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08/06/2023 | LUXEMBOURG | N°71/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 08 juin 2023, 71/23


N° 71 / 2023 du 08.062023 Numéro CAS-2022-00098 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, huit juin deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social

à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre...

N° 71 / 2023 du 08.062023 Numéro CAS-2022-00098 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, huit juin deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Jean-Philippe LAHORGUE, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société à responsabilité limitée SOCIETE2.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE2.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 98/22 - IV - COM, rendu le 24 mai 2022 sous le numéro CAL-2021-00975 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 29 septembre 2022 par la société anonyme SOCIETE1.) à la société à responsabilité limitée SOCIETE2.), déposé le 4 octobre 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 25 novembre 2022 par la société SOCIETE2.) à la société SOCIETE1.), déposé le 28 novembre 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Sandra KERSCH.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait dit que le jugement dont opposition par lequel la demanderesse en cassation avait été condamnée au paiement de la totalité du montant réclamé avec les intérêts de retard à compter de l’échéance des factures jusqu’à solde devait sortir ses pleins et entiers effets. La Cour d’appel a confirmé ce jugement, sauf à réduire le montant principal de la condamnation.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 3 de la Loi du 18 Avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir estimé que les intérêts de retard devaient démarrer à compter de la facturation et non à compter du jugement, au motif que les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et que les intérêts de retard ne consistent pas en un enrichissement du créancier.

Alors que les intérêts compensatoires ne sont dus que si le retard incombe réellement au débiteur responsable.

2Que dans la mesure où ce retard est imputable à une faute ou à une négligence du créancer lui-même, celui-ci n’est pas fondé à en demander réparation.

Attendu que SOCIETE2.) Sarl dépasse manifestement les limites de l’exercice normal du droit aux intérêts de retard par une personne normalement prudente et diligente, et commet donc un abus de droit, lorsque le créancier se prévaut de son droit aux intérêts après avoir, par son inaction pendant un laps de temps important (près de 10 ans), créé chez le débiteur la confiance légitime qu’il n’exercerait pas ce droit et d’autant plus alors que les réclamations très motivées ont été produites et que tout paiement aurait entraîné par SOCIETE1.) S.A. la reconnaissance de l’exigibilité des factures sur le fondement de l’article 109 du Code de Commerce ; ce qu’elle ne pouvait pas faire au vu du litige opposant les deux parties sur le paiement des 5 factures susvisées.

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.

D’où qu’il suit que l’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour En décidant de faire courir les intérêts de retard à compter de la date d’échéance des factures litigieuses sur base du constat que le créancier avait rempli ses obligations mais n’avait pas reçu le montant dû à l’échéance telle que fixée dans le contrat sans rechercher si le retard de paiement était imputable à une faute ou à une négligence du créancier lui-même, les juges d’appel n’ont pas violé l’article 3 de la loi modifiée du 18 avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 2277 du Code Civil.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir estimé que les intérêts de retard devaient démarrer à compter de la facturation et non à compter du jugement, au motif que les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et que les intérêts de retard ne consistent pas en un enrichissement du créancier.

Alors que les intérêts se prescrivent par 5 ans, à défaut de l’établissement d’un acte interruptif de prescription.

Que les factures litigieuses, et répertoriées dans l’arrêt attaqué (ce que la Cour de céans pourra établir et constater), sont toutes antérieures à cinq années et que le premier acte interruptif de prescription coïncide avec l’assignation délivrée par SOCIETE2.) Sarl en date du 7 Août 2019 (Arrêt attaqué Page N°1 - procédure 3de première instance) et qu’en conséquence les factures litigieuses portaient sur un intérêt de retard prescrit, ce que la Cour d’Appel aurait dû reconnaître.

Qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public.

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé le texte susvisé. ».

Réponse de la Cour Il ne ressort pas des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que la demanderesse en cassation ait invoqué la prescription prévue à l’article 2277 du Code civil devant la Cour d’appel.

L’article 2223 du Code civil interdit aux juges de suppléer d’office le moyen résultant de la prescription.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré du défaut de base légale.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir estimé que les intérêts de retard devaient démarrer à compter de la facturation et non à compter du jugement, au motif que les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et que les intérêts de retard ne consistent pas en un enrichissement du créancier.

Alors que les intérêts se prescrivent par 5 ans, à défaut de l’établissement d’un acte interruptif de prescription.

Que les factures litigieuses, et répertoriées dans l’arrêt attaqué (ce que la Cour de céans pourra établir et constater), sont toutes antérieures à cinq années et que le premier acte interruptif de prescription coïncide avec l’assignation délivrée par SOCIETE2.) Sarl en date du 7 Août 2019 (Arrêt attaqué Page N°1 - procédure de première instance) et qu’en conséquence les factures litigieuses portaient sur un intérêt de retard prescrit, ce que la Cour d’Appel aurait dû reconnaître.

Qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public.

Qu’en statuant comme elle l’a fait, sans avoir vérifié si les intérêts de retard demandés par SOCIETE2.) Sarl étaient prescrits ou non sur le fondement de l’article 2277 du Code Civil, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. ».

4Réponse de la Cour Il ressort de la réponse donnée au deuxième moyen de cassation que les juges d’appel n’avaient pas à soulever d’office le moyen tiré de la prescription.

Il s’ensuit que le moyen est inopérant.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Marie-

Jeanne KAPPWEILER et du greffier Daniel SCHROEDER.

5 Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de la société anonyme SOCIETE1.) s.a.

contre la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) s.à.r.l.

(CAS-2022-00098 du registre) Par mémoire déposé au greffe de la Cour d’appel le 4 octobre 2022, la société anonyme SOCIETE1.), a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt no 98/22 IV-COM, contradictoirement rendu entre parties le 24 mai 2022, par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale.

Le mémoire déposé par la partie demanderesse en cassation, signé par un avocat à la Cour, a été signifié le 29 septembre 2022 au siège social de la partie adverse, donc antérieurement à son dépôt, de sorte que le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, en sa qualité de mandataire de la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) s.à.r.l., a fait signifier le 25 novembre 2022, au domicile élu de la partie demanderesse en cassation, un mémoire en réponse et l’a déposé au greffe de la Cour d’appel le 28 novembre 2022.

Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été signifié dans les forme et délai de la loi précitée du 18 février 1885.

Faits et rétroactes La société anonyme SOCIETE1.) s.a. (ci-après « SOCIETE1.) ») avait chargé la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) s.à.r.l. (ci-après « SOCIETE2.) ») de procéder au recrutement de personnel à cinq postes différents. Cinq personnes ont ainsi été présentées à SOCIETE1.) et ont été engagées par un contrat de travail assorti d’une période d’essai.

SOCIETE2.) a adressé à SOCIETE1.) cinq factures relatives aux honoraires de recrutement de ces cinq candidats totalisant le montant de 47.357 euros.

Malgré mise en demeure de procéder au paiement des prédites factures, ces factures n’ont pas été payées.

1 Selon les éléments du dossier, l’arrêt de la Cour d’appel du 24 mai 2022 a été signifié en date du 5 août 2022.

6 Par acte d’huissier de justice du 7 août 2019, SOCIETE2.) a assigné SOCIETE1.) à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale aux fins de s’entendre condamner au paiement de la somme de 47.357 euros avec les intérêts au taux directeur de la Banque Centrale Européenne majorés de la marge tels que prévus par la loi modifiée du 18 avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard (ci-après la « Loi de 2004 »), à compter de l’échéance des factures, sinon de la demande en justice, jusqu’à solde.

Elle a encore sollicité la condamnation de la partie défenderesse au paiement du montant forfaitaire de 40 euros sur base de l’article 5 (1) de la Loi de 2004, une indemnité de procédure de 2.500 euros sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile, l’exécution provisoire du jugement et la condamnation de la défenderesse à tous les frais et dépens de l’instance.

Par jugement commercial du 16 octobre 2019, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, statuant par défaut à l’égard de SOCIETE1.), a reçu la demande en la forme, l’a dit fondée et a condamné SOCIETE1.) à payer à SOCIETE2.) la somme de 47.357 euros avec les intérêts de retard, tels que prévus par l’article 3 de la Loi de 2004 à partir de la date d’échéance des factures, jusqu’à solde. La juridiction de première instance a condamné SOCIETE1.) à payer à SOCIETE2.) le montant de 40 euros sur base de l’article 5 (1) de Loi de 2004, le montant de 1.000 euros sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile, et les frais et dépens de l’instance.

Par acte d’huissier de justice du 16 décembre 2019, SOCIETE1.) a relevé opposition contre ce jugement.

Par jugement du 14 juillet 2021, le tribunal a :

- reçu l’opposition en la forme, - l’a déclaré non fondée, - dit que le jugement n°2019TALCH15/01269 du 16 octobre 2019 produira ses pleins et entiers effets, - dit les demandes de SOCIETE1.) et de SOCIETE2.) en allocation d’une indemnité de procédure non fondées, et laissé les frais et dépens de l’instance d’opposition à charge de SOCIETE1.).

Suite à l’appel interjeté par SOCIETE1.), la Cour d’appel a, dans un arrêt du 24 mai 2022, par réformation, dit la demande de SOCIETE2.) fondée à hauteur du montant principal de 20.136,50 euros et non fondée pour le surplus, condamné SOCIETE1.) à payer à SOCIETE2.) le montant de 20.136,50 euros avec les intérêts de retard tels que prévus par l’article 3 de la loi modifiée du 18 avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard à partir de la date d’échéance des factures jusqu’à solde, confirmé le jugement pour le surplus, et condamné la SOCIETE1.) à payer à SOCIETE2.) une indemnité de procédure de 1.500 euros.

Le pourvoi sous examen est dirigé contre cet arrêt du 24 mai 2022.

7 Quant au premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 3 de la loi du 18 avril 2004, relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard. Il est fait grief à l’arrêt attaqué « d’avoir estimé que les intérêts de retard devraient démarrer à compter de la facturation et non à compter du jugement, au motif que les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et que les intérêts de retard ne consistent pas en un enrichissement du créancier. Alors que les intérêts compensatoires ne sont dus que si le retard incombe réellement au débiteur responsable. Dans la mesure où ce retard est imputable à une faute ou une négligence du créancier lui-même, celui-ci n’est pas fondé à en demander la réparation. » SOCIETE1.) a contesté, en instance d’appel, que les intérêts de retard soient dus à partir de l’échéance des factures. Les juges d’appel ont ainsi retenu :

« Finalement, elle conteste que les intérêts de retard soient dus à partir de l’échéance alléguée des factures, alors que SOCIETE2.) a attendu près de 10 ans avant de lancer son assignation en recouvrement des factures. SOCIETE2.) aurait commis un abus de droit en dépassant manifestement les limites de l’exercice normal du droit aux intérêts de retard, alors que les intérêts calculés sur une période de près de 10 ans sont d’un montant équivalent au montant principal des factures réclamées. » La juridiction d’appel a déclaré, par réformation, la demande de SOCIETE2.) non fondée en ce qui concerne les factures n°HL090430, n°HL090452 et n°HL090460., de sorte que la discussion de la date de départ des intérêts de retard ne portait que sur le non-paiement des factures n°HL090459 et n°HL090461.

Sur ces points, la Cour a retenu ce qui suit :

« Concernant les factures n°HL090459 et HL090461, il résulte des courriers du 20 avril 2010 et du 10 juin 2010 que SOCIETE1.) admet être redevable des factures relatives au recrutement de PERSONNE1.) et de PERSONNE2.), ce dernier ayant remplacé PERSONNE3.).

A défaut de contestations relatives aux montants réclamés aux termes des factures HL090459 et HL090461 et en l’absence de toute preuve quant à un manquement commis par SOCIETE2.) lors du recrutement de ces deux personnes par SOCIETE1.), le jugement est à confirmer en ce qu’il a fait droit à la demande, soit la somme de (12.132,50+8.004=) 20.136,50 euros.

SOCIETE1.) demande par réformation à ne faire courir les intérêts de retard qu’à compter du jugement et non de l’échéance alléguée des factures émises par SOCIETE2.).

Elle fait valoir que SOCIETE2.) a attendu près de dix ans pour réclamer le paiement des cinq factures; que le montant des intérêts de retard sur une période de près de dix années équivaut au montant des factures, de sorte qu’il y aurait enrichissement du créancier, provoqué par la propre inertie de ce dernier.

C’est cependant à juste titre que le tribunal a rappelé que les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et 8que les intérêts de retard ne consistent pas, contrairement aux développements de l’appelant en un enrichissement du créancier.

Il résulte en outre des éléments du dossier que les deux factures ont été reconnues par SOCIETE1.) en juin 2010 et qu’elle avait promis un paiement pour le 1er septembre, respectivement le 1er octobre 2010. Il est en outre constant que SOCIETE2.) avait demandé et obtenu l’émission d’une ordonnance conditionnelle de paiement le 5 septembre 2012, laquelle a cependant été annulée suivant ordonnance du 10 mai 2013 du juge des référés, de sorte que les affirmations de SOCIETE1.) relatives à l’inertie de SOCIETE2.) ne sont pas non plus fondées.

Il y a partant lieu de confirmer le jugement en ce qui concerne le point de départ des intérêts. » Il ressort de la lecture conjointe des extraits de la décision dont pourvoi cités ci-avant, et du libellé du moyen que les reproches ne sont pas formulés en rapport avec l’application de la loi à proprement dire, mais en relation avec l’interprétation des faits soumis à l’appréciation de la juridiction d’appel.

Sous le couvert de la violation de l’article visé au moyen, la partie demanderesse en cassation ne tend qu’à remettre en discussion devant la Cour de cassation l’examen par la Cour d’appel des éléments purement factuels, relatifs à l’attitude adoptée par le créancier face au refus de paiement du débiteur, examen qui relève du pouvoir d'appréciation souverain des juges du fond et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Quant au deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen est tiré de la violation de 2277 du Code civil, en ce que la Cour a confirmé la décision de première instance, qui a fixé le point de départ des intérêts de retard à la date d’échéance des factures, au motif que « les intérêts de retard sont des pénalités financières que l’on applique lorsqu’un débiteur ne paie pas à temps ses factures et que les intérêts de retard ne consistent pas, contrairement aux développements de l’appelant en un enrichissement du créancier. » alors que « les factures litigieuses portaient sur un intérêt de retard prescrit, ce que la Cour aurait dû reconnaître » vu « qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public ».

L’article 2277 du Code civil se lit comme suit :

« Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié.

Se prescrivent par cinq ans les actions de payement :

Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;

Des loyers et fermages ;

Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts. » Il ressort de la décision dont pourvoi que la prescription quinquennale des intérêts de retard réclamés par SOCIETE2.) n’a à aucun moment fait l’objet des débats, de sorte que l’article 92277 du Code civil n’a pas trouvé application dans le cadre de l’arrêt du 24 mai 2022. La partie demanderesse ne conteste d’ailleurs pas avoir omis de soulever le moyen de la prescription partielle des intérêts de retard, puisqu’elle avance le caractère d’ordre public du moyen et reproche implicitement aux juges d’appel d’avoir omis de soulever d’office la prescription d’une partie des intérêts de retard.

Si la demanderesse en cassation critique les juges d’appel pour avoir omis d’appliquer une règle de droit à une situation qu’elle devait prétendument régir, la véritable question qui se pose est celle de savoir si les juges auraient dû soulever d’office le moyen de la prescription.

Or cette problématique est étrangère à l’article 2277 du Code civil et il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

A titre subsidiaire :

Si le bénéficiaire de la prescription peut décider d'opposer effectivement ce moyen à son adversaire, lui seul normalement peut le faire, réserve faite de la protection accordée aux autres intéressés. En tout cas, le juge ne peut invoquer la prescription à sa place, ce que formule expressément, l’article 2223 du Code civil: « les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription »."2 Il y a lieu de noter que la question de la détermination du caractère d’ordre privé ou public du moyen de prescription est sans pertinence, puisque l'interdiction faite au juge de soulever la prescription s'applique quand bien même cette prescription serait d'ordre public3.

Au vu de l’article 2223 du Code civil, la juridiction d’appel a dès lors, à juste titre, fait abstraction de l’application de l’article 2277 du Code civil aux demandes de paiement, dont elle était saisie, étant donné que l’actuelle demanderesse en cassation n’a pas oppose le moyen de la prescription des intérêts de retard à la partie SOCIETE2.).

Le moyen est dès lors à déclarer non fondé.

Quant au troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est tiré du défaut de base légale Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture et chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi la décision attaquée encourt le reproche allégué.

Au regard des exigences de précision de l’article 10 précité, le moyen encourt deux critiques :

-

Le moyen tiré du défaut de base légale est un moyen de fond, qui doit être rattaché à une disposition légale, dont il constitue une forme de violation.

2 Lexis 360 Intelligence - JurisClasseur Civil Code - Encyclopédies - Art. 2247 à 2254 - Fasc. unique :

PRESCRIPTION. – Conditions : Invocation, renonciation, aménagement conventionnel -

3 JurisClasseur Civil Code (Archives antérieures au 1er octobre 2016) - Encyclopédies - Art. 2247 à 2254 - Fasc.

unique : PRESCRIPTION. – Conditions : Invocation – renonciation – aménagement conventionnel –no 32 10 L’énoncé du moyen sous examen est quasiment identique au deuxième moyen, relatif à la violation de l’article 2277 du Code civil, sans pour autant se référer de manière expresse audit article. Dans la présentation du moyen, la partie demanderesse en cassation parle certes de la prescription quinquennale des intérêts de retard, réclamés par la société SOCIETE2.), mais ne vise pas directement l’article 2277 dans l’énoncé du moyen.

Or à défaut d’indication de la disposition légale qui aurait été violée, le moyen ne répond pas aux conditions de précision requises par la loi.

-

La mise en œuvre du cas d’ouverture du défaut de base légale suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis qui ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi.

Ni l’énoncé du moyen ni sa discussion ne précisent cependant pas en quoi les juges d’appel auraient omis de préciser des constations de fait.

Au vu des développements qui précèdent le moyen est irrecevable.

Même à supposer que le moyen est recevable, en admettant qu’il est tiré du défaut de base légale de l’article 2277 du Code civil, le grief est inopérant.

En effet, le défaut de base légale vise l’insuffisance des constatations de fait fondant les déductions en droit opérées par le juge. Or, dans l’arrêt entrepris, les juges du fond n’ont pas appliqué l’article 2277 du Code civil, non pas suite à une analyse factuelle suffisante ou insuffisante, mais pour la simple raison que le moyen de la prescription, n’avait pas été soulevé par la partie appelante. Au vu de l’interdiction faites aux juges par l’article 2223 du Code civil de suppléer d’office le moyen tiré de la prescription, il n’y avait pas lieu d’examiner les faits au regard de l’article 2277 du Code civil.

Le moyen, à admettre sa recevabilité, est dès lors inopérant.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Sandra KERSCH 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 71/23
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-06-08;71.23 ?

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