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22/06/2023 | LUXEMBOURG | N°82/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 22 juin 2023, 82/23


N° 82 / 2023 pénal du 22.06.2023 Not. 20133/18/CD Numéro CAS-2022-00112 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-deux juin deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), née le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), prévenue, demanderesse en cassation, comparant par Maître Elisabeth MACHADO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 26 octobre 2022 sous le numéro 309/22 X. par la Co

ur d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière...

N° 82 / 2023 pénal du 22.06.2023 Not. 20133/18/CD Numéro CAS-2022-00112 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-deux juin deux mille vingt-trois, sur le pourvoi de PERSONNE1.), née le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), prévenue, demanderesse en cassation, comparant par Maître Elisabeth MACHADO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 26 octobre 2022 sous le numéro 309/22 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Paulo FELIX, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Elisabeth MACHADO, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 7 novembre 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 7 décembre 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné la demanderesse en cassation, en sa qualité de dirigeante de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), des chefs d’abus de biens sociaux et de blanchiment, à une peine d’amende. La Cour d’appel a confirmé cette décision, sauf à réduire le montant sur lequel portaient les infractions.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution En ce que :

Les juges d’appel retiennent la partie appelante dans les liens de l’infraction d’abus de biens sociaux à hauteur de la somme rectifiée de 61.912,91 euros, Aux motifs que :

compagnie d’assurance SOCIETE2.) de virer sur son compte personnel auprès de la SOCIETE3.) des indemnités d’un total de 99.465 euros qui bénéficient à la société SOCIETE1.). La prévenue n’a pas fait inscrire cette opération dans la comptabilité du débit du compte courant d’associé (contrairement à d’autres opérations précédentes puisqu’il découle des pièces versées en cause qu’au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d’associé a varié.) Un tel agissement n’était pas dans l’intérêt de la société » (Page 10, paragraphe 5 de l’arrêt) en charge sur ses deniers personnels certaines dettes de la société. Il peut donc être admis que nonobstant le manque de régularisation comptable de l’appropriation par la prévenue de l’indemnité d’assurance revenant à la société, la prévenue a opéré une "compensation" entre la créance générée par le paiement des dettes de la société à l’aide de fonds personnels et l’indemnité d’assurance faisant partie de l’actif de la société. » (page 10, paragraphe 7 de l’arrêt) qu’il convient de suivre et après analyse des pièces versées par la prévenue, celle-ci justifie avoir détenu sur la société une créance certaine, liquide et exigible d’un montant total de 37.552,09 euros (36.552,09 + 1000) qui correspond aux opérations spécifiées aux pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public. » (page 10, in fine de l’arrêt) démarche de "rééquilibrage" entre son patrimoine personnel et l’actif social. Force est donc de constater qu’en s’appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465-

237.552,09) d’une manière injustifiée, la prévenue a fait des biens de la société un usage contraire à l’intérêt de la société. » (page 11, paragraphe 1 de l’arrêt) dol spécial qui consiste dans la recherche d’un intérêt personnel direct ou indirect, a été analysé et caractérisé dans le chef de la prévenue de manière correcte par le tribunal sur base d’une motivation qu’il convient d’adopter. En effet, la prévenue a reconnu en première instance avoir utilisé les fonds de l’indemnité d’assurance à des fins personnelles. » (page 11, paragraphe 2 de l’arrêt) Alors que :

1ère branche :

En retenant que la prévenue n’aurait pas inscrit le virement de la somme de 99.465 euros sur son compte personnel au débit de son compte courant d’associé, contrairement à d’autres opérations puisqu’il découle des pièces versées qu’au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d’associé aurait varié » les juges d’appel suggéraient, qu’à contrario, les soldes créditeurs des années concernées par les virements, à savoir des années 2018 et 2019 n’avaient pas varié.

Qu’or, à la page 7 du même arrêt, les juges d’appel relevaient pourtant expressément que le compte courant d’associé de la partie concluante présentait, bilans à l’appui - un solde créditeur de 25.200 euros au 31 décembre 2015 - un solde créditeur de 48.600 euros au 31 décembre 2016 - un solde créditeur de 61.200 euros au 31 décembre 2017 - un solde créditeur de 107.963,99 euros au 31 décembre 2018 - un solde créditeur de 111. 364,99 euros au 30 novembre 2019, Qu’il importe de relever à ce stade que le bilan 2019 renseignant les soldes créditeurs 2018 et 2019 ne figurait pas au dossier répressif et n’a été versé qu’en appel, dont mention expresse dans l’arrêt à la page 7, in fine dans les termes :

Que les juges d’appel ont dès lors eux-mêmes dûment relevé et admis des variations du solde créditeur pour les années 2018 et 2019 avant de les nier, quelques pages plus loin, à l’appui d’un prétendu manque de comptabilisation du virement litigieux qui était contesté, Que force est dès lors de constater, que les juges d’appel se sont manifestement contredits, Que la contradiction de motifs valant absence de motifs, les juges d’appel ont manifestement violé de l’article 89 de la Constitution ;

32ème branche :

En concluant à une créance liquide, certaine et exigible de la prévenue sur la société SOCIETE1.) au 28.02.2019 d’un montant de 37.552,09 euros sur base des seules opérations spécifiées aux pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public et se rapportant aux seules dépenses retenues par le Ministère Public comme ayant été faites par la prévenue dans l’intérêt de la société entre le 01.01.2018 et le 28 février 2019, alors qu’à la page 7 du même arrêt, les juges d’appel avaient relevé l’existence d’un solde créditeur du compte courant associé pour l’année 2017 d’un montant de 61.200 euros, soit d’une créance antérieure incontestée et incontestable d’un montant de 61.200 euros, les juges d’appel se sont manifestement contredits, Qu’une contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs justifiant la cassation au regard de l’article 89 de la Constitution, 3ème branche :

Les juges d’appel ne pouvaient, sans se contredire admettre, d’une part qu’ , pour d’autre part retenir le dol spécial dans le chef de la partie concluante en se ralliant à la motivation des premiers juges suivant laquelle Qu’en effet le simple fait de retenir que, nonobstant toute comptabilisation -

quod non - la partie appelante s’était appropriée les fonds litigieux dans le but de voir compenser ses avances, exclut toute intention coupable, à fortiori tout dol spécial, à savoir toute conscience délibérée de porter atteinte aux intérêts de la société, quand bien même ces fonds seraient utilisés à des fins personnelles, telle utilisation n’étant que la suite logique et normale de la compensation, Qu’une contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs justifiant la cassation au regard de l’article 89 de la Constitution. ».

Réponse de la Cour Le grief de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs critiqués sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.

4Sur la première branche du moyen En retenant, d’une part, que la prévenue n’avait pas fait inscrire le montant de l’indemnité d’assurance au débit du compte courant d’associé et, en constatant, d’autre part, que malgré l’appropriation par la demanderesse en cassation de cette indemnité, le solde du compte courant d’associé, au lieu de diminuer, avait augmenté au cours des exercices 2018 et 2019, ce qui expliquait le constat des juges d’appel que l’indemnité n’avait pas été portée au débit du compte courant d’associé dans la comptabilité de la société SOCIETE1.), les juges d’appel ne se sont pas contredits.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la deuxième branche du moyen Il ne résulte pas de la motivation de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont retenu comme incontestée la créance que la demanderesse en cassation faisait valoir au titre du compte courant d’associé pour l’année 2017. Il en résulte, au contraire, qu’elle n’avait pas établi, en dehors de la relation de compte courant d’associé, l’existence d’une « créance permettant de justifier sa démarche de entre son patrimoine personnel et l’actif social ». Les juges d’appel ne se sont partant pas contredits.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa deuxième branche, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen Les juges d’appel, après avoir retenu que la demanderesse en cassation s’était appropriée l’indemnité d’assurance qui n’avait pas été inscrite au débit du compte courant d’associé, ont déduit de ce montant certaines créances, non inscrites au compte courant d’associé, que la demanderesse en cassation avait envers la société SOCIETE1.).

En réduisant le montant sur lequel portaient les infractions, tout en constatant que la demanderesse en cassation s’était approprié le surplus, et en adoptant la motivation des juges de première instance quant à l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux, les juges d’appel ne se sont pas contredits.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1500-11 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales pour manque de base légale, En ce que :

5Les juges d’appel retiennent la partie appelante dans les liens de l’infraction d’abus de biens sociaux à hauteur de la somme de 61.912,91 euros, Aux motifs que :

compagnie d’assurance SOCIETE2.) de virer sur son compte personnel auprès de la SOCIETE3.) des indemnités d’un total de 99.465 euros qui bénéficient à la société SOCIETE1.). La prévenue n’a pas fait inscrire cette opération dans la comptabilité du débit du compte courant d’associé (contrairement à d’autres opérations précédentes puisqu’il découle des pièces versées en cause qu’au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d’associé a varié.) Un tel agissement n’était pas dans l’intérêt de la société » (Page 10, paragraphe 5de l’arrêt) en charge sur ses deniers personnels certaines dettes de la société. Il peut donc être admis que nonobstant le manque de régularisation comptable de l’appropriation par la prévenue de l’indemnité d’assurance revenant à la société, la prévenu a opéré une "compensation" entre la créance générée par le paiement des dettes de la société à l’aide de fonds personnels et l’indemnité d’assurance faisant partie de l’actif de la société. (page 10, paragraphe 7 de l’arrêt) qu’il convient de suivre et après analyse des pièces versées par la prévenue, celle-ci justifie avoir détenu sur la société une créance certaine, liquide et exigible d’un montant total de 37.552,09 euros (36.552,09+1000) qui correspond aux opérations spécifiées aux pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public. » (page 10, in fine de l’arrêt) démarche de "rééquilibrage" entre son patrimoine personnel et l’actif social. Force est donc de constater qu’en s’appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465-

37.552,09) d’une manière injustifiée, la prévenue a fait des biens de la société un usage contraire à l’intérêt de la société. » (page 11, paragraphe 1 de l’arrêt) dol spécial qui consiste dans la recherche d’un intérêt personnel direct ou indirect, a été analysé et caractérisé dans le chef de la prévenue de manière correcte par le tribunal sur base d’une motivation qu’il convient d’adopter. En effet, la prévenue a reconnu en première instance avoir utilisé les fonds de l’indemnité d’assurance à des fins personnelles. » (page 11, paragraphe 2 de l’arrêt) Alors que :

1ère branche :

Il ne saurait y avoir atteinte aux intérêts de la société, à fortiori abus de biens sociaux, lorsque le dirigeant détient une créance certaine, liquide et exigible sur la 6société supérieure au moins équivalente aux prélèvements effectués (Cour cass crim française 14.11.2013, 12-83-653) ;

Qu’en l’espèce, force est cependant de constater qu’à la page 7 de l’arrêt, les juges d’appel avaient expressément relevé que le compte courant d’associé de la partie concluante présentait, bilans à l’appui - un solde créditeur de 25.200 euros au 31 décembre 2015 - un solde créditeur de 48.600 euros au 31 décembre 2016 - un solde créditeur de 61.200 euros au 31 décembre 2017 - un solde créditeur de 107.963,99 euros au 31 décembre 2018 - un solde créditeur de 111. 364,99 euros au 30 novembre 2019, Qu’il importe de rappeler à ce stade que le bilan 2019 renseignant les soldes créditeurs 2018 et 2019 ne figurait pas au dossier répressif et n’a été versé qu’en appel, dont mention expresse dans l’arrêt à la page 7, in fine dans les termes :

Que les comptes d’associés créditeurs établissaient dès lors, à eux seuls, que la partie appelante détenait sur la société, une créance liquide, certaine et exigible notamment de 61.200 euros au 31.12. 2017, de 107.963,99 euros au 31 décembre 2018 et de 111.364,99 euros au 30 novembre 2019, soit des créances largement supérieures à la somme de 61.912,91 euros ;

Qu’en faisant fi, pour la détermination de la créance de la partie appelante au 05.12.2018, respectivement au 28.02.2019, dates de la réception des fonds litigieux, des prédits comptes courants créditeurs des années 2018 et 2019 largement excédentaires résultant du bilans de la société versé en cause, en affirmant, sans la moindre constatation matérielle en ce sens, respectivement sur base de motifs insuffisants, imprécis et incomplets (variations du solde créditeur du compte courant associé au cours des années précédentes) que l’appropriation par la prévenue de la somme de 99.465 euros n’avait pas été comptabilisée, les juges d’appel ont manifestement violé l’article 1500-11 susvisé;

2ème branche subsidiaire par rapport à la 1ère branche :

Même à supposer que les juges d’appel auraient pu se départir des soldes créditeurs des années 2018 et 2019 sans violer l’article 1500-11 prévisé, respectivement sans priver leur décision de base légale - quod non, et ne retenir, pour les années en question, qu’une créance certaine, liquide et exigible à hauteur de 37.552,09 Euros, il n’en demeure pas moins que, pour déterminer la créance totale de la partie appelante sur la société au 31.12.2018, respectivement au 28.02.2019, les juges d’appel auraient dû tenir compte de la créance préexistante de la partie appelante, telle qu’elle résultait du solde créditeur compte courant associé au 31.12.2017 d’un montant de 61.200€, lequel avait dûment été constaté et admis par les juges d’appel ;

7Qu’en faisant fi du solde créditeur du compte courant d’associé de l’année 2017 dans la détermination de la créance de la partie appelante sur la société au 31.12.2018, respectivement au 28.02.2019, les juges d’appel ont manifestement violé l’article 1500-11 susvisé ;

3ème branche :

En se bornant, dans le cadre de l’appréciation du dol, à se rallier à la motivation du Tribunal de première instance suivant laquelle notamment , les juges d’appel se sont appropriés une affirmation contestée sans la moindre constatation matérielle en ce sens pour conclure au dol spécial à charge de la partie appelante ;

Que ce faisant, les juges d’appel ont violé l’article 1500-11 prévisé ;

4ème branche :

En fondant le dol spécial à charge de la partie appelante notamment sur base de la reconnaissance faite par la partie appelante en première instance de l’utilisation à des fins personnelles des fonds de l’indemnité d’assurance, après avoir pourtant dûment relevé qu’en s’appropriant les fonds de l’indemnité d’assurance, la partie appelante voulait opérer une compensation avec les avances personnelles faites par ses soins pour le compte de la société, de sorte que l’utilisation à des fins personnelles n’en était qu’une conséquence normale, les juges d’appel ont manifestement violé l’article 1500-11 précité. ».

Réponse de la Cour Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

Sur la première branche du moyen En retenant relativement à l’élément matériel de l’abus de biens sociaux, « Il est un fait qu'en l'espèce, la prévenue a donné l'instruction à la compagnie d'assurance SOCIETE2.) de virer sur son compte personnel auprès de la banque SOCIETE3.) des indemnités d'un total de 99.465 euros qui bénéficiaient à la société SOCIETE1.). La prévenue n'a pas fait inscrire cette opération dans la comptabilité au débit du compte courant d'associé (contrairement à d'autres opérations précédentes puisqu'il découle des pièces versées en cause qu'au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d'associé a varié). Un tel agissement n'était pas dans l'intérêt de la société.

L'argument tiré de ce que le compte de la société SOCIETE1.) était bloqué au moment où la prévenue a donné à la compagnie d'assurance SOCIETE2.) les instructions de paiement des indemnités ne saurait valoir étant donné que la faillite de la société a été rabattue bien avant.

8 Il ressort toutefois des pièces versées par la prévenue que celle-ci a pris en charge sur ses deniers personnels certaines dettes de la société. Il peut donc être admis que nonobstant le manque de régularisation comptable de l'appropriation par la prévenue de l'indemnité d'assurance revenant à la société, la prévenue a opéré une entre la créance générée par le paiement des dettes de la société à l'aide de ses fonds personnels et l'indemnité d'assurance faisant partie de l'actif de la société.

Ainsi que le ministère public le fait valoir sur base d'un raisonnement correct qu'il convient de suivre et après analyse des pièces versées par la prévenue, celle-ci justifie avoir détenu sur la société une créance certaine, liquide et exigible d'un montant total de 37.552,09 euros (36.552,09 + 1.000) qui correspond aux opérations spécifiées en pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public.

Pour le surplus, elle n'établit aucune créance permettant de justifier sa démarche de entre son patrimoine personnel et l'actif social.

Force est donc de constater qu'en s'appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465 – 37.552,09) d'une manière injustifiée, la prévenue a fait des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de la société. », pour en déduire qu’il n’y avait pas lieu de considérer le solde en compte courant d’associé pour opérer la compensation alléguée, les juges d’appel ont, par des motifs exempts d’insuffisance, caractérisé l’élément matériel de l’infraction d’abus de biens sociaux.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la deuxième branche du moyen Au vu de la réponse donnée à la première branche, le moyen, pris en sa deuxième branche, n’est pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen En se référant à la motivation des juges de première instance suivant laquelle la demanderesse en cassation « en sollicitant le virement de ces indemnités sur son compte privé tout en décidant de n’établir la moindre écriture venant attester la prétendue opération, de compensation, la prévenue devait encore nécessairement avoir conscience que sa démarche portait atteinte aux intérêts de la société », les juges d’appel ont, par des motifs exempts d’insuffisance, caractérisé l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur la quatrième branche du moyen Il est fait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu que le dol spécial de l’infraction d’abus de biens sociaux était établi dans le chef de la demanderesse en 9cassation, alors même qu’elle avait constaté que celle-ci voulait opérer une compensation.

Au vu de la réponse donnée à la troisième branche, les juges d’appel ont, par des motifs exempts d’insuffisance, caractérisé l’élément moral de l’infraction d’abus de biens sociaux.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa quatrième branche, n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance, en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure n’est pas fondée.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 3,25 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-deux juin deux mille vingt-trois, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Simone FLAMMANG et du greffier Daniel SCHROEDER.

10Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public N° CAS-2022-00112 du registre Par déclaration faite le 7 novembre 2022 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Paulo FELIX, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre un arrêt n° 309/22 rendu le 26 octobre 2022 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours a été suivie le 7 décembre 2022 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Elisabeth MACHADO.

Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Il en suit que le pourvoi est recevable.

Faits et rétroactes Par jugement n° 874/2022 du 17 mars 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre correctionnelle, a condamné PERSONNE1.), en sa qualité de dirigeant de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-

après « la société SOCIETE1.) ») à une peine d'amende de 5.000 euros des chefs d'abus de biens sociaux et blanchiment-détention.

11Sur l’appel de la prévenue et du Ministère public, la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris sauf à réduire le montant sur lequel portent les infractions d'abus de biens sociaux et blanchiment-détention retenues à charge de PERSONNE1.).

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution qui impose aux juges de motiver leurs jugements.

Il est divisé en trois branches. Les trois branches sont fondées plus précisément sur la contradiction de motifs.

Il est rappelé que selon la formule consacrée, « les arrêts qui ne contiennent pas de motifs sont nuls, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ».

La raison en est simple : les motifs contradictoires « se détruisent et s’annihilent réciproquement », aucun d’entre eux ne pouvant alors être retenu comme fondement de la décision1.

La contradiction de motifs ne vicie la décision entreprise que si elle est réelle et profonde, c’est-à-dire s’il existe entre les deux motifs incriminés une véritable incompatibilité2.

Sur la première branche du moyen :

Aux termes de la première branche du moyen, la demanderesse en cassation déduit une motivation contradictoire de ce que les juges d'appel ont considéré, d'une part, que « la prévenue n'a pas fait inscrire cette opération [le virement, réalisé en deux tranches, le 5 décembre 2018 et le 28 février 2019, sur son compte personnel de l'indemnité d'assurance devant revenir à la société SOCIETE1.)] dans la comptabilité au débit du compte courant d'associé (contrairement à d'autres opérations précédentes puisqu'il découle des pièces versées en cause qu'au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d'associé a varié) »3, et d'autre part, que « [la prévenue] explique qu'au 31 1 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 77.81.

2 Idem, n° 77.92.

3 Arrêt entrepris, page 10, cinquième alinéa.

12décembre 2015, le compte courant d'associé présentait un solde créditeur de 25.200 euros, un solde créditeur de 48.600 euros au 31 décembre 2016 et un solde créditeur de 61.200 au 31 décembre 2017. Elle verse également le bilan de la société SOCIETE1.) de l'année 2019 duquel il ressort que le compte courant associé présentait au 31 décembre 2018 un solde créditeur de 107.963,99 euros et au 30 novembre 2019 un solde créditeur de 111.364,99 euros »4.

La demanderesse en cassation fait valoir que les juges d'appel auraient ainsi considéré par un raisonnement a contrario que pour les exercices comptables 2018 et 2019 au cours desquels l'opération litigieuse a été réalisée, le solde créditeur du compte courant d'associée n'aurait pas varié, contrairement à ce qui aurait été le cas les années précédentes, alors même qu'ils auraient expressément constaté une variation du solde créditeur du compte courant au cours des années 2018 et 2019.

La contradiction de motifs mise en avant par la demanderesse en cassation concerne les motifs formulés par les juges d'appel pour retenir que l'opération litigieuse n'avait pas été inscrite dans la comptabilité de la société SOCIETE1.) par débit du compte courant d'associé de la demanderesse en cassation. Les juges d'appel auraient ainsi retenu que cette opération n'avait pas été inscrite par débit du compte courant d'associé contrairement à d'autres opérations précédentes puisque découlerait des pièces versées en cause qu'au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d'associé aurait varié.

En l'espèce, il résulte du constat des juges d'appel5 et des pièces versées en cause6 que le compte courant d'associé a varié positivement au cours des exercices comptables 2018 et 2019, passant de 111.364,99 à 107.963,99 euros. Les juges d'appel, en considérant l'opération litigieuse n'avait pas été inscrite « dans la comptabilité au débit7 du compte courant d'associé (contrairement à d'autres opérations précédentes puisqu'il découle des pièces versées en cause qu'au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d'associé a varié) » ont ainsi nécessairement considéré que le compte n'avait pas varié négativement au cours des exercices comptables 2018 et 2019 du fait de l'imputation par débit de ce compte de l'indemnité d'assurance, d'un montant conséquent de 99.465 euros, versé à la demanderesse en cassation.

4 Arrêt entrepris, page 7, dernier alinéa.

5 Idem.

6 Pièce n° 6 de Maître Elisabeth MACHADO.

7 Souligné par le soussigné.

13Il ne résulte toutefois pas de l'arrêt entrepris sur quels pièces les juges d'appel se sont fondées pour dire que d'autres opérations auraient été portées au débit du compte courant associé au cours des années précédentes. Cette affirmation semble aussi être contraire à l'argumentaire de la demanderesse en cassation qui, selon l'arrêt attaqué8, faisait valoir qu'entre les exercices comptables 2015 et 2019, le solde du compte courant d'associé ne faisait qu'augmenter.

Il est encore relevé à cet égard que la défense n'a à aucun moment contesté ne pas avoir inscrit dans la comptabilité de la société SOCIETE1.), par débit du compte courant d'associé, le virement sur le compte personnel de la prévenue de l'indemnité d'assurance qui aurait dû revenir à la société SOCIETE1.). La prévenue PERSONNE1.) faisait valoir à cet égard avoir été en droit de s'approprier le montant en question à titre de compensation par rapport aux dettes de la société qu'elle avait pris en charge. A l'appui de cette affirmation, elle a versé notamment le bilan de la société relatif à l'exercice 2019 en arguant qu'il présenterait un solde du compte courant d'associé créditeur de 111.364,99 euros, supérieur au montant de 99.465 euros prélevé en rapport avec l'indemnité d'assurance devant revenir à la société SOCIETE1.). Ainsi, les juges d'appel notent que la défense a fait valoir que « le constat selon lequel le solde créditeur du compte courant d'associé au 31 décembre 2019 est supérieur au total des montants prélevés jouerait en faveur de la prévenue. Il y aurait lieu d'en conclure que la société SOCIETE1.) n'a pas été mise en péril par les actes reprochés à la prévenue »9. Par là, la prévenue PERSONNE1.) a admis implicitement que le montant de l'indemnité d'assurance qu'elle s'était fait virer sur son compte personnel n'avait pas été déduit du montant du solde du compte courant d'associé dans les livres comptables de la société et donc qu'il s'agissait d'une opération occulte préjudiciable à la société.

Le soussigné considère ainsi qu'il n'y a en tout état de cause pas de contradiction profonde entre les motifs de l'arrêt entrepris. D'une part, il résulte, du moins implicitement, des motifs de l'arrêt entrepris que la demanderesse en cassation n'a pas contesté que l'opération litigieuse n'avait pas été inscrite dans la comptabilité de la société SOCIETE1.) par débit porté au compte courant d'associé, et il résulte des mêmes motifs que malgré l'appropriation de l'indemnité d'assurance, d'un montant conséquent, le solde du compte courant d'associé, au lieu de diminuer, a augmenté au cours des exercices 2018 et 2019, ce qui justifie le constat de la Cour d'appel que le montant en question n'a pas été porté au débit du compte courant d'associé dans la comptabilité de la société SOCIETE1.).

8 Arrêt entrepris, page 7, dernier alinéa.

9 Arrêt entrepris, page 8, alinéa 3.

14 Il en suit que le moyen n'est pas fondé.

Sur la deuxième branche du moyen :

Aux termes de la deuxième branche du moyen, il est fait grief aux juges d'appel de s'être contredits, d'une part, en ayant conclu à l'existence d'une créance liquide, certaine et exigible de la prévenue à l'égard de la société SOCIETE1.) au 28 février 2019 d'un montant de 37.552,09 euros sur base des pièces versées par la prévenue, et d'autre part, en ayant relevé l'existence d'un solde créditeur du compte courant d'associé pour l'année 2017 d'un montant de 61.200 euros, soit une créance antérieure incontestable d'un montant de 61.200 euros, supérieur au montant retenu de 37.552,09 euros.

Ce grief n'est pas fondé.

Il ne résulte pas de l'arrêt entrepris que les juges d'appel auraient retenu comme incontestée une créance de 61.200 euros que la prévenue faisait valoir au titre du compte courant d'associé pour l'année 2017. Il résulte de l'arrêt entrepris que la demanderesse en cassation a simplement « expliqu[é] » que le compte courant d'associé présentait « un solde créditeur de 61.200 euros au 31 décembre 2019 ». Contrairement aux exercices comptables 2018 et 201910, il ne résulte pas de l'arrêt entrepris que la prévenue ait versé aux débats les comptes annuels pour 2017 pour l'instance d'appel et elle ne verse pas ces comptes annuels non plus à l'occasion de l'instance de cassation. Après avoir retenu que la prévenue pouvait se prévaloir d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant total de 37.552,09 euros, la Cour d'appel a encore pris soin de préciser que « Pour le surplus, [la prévenue] n'établit aucune créance permettant de justifier sa démarche de « rééquilibrage » entre son patrimoine personnel et l'actif social ».

Il résulte de manière manifeste de ces motifs que la Cour d'appel n'a pas admis une compensation entre le virement litigieux et un solde en compte courant d'associé et il n'y a partant pas de contradiction de motifs sur le point considéré.

A titre superfétatoire, il est encore relevé que la Cour d'appel a retenu que la prévenue n'avait pas fait inscrire l'opération litigieuse dans la comptabilité au débit du compte courant d'associé11. Ce constat vaut pour les exercices 2018 et 2019 se rapportant au versement (réalisé en deux tranches, le 5 décembre 2018 et le 28 février 2019) sur le compte personnel de la prévenue de l'indemnité 10 Pièce n° 6 de Maître Elisabeth MACHADO.

11 Arrêt entrepris, page 10, alinéa 5.

15d'assurance qui devait revenir à la société SOCIETE1.). Ainsi, la prévenue ne saurait se prévaloir d'une compensation entre le montant de l'indemnité d'assurance qu'elle s'est appropriée au préjudice de la société et le prétendu solde de ce compte courant du 31 décembre 2017. En effet, à supposer établie l'existence d'un solde créditeur en compte courant d'un montant de 61.200 euros au 31 décembre 2017, si le versement de l'indemnité d'assurance de la société sur son compte personnel avait été inscrit correctement dans la comptabilité de la société SOCIETE1.) en le déduisant du solde du compte courant d'associé, il n'y aurait pas eu d'abus de biens sociaux, du moins pas si le solde du compte courant associé était resté positif après cette opération. Or, dans la mesure où la Cour d'appel a considéré comme établi que l'opération litigieuse n'avait pas été portée en compte courant d'associé, il s'agit d'un prélèvement occulte, réalisé sans contrepartie comptable et il s'agit partant d'un abus de biens sociaux. La Cour d'appel a ainsi pu déduire correctement que « Force est donc de constater qu'en s'appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465 - 37552,09) de manière injustifiée, la prévenue a fait des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de la société ».

Il en suit que le moyen n'est pas fondé dans sa deuxième branche.

Sur la troisième branche du moyen :

Aux termes de la troisième branche du moyen, il est fait grief aux juges d'appel d'avoir formulé des motifs contradictoires, d'une part, en admettant qu' « il peut donc être admis que nonobstant le manque de régularisation comptable de l'appropriation par la prévenue de l'indemnité d'assurance revenant à la société, la prévenue a opéré une « compensation » entre la créance générée par le paiement des dettes de la société à l'aide de ses fonds personnels et l'indemnité d'assurance faisant partie de l'actif de la société»12 et, d'autre part, en retenant comme établi le dol spécial dans le chef de la prévenue en se ralliant à la motivation des juges de première instance suivant laquelle « En sollicitant le virement de ces indemnités sur son compte privé tout en décidant de n'établir la moindre écriture venant attester la prétendue opération de compensation, la prévenue devait encore nécessairement avoir eu conscience que sa démarche portait atteinte aux intérêts de la société. Finalement, PERSONNE1.) a reconnu à l'audience avoir utilisé les fonds litigieux à des fins personnelles. »13 12 Arrêt entrepris, page 10, avant-dernier alinéa.

13 Arrêt entrepris, page 4, quatrième alinéa.

16La demanderesse en cassation fait valoir que cette motivation serait contradictoire puisque la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, considérer d'abord que la prévenue s'était appropriée des fonds litigieux dans un but de compensation, ce qui exclurait toute intention coupable, et retenir ensuite que le dol spécial, à savoir l'intention délibérée de porter atteinte aux intérêts de la société, était vérifié dans le chef de la prévenue.

Ce moyen n'est pas fondé. L'arrêt ne comporte pas de motifs contradictoires sur le point considéré.

Les juges d'appel ont caractérisé l'élément moral comme suit:

« L'élément moral de l'infraction d'abus de biens sociaux, notamment le dol spécial qui consiste dans la recherche d'un intérêt personnel direct ou indirect, a été analysé et caractérisé dans le chef de la prévenue de manière correcte par le tribunal, sur base d'une motivation qu'il convient d'adopter. En effet, la prévenue a reconnu en première instance avoir utilisé les fonds de l'indemnité d'assurance à des fins personnelles. »14 La motivation des juges de première instance à laquelle la Cour d'appel se rallie se lit comme suit sur le point considéré :

« ad d) – élément moral. L’élément moral est double : le dol général consiste dans la connaissance par le prévenu que l’acte est contraire à l’intérêt de la société et dans la volonté consciente et assumée d’accomplir un acte contraire à l’intérêt social (d’avoir de mauvaise foi fait un usage qu’il savait contraire à l’intérêt de la société), tandis que le dol spécial consiste dans l’intention de rechercher un intérêt personnel direct ou indirect.

Le dol spécial est une intention spéciale, tendant vers un but précis. Il s’agit d’une question de mobile incluse dans l’intention coupable, intention qui n’existe que dans la présence de ce mobile précis. L’intention délictueuse des délits d’abus de gestion se comprend donc comme la volonté de commettre, en connaissance de cause, un acte contraire à l’intérêt de la société afin d’en retirer un avantage personnel direct ou indirect. Le mobile tenant à l’avantage personnel s’ajoute ainsi à la connaissance et à la mauvaise foi comme une troisième composante de l’intention coupable.

14 Arrêt entrepris, page 11, deuxième alinéa.

17Il y a intérêt personnel direct chaque fois que l’usage observé sert directement les intérêts du dirigeant. Il est le plus souvent matériel, ce qui est le cas lorsque le dirigeant poursuivait un enrichissement ou, à tout le moins, une absence d’appauvrissement par l’imputation d’une dépense personnelle à sa société. Il peut être professionnel (Encyclopédie Dalloz, Pénal, v° Abus de Biens Sociaux, no.109 et suivants).

Un « usage à des fins personnelles » vise un usage qui lui profite individuellement, la loi n’exigeant pas que l’usage lui profite dans une qualité déterminée comme par exemple uniquement en sa qualité de gérant. Le prévenu doit agir en qualité de gérant, mais l’intérêt peut être un intérêt privé.

La notion d’intérêt personnel est une notion entendue largement par la jurisprudence. Il peut s’agir d’un intérêt pécuniaire soit par un enrichissement direct, soit par une absence d’appauvrissement lorsque la société prend indument en charge les dépenses personnelles du dirigeant, soit d’un intérêt moral.

En l’espèce, PERSONNE1.) ne pouvait ignorer que les indemnités versées par l’assurance devaient revenir à la société SOCIETE1.) S.à r.l., ce qui n’est d’ailleurs pas contesté. En sollicitant le virement de ces indemnités sur son compte privé tout en décidant de n’établir la moindre écriture venant attester la prétendue opération de compensation, la prévenue devait encore nécessairement avoir conscience que sa démarche portait atteinte aux intérêts de la société.

Finalement, PERSONNE1.) a reconnu à l’audience avoir utilisé les fonds litigieux à des fins personnelles (« j’ai vécu de cet argent »), de sorte que l’élément moral est établi à suffisance dans son chef. »15 La Cour d'appel, après avoir retenu que l'appropriation par l'actuelle demanderesse en cassation du montant de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à la société SOCIETE1.) n'avait pas été portée en comptabilité par débit du compte courant d'associé, a accepté de déduire de ce montant, à titre de compensation, plusieurs créances générées au profit de la prévenue par le paiement de dettes de la société à l'aide de fonds personnels. Elle a ainsi retenu au titre de l'abus de biens sociaux un montant moins élevé que les juges de première instance.

15 Arrêt entrepris, pages 3 in fine à 4.

18Pour le montant qu'elle a retenu au titre de l'abus de biens sociaux, la référence à la motivation des juges de première instance pour justifier le dol spécial demeure exact, à savoir que la prévenue a porté atteinte aux intérêts de la société SOCIETE1.) en s'appropriant le montant de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à la société sans que cette opération ne soit inscrite en les livres comptables de la société, et qu'elle a recherché à retirer un avantage personnel direct à l'opération puisqu'elle s'est approprié les fonds à des fins personnelles.

En se déterminant par les motifs visés au moyen, les juges d'appel ne se sont partant pas contredits.

Il en suit que le moyen n'est pas fondé en sa troisième branche.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l'article 1500-11 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, qui incrimine l'abus de biens sociaux, pour manque de base légale.

Le défaut de base légale vise le cas où la décision entreprise comporte des motifs, de sorte que sa régularité formelle ne saurait être contestée, mais où les motifs sont imprécis ou incomplets à un point tel que la Cour de cassation est dans l’impossibilité de contrôler l’application de la loi16. Ce cas d’ouverture à cassation est défini comme étant l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit17.

Ce moyen est divisé en quatre branches.

Quant à la première branche du moyen :

Aux termes de la première branche du moyen, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d'appel d'avoir considéré « sans la moindre constatation matérielle en ce sens, respectivement sur base de motifs insuffisants, imprécis et incomplets (variations du solde créditeur du compte courant associé au cours de années précédentes) que l'appropriation par la prévenue de la somme de 99.465 euros [correspondant au montant de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à 16 J. et L. BORÉ, précité, n°s 78.04 et 78.31.

17 Idem, n° 78.21.

19la société SOCIETE1.)] n'avait pas été comptabilisée » et d'avoir de ce fait violé l'article 1500-11 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales.

A titre principal, sous le couvert du cas d’ouverture soulevé du défaut de base légale, le moyen, pris en sa première branche, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation par les juges du fond des faits et éléments de preuve, en ce qu'ils ont retenu que le virement sur le compte personnel de la prévenue du montant de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à la société SOCIETE1.) n'avait pas été inscrite dans la comptabilité de la société SOCIETE1.) au débit du compte courant d'associé, cette appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.

A titre subsidiaire, pour autant que la branche de moyen doive être comprise comme fondée sur une insuffisance de motifs par rapport à l'élément matériel de l'abus de biens sociaux que constitue l'usage de biens sociaux ou du crédit de la société contraire à l'intérêt social, il est noté que les juges d'appel se sont déterminées par les motifs suivants par rapport au point considéré :

« Il est un fait qu'en l'espèce, la prévenue a donné l'instruction à la compagnie d'assurance SOCIETE2.) de virer sur son compte personnel auprès de la banque SOCIETE3.) des indemnités d'un total de 99.465 euros qui bénéficiaient à la société SOCIETE1.). La prévenue n'a pas fait inscrire cette opération dans la comptabilité au débit du compte courant d'associé (contrairement à d'autres opérations précédentes puisqu'il découle des pièces versées en cause qu'au cours des années précédentes, le solde créditeur du compte courant d'associé a varié). Un tel agissement n'était pas dans l'intérêt de la société.

L'argument tiré de ce que le compte de la société SOCIETE1.) était bloqué au moment où la prévenue a donné à la compagnie d'assurance SOCIETE2.) les instructions de paiement des indemnités ne saurait valoir étant donné que la faillite de la société a été rabattue bien avant.

Il ressort toutefois des pièces versées par la prévenue que celle-ci a pris en charge sur ses deniers personnels certaines dettes de la société. Il peut donc être admis que nonobstant le manque de régularisation comptable de l'appropriation par la prévenue de l'indemnité d'assurance revenant à la société, la prévenue a opéré une « compensation » entre la créance générée par le paiement des dettes de la société à l'aide de ses fonds personnels et l'indemnité d'assurance faisant partie de l'actif de la société.

20 Ainsi que le ministère public le fait valoir sur base d'un raisonnement correct qu'il convient de suivre et après analyse des pièces versées par la prévenue, celle-ci justifie avoir détenu sur la société une créance certaine, liquide et exigible d'un montant total de 37.552,09 euros (36.552,09 + 1.000) qui correspond aux opérations spécifiées en pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public.

Pour le surplus, elle n'établit aucune créance permettant de justifier sa démarche de « rééquilibrage » entre son patrimoine personnel et l'actif social.

Force est donc de constater qu'en s'appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465 – 37.552,09) d'une manière injustifiée, la prévenue a fait des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de la société. » Par ces motifs, qui sont exempts d'insuffisance, les juges d'appel ont dûment caractérisé l'usage de biens sociaux ou du crédit de la société contraire à l'intérêt social.

Il en suit que le moyen n'est pas fondé.

Quant à la seconde branche du moyen :

Aux termes de la seconde branche du moyen, il est fait grief aux juges d'appel de n'avoir retenu, dans la détermination de la créance de la demanderesse en cassation à l'égard de la société SOCIETE1.) qu'une créance à hauteur de 37.552,09 euros, sans tenir compte courant d'associé pour l'année 2017, créditeur d'un montant de 61.200 euros.

A titre principal, sous le couvert du cas d’ouverture soulevé du défaut de base légale, le moyen, pris en sa seconde branche, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation par les juges du fond des faits et éléments de preuve, en ce qu'ils ont retenu que la prévenue PERSONNE1.) « justifie avoir détenu sur la société une créance certaine, liquide et exigible d'un montant total de 37.552,09 euros (36.552,09 + 1.000) de 37.552,09 euros (36.552,09 + 1.000) qui correspond aux opérations spécifiées en pages 3 et 4 de la note écrite versée par le ministère public » et que « pour le surplus, elle n'établit aucune créance permettant de justifier sa démarche de « rééquilibrage » entre son patrimoine personnel et l'actif social. », cette appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.

21A titre subsidiaire, par les motifs repris en réponse à la branche de moyen précédente, les juges d'appel ont motivé à suffisance leur décision de retenir par rapport à l'élément matériel de l'abus de biens sociaux que constitue l'usage de biens sociaux ou du crédit de la société contraire à l'intérêt social, qu'en dehors du montant de 37.552,09 euros, la prévenue PERSONNE1.) n'établissait aucune créance permettant de justifier sa démarche de « rééquilibrage » entre son patrimoine personnel et l'actif social, et qu'en s'appropriant le montant de 61.912,91 euros (99.465 – 37.552,09) d'une manière injustifiée, elle avait fait des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de la société.

Il en suit qu'à titre subsidiaire, le moyen n'est pas fondé en sa seconde branche.

A titre plus subsidiaire, c'est à juste titre que les juges d'appel n'ont pas tenu compte du solde du compte courant d'associé de l'année 2017 dans la détermination de la créance de la prévenue à l'égard de la société puisque, ainsi que constaté souverainement par les juges d'appel, le montant de l'indemnité d'assurance que la prévenue s'était approprié au détriment de la société SOCIETE1.) au courant des exercices 2018 et 2019 n'avait pas été porté en déduction du solde du compte courant d'associé. L'appropriation a partant été effectuée sans contrepartie comptable et de manière occulte, de sorte que c'est à juste titre que la Cour d'appel a pu constater qu' « un tel agissement n'était pas dans l'intérêt de la société »18.

Vu de cet angle, le moyen, pris en sa seconde branche, est encore à rejeter comme n'étant pas fondé.

Quant à la troisième branche du moyen :

Aux termes de la troisième branche du moyen, la demanderesse en cassation fait grief à la Cour d'appel de s'être bornés, « dans le cadre de l'appréciation du dol, à sa rallier à la motivation de première instance suivant laquelle notamment « en sollicitant le virement de ces indemnités sur son compte privé tout en décidant de n'établir la moindre écriture venant attester la prétendue la prétendue opération de compensation, [la prévenue devait encore nécessairement avoir conscience que se démarche portait atteinte aux intérêts de la société], et de s'être « appropriés ainsi une affirmation contestée sans la moindre constatation matérielle en ce sens pour conclure au dol spécial de la partie appelante ».

18 Arrêt entrepris, page 10, alinéa 5.

22Par les motifs reproduits en réponse à la troisième branche du premier moyen de cassation, les juges d'appel ont caractérisé à suffisance l'élément moral de l'infraction d'abus de biens sociaux dans le chef de l'actuelle demanderesse en cassation. Il est encore rajouté que, comme exposé ci-avant en réponse à la troisième branche du premier moyen de cassation, l'absence de contrepartie comptable à l'opération d'appropriation par la prévenue de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à la société SOCIETE1.) reste établie pour le montant de l'indemnité d'assurance tel que retenu par les juges d'appel après compensation avec plusieurs créances de la prévenue, de sorte que cette motivation n'est pas viciée.

Il en suit que la troisième branche du deuxième moyen n'est pas fondée.

Quant à la quatrième branche du moyen :

Aux termes de la quatrième branche du moyen, il est fait grief à la Cour d'appel d'avoir retenu que le dol spécial de l'infraction d'abus de biens sociaux était établie le chef de la prévenue PERSONNE1.), alors même que la Cour d'appel aurait considéré que la prévenue, en s'appropriant les fonds de l'indemnité d'assurance qui devait revenir à la société SOCIETE1.), voulait opérer une compensation avec des avances personnelles qu'elle avait faites pour le compte de la société.

Cette branche de moyen est irrecevable puisque le grief exprimé est étranger au cas d'ouverture du défaut de base légale mais relève potentiellement d'une contradiction de motifs, partant du cas d'ouverture du défaut de motivation.

A titre subsidiaire, il est renvoyé à la réponse à la branche de moyen précédente pour dire que la Cour d'appel a motivé à suffisance sa décision de retenir l'élément moral de l'infraction d'abus de biens sociaux dans le chef de l'actuelle demanderesse en cassation.

Il en suit qu'à titre subsidiaire, le moyen n'est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n'est pas fondé.

23 Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marc HARPES 24


Synthèse
Numéro d'arrêt : 82/23
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-06-22;82.23 ?

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