes irrecevables pour se heurter au monopole du liquidateur à agir au nom de la masse des créanciers.

Ce jugement a été confirmé en appel par l’arrêt attaqué du 13 juillet 2022.

Quant au premier moyen de cassation:

Le premier moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 24 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances, en ce que la Cour d’appel de et à Luxembourg, neuvième chambre, a jugé que « [t]oute faute, même d’un tiers, qui a pour effet soit de diminuer l’actif, soit d’aggraver le passif, est un préjudice collectif dont la réparation doit être réclamée par le seul liquidateur, à l’exclusion des créanciers agissant individuellement, à tout le moins tant que les opérations de liquidation ne sont pas clôturées », aux motifs que « [l]a ‘‘collectivisation’’ du préjudice subi par les créanciers victimes de la faute d’un tiers est une conséquence de la procédure collective, de sorte que l’action en réparation appartient au liquidateur » et que « [m]ais le préjudice collectif n’est rien d’autre que la somme des préjudices subis par chacun des créanciers », alors que l’article 24 de la Loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances prévoit un régime particulier de responsabilité du Commissariat aux Assurances ou de l’État du Grand-Duché de Luxembourg sans restreindre les titulaires de cette action et en distinguant plusieurs catégories de titulaires potentiels qui peuvent tous intenter individuellement une action en responsabilité contre le Commissariat aux Assurances ou l’État du Grand-Duché de Luxembourg au cas où ces derniers ont violé leurs obligations découlant de la Loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances ».

1 Les demandes ont été introduites par des actes d’huissier de justice des 20 décembre 2012, 6 février 2013, 2 octobre 2014 et 10 mai 2016.

L’article 24 de la Loi de 19912 dispose ce qui suit :

« L’Etat répond des mesures prises par le Commissariat en vertu de la présente loi.

La surveillance du secteur des assurances, des réassurances et des intermédiaires d’assurances n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public.

Pour que la responsabilité civile de l’État ou du Commissariat pour les dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, ou par leurs clients ou par des tiers puisse être engagée, il doit être prouvé que le dommage a été causé par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public du Commissariat ».

Le premier alinéa de cet article constituait initialement l’article 42 de la Loi de 1991 dans sa version de 1991. Les alinéas 2 et 3 ont été introduits par la loi du 18 décembre 1993 portant modification et complément de certaines dispositions en matière d’assurances3. D’après les travaux parlementaires, les ajouts apportés ont pour objet de mieux cerner la finalité de l’action du Commissariat et de préciser et de délimiter la responsabilité encourue par le Commissariat dans ce cadre. Par la précision que la mission du Commissariat poursuit un objectif d’intérêt public, le texte tend à souligner que l’autorité de surveillance est chargée d’une obligation de moyen et non d’une obligation de résultats4.

La disposition visée au moyen, ayant trait à la responsabilité de l’autorité de surveillance prudentielle des compagnies d’assurances, concerne le fond et est étrangère aux modalités procédurales de mise en œuvre concrète de cette responsabilité dans un contexte déterminé. L’action en responsabilité dirigée contre le Commissariat aux Assurances reste ainsi soumise aux conditions de recevabilité de droit commun.

En particulier, cet article ne vise pas l’hypothèse d’une éventuelle liquidation d’une société d’assurances et ne déroge pas à la jurisprudence unanime développée en matière de faillite, et transposée aux liquidations judiciaires, suivant laquelle l’action en indemnisation d’un préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers de l’entité faillie/dissoute appartient exclusivement au curateur/liquidateur.

En l’espèce, il a été décidé que l’action individuelle des créanciers se heurte à un obstacle procédural tiré de la qualité à agir. En effet, si, en principe, toute personne, qui prétend qu’une atteinte a été portée à un droit lui appartenant et qui profitera personnellement de la mesure qu’elle réclame, a un intérêt à agir en justice et donc qualité pour agir, la qualité à agir est parfois dissociée de l’intérêt. C’est le cas des 2 Cette disposition, qui était applicable au moment de l’introduction de la demande, est actuellement reprise en termes identiques à l’article 6 de la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances.

3 Mémorial A n°102 de 1993.

4 Documents parlementaires, n°3835, Exposé des motifs, p. 17.

actions dites « attitrées », qui ne sont ouvertes qu’à certaines personnes habilitées à cet effet.

Il en découle que les juges d’appel, tout comme les juges de première instance, n’ont pas analysé le fond de l’affaire et, au vu du fait que la demande a été déclarée irrecevable, ne se sont pas prononcés sur l’article 24 de la Loi de 1991.

La disposition visée au moyen est partant étrangère au grief adressé aux juges d’appel d’avoir dénié aux demandeurs en cassation qualité à agir en responsabilité contre les défendeurs en cassation. En cela, le premier moyen de cassation est irrecevable5.

Quant au deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 444 du Code de commerce, suivant lequel « [l]e failli, à compter du jugement déclaratif de la faillite, est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu’il est en état de faillite », en ce que, première branche, la Cour d’appel de Luxembourg, neuvième chambre, a statué que « [l]e liquidateur judiciaire, lorsque le régime de la faillite et notamment l’article 444 du Code de commerce a été jugé applicable à la liquidation tel que c’est le cas de la liquidation de SOCIETE1.), représente aussi bien la société en liquidation que les créanciers regroupés dans une masse des créanciers », aux motifs que, « [à] compter du jugement déclaratif de mise en liquidation, la société est en vertu de l’article 444 du Code de commerce, dessaisie de plein droit de l’administration de tous ses biens, laquelle est confiée à un liquidateur qui, agissant comme mandataire judiciaire, exerce dans l’intérêt tant de la masse des créanciers que de la société, les pouvoirs déterminés par la loi », alors que l’article 444 du Code de commerce ne prévoit pas que les personnes lésées en raison des agissements fautifs d’un tiers à la société en liquidation sont dessaisies de leur qualité à agir aussi longtemps que la procédure de liquidation est en cours et l’introduction d’une action en responsabilité contre un tiers ne relève pas des pouvoirs déterminés expressis verbis par la loi ;

en ce que, deuxième branche, la Cour d’appel de Luxembourg, neuvième chambre, a jugé que « [i]l appartient au liquidateur seul d’agir pour assurer les droits communs des créanciers, ceux-ci ne pouvant rendre la procédure collective inopérante en agissant contre la société en liquidation ou contre des tiers en récupération de droits qui reviennent à la masse », aux motifs que, « [a]u dessaisissement de la société en liquidation correspond dès lors à un dessaisissement corrélatif dans le chef des créanciers qui ne peuvent en principe 5 Voir dans ce sens : Cour de cassation, 2 mars 2023, n° 21/2023, n° CAS-2022-00048 du registre.

plus agir individuellement contre le débiteur en liquidation ou contre des tiers débiteurs de la masse », et que « [l]e préjudice excipé par les appelants n’est pas un préjudice distinct de celui subi par l’ensemble des créanciers de SOCIETE1.) en liquidation, qui pourraient pareillement reprocher au CAA de ne pas avoir procédé aux contrôles et mesures qu’ils avancent et de leur avoir ainsi causé un préjudice en ce que leurs créances ne seraient pas nées non plus, ou auraient été moindres, si SOCIETE1.) n’avait pas existé, cessé d’exister plus tôt, ou été soumise à des mesures de contrôle plus strictes », alors que les parties demanderesses en cassation ont subi, en raison de la faute de la partie défenderesse en cassation sub 1), qui les a induites en erreur, un préjudice qui doit être qualifié d’individuel dans la mesure où il n’affecte aucunement le patrimoine de la société en liquidation et ne saurait donc être considéré comme relevant de la masse ».

Aux termes de l’article 444 alinéa 1er du Code de commerce, « le failli, à compter du jugement déclaratif de la faillite, est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu’il est en état de faillite ».

Comme relevé par l’arrêt attaqué, le jugement ordonnant la liquidation de la société SOCIETE1.) a rendu applicables à cette liquidation notamment les articles 444, 447 à 454 du Code de commerce et a décidé que :

« A partir du présent jugement, toutes actions mobilières ou immobilières, toutes voie d'exécution sur les meubles ou immeubles, ne pourront être suivies, ou intentées que contre les liquidateurs, de même que l'exercice de toutes actions concernant la société, est désormais réservé aux liquidateurs.

[…] Les liquidateurs auront de même pouvoir de défendre en tous procès, procédures et actions engagés soit contre eux en leur qualité de liquidateurs, soit contre la société anonyme SOCIETE.1) S.A. de poursuivre, tant en demandant qu'en défendant, et d'intervenir en tous procès, procédures et actions pendants actuellement ou à l'avenir devant toute juridiction, ainsi que d'exercer toutes voies de recours contre tous jugements, ordonnances ou autres décisions rendus ou à rendre en tous litiges, procédures et procès, le tout tant au Luxembourg qu'à l'étranger et ce dans toute la mesure où les liquidateurs jugeront ces défenses, poursuites, interventions et recours nécessaires ou utiles à la protection des avoirs de la société anonyme SOCIETE1.) S.A.

».

L’arrêt attaqué expose également que « le liquidateur judiciaire, lorsque le régime de la faillite et notamment l’article 444 du Code de commerce a été jugé applicable à la liquidation tel que c’est le cas de la liquidation de SOCIETE1.), représente aussi bien la société en liquidation que les créanciers regroupés dans une masse des créanciers.

A compter du jugement déclaratif de mise en liquidation, la société est en vertu de l’article 444 du Code de commerce, dessaisie de plein droit de l’administration de tous ses biens, laquelle est confiée à un liquidateur qui, agissant comme mandataire judiciaire, exerce dans l’intérêt tant de la masse des créanciers que de la société, les pouvoirs déterminés par la loi.

Au dessaisissement de la société en liquidation correspond dès lors un dessaisissement corrélatif dans le chef des créanciers qui ne peuvent en principe plus agir individuellement contre le débiteur en liquidation ou contre des tiers débiteurs de la masse. Il appartient au liquidateur seul d’agir pour assurer les droits communs des créanciers, ceux-ci ne pouvant rendre la procédure collective inopérante en agissant contre la société en liquidation ou contre des tiers en récupération de droits qui reviennent à la masse ».

Il en découle que l’arrêt déduit le monopole d’action du liquidateur pour agir en responsabilité civile contre des tiers pour le compte de la masse des créanciers de l’article 444, désigné expressément, ainsi que de l’article 452 du Code de commerce6, respectivement de l’article 60-2 paragraphe 5 de la Loi de 19917, sans cependant expressément les nommer.

Si l’indication de la (des) disposition(s) légale(s) violée(s) par le moyen de cassation est, le cas échéant, incomplète, le grief invoqué n’est cependant pas complètement étranger à la disposition arguée de violée tel que cela a été invoqué par les défendeurs en cassation.

Le moyen de cassation est partant recevable à cet égard.

Comme indiqué dans le jugement du 17 juillet 20198, confirmé en appel par l’arrêt attaqué, la jurisprudence pertinente développée tant en Belgique qu’au Luxembourg en matière de délimitation du droit d’agir du curateur par rapport à celui des créanciers a été synthétisée dans un arrêt de la Cour d’appel du 25 février 20159.

Aux termes de cet arrêt, « les juridictions tant luxembourgeoise que belge, admettent en effet depuis un siècle de manière constante que le curateur d’une faillite représente aussi bien le failli, que les créanciers regroupés obligatoirement et nécessairement dès la déclaration de faillite, dans une « masse des créanciers », expression employée par la loi du 2 juillet 1870 ayant introduit au Code de commerce luxembourgeois le livre III relatif aux faillites, banqueroutes et sursis.

6 Article 452 alinéa 1er du Code de commerce : « A partir du même jugement, toute action mobilière ou immobilière, toute voie d’exécution sur les meubles ou sur les immeubles ne pourra être suivie, intentée ou exercée que contre les curateurs de la faillite ».

7 Article 60-2 paragraphe 5 de la Loi de 1991 : « A partir du jugement, toutes actions mobilières ou immobilières, toutes voies d'exécution sur les meubles ou les immeubles, ne pourront être suivies, intentées ou exercées que contre les liquidateur ».

8 Page 21.

9 Cour d’appel, IV chambre, 25 février 2015, n° 37549 du rôle, Pas. 37, p. 483.

A compter du jugement déclaratif de la faillite, le failli est en vertu de l’article 444 du Code de commerce, dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, laquelle est confiée à un curateur qui, agissant comme mandataire judiciaire, exerce dans l’intérêt tant de la masse des créanciers que du failli, les pouvoirs déterminés par la loi.

Au dessaisissement du failli correspond dès lors un dessaisissement corrélatif dans le chef des créanciers qui ne peuvent en principe plus agir individuellement contre le débiteur failli ou contre des tiers débiteurs de la masse. Il appartient au curateur seul d’agir pour assurer les droits communs des créanciers : ceux-ci ne pourraient rendre la procédure collective inopérante en agissant contre le failli ou contre des tiers en récupération de droits qui reviennent à la masse (I Verougstraete, Le manuel du curateur de faillite, p. 86).

C’est dans le cadre de la mission qui lui est ainsi confiée par la loi que le curateur exerce les droits qui sont communs à tous les créanciers et vis-à-vis desquels il jouit d’une indépendance complète.

Au fur et à mesure des arrêts, la Cour de cassation belge a ainsi progressivement délimité les pouvoirs du curateur et des créanciers. Les principes établis par sa jurisprudence aujourd’hui constante, peuvent être résumés comme suit :

- le curateur a qualité pour exercer les droits qui sont communs à la masse des créanciers, il n’a pas qualité pour agir en réparation du dommage subi par des créanciers individuels ;

- le droit d’action du curateur est un monopole : le droit d’action du curateur est exclusif pour agir contre un tiers responsable d’une faute ayant causé un préjudice collectif, l’action d’un créancier étant irrecevable ;

- durant la procédure de faillite, les créanciers sont recevables à agir lorsqu’ils exercent des droits individuels ;

- après la clôture de la faillite, les créanciers retrouvent leur droit d’agir individuellement contre un tiers dont la faute a causé un préjudice collectif. (Thierry Bosly, Préjudice collectif ou individuel : un modèle adéquat pour délimiter les pouvoirs du curateur et des créanciers d’agir en responsabilité contre un tiers, Revue critique de jurisprudence belge, 1er trimestre 2000, p. 39-45).

Le curateur peut agir en justice au nom de la masse des créanciers en exerçant les droits qui sont communs à l’ensemble de ceux-ci, mais il ne peut exercer les droits des créanciers individuellement et cela même lorsque ces droits seraient cumulés ou les droits qui appartiennent aux seuls créanciers jouissant d’un privilège spécial. Il exerce les actions qui ont trait au gage commun des créanciers, constitué par le patrimoine du failli, c’est-à-dire qui tendent à la reconstitution, la protection ou la liquidation de ce patrimoine (Cass 20 juin 1968, Pas b. 1968, I, 1209 ; Cass.b. 7 mai 1980, Pas.b. 1980, I, 1104 ; Cass b. 5 décembre 1997, Pas.b. 1997, I, p.1355).

Il convient dès lors de cerner les notions de « droits communs à l’ensemble des créanciers » et de « dommage collectif à tous les créanciers».

Cette dernière notion est définie comme tout acte portant préjudice à la masse des créanciers et qui est indépendant de la situation individuelle de chaque créancier.

La Cour de cassation belge définit le dommage collectif de la manière suivante : « Sont communs à l’ensemble des créanciers les droits résultant de dommages causés par la faute de toute personne, qui a eu pour effet d’aggraver le passif de la faillite ou d’en diminuer l’actif, en raison du dommage ainsi causé à la masse des biens et des droits qui forment le gage commun des créanciers, cette faute est la cause d’un préjudice collectif pour ceux-ci et lèse des droits qui leur sont, par nature communs » (Cass 2 mars 1995 arrêt « UNAC », Pas. b. 1995, I, 257 ; Cass b. 5 décembre 1997, arrêt « SEPP » Pas.b. 1997, I, n°532, p. 1355).

Constitue ainsi un « dommage collectif », le dommage résultant pour la masse du fait qu’un commerçant, déclaré banqueroutier simple, a payé ou favorisé un créancier au préjudice de celle-ci, et qui consiste dans la diminution causée par l’infraction, de l’actif disponible pour la masse. Pour l’évaluation de ce dommage il n’y a pas lieu de tenir compte de la diminution éventuelle du passif qui pourrait résulter du paiement d’un créancier dont la créance, si elle avait fait partie de la masse, aurait accru le passif (Cass. b. 15 octobre 1985, Pas .b. 1986, I, n°91).

Le préjudice collectif qui justifie l’action du curateur est « l’atteinte au patrimoine du failli, affecté par une charge supplémentaire comme il le serait par la perte d’éléments d’actifs, dont pâtissent tous les créanciers » (P. Coppens et f. T’Kint R.C.J.B 1997, p.

182, Examen de la jurisprudence 1991-1996 – Les faillites, les concordats et les privilèges).

Cette position était d’ailleurs également celle adoptée par la Cour de cassation française sous l’empire de l’ancienne loi du 13 juillet 1967 qui réglait la liquidation judiciaire de manière analogue aux textes luxembourgeois relatifs à la faillite, contenant notamment les concepts de « masse des créanciers » et « syndic » c’est-à-dire la personne agissant dans l'intérêt collectif des créanciers. (Ass. plén. cass.fr. 9 juillet 1993, pourvoi n°89-19211 ; D. 1993, p. 469, note J-P- Dumas).

Toute faute, même d’un tiers, qui a pour effet soit de diminuer l’actif, soit d’aggraver le passif, est un préjudice collectif dont la réparation doit être réclamée par le seul curateur, à l’exclusion des créanciers agissant individuellement, à tout le moins tant que la procédure de faillite n’est pas clôturée ».

Il résulte ainsi clairement de la jurisprudence constante de la Cour de cassation belge que « sont communs à l’ensemble des créanciers les droits résultant de dommages causés par la faute de toute personne, qui a pour effet d’aggraver le passif de la faillite ou d’en diminuer l’actif et qu’en raison du dommage ainsi causé à la masse des biens et des droits qui forment le gage commun des créanciers, cette faute est la cause d’un préjudice collectif pour ceux-ci et lèse les droits qui leur sont, par nature, communs »10.

Selon la doctrine, ce raisonnement repose sur l’idée que l’aggravation du passif signifie que l’actif sera réparti entre un nombre plus élevé de créanciers et, partant, que l’importance du dividende distribué en sera réduite11. Si l’aggravation du passif entraîne une perte de capacité du débiteur à honorer ses dettes, cela ne signifie pas pour autant que tous les créanciers, sans exception, en subissent un préjudice ou que leur dommage soit commun12.

Il a ainsi été critiqué que la faute du tiers qui cause l’aggravation du passif touche les créanciers de façon inégale, notamment dans le contexte de l’octroi fautif d’un crédit, et que le dommage subi par les créanciers ayant traité avec le futur failli en raison de l’apparence trompeuse de solvabilité est différent de celui des créanciers antérieurs à la faute du banquier, respectivement de celui des créanciers ayant traité en connaissance de cause de la situation financière13. Or, ces critiques n’ont pas amené la Cour de cassation belge à modifier sa jurisprudence et la doctrine approuve majoritairement la solution adoptée par la Cour de cassation belge.

La jurisprudence luxembourgeoise est de la même teneur. Référence peut notamment être faite à la série de jugements rendus par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg dans l’affaire « SOCIETE9.) » en date du 4 mars 201014. Ces jugements ont été confirmés en appel par des arrêts des 15 juillet 201415 et 15 juin 201616 de la quatrième chambre de la Cour d’appel.

Votre Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un de ces arrêts et le moyen était tiré de la violation de l’article 36 de la loi du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif, de la violation de l’article 16 de la Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires, administratives concernant certains organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM), ainsi que la violation du principe de la protection juridictionnelle effective tel que prévu à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne. Par arrêt du 2 juillet 201517, votre Cour s’est prononcée comme suit : « Attendu qu'en se déterminant par les motifs repris dans 10 Cour de cassation belge, 12 février 1981, Pas. b., 1981, I, p. 650 ; Cour de cassation belge, 5 décembre 1997, R.C.J.B., 2000, p. 20 ; Cour de cassation belge, 28 mars 2014, J.T., 2014/28, n° 6572 ; Cour de cassation belge, 25 mars 2021, J.L.M.B, 2021/35.

11 Th. PERSONNE105.), « Préjudice collectif ou individuel: un modèle adéquat pour délimiter les pouvoirs du curateur et des créanciers d’agir en responsabilité contre un tiers ? », R.C.J.B., 2000, p. 49.

12 Idem, p. 50.

13 Idem, p. 46.

14 Voir notamment n° 125 207, 125 312 et 125 653 du rôle ; n°123 583, 125 277 et 125 652 du rôle et n°121 585, 125 280 et 125 656 du rôle.

15 Voir notamment n° 36 519 du rôle et n° 36 517 du rôle.

16 Voir notamment n° 36 169 du rôle, n° 36 176 du rôle et n° 36171 du rôle : à remarquer que ces décisions ont été rendues dans le cadre de demandes introduites tant avant qu’après la liquidation judiciaire de SOCIETE9.).

Référence peut également être faite à l’arrêt de la Cour d’appel du 13 mars 2019, n° 44659 du rôle, n° 42/19 - I -

CIV.

17 Cour de cassation, 2 juillet 2015, n° 67/15, n° 3509 du registre.

le moyen, les juges du fond ont correctement interprété tant l'article 36 de la loi du 20 décembre 2002 que l'article 16 de la directive 85/611/CEE, et ceci à la lumière des droits fondamentaux protégés par le droit communautaire, en l'occurrence le droit à une protection juridique effective visé par l'article 47 de la Charte, qu'ils ont à bon droit considéré comme respecté par le législateur déclarant applicables les règles tirées du droit des sociétés qui prévoient qu'il appartient à la société d'exercer l'action en réparation affectant le patrimoine social, l'actionnaire disposant du droit d'agir contre le dépositaire en réparation du préjudice personnel et distinct de celui de la société ».

Il découle de tout ce qui précède qu’en suivant une jurisprudence constante de la Cour de cassation belge et des juridictions luxembourgeoises, selon laquelle seul le curateur/liquidateur a qualité à agir en responsabilité contre un tiers dont la faute a aggravé le passif ou diminué l’actif de la faillite et a ainsi causé un préjudice collectif pour les créanciers, les magistrats d’appel ont fait une correcte application de la disposition légale visée au moyen. Le moyen de cassation, pris en sa première branche, est partant à rejeter.

La deuxième branche du moyen a trait au préjudice que les juges d’appel n’auraient, à tort et en violation de la disposition visée au moyen, pas qualifié d’individuel.

Après avoir exposé les principes ci-dessus, les juges d’appel ont conclu que « les appelantes procèdent à une inversion de perspective en individualisant leur préjudice et sa cause par la présentation qu’ils en font de leur point de vue. Ils insistent sur le fait que seul le souscripteur des produits litigieux X ou Y serait concerné directement par la perte qu’il subit et que ce préjudice aurait pu être évité en l’absence des fautes invoquées. Cela est évidemment vrai comme ça l’est de n’importe quel créancier qui seul subit la perte de sa créance et qui peut être entré en relation avec un cocontractant au vu de son apparente solidité financière et juridique. Mais cela n’entame en rien la nature collective du préjudice, si tant est qu’il soit avéré, car il ne se révèlera au final qu’après la distribution de l’ensemble des actifs, qui tient à l’insuffisance des actifs, dont la perte alléguée n’est que la répercussion. Les fautes invoquées, en rendant possible la conduite d’une activité et le préjudice éventuel en résultant, dont la réparation est demandée, se résument en fin de compte à une augmentation du passif ou une diminution de l’actif de l’organisme en liquidation, qui de par les fautes alléguées n’auraient pas été empêchés.

Le préjudice excipé par les appelants n’est pas un préjudice distinct de celui subi par l’ensemble des créanciers de SOCIETE1.) en liquidation, qui pourraient pareillement reprocher au CAA de ne pas avoir procédé aux contrôles et mesures qu’ils avancent et de leur avoir ainsi causé un préjudice en ce que leurs créances ne seraient pas nées non plus, ou auraient été moindres, si SOCIETE1.) n’avait pas existé, cessé d’exister plus tôt, ou été soumise à des mesures de contrôle plus strictes. La collectivité des créanciers serait tout autant affectée par les fautes reprochées au CAA à les supposer établies, alors que l’octroi ou le maintien de l’agrément, le défaut de mesures lors des problèmes de solvabilité ou de la non-publication des comptes et nominations, ainsi que les éventuels manquements relatif à la vérification des actifs sous-jacents les affectent également (à proportion de leur créance), dans la mesure où l’absence des fautes alléguées aurait empêché ou inhibé tout créancier de souscrire ou de contracter et aurait pareillement pu minimiser leur préjudice. Les fautes invoquées n’ont aucune relation directe et individuelle ni n’affectent immédiatement les appelants ou leur investissement, mais ne les concernent qu’à travers leur impact sur l’actif de SOCIETE1.).

Cela vaut d’ailleurs quelle que soit la qualification donnée au préjudice invoqué, la perte du capital, le manque à gagner, la perte d’une chance de souscrire à d’autres produits ou le dommage moral découlant des précédents. Il s’agit au final toujours d’obtenir une compensation pour la disparition escomptée de l’actif de SOCIETE1.). Si cet actif s’avérait suffisant pour satisfaire aux créances découlant des deux premiers préjudices invoqués les deux autres disparaîtraient à leur suite ».

En jugeant, sur base des éléments de fait et de droit leur soumis, que les préjudices invoqués par les demandeurs en cassation ne constituent pas des dommages distincts de ceux subis par l’ensemble des créanciers de la société SOCIETE1.), au motif que les fautes invoquées se résument à une augmentation du passif ou une diminution de l’actif, les juges d’appel ont correctement appliqué la jurisprudence constante développée en matière de faillites et de liquidations au cas d’espèce dont ils étaient saisis.

Le moyen de cassation, pris en sa deuxième branche, est partant également à rejeter.

Quant au troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 10 de la Directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie (ci-après la « Directive 2002/83/CE »), en ce que, la Cour d’appel de et à Luxembourg, neuvième chambre, a statué que « [l]es fautes invoquées n’ont aucune relation directe et individuelle ni n’affectent immédiatement les appelants ou leur investissement, mais ne les concernent qu’à travers leur impact sur l’actif de SOCIETE1.) », aux motifs que « [c]es fautes seraient à l’origine de leur préjudice alors que sans elles ils n’auraient pas été en mesure de souscrire aux produits financiers litigieux qui n’auraient pas été mis sur le marché ou qu’ils ne l’auraient pas fait à cause de la médiatisation négative et qu’en tout état de cause ils auraient subi un préjudice moindre », que « [p]our arriver à cette conclusion les appelantes procèdent à une inversion de perspective en individualisant leur préjudice et sa cause par la présentation qu’ils en font de leur point de vue », que « […] cela n’entame en rien la nature collective du préjudice, si tant est qu’il soit avéré, car il ne se révélera au final qu’après la distribution de l’ensemble des actifs, qui tient à l’insuffisance des actifs, dont la perte alléguée n’est que la répercussion », et que « [l]es fautes invoquées, en rendant possible la conduite d’une activité et le préjudice éventuel en résultant, dont la réparation est demandée, se résument en fin de compte à une augmentation du passif ou une diminution de l’actif de l’organisme en liquidation, qui de par les fautes alléguées n’auraient pas été empêchés », alors que l’article 10 de la Directive 2002/83/CE crée des obligations concrètes dans le chef des autorités compétentes de l’État membre et de l’État membre lui-même quant à la surveillance des entreprises d’assurance, obligations dont les particuliers peuvent se prévaloir sur base du principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, qui s’oppose à ce que l’action de particuliers soit déclarée irrecevable sur base du prétendu monopole du liquidateur au cas où ces particuliers ont intenté une action contre l’autorité prudentielle qui a violé ses obligations découlant du droit de l’Union européenne ».

Aux termes de l’article 10 de la Directive 2002/83/CE18, « 1. La surveillance financière d’une entreprise d’assurance, y compris celle des activités qu’elle exerce par le biais de succursales et en prestation de services, relève de la compétence exclusive de l’État membre d’origine. Si les autorités compétentes de l’État membre de l’engagement ont des raisons de considérer que les activités d’une entreprise d’assurance pourraient porter atteinte à sa solidité financière, elles en informent les autorités compétentes de l’État membre d’origine de ladite entreprise. Les autorités compétentes de l’État membre d’origine vérifient que l’entreprise respecte les principes prudentiels définis dans la présente directive.

2. La surveillance financière comprend notamment la vérification, pour l’ensemble des activités de l’entreprise d’assurance, de son état de solvabilité et de la constitution de provisions techniques, y compris les provisions mathématiques, et des actifs représentatifs conformément aux règles ou aux pratiques établies dans l’État membre d’origine, en vertu des dispositions adoptées au niveau communautaire.

3. Les autorités compétentes de l’État membre d’origine exigent que toute entreprise d’assurance dispose d’une bonne organisation administrative et comptable et de procédures de contrôle interne adéquates. » Cette disposition, qui met à charge de l’Etat membre d’origine un certain nombre d’obligations en matière prudentielle, est étrangère au présent litige. Elle ne confère aucun droit, ni quant à la qualité à agir, ni quant au fond, aux clients des compagnies d’assurances surveillées. Elle ne prévoit aucune obligation pour les Etats membres d’instaurer un régime particulier de responsabilité des organismes de contrôle.

18 Cette directive a été abrogée avec effet au 1er janvier 2016 par la Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II), telle que modifiée. Dans le cadre de ces modifications, la date d’abrogation de la Directive 2002/83/CE a été prorogée du 1er novembre 2012 au 1er janvier 2014 (Directive 2012/23/UE) et puis au 1er janvier 2016 (Directive 2013/58/UE).

Dans ce contexte, les juges de première instance avaient écarté pour défaut de pertinence l’argumentation développée par les parties demanderesses selon laquelle elles disposeraient de droits subjectifs tenant aux dispositions légales relatives à la réglementation de l’activité financière découlant notamment de la Directive 2002/83/CE. Selon le tribunal, « ces droits touchent au fond du litige, mais n’affectent pas la question procédurale du titulaire du droit d’action en cas de liquidation de la personne morale dans laquelle ils détenaient des intérêts qu’ils estiment être affectés ».

De plus, faute de conférer des droits au profit des justiciables, aucune atteinte au principe d’effectivité ne saurait être constatée en l’espèce.

En effet, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, lorsque, en l’absence de règles fixées dans ce domaine par le droit de l’Union, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union19, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité). Pour ce qui est de ce dernier principe, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre le droit à un recours effectif devant un tribunal impartial20.

Il découle des développements précédents que la disposition visée au moyen de cassation est étrangère au grief invoqué. Le moyen est partant irrecevable.

Les demandeurs en cassation concluent encore à voir poser la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice de l’Union européenne :

« Les dispositions de la directive 2002/83/CE (Solvability 1), qui imposent à l’État membre de veiller au respect des conditions régissant l’activité d’assurance notamment l’article 10 et qui limitent en matière d’assurance liée à un fonds interne les catégories d’actifs admis (article 23), créent-elles des obligations d’ordre public européen ? Des négligences graves et le non-respect des obligations résultant de la directive par l’État et l’organe de surveillance du pays d’origine créent-ils un droit subjectif en faveur des souscripteurs de police d’assurance ? L’article 444 du Code de commerce luxembourgeois, en tant qu’il réserverait ne fut-ce que temporairement à la décision discrétionnaire du liquidateur ou du curateur de la compagnie d’assurances la possibilité d’intenter en lieu et place des souscripteurs d’assurances une action en responsabilité contre l’État et/ou le régulateur luxembourgeois du secteur des assurances fondée sur la violation d’un tel droit subjectif, avec la circonstance que l’action puisse être prescrite avant que les souscripteurs ne recouvrent leur droit d’agir individuellement à l’issue de la mission du liquidateur ou du curateur, viole-t-il le principe d’effectivité du droit européen et donc la Directive susmentionnée ? » 19 Souligné par la soussignée.

20 Voir notamment CJUE, 6 octobre 2015, C-71/14 ; CJUE, 16 avril 2015, C‑570/13.

L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. (…) ».

La Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé que l’obligation de renvoi n’existe pas si la question posée est dénuée de pertinence, si elle trouve sa réponse dans une jurisprudence antérieure ou si « l'application correcte du droit communautaire peut s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée »21.

Il a encore été précisé que les juridictions visées par le troisième alinéa jouissent du même pouvoir d’appréciation que toutes autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige22.

Par ailleurs, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour23.

Compte tenu du fait que la question juridique en cause en l’espèce, à savoir les limites posées au droit d’agir des créanciers individuels dans le cadre d’une faillite/liquidation, n’est pas abordée, même de façon indirecte, par l’article 10 de la Directive invoquée, la question préjudicielle, telle que libellée, est dénuée de pertinence.

Il n’y a donc pas lieu à saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne par voie d’un renvoi préjudiciel.

21 CJUE (anciennement CJCE), 6 octobre 1982, C-283/81.

22 CJUE, 6 octobre 2021, C-561/19, point 34.

23 Idem, point 35.

Conclusion Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 22


Synthèse
Numéro d'arrêt : 106/23
Date de la décision : 19/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-10-19;106.23 ?

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