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06/07/2023 | LUXEMBOURG | N°93/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 06 juillet 2023, 93/23


N° 93 / 2023 du 06.07.2023 Numéro CAS-2022-00118 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six juillet deux mille vingt-trois.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH, ancienneme

nt SOCIETE2.) GmbH, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée p...

N° 93 / 2023 du 06.07.2023 Numéro CAS-2022-00118 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six juillet deux mille vingt-trois.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH, anciennement SOCIETE2.) GmbH, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée INTERDROIT, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Dogan DEMIRCAN, avocat à la Cour, et l’établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, établi et ayant son siège social à L-2227 Luxembourg, 34-40, avenue de la Porte Neuve, représentée par le président du conseil d’administration, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J31, défenderesse en cassation, comparant par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 125/22 - II - CIV, rendu le 13 juillet 2022 sous le numéro 44158 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 18 novembre 2022 par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) à l’établissement FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, déposé le 18 novembre 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 16 janvier 2023 par l’établissement FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION à la société SOCIETE1.), déposé le 17 janvier 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Bob PIRON.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, saisi dans le cadre de l’exécution d’un contrat de marché public d’une demande en paiement de factures impayées basée sur la responsabilité contractuelle, sinon la responsabilité délictuelle, avait dit la demande non fondée en ses deux bases juridiques. La Cour d’appel a confirmé le jugement et a dit irrecevable la demande en sa base plus subsidiaire de l’action de in rem verso, nouvellement introduite en instance d’appel, comme se heurtant au principe de subsidiarité de cette action.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la demande basée sur le principe de l’enrichissement sans cause irrecevable aux motifs que la société SOCIETE1.) a succombé dans son action principale alors que si l’action in rem verso ne peut être admise pour suppléer une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par la suite d’une prescription, d’une déchéance ou d’une forclusion ou par l’effet de l’autorité de chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit, elle est néanmoins admissible si le demandeur a succombé dans sa demande pour des moyens autres que des obstacles de droit.

Dès lors, la Cour d’appel a violé le principe jurisprudentiel de l’enrichissement sans cause.

L’arrêt d’appel encourt par conséquent la cassation. ».

Réponse de la Cour La demande du demandeur en cassation, en tant que basée principalement sur la responsabilité contractuelle et subsidiairement sur la responsabilité délictuelle, a été déclarée non fondée par les juges d’appel pour défaut de réalisation des prévisions contractuelles, respectivement pour se heurter à l’interdiction de cumuler la base délictuelle avec la base contractuelle.

Les juges d’appel se sont ainsi prononcés sur la pertinence de ces bases juridiques.

L’action de in rem verso ne peut être admise pour suppléer une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit.

Les juges d’appel, après avoir retenu que le demandeur en cassation n’avait pas établi le bien-fondé des bases juridiques invoquées en ordre principal et subsidiaire, ont à bon droit, sans violer les règles gouvernant l’enrichissement sans cause, refusé d’accueillir la demande basée en dernier ordre de subsidiarité sur ce fondement.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation, avec distraction au profit de Maître Alain RUKAVINA, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Christiane JUNCK en présence de l’avocat général Nathalie HILGERT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH contre l’Établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION (CAS-2022-00118 du registre) Par mémoire déposé au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg le 18 novembre 2022, la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) GmbH, (ci-après la société SOCIETE1.)), a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt no 125/22-II-CIV du rôle, contradictoirement rendu entre parties le 13 juillet 2022, par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile.

Le demandeur en cassation a déposé un mémoire, signé par un avocat à la Cour, signifié le 18 novembre 2022 au domicile de la partie adverse, antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, pris en sa qualité de mandataire de l’Établissement public FONDS DE COMPENSATION COMMUN AU REGIME GENERAL DE PENSION, (ci-après le FONDS), a fait signifier le 16 janvier 2023, au domicile de la partie demanderesse en cassation, un mémoire en réponse et l’a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 17 janvier 2023.

Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été signifié dans les formes et délai de la loi précitée du 18 février 1885.

Faits et rétroactes Par courrier du 2 août 2011, le FONDS a passé commande à la société SOCIETE1.) de travaux de remplacement du revêtement de sol dans l’immeuble administratif de la Caisse nationale d’assurance pension sis à Luxembourg, 1A, boulevard Prince Henri, pour un montant total de 255.946,41 euros TTC.

1 A défaut d’acte de notification de l’arrêt dont pourvoi, versé au dossier, il doit être admis qu’aucun délai n’a commencé à courir.

Par la suite, il y a eu un désaccord des parties contractantes au sujet de travaux supplémentaires à réaliser sur les chapes existantes de l’immeuble en question qui se sont avérés nécessaires suite à l’enlèvement du revêtement du sol qui a révélé un état détérioré avancé de ces chapes.

La société SOCIETE1.) fait valoir que le FONDS aurait donné son accord oral aux travaux de réfection des chapes existantes lors d’une réunion de chantier du 13 octobre 2011, ce qui est contesté par le FONDS.

Par courrier du 15 janvier 2012, la société SOCIETE1.) aurait informé le FONDS de l’arrêt du chantier à partir du 19 janvier 2012 en l’absence de confirmation de commande des travaux supplémentaires jusqu’à cette date.

La société SOCIETE1.) aurait finalement quitté le chantier à la date en question.

Par lettre recommandée du 26 avril 2012, le FONDS a résilié le marché conclu avec effet immédiat aux torts de la société SOCIETE1.).

Le 20 février 2013, la société SOCIETE1.) a assigné le FONDS devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, pour le voir condamner au paiement de la somme de 265.433,57 euros à titre de dommages et intérêts, avec les intérêts aux taux légal, sur la base contractuelle. Subsidiairement, la société SOCIETE1.) demandait la condamnation du FONDS au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 265.433,57 euros sur la base délictuelle, sinon sur base de l’enrichissement sans cause. Elle demandait en outre la condamnation du FONDS au paiement de la somme de 98.928,70 euros à titre de réparation du gain privé ainsi qu’au paiement de la somme de 35.598,19 euros à titre des autres préjudices subis en raison de la résiliation du marché par la défenderesse. Elle a en outre sollicité une indemnité de procédure de 2.500 euros.

En cours d’instance, le FONDS a formulé une demande reconventionnelle, réclamant la réparation du préjudice que lui aurait causé la violation par la société SOCIETE1.) de ses obligations contractuelles ayant consisté à réaliser les travaux dans les délais impartis.

Par jugement contradictoire du 23 décembre 2015, le tribunal d’arrondissement, siégeant en matière civile, a déclaré les demandes recevables mais non fondées.

De ce jugement, qui a fait l’objet d’une signification le 15 janvier 2016, la société SOCIETE1.) a régulièrement relevé appel par acte d’huissier du 23 février 2016.

Par arrêt du 13 juillet 2022, dont pourvoi, la Cour d’appel, deuxième chambre, a dit l’appel principal non fondé, en déclarant non fondée la demande de la société SOCIETE1.) en paiement du montant de 265.433,57 euros, sur la base contractuelle et en déclarant irrecevable la demande subsidiaire de la société SOCIETE1.) en paiement du montant de 265.433,57 euros, tant sur la base délictuelle que sur la base de l’enrichissement sans cause. La Cour a pour le surplus dit l’appel incident du FONDS partiellement fondé, en condamnant la société SOCIETE1.) à payer au FONDS une indemnité de procédure de 1.500 euros pour la première instance ainsi qu’une indemnité de procédure de 2.500 euros pour l’instance d’appel.

Quant à l’unique moyen de cassation A titre principal, le soussigné conclut à l’irrecevabilité du moyen invoqué, pour manque de précision au vœu de l’article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation qui dispose que:

« Sous peine d'irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu'un seul cas d'ouverture. Chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous la même sanction:

• le cas d'ouverture invoqué;

• la partie critiquée de la décision;

• ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué. » Aux termes du point II. de son mémoire en cassation, intitulé « les chefs de l’arrêt visés par le pourvoi en cassation », la société SOCIETE1.) expose qu’elle fait grief à l’arrêt dont pourvoi « d’avoir déclaré la demande basée sur le principe de l’enrichissement sans cause irrecevable » sans autres précisions.

Sous le point III. de son mémoire énonçant l’unique moyen de cassation, la demanderesse en cassation fait grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir « violé le principe jurisprudentiel de l’enrichissement sans cause » en déclarant sa demande basée sur le principe de l’enrichissement sans cause irrecevable au motif que la société SOCIETE1.) a succombé à son action principale alors que l’action de in rem verso « est néanmoins admissible si le demandeur a succombé dans sa demande pour des moyens autres que des obstacles de droit ».

L’énoncé de l’unique moyen de cassation manque de la précision requise. Les lacunes de l’énoncé du moyen ne sont pas comblées par une discussion du moyen.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

A titre subsidiaire La théorie de l’enrichissement sans cause constitue une création jurisprudentielle développée depuis le droit romain (action de in rem verso). Au Luxembourg, en l’absence de texte spécifique, ce principe reste de nature purement jurisprudentielle et a notamment été consacré par la jurisprudence de votre Cour2.

Il est rappelé que l’enrichissement sans cause ne peut servir à suppléer à une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, c’est-à-dire que ne peut y recourir à titre de « contournement » celui à qui un droit est expressément refusé. Il en est ainsi de celui qui ne peut faire la preuve de son droit selon les règles de droit civil, tel le prêteur qui n’a pas fait établir d’écrit. En effet, admettre en pareil cas une action fondée sur l’enrichissement sans cause reviendrait à contourner les règles de droit commun ouvertes à l’appauvri (Alain BENABENT, Droit Civil, Les Obligations, édit. Montchrestien, 7e édit. n° 495).

2 p.ex. Arrêts n° 22 / 16 du 25.2.2016, n° 3601 du registre ; n° 76 / 2017 du 09.11.2017, n°3862 du registre ; n° 8/12 du 1.3.2012, n° 2866 du registre.

La théorie de l’enrichissement sans cause suppose en effet l'absence d'une autre action à la disposition de l’appauvri pour la protection de ses droits (Jurisclasseur code civil, App. Art.

1370 à 1381, fasc. 20, Quasi- contrats, édit. avril 2009, n° 1).

Votre Cour a ainsi jugé que « l’action de in rem verso ne peut être admise pour suppléer une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une échéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit »3.

L’action de la société SOCIETE1.), visant à obtenir la condamnation du FONDS au paiement de la somme de 265.433,57 euros, était basée principalement sur le contrat conclu avec le FONDS, subsidiairement sur les articles 1382 et suivants du Code civil et plus subsidiairement sur le principe de l’enrichissement sans cause.

Il convient de rappeler que le juges d’appel ont déclaré non fondée la demande principale formulée par la société SOCIETE1.) sur base de la responsabilité contractuelle et irrecevable sa demande subsidiaire fondée sur la base délictuelle avant de retenir que la demande subsidiaire basée sur l’enrichissement sans cause est irrecevable en application des principes ci-avant énoncés.

Dès lors, les juges d’appel, après avoir déclaré non fondée et irrecevable l’action exercée par la société SOCIETE1.) sur les bases autres que le principe de l’enrichissement sans cause, ont, sans violer le principe de l’enrichissement sans cause, pu refuser d’accueillir l’action en tant que basée sur ce principe.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, L’avocat général, Bob PIRON 3 Arrêt n° 19 / 2020 du 23.01.2020, n° CAS-2018-00093 du registre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 93/23
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-07-06;93.23 ?

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