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04/05/2023 | LUXEMBOURG | N°50/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 04 mai 2023, 50/23


N° 50 / 2023 du 04.05.2023 Numéro CAS-2022-00050 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social

à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au regist...

N° 50 / 2023 du 04.05.2023 Numéro CAS-2022-00050 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, président, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Gérard A. TURPEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1) PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), 2) PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE3.), défendeurs en cassation, comparant par Maître Marco FRITSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 13/22 - III - CIV, rendu le 20 janvier 2022 sous le numéro CAL-2018-00834 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 24 mai 2022 par la société anonyme SOCIETE1.) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.), déposé le 25 mai 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 13 juillet 2022 par PERSONNE1.) et PERSONNE2.) à la société SOCIETE1.), déposé le 14 juillet 2022 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 14 juillet 2022 par PERSONNE3.) à la société SOCIETE1.), déposé le 25 juillet 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière civile, avait dit fondée la demande de PERSONNE3.) en annulation de deux compromis de vente portant sur des immeubles dépendant de l’indivision post-

communautaire conclus, sans son accord après leur divorce, par son ancien époux PERSONNE4.), entretemps décédé, et la société SOCIETE1.) et déclaré les compromis nuls et de nul effet. La Cour d’appel a confirmé le jugement.

Sur le deuxième moyen de cassation qui est préalable Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 1315 du Code civil ainsi que de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile qui prévoient que :

article 1315 du Code civil : celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver », article 58 du Nouveau Code de procédure civile : il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », en ce que l’arrêt attaqué a, par confirmation du jugement rendu par le tribunal d’arrondissement de Diekirch en date du 26 juin 2018, dit qu’ (…) il y a lieu de tenir pour établi que la valeur du hangar dépassait celle du terrain au moment de la conclusion du premier compromis de vente en cause, de sorte que l’ensemble est à qualifier de bien commun, conformément à l’appréciation des juges de première instance », au motif notamment que l’appelante n’établit pas l’état ni la valeur du hangar dont il s’agit, au moment de son acquisition », alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a opéré un renversement de la charge de la preuve et méconnu les dispositions des articles susvisés. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir, dans le cadre de la détermination, au regard de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, du caractère propre ou commun d’un terrain ayant appartenu à PERSONNE4.) sur lequel avait été érigé un hangar avec des fonds communs, inversé la charge de la preuve en lui imposant celle-ci.

Afin de retenir que la valeur du hangar dépassait celle du terrain sur lequel il avait été érigé pour en déduire que l’ensemble était un bien commun, les juges d’appel ont considéré que la défenderesse en cassation, qui se prévalait du caractère commun de l’immeuble, avait rapporté cette preuve sur base des deux rapports d’expertise versés aux débats, dont les conclusions n’avaient pas été utilement contredites par la demanderesse en cassation. Ce faisant, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 815-3 du Code civil ainsi que de l’adage pas de nullité sans texte », en ce que l’arrêt attaqué a, en déclarant l’appel de SOCIETE1.) non fondé et en confirmant le jugement entrepris, dit fondée la demande en annulation des compromis de vente du 18 décembre 2009 et du 15 octobre 2010 sur base de l’article 815-3 du Code civil » et a, en conséquence, déclaré nuls et de nul effet le compromis du 18 décembre 2009 et celui du 15 octobre 2010 intervenus entre PERSONNE4.) et la société anonyme SOCIETE1.) SA », au motif qu’ il convient partant de retenir, à l’instar des juges de première instance, que les compromis de vente litigieux portent sur des biens indivis, cédés par feu PERSONNE4.) sans le consentement de l’autre propriétaire indivisaire, PERSONNE3.), en violation de l’article 815-3 du Code civil », alors qu’en décidant ainsi, la Cour d’appel a violé le texte ainsi que l’adage susvisés. ».

Réponse de la Cour Sur la violation d’un principe général du droit Le principe « pas de nullité sans texte » est prévu à l’article 1253 du Nouveau Code de procédure civile en rapport avec la nullité des actes de procédure pour irrégularité de forme. Il n’existe pas, en droit civil, de principe général qui subordonnerait dans tous les cas le prononcé de la nullité d’un acte à un texte édictant expressément cette nullité. Le moyen, en tant qu’il est fondé sur un adage « pas de nullité sans texte », ne peut par conséquent être retenu.

Sur la violation de l’article 815-3 du Code civil Vu l’article 815-3, point 1°, du Code civil qui dispose que « Les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires. (…) ».

La cession, par un seul des indivisaires, de certains biens compris dans une indivision n’est pas nulle ; elle est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée au résultat du partage. En procédant à l’annulation des compromis de vente, les juges du fond ont violé l’article 815-3 du Code civil.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.

Sur les troisième et quatrième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le troisième, « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 592 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a déclaré irrecevable la demande de la société anonyme SOCIETE1.) SA en restitution de l’acompte de 10.000 euros "payé dans le cadre du compromis de vente du 15 octobre 2010" », au motif que (…) la demande en restitution de l’acompte est formée pour la première fois en instance d’appel et que celle-ci ne s’analyse pas en une des exceptions prévues par l’article 592 du Nouveau Code de procédure civile (…) », alors que cette demande a été formulée pour la première fois en première instance, qu’en décidant ainsi, la Cour d’appel a méconnu l’article susvisé. » et le quatrième, « tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 6, alinéa 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que dans son arrêt du 20 janvier 2022, la Cour d’appel a, en confirmant le jugement entrepris qui déclare non fondées les demandes de la société anonyme SOCIETE1.) SA formées par assignation du 17 juin 2016, partant en déboute », écarté du débat, sinon omis de prendre en considération une pièce versée par la demanderesse en cassation, au motif qu’ ainsi que cela a été retenu dans des motifs énoncés plus haut, l’appelante ne prouve pas avoir effectué ses impenses pour la rénovation du hangar en cause », alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision par défaut de prise en considération de pièces produites au débat. ».

Réponse de la Cour Il résulte de la réponse donnée au premier moyen que l’arrêt entrepris encourt la cassation en ce qu’il a confirmé le jugement de première instance pour avoir dit fondée, sur base de l’article 815-3 du Code civil, la demande en annulation des compromis de vente des 18 décembre 2009 et 15 octobre 2010 intervenus entre PERSONNE4.) et la société anonyme SOCIETE1.) et déclaré nuls et de nul effet lesdits compromis. Il n’y a, par conséquent, plus lieu de statuer sur les troisième et quatrième moyens.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la demanderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

Les défendeurs en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leur demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué, numéro 13/22-III-CIV, rendu le 20 janvier 2022 sous le numéro CAL-2018-00834 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile, en ce qu’il a confirmé le jugement de première instance pour avoir dit fondée la demande en annulation des compromis de vente des 18 décembre 2009 et 15 octobre 2010 intervenus entre PERSONNE4.) et la société anonyme SOCIETE1.) et déclaré nuls et de nul effet lesdits compromis de vente ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;

condamne les défendeurs en cassation à payer à la demanderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Gérard A. TURPEL, sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Christiane JUNCK en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre la société anonyme SOCIETE1.) S.A.

et 1. PERSONNE1.) 2. PERSONNE2.) 3. PERSONNE3.) (n° CAS-2022-00050 du registre) Par mémoire signifié le 24 mai 2022 à PERSONNE3.), PERSONNE1.) et PERSONNE2.) et déposé le 25 mai 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Gérard TURPEL, avocat à la Cour, agissant pour le compte de la société anonyme SOCIETE1.) S.A., a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu contradictoirement le 20 janvier 2022 par la Cour d’appel, troisième chambre, siégeant en matière de droit civil, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2018-00834 du rôle.

Le pourvoi introduit est recevable au regard des conditions de délai1 et de forme prévues par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois.

Un mémoire en réponse a été signifié le 13 juillet 2022 par Maître Marco FRITSCH, avocat à la Cour, agissant pour le compte de PERSONNE2.) et PERSONNE1.), et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 14 juillet 2022. Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Un autre mémoire en réponse a été signifié le 14 juillet 2022 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, agissant pour le compte de PERSONNE3.), et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 25 juillet 2022. Ce mémoire peut pareillement 1 L’arrêt entrepris a été signifié à SOCIETE1.) S.A. le 30 mars 2022 (pièce n° 28 de Me Gérard TURPEL), de sorte que le pourvoi introduit le 25 mai 2022 l’a été endéans le délai de deux mois prévus à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois.

être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Sur les faits et rétroactes :

Selon l’arrêt attaqué, par un jugement du 26 juin 2018, le tribunal d’arrondissement de Diekirch avait dit fondée la demande de PERSONNE3.) en annulation de deux compromis de vente portant sur des immeubles indivis conclus entre son ancien époux PERSONNE4.), entretemps décédé, et la société SOCIETE1.) S.A. et a déclaré ces compromis de vente nuls et de nul effet.

Pour statuer ainsi, le tribunal d’arrondissement de Diekirch avait considéré que les deux immeubles en question faisaient partie de l’indivision post-communautaire résultant du divorce des époux GROUPE1.), de sorte qu’en application de l’article 815-3 du Code civil, la vente immobilière n’était pas valable en l’absence du consentement de PERSONNE3.).

La Cour d’appel, par l’arrêt entrepris par le pourvoi, a confirmé le jugement de première instance.

Sur le premier moyen de cassation :

« Le moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 815-3 du Code civil ainsi que de l’adage « pas de nullité sans texte », en ce que l’arrêt attaqué a, en déclarant l’appel de SOCIETE1.) non fondé et en confirmant le jugement entrepris, « dit fondée la demande en annulation des compromis de vente du 18 décembre 2009 et du 15 octobre 2010 sur base de l’article 815-3 du Code civil » et a, en conséquence déclaré « nuls et de nul effet le compromis du 18 décembre 2009 et celui du 15 octobre 2010 intervenus entre PERSONNE4.) et la société anonyme SOCIETE1.) S.A. », au motif qu’ « il convient partant de retenir, à l’instar des juges de première instance, que les compromis de vente litigieux portent sur des biens indivis, cédés par feu PERSONNE4.) sans le consentement de l’autre propriétaire indivisaire, PERSONNE3.), en violation de l’article 815-3 du Code civil », alors qu’en décidant ainsi, le Cour d’appel a violé le texte ainsi que l’adage susvisés. » Aux termes du moyen, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions légales visées au moyen en sanctionnant de nullité les deux compromis de vente portant sur des immeubles indivis, au motif que le consentement du copropriétaire indivisaire n’aurait pas été recueilli. Elle estime que l’arrêt entrepris devrait encourir la cassation de ce chef puisque l’article 815-3 du Code civil ne prévoirait pas expressément que la violation de ses dispositions serait sanctionnée par la nullité. Elle se prévaut à cet égard de l’adage « pas de nullité sans texte ». Dans les développements du moyen, elle se réfère encore à la jurisprudence de la Cour de cassation française qui ne sanctionnerait la violation de la règle de l’unanimé en matière de cession d’un bien indivis non pas de nullité, mais d’inopposabilité à l’égard des indivisaires n’ayant pas consenti à la cession. La demanderesse en cassation semble donc faire grief aux juges d’appel de ne pas s’être limités à déclarer les ventes litigieuses inopposables à PERSONNE3.) pour ses quotes-parts indivises et de déclarer la vente parfaite en ce qui concerne les quotes-parts de feu PERSONNE4.)2.

Il est relevé en premier lieu que lieu que l’adage « pas de nullité sans texte » n’est prévu à l’article 1253 du Nouveau code de procédure civile3 qu’en rapport avec les actes de procédure et ne vise, d’après la jurisprudence, que les irrégularités de forme, respectivement les irrégularités substantielles et non les irrégularités de fond. En effet, en dépit des dispositions de l’article 1253 du Nouveau code de procédure civile, la jurisprudence a accepté d’étendre le champ d’application des règles sanctionnables par la nullité à certaines exigences légales prévues par des textes, mais sans que le texte en question ne les sanctionne formellement de nullité en cas d’inobservation. Tel est le cas pour les règles de fond4. Or, l’exigence d’un consentement valable des indivisaires à la cession d’un bien indivis constitue assurément un vice de fond et non pas simple une irrégularité de procédure. Par ailleurs, dans la matière plus spécifique la cession des biens, l’article 1599 du Code civil prévoit expressément que la vente de la chose d’autrui, donc effectuée sans le consentement du propriétaire, est nulle. Le grief tiré de la violation de l’adage « pas de nullité sans texte » n’est donc pas fondé.

2 Il résulte de l’arrêt entrepris (page 20) que la société SOCIETE1.) S.A. avait demandé à la Cour d’appel de déclarer les ventes litigieuses valables pour ce qui concerne les quotes-parts indivises de feu PERSONNE4.), mais que cette prétention avait été rejetée, par application des dispositions de l’article 592 du Nouveau code de procédure civile, comme demande nouvelle formulée pour la première fois en instance d’appel. De l’avis du soussigné, c’est à tort que la Cour d’appel a déclaré cette demande irrecevable. Il ne s’agissait là, à proprement parler, pas d’une demande nouvelle, mais d’une défense opposée à la demande principale ayant eu pour objet de limiter les effets de la demande principale qui tendait à annulation totale des compromis de ventes immobilières.

La prétention s’analysait partant en un moyen nouveau recevable en appel.

3 L’article 1253 du Nouveau code de procédure civile dispose en son alinéa premier : « Aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul, si la nullité n'en est pas formellement prononcée par la loi. » 4 Thierry HOSCHEIT, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, 2ème édition, n°s 904 s.

En ce qui concerne ensuite la question de l’étendue de la nullité, respectivement de l’inopposabilité, les juges d’appel ont justifié leur décision d’annuler totalement les deux compromis de vente notamment par les motifs suivants :

« Il convient partant de retenir, à l’instar des juges de première instance, que les compromis de vente litigieux portent sur des biens indivis, cédés par feu PERSONNE4.) sans le consentement de l’autre propriétaire indivisaire, PERSONNE3.), en violation de l’article 815-3 du Code civil. »5 (…) « En ce qui concerne l’étendue de la nullité, il y a lieu de constater que la cause de nullité affecte, de toute évidence, non pas une clause des contrats, mais l’intégralité des contrats.

D’autre part, les dispositions régissant l’indivision ordinaire sont marquées par le souci du législateur d’empêcher l’intrusion de personnes étrangères au contexte -

généralement familial - dans lequel est née l’indivision.

Celui-ci se manifeste notamment dans les prescriptions des articles 815-14 et suivants du Code civil, conférant un droit de préemption aux indivisaires et imposant, à cette fin, le respect d’une procédure spécifique préalable à toute vente, sous peine de nullité de l’acte « opéré au mépris » de ce droit, laquelle nullité n’est ouverte qu’aux personnes auxquelles les notifications requises dans le cadre de ladite procédure devaient être faites ou à leurs héritiers.

La nullité sanctionnant les cessions litigieuses ne saurait donc être partielle.

Contrairement à l’affirmation de l’appelante, la sommation de « passer acte », signifiée le 28 juillet 2011, ne satisfait nullement aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, puisque la destinataire de l’acte, PERSONNE3.), n’a pas été mise en mesure d’exercer son droit de préemption pendant un délai d’un mois et qu’il ne s’agit pas d’un acte préalable à une vente projetée.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a prononcé la nullité totale des deux compromis de vente litigieux, à la demande de PERSONNE3.). »6 5 idem, page 19, avant dernier alinéa.

6 idem, page 21, 6ème alinéa.

Il résulte de cette motivation que la Cour d’appel a considéré que les compromis de vente litigieux étaient à annuler entièrement en raison, d’une part, de la considération que les biens indivis avaient été cédés par feu PERSONNE4.) sans le consentement de l’autre propriétaire indivisaire, PERSONNE3.), en violation de l’article 815-3 du Code civil et, d’autre part, du fait que cette cession avait été effectuée aux mépris des dispositions de l’article 815-14 du Code civil au sujet de droit de préemption du coïndivisaire du vendeur, PERSONNE3.). La demanderesse en cassation n’a ainsi reproduit dans son moyen qu’une partie des motifs ayant justifié, selon la Cour d’appel, une annulation totale des compromis de vente litigieux.

L’article 815-3 du Code civil dispose en sa phrase première que « [l]es actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires. » L’article 815-14 du Code civil dispose en son alinéa 1er que « [l]’indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l'indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir. » L’article 815-16 du Code civil dispose à son tour qu’ « [e]st nulle toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15. L'action en nullité se prescrit par cinq ans. Elle ne peut être exercée que par ceux à qui les notifications devraient être faites ou par leurs héritiers. » Le soussigné considère que le motif fondé sur la violation de l’article 815-14 du Code civil, non visé au moyen, ne constitue pas un motif surabondant par rapport à la violation de l’article 814-3 du Code civil pour justifier l’annulation des compromis de vente litigieux. Il ne saurait donc en être déduit que le moyen fondé exclusivement sur la violation de l’article 814-3 du Code civil est inopérant. En effet, il résulte des dispositions de l’article 815-14 du Code civil que le droit de préemption ne vise que les droits de l’indivisaire vendeur et la nullité portée à l’article ne serait donc que partielle.

Dans le même sens, et comme il sera exposé ci-après, d’après la jurisprudence constante française, la sanction de la violation de l’article 814-3 du Code civil n’affecte elle que les droits des coindivisaires qui n’ont pas consenti à la vente. Ce n’est ainsi que la violation conjointe des deux dispositions qui pourrait justifier l’annulation totale des compromis de vente litigieux en ce qu’elle viserait tant les droits du coïndivisaire vendeur que ceux des coïndivisaires qui n’ont pas consenti à la vente.

Les dispositions des articles 815 et suivants du Code civil au sujet de l’indivision résultent d’une loi du 8 avril 19937 qui reprend les dispositions de la loi française du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision8. Il semble dès lors utile de se réfère à la jurisprudence française en la matière.

En ce qui concerne la question de la sanction de la violation de la règle de l’unanimité des indivisaires en matière de cession de biens indivis, comme indiqué par le demandeur en cassation, la Cour de cassation française considère de manière constante que « la cession d’un bien indivis qui n’a pas été consenti par tous les indivisaires n’est pas nulle ; elle est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée au résultat du partage »9. D’après cette jurisprudence, la vente du bien indivis intervenue sans le consentement de tous les indivisaires – et qui viole donc l’article 815-

3 du Code civil – n’est pas radicalement nulle. Elle est valable et produit ses effets dans les rapports du vendeur et de l’acquéreur pour la portion indivise qui appartient au vendeur. Mais la vente est inopposable aux coïndivisaires qui n’y ont pas consenti. Cette inopposabilité n’est que partielle, elle ne porte que sur les quotas des parts des indivisaires qui ne sont pas intervenus à l’acte10. Il est encore remarqué à cet égard qu’avant d’opter pour la solution de l’inopposabilité partielle, la jurisprudence française avait dans un premier temps retenu la nullité partielle11. Mais dans les deux cas, la jurisprudence avait considéré que la convention était valable pour la part du coïndivisaire vendeur.

En ce qui concerne l’article 1599 du Code civil qui sanctionne de nullité la vente de la chose d’autrui, la Cour de cassation française considère que cette disposition s’applique en matière de cession d’un bien indivis opérée sans le consentement de tous les indivisaires, mais qu’elle ne peut être invoquée que par l’acquéreur. L’acquéreur peut agir en nullité dans la mesure où la vente d’un bien indivis qui n’a pas été consentie par tous les indivisaires a porté partiellement sur la chose d’autrui. L’annulation ne sera que partielle, parce qu’elle ne concerne que la cession portant sur les droits indivis appartenant aux coindivisaires non-vendeurs. En revanche, la Cour de cassation française considère que l’action en nullité fondée sur l’article 1599 du Code civil n’est ouverte ni au vendeur, ni aux coindivisaires de ce dernier12. Dans le même sens, la jurisprudence luxembourgeoise considère pareillement que la vente de la chose d’autrui ne peut être sanctionnée par la nullité de protection prévue à l’article 1599 du Code civil 7 Mémorial A n° 32 du 29 avril 1993.

8 Loi n° 76-1286, publiée au Journal officiel de la République française, 1er janvier 1977, p. 19.

9 Jacques LAFOND, Fabrice COLLARD, Jurisclasseur Liquidations – Partages – Fasc. 30 : Indivision – Vente de biens indivis, mise à jour 20 novembre 2020, n° 76 10 idem, n° 78.

11 idem, n° 78 ; François TERRÉ, Yves LEQUETTE, Droit civil, Successions et libéralités, 3ème édition 1997, n° 722.

12 Jacques LAFOND, Fabrice COLLARD, précité, n° 84.

que pour autant que cette mesure aura pour effet de protéger l’acheteur contre le risque d’éviction13.

La solution retenue par la jurisprudence française plus récente de préférer l’inopposabilité de la vente d’un bien indivis aux coïndivisaires qui n’y ont pas consenti à la nullité de pareille vente est fondée sur la considération que celui qui vend est susceptible de devenir rétroactivement attributaire du bien vendu dans le partage, ce qui aura alors pour effet de consolider la vente. Dans ce sens, l’annulation ne paraît pas justifiée, et il semble suffire de priver la vente de ses effets à l’égard des coindivisaires non-vendeurs jusqu’au moment où le partage interviendra14.

Cette solution n’est cependant pas à l’abri de la critique. Elle présente un double inconvénient. D’une part, contrairement à ses attentes, l’acquéreur n’obtient pas l’acquisition de la totalité du bien indivis. D’autre part, les coïndivisaires sont tenus d’intégrer au sein de l’indivision un tiers qu’ils n’ont pas nécessairement souhaité, sans avoir pu au préalable exercer un droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil.15 En l’espèce, comme relevé ci-dessus, la violation de l’article 815-14 du Code civil relatif au droit de préemption des coindivisaires qui n’ont pas consenti à la vente a précisément été retenue par les juges d’appel en sus de la violation de l’article 815-3 du même Code.

La sanction de la violation de l’article 815-3 du Code civil étant la nullité16 respectivement l’inopposabilité17 de la cession des droits de coïndivisaires non consentants et celle de l’article 815-14 étant – au vœux de l’article 815-16 – celle de la nullité de la cession des droits du coïndivisaire vendeur, le soussigné considère, compte tenu des développements qui précèdent, que c’est à juste titre que la Cour d’appel a pu décider au vu de la conjonction de ces deux violations, que les compromis de vente litigieux encouraient la nullité totale. Cette solution présente l’avantage de la simplicité, la vente d’un bien indivis opérée sans le consentement des coïndivisaires et en violation de leur droit de préemption est radicalement nulle. La solution dégagée par la jurisprudence française actuelle aboutit à résultat plus compliqué : la vente d’un bien indivis opérée sans le consentement des coïndivisaires du vendeur et sans respecter les dispositions légales relatives à leur droit de préemption, leur est inopposable pour leurs propres parts indivises et est nulle pour les parts indivises du vendeur. Comme relevé par un auteur, dans ce système, pour que la vente soit entièrement nulle, il faudrait qu’il 13 Cour d’appel 16 février 2000, Pas. 31, p. 262.

14 Jacques LAFOND, Fabrice COLLARD, précité, n° 73.

15 Répertoire de droit civil Dalloz, verbo Indivision, n° 270.

16 Jurisprudence française ancienne, voir ci-avant, note en bas de page n° 9.

17 Jurisprudence française récente, voir ci-avant, note en bas de page n° 9.

y ait, d’une part, une action intentée par les coïndivisaires du vendeur sur le fondement de l’article 815-16 du Code civil et, d’autre part, une action en nullité de l’acquéreur fondé sur l’article 1599 du Code civil18.

Il en suit qu’en considérant que les ventes litigieuses des immeubles indivis avaient été opérés par PERSONNE4.) sans le consentement du coindivisaire PERSONNE3.) et aux mépris de son droit de préemption, en violation des articles 815-3 et 814-14 du Code civil, la Cour d’appel a pu en déduire, sans violer les dispositions légales reproduites au moyen, que les deux compromis de ventes immobilières en cause encourraient la nullité totale.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation :

« Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 1315 du Code civil ainsi que de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile qui prévoient que :

article 1315 du Code civil : « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver », article 58 du Nouveau Code de procédure civile : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », en ce que l’arrêt attaqué a, par confirmation du jugement rendu par le tribunal d’arrondissement de Diekirch en date du 26 juin 2018, dit qu’ « (…) il y a lieu de tenir pour établi que la valeur du hangar dépassait celle du terrain au moment de la conclusion du premier compromis de vente en cause, de sorte que l’ensemble est à qualifier de bien commun, conformément à l’appréciation des juges de première instance », au motif notamment que « l’appelante n’établit pas l’état ni la valeur du hangar dont il s’agit, au moment de son acquisition », 18 Jacques LAFOND, Fabrice COLLARD, précité, n° 87.

alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a opéré un renversement de la charge de la preuve et méconnu les dispositions des articles susvisés. » Aux termes du moyen, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir opéré un renversement de la charge de la preuve à son détriment en rapport avec l’article 1406, alinéa 2 du Code civil aux termes duquel : « (…) lorsque des constructions ont été érigées au moyen de fonds communs sur un terrain propre, l'immeuble devient commun pour le tout, sauf récompense, si la valeur des constructions dépasse celle du terrain au moment de la construction ».

Le moyen est en rapport avec la preuve de la valeur d’un hangar, érigé avec des fonds communs des anciens époux PERSONNE4.) et PERSONNE3.) sur un terrain propre à PERSONNE4.).

Il est fait grief aux juges d’appel, pour décider que la valeur du hangar dépassait celle du terrain au moment de la conclusion du compromis de vente, de sorte que l’ensemble de l’immeuble était à qualifier de bien commun, d’avoir considéré que SOCIETE1.) S.A. n’avait établi ni l’état, ni la valeur du hangar. En statuant comme ils l’ont fait, les juges d’appel auraient ainsi opéré un renversement de la charge au détriment de la demanderesse en cassation, alors qu’il aurait appartenu à PERSONNE3.), qui faisait valoir que la valeur du hangar construit à l’aide de fonds communs dépassait celle du terrain propre sur lequel il avait été construit, de sorte que l’immeuble était devenu commun pour le tout et que sa vente ne pouvait se faire qu’avec son consentement, conformément à l’article 815-3 du Code civil, de rapporter la preuve de la valeur supérieure du hangar. En statuant comme ils l’ont fait, les juges d’appel auraient ainsi violé les dispositions de l’article 1315 du Code civil qui impose la charge de la preuve au demandeur.

Il est rappelé que si l’appréciation de la preuve relève du pouvoir souverain des juges du fond, il en va autrement du respect des règles sur l’administration de la preuve et en particulier sur la charge de la preuve sur lequel la Cour de cassation exerce son contrôle19.

L’arrêt est motivé comme suit sur le point considéré :

« Il reste donc la question de savoir si la valeur du hangar dépasse celle du terrain au moment de la construction.

19 BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 64.131 ; Cass. 18 juin 2015, n° 52 / 15, numéroNUMERO2.) du registre.

Le projet d’acte de partage élaboré par le notaire Martine WEINANDY (cf. pièce n° 8 de la farde I de l’appelante) qualifie le bien immobilier en cause de bien commun et retient à son sujet que « la communauté GROUPE1.) a construit un hangar sur ladite parcelle dont la valeur dépasse la valeur du terrain » avant d’ajouter ce qui suit : « donc cet immeuble dépend de la communauté en vertu de l’article 1406 du Code civil ».

Aux termes d’un rapport d’évaluation dressé le 5 juin 2012 par l’expert judiciaire assermenté Roger ROCK, à la demande de PERSONNE3.), la valeur du terrain s’élèverait à 165.417,50 euros, et celle du hangar (construit en 1998) à 422.400 euros, après déduction pour vétusté (cf. pièce n° 3 de la farde II de Me WATGEN).

Aux termes d’un rapport d’évaluation dressé le 12 mars 2015 par l’expert judiciaire assermenté Lucien MELCHIOR, à la demande de SOCIETE1.), la valeur du terrain s’élèverait à 76.000 euros, tandis que la valeur du hangar s’élèverait à 361.000 euros (cf. pièce n° 17 de la farde I de Me WILTZIUS).

Il en résulte que les deux experts ont retenu une valeur très largement supérieure du hangar.

La Cour relève que l’expert MELCHIOR, mandaté par SOCIETE1.), a même retenu une différence de valeur nettement supérieure à celle ressortant du rapport d’expertise réalisé à la demande de PERSONNE3.) et que, d’après l’expert MELCHIOR, le hangar aurait même une valeur représentant plus du quadruple de la valeur du terrain.

L’appelante soutient que le hangar se serait trouvé dans un mauvais état au moment de son acquisition et qu’elle y aurait effectué des travaux pour un montant total de 344.980,55 euros, de sorte qu’en déduisant ce montant de la valeur du hangar retenue par les experts, on obtiendrait, pour le terrain, une valeur supérieure à celle du hangar, au moment de la vente.

Ces affirmations sont contestées par les intimés.

L’appelante n’établit pas l’état ni la valeur du hangar dont il s’agit, au moment de son acquisition.

La teneur de la grande majorité des factures versées aux débats par l’appelante ne permet pas de retenir que celles-ci se rapporteraient à des travaux effectués au hangar en cause, outre qu’elles comportent une facture d’un montant de 328.000 euros TTC, émise par la société SOCIETE1.) SARL, société étroitement liée à SOCIETE1.) SA, ayant son siège social à la même adresse.

Il eût appartenu à SOCIETE1.), qui avait unilatéralement chargé l’expert MELCHIOR de procéder à l’évaluation du hangar et du terrain, et qui était représentée par son administrateur délégué lors de la visite des lieux, de faire valoir cette position devant l’expert, après l’avoir présentée dans ses conclusions (cf.

deuxième corps de conclusions, notifié le 7 octobre 2014, page 6), en lui demandant de tenir compte, dans son évaluation, du coût des travaux dont elle se prévaut.

Or, le rapport d’expertise MELCHIOR ne fait nulle part état du coût des travaux allégués par SOCIETE1.), l’expert se limitant à évoquer des « travaux effectués par SOCIETE1.) », sans autre précision, et l’appelante ne reproche aucunement à l’expert MELCHIOR de ne pas s’être acquitté d’une partie de sa mission.

Il y a partant lieu de présumer que SOCIETE1.) s’est abstenue de demander à l’expert MELCHIOR de se prononcer sur le coût des travaux qu’elle aurait réalisés, afin d’en tenir compte dans son évaluation.

Dans ces conditions, il y a lieu de tenir pour établi que la valeur du hangar dépassait celle du terrain au moment de la conclusion du premier compromis de vente en cause, de sorte que l’ensemble est à qualifier de bien commun, conformément à l’appréciation des juges de première instance. » Il résulte de ces motifs que les juges d’appel, pour asseoir leur décision de dire que la valeur du hangar construit avec des fonds communs dépassait celle du terrain sur lequel la construction avait été érigée, se sont fondés sur deux expertises versées aux débats qui ont toutes les deux conclu que la valeur du hangar dépassait de loin la valeur du terrain. Ils ont considéré que les conclusions des expertises n’étaient pas énervées par les contestations de la société SOCIETE1.) S.A. qui affirmait avoir entrepris à ses frais d’importants travaux de réfection du hangar après la conclusion du compromis de vente.

C’est dans le contexte que les juges d’appel on dit que SOCIETE1.) S.A. n’établissait pas l’état ni la valeur du hangar au moment de son acquisition. Ils ont donc considéré que SOCIETE1.) S.A. n’avait pas établi que la prise en compte du coût de ces travaux eût comme effet de remettre en cause les conclusions des experts.

Par ces motifs, les juges d’appel, loin d’inverser la charge de la preuve que la valeur de la construction érigée avec des fonds communs dépasse celle du terrain propre, qui repose sur le demandeur qui se prévaut du caractère commun de l’immeuble, ont considéré que celui-ci avait rapporté cette preuve au moyen des rapports d’expertise versés aux débats et que SOCIETE1.) S.A., qui contestait les conclusions de ces rapports d’expertise, n’avait pas établi qu’elles étaient erronées.

En statuant comme ils l’ont fait, les juges d’appel n’ont partant pas violé les dispositions légales visées au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation :

« Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 592 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a « déclaré irrecevable la demande de la société anonyme SOCIETE1.) SA en restitution de l’acompte de 10.000 euros « payé dans le cadre du compromis de vente du 15 octobre 2010 », au motif que « (…) la demande en restitution de l’acompte est formée pour la première fois en instance d’appel et que celle-ci ne s’analyse pas en une des exceptions prévues par l’article 592 du Nouveau Code de procédure civile (…) », alors que cette demande a été formulée pour la première fois en première instance, qu’en décidant ainsi, la Cour d’appel a méconnu l’article susvisé. » L’article 592 du Nouveau code de procédure civile dispose comme suit :

« Il ne sera formé, en cause d'appel, aucune nouvelle demande, à moins qu'il ne s'agisse de compensation, ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale.

Pourront aussi les parties demander des intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis le jugement de première instance, et les dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis ledit jugement. » A l’instar de la Cour de cassation française20, Votre Cour21 contrôle la qualification de la demande nouvelle recevable ou non recevable en appel.

Aux termes du moyen, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir déclaré irrecevable en tant que demande nouvelle présentée pour la première fois en instance d’appel sa demande en restitution d’un acompte de 10.000 euros payé en exécution du compromis de vente du 15 octobre 2010 que les juges du fond ont annulé.

Elle fait valoir que cette demande n’aurait pas été nouvelle puisqu’elle aurait été comprise dans sa demande en réparation du préjudice telle que formulée devant les juges de première instance.

Il résulte des éléments du dossier que dans son assignation du 17 juin 2016 devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch, SOCIETE1.) avait fixé son préjudice en cas de nullité des deux compromis de vente à 1.174.546,48 euros, dont « 10.000 euros à titre d’acompte sur le prix de vente du 15 octobre 2010 »22 et avait, dans le dispositif de l’assignation, demandé, pour le cas d’une annulation de tout ou de partie des actes de vente litigieux, la condamnation de PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à lui payer ce montant23. Dans le dispositif de son jugement du 26 juin 2018, le tribunal d’arrondissement de Diekirch avait déclaré non fondées les demandes de SOCIETE1.) formées dans son assignation du 17 juin 201624.

Il en résulte que c’est à juste titre que la demanderesse en cassation fait valoir que sa demande en restitution d’un montant de 10.000 euros payée à titre d’acompte dans le cadre du compromis de vente du 15 octobre 2010 n’était pas une demande nouvelle présentée pour la première fois en instance d’appel. En statuant comme ils l’ont fait, le juges d’appel ont partant violé la disposition légale reproduite au moyen.

Il en suit que le moyen est fondé et que l’arrêt encourt la cassation.

Sur le quatrième moyen de cassation :

« Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 6, alinéa 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des 20 J. et L. BORÉ, précité, n° 67.231.

21 P. ex. Cass. 8.12.2022, n° CAS-2022-00029 du registre ; Cass. 30.06.2022, n° CAS-2021-00106 du registre ;

Cass. 14.11.2019, n° CAS-2018-00112 du registre ; Cass. 23.4.2009, n° 2634 du registre.

22 Pièce n° 24 de Maître Gérard TURPEL, assignation du 17 juin 2016, pages 7 et 8.

23 Idem, page 10.

24 Pièce n° 25 de Maître Gérard TURPEL, jugement du tribunal d’arrondissement de Diekirch du 26 juin 2018, page 13.

libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que dans son arrêt du 20 janvier 2022, la Cour d’appel a, en confirmant le jugement entrepris qui « déclare non fondées les demandes de la société anonyme SOCIETE1.) SA formées par assignation du 17 juin 2016, partant en déboute », écarté du débat, sinon omis de prendre en considération une pièce versée par la demanderesse en cassation, au motif qu’ « ainsi que cela a été retenu dans des motifs énoncés plus haut, l’appelante ne prouve pas avoir effectué ses impenses pour la rénovation du hangar en cause », alors qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a méconnu les articles susvisés et a entaché sa décision par défaut de prise en considération de pièces produites au débat. » L’énoncé du moyen ne précise pas quelle pièce versée par l’actuelle demanderesse en cassation n’aurait pas été prise en considération par les juges d’appel dans leur décision.

Le moyen manque donc de précision puisqu’il ne dit pas en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition légale y visée. S’il est vrai que dans la partie consacrée aux développements du moyen, la demanderesse en cassation fait valoir que la pièce dont les juges d’appel n’auraient pas tenu compte serait une « expertise concernant la valeur de construction d’un hall de stockage pour et de la firme SOCIETE1.) »25 dont elle s’est prévalue devant les juges du fond pour évaluer son préjudice, il est relevé que d’après une jurisprudence constante de Votre Cour, les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer la carence de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité26.

Il en suit qu’à titre principal, le moyen est irrecevable.

A titre subsidiaire, il est rappelé que le moyen tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 du Nouveau code de procédure civile vise le défaut de motivation au sens de l’absence totale de motifs27. Ce grief est constitutif d’un vice de forme28.

25 Pièce n° 18 de Me Gérard TURPEL.

26 P. ex. Cass 19 mai 2022, numéro CAS-2021-00085 du registre.

27 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.31.

28 Cass. 29 janvier 2009, n° 2592 du registre.

Aux termes de son moyen, la demanderesse en cassation considère que le « défaut [par les juges du fond] de prise en considération de pièces produites au débat » constitue un défaut de motifs. Or, si le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs, il n’en est pas de même du « défaut de prise en considération de pièces produites au débat ». Le rejet par le juge de pièces versées aux débats par une partie peut, le cas échéant, constituer une violation des dispositions légales relatives au principe du contradictoire et à la communication des pièces, lorsqu’il n’est pas ordonné pour un motif légitime. Constitue un motif légitime de rejet d’une pièce le défaut de communication de cette pièce en temps utile29 ou le cas de figure d’une pièce dont la production n’est pas légalement admissible30. Votre Cour a considéré dans ce contexte que violait le principe du contradictoire inscrit à l’article 65 du Nouveau code de procédure civile, le refus du juge de tenir compte de pièces supplémentaires versées aux débats contradictoires, au motif qu’elles n’avaient pas été communiquées à l’expert antérieurement au dépôt de son rapport d’expertise31. Par contre, le « défaut de prise en considération de pièces produites au débat » ne saurait être sanctionné au titre du défaut de motifs que pour autant que la décision du juge de rejeter les pièces considérées n’est pas motivée32. Or, en l’espèce, la demanderesse en cassation n’allègue pas que la décision de rejeter les pièces en question n’ait pas été motivée. Elle fait grief aux juges d’appel d’avoir « écarté du débat, sinon omis de prendre en considération une pièce versée par [elle] ».

Il en suit que les dispositions légales visées au moyen sont étrangères au grief invoqué et que le moyen est, à ce titre, irrecevable.

A titre plus subsidiaire, il est relevé que la pièce litigieuse fait état d’un grand nombre de factures qui s’y trouvent annexées et qui seraient en rapport avec la construction d’un hall de stockage par SOCIETE1.) S.A. sur le terrain litigieux. Or, l’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :

« Les intimés contestent ensuite les chefs de préjudice susmentionnés dans leur principe et dans leur quantum et maintiennent que le hangar dont il s’agit a été construit par le couple GROUPE1.) et qu’il se trouvait en bon état au moment du compromis de vente litigieux.

29 Article 282 du Nouveau code de procédure civile.

30 p.ex. pour des raisons qui tiennent au secret professionnel ou à celui des affaires, au respect de la vie privée, de la loyauté, du secret de l’inscription ou encore au principe de proportionnalité : cf. Répertoire Dalloz de procédure civile, A. BOLZE, Communication de pièces, n°s 61 et 62.

31 Cass. 3 décembre 2020, n° CAS-2019-00175 du registre.

32 Cass. 30 juin 2022, n° CAS-2021-00116 du registre (réponse au troisième moyen de cassation).

La Cour constate que le montant que l’appelante affirme avoir dépensé au titre d’impenses « faites dans le hangar » est encore beaucoup plus élevé que le montant que l’appelante affirme, dans un autre contexte, avoir investi dans le hangar, pour en demander la déduction dans l’évaluation du hangar, à savoir 344.980,55 euros, et cela sans s’expliquer sur la raison de cette différence.

Ainsi que cela a été retenu dans des motifs énoncés plus haut, l’appelante ne prouve pas avoir effectué ces impenses pour la rénovation du hangar en cause.

La consistance du préjudice allégué du chef de « perte d’outil de travail » n’est étayée par aucun élément probant. »33 Les motifs auxquels les juges d’appel renvoient plus haut dans leur jugement se lisent comme suit :

« La teneur de la grande majorité des factures versées aux débats par l’appelante ne permet pas de retenir que celles-ci se rapporteraient à des travaux effectués au hangar en cause, outre qu’elles comportent une facture d’un montant de 328.000 euros TTC, émise par la société SOCIETE2.), société étroitement liée à SOCIETE1.), ayant son siège social à la même adresse. »34 Il résulte de ces motifs que la Cour d’appel, a considéré que les factures versées en cause ne prouvaient pas la réalité des impenses que SOCIETE1.) S.A. prétendait avoir faites pour la rénovation du hangar, de sorte que son préjudice n’était pas établi.

Le moyen procède ainsi d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris. La Cour d’appel n’a pas écarté la pièce en cause, et n’a pas négligé de la prendre en considération, mais a considéré, en vertu des motifs reproduits ci-dessus, que la pièce n’établissait pas le préjudice que SOCIETE1.) S.A. alléguait avoir subi.

Il en suit qu’à titre plus subsidiaire, le moyen manque en fait, sinon n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable.

33 Arrêt entrepris, page 25.

34 Arrêt entrepris, page 17, dernier alinéa.

Le troisième moyen de cassation est fondé.

L’arrêt entrepris encourt la cassation.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Marc HARPES 23


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50/23
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-05-04;50.23 ?

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