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16/03/2023 | LUXEMBOURG | N°30/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 16 mars 2023, 30/23


N° 30 / 2023 du 16.03.2023 Numéro CAS-2022-00054 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize mars deux mille vingt-trois.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), pris en sa qualité de liquidateur de la société à responsabilité

limitée SOCIETE1.)., liquidée, ayant eu son siège social à L-

ADRESSE1.), dema...

N° 30 / 2023 du 16.03.2023 Numéro CAS-2022-00054 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, seize mars deux mille vingt-trois.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), pris en sa qualité de liquidateur de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.)., liquidée, ayant eu son siège social à L-

ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1. PERSONNE2.), demeurant à F-ADRESSE2.), 2. PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE3.), 3. PERSONNE4.), demeurant à F-ADRESSE4.), défendeurs en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée SOCIETE2.), inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour.

_____________________________________________________________

Vu le jugement attaqué, numéro 2021TALCH14/00116, rendu le 13 octobre 2021 sous le numéro TAL-2020-07590 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 31 mai 2022 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), à PERSONNE3.) et à PERSONNE4.), déposé le 3 juin 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 20 juillet 2022 par PERSONNE5.), PERSONNE6.) et PERSONNE4.) à PERSONNE1.), déposé le 28 juillet 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général MAGISTRAT6.).

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le juge de paix de Luxembourg avait condamné le demandeur en cassation à payer aux défendeurs en cassation des dommages-intérêts au titre des fautes commises par lui en sa qualité de liquidateur d’une société. Le Tribunal d’arrondissement a confirmé ce jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 679 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile, pris ensemble avec l'article 38 du Règlement 44/2001 du Conseil du 22 Décembre 2000.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d'avoir estimé que pour pouvoir déclarer exécutoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg la créance alléguée d'EUR 8.843,92 fixée par les juridictions françaises, la procédure d'exequatur au Luxembourg était inopérante en raison de l'établissement d'un procès-verbal de carence, élément dont les juges du second degré en ont déduit l'engagement de la responsabilité du liquidateur de la société SOCIETE1.) (précitée) pour défaut de paiement de la créance susvisée au jour de la radiation de la société précitée.

2 Alors que pour les procédures introduites avant le 10 janvier 2015 ;

l'exequatur est une obligation légale, d'ordre public, indérogeable, prévue tant par l'article 679 du Nouveau Code de Procédure Civile que par le Règlement CE 44/2001 du Conseil du 22 Décembre 2000, à laquelle est soumise préalablement toute décision rendue par un Etat membre de l'Union Européenne aux fins de la rendre exécutoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Qu'en effet, pour les procédures introduites avant le 10 Janvier 2015, la procédure d'exequatur prévue par l'article 679 du NCPC est applicable de plein droit, sans dérogation possible.

Que l'obligation d'exequatur ressort effectivement d'un Règlement Européen, le Règlement 44/2001 du Conseil du 22 Décembre 2000 et qui impose, à titre de validité d'une mesure de recouvrement dans un autre Etat membre, une procédure préalable de reconnaissance dans cet Etat membre de la décision rendue par une juridiction d'un autre Etat Membre et devenue exécutoire dans cet Etat.

Qu'aucun jugement, même exécutoire, dans un autre Etat Membre ne saurait permettre l'exécution de la décision sur le territoire d'un autre Etat Membre sans avoir mené à bien la procédure spécifique dite de l'exequatur tel que définie à l'article 679 du Nouveau Code de procédure Civile.

Qu'aucun texte n'est visé par la partie défenderesse en cassation, ni par le Ministère Public, pour permettre une telle dérogation.

Que par ailleurs, le règlement 1215/2015 du 12 décembre 2012 n'est pas applicable, car la demande initiale a été introduite avant le 10 Janvier 2015.

Que la procédure de reconnaissance sur titre exécutoire européen ne peut substituer la procédure d'exéquatur prévue à l'article 38 du règlement 44/2001 du conseil du 22 décembre 2000.

Qu'en effet, le règlement 805/2004 du Conseil du 21 Avril 2004 ne prévoit cette facilité que pour les créances incontestées.

Que l'article 3 du règlement 805/2004 prévoit qu'est réputée incontestée la créance :

a) si le débiteur l'a expressément reconnue en l'acceptant ou en recourant à une transaction qui a été approuvée par une juridiction ou conclue devant une juridiction au cours d'une procédure judiciaire ; ou b) si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'État membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire ; ou c) si le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à cette créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une 3reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'État membre d'origine ; ou d) si le débiteur l'a expressément reconnue dans un acte authentique.

Qu'aucune de ces conditions n'est remplie en l'espèce ; la simple lecture des décisions présentées par la partie Intimée démontre qu'à chaque instance la partie SOCIETE1.) Sarl, précitée, a toujours constitué avocat et a toujours virulemment contesté redevoir une quelconque somme à la partie demanderesse.

Qu'en cas de doute sur l'interprétation à conférer sur l'application de l'article 38 du Règlement 1215/2015 du 12 Décembre 2012, il appartiendra à la juridiction de céans de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne « CJUE », de la question préjudicielle suivante :

doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à toute mesure nationale permettant de réaliser des mesures d'exécutions forcées, et plus généralement de rendre exécutoire une sentence rendue auprès d'une juridiction d'un Etat Membre, sans avoir entrepris la procédure d'exéquatur dans l'autre Etat Membre où l'exécution est requise ? » Que la Cour de Justice de l'Union Européenne doit être saisie obligatoirement sur le fondement de l'article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.

Que la CJUE rappelle, en particulier, que l'obligation de la saisir d'une question préjudicielle que prévoit l'article 267, troisième alinéa, TFUE à l'égard des juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours s'inscrit dans le cadre de la coopération, instituée en vue d'assurer la bonne application et l'interprétation uniforme du droit de l'Union dans l'ensemble des États membres, entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l'application du droit de l'Union (C-561/19 Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi, 6 octobre 2021) et la CJUE.

Que le défaut de mise en œuvre de la procédure d'exequatur entraînait l'absence d'exigibilité de la créance alléguée par la partie défenderesse sur le territoire du Grand-duché de Luxembourg.

Qu'à défaut d'exigibilité, le liquidateur qui n'est tenu qu'à procéder au règlement des dettes certaines, liquides et exigibles, n'a commis aucun impair dans ses obligations.

Qu’en statuant comme ils l'ont fait, en affirmant que la procédure d'exéquatur était inopérante à partir du moment ou un procès-verbal de carence dans l'exécution de la créance étrangère (française) et d'en déduire que la responsabilité du liquidateur devait être engagée en conséquence pour défaut de son règlement au jour de la radiation de la société SOCIETE1.) (précitée), les juges du second degré ont violé les textes susvisés. ».

4Réponse de la Cour En condamnant le demandeur en cassation, pris en sa qualité de liquidateur d’une société, à payer aux défendeurs en cassation, au titre de dommages-intérêts pour mauvaise exécution de son mandat de liquidateur, l’équivalent du montant au paiement duquel cette société avait été condamnée par les juridictions françaises au profit des défendeurs en cassation, les juges d’appel n’ont pas conféré force exécutoire aux décisions françaises en question, mais se sont limités, conformément à l’article 33 du règlement (CE) No 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, à les reconnaître pour fixer le dommage subi par les défendeurs en cassation.

Le moyen, en ce qu’il procède d’une lecture erronée du jugement attaqué, manque en fait.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation.

Monsieur le Président MAGISTRAT1.) et Madame le conseiller MAGISTRAT2.), qui ont participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

5La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller MAGISTRAT3.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT7.) et du greffier GREFFIER1.).

6 Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ 1) PERSONNE2.) 2) PERSONNE3.) 3) PERSONNE4.) (affaire n° CAS-2022-00054 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 3 juin 2022 d’un mémoire en cassation, signifié le 31 mai 2022 aux parties défenderesses en cassation, est dirigé contre un jugement numéro 2021TALCH14/00116 rendu contradictoirement en date du 13 octobre 2021 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel dans la cause inscrite sous le numéro TAL-2020-07590 du rôle.

Les parties défenderesses en cassation ont signifié un mémoire en réponse le 20 juillet 2022 qui a été déposé au greffe de la Cour le 28 juillet 2022.

La recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.

Il attaque un jugement du tribunal d’arrondissement ayant statué en appel, donc en dernier ressort, et ayant tranché tout le principal.

Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.

Les faits et les antécédents procéduraux Le 24 mai 2005, les défendeurs en cassation ont vendu à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.). (ci-après « SOCIETE1.) ») une maison d’habitation sise à 1 Il résulte des pièces versées que le jugement attaqué a été signifié au demandeur en cassation le 6 avril 2022, de sorte que le délai de deux mois prévu par l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation a été respecté.

2 Le demandeur en cassation a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié aux parties adverses antérieurement à son dépôt, de sorte que ces formalités, prévues par l’article 10, alinéa 1, de la loi précitée de 1885, ont été respectées.

7LIEU1.) en France. Consécutivement à cette vente, l’acquéreuse a engagé une procédure judiciaire pour vices cachés à l’encontre des vendeurs en France.

Suivant jugement du Tribunal de grande instance de Thionville du 9 mai 2011, SOCIETE1.) a été déboutée de ses prétentions et elle a été condamnée au paiement d’une indemnité de procédure de 3.500 euros ainsi qu’aux frais et dépens de l’instance. Ce jugement a été confirmé en appel par arrêt du 27 juin 2013 de la Cour d’appel de Metz et SOIETE1.) a été condamnée au paiement d’une indemnité de procédure de 1.000 euros. Par arrêt du 10 mars 2015, la Cour de cassation française a rejeté un pourvoi introduit par SOCIETE1.) et a condamné celle-ci au paiement d’une indemnité de procédure de 3.000 euros.

Le recouvrement au Luxembourg des indemnités allouées, des frais et dépens, dûment taxés au montant de 1.012,82 euros et des frais d’huissier de 331 euros a été infructueux, l’huissier de justice luxembourgeois ayant dû établir des procès-verbaux de carence.

Le 22 novembre 2018, SOCIETE1.) a décidé sa liquidation volontaire et PERSONNE1.), jusque-là gérant, a été nommé liquidateur. La liquidation a été clôturée en décembre 2018 et SOCIETE1.) a été rayée du Registre de commerce et des sociétés le 20 décembre 2018.

Par exploit d’huissier de justice du 3 avril 2019, les défendeurs en cassation ont donné citation au demandeur en cassation à comparaître devant le tribunal de paix de Luxembourg aux fins de voir engager sa responsabilité en tant que liquidateur et de le voir condamner à leur payer le montant de 8.843,82 euros, outre les intérêts.

Cette demande était basée sur l’article 1100-13 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales (ci-après « LSC »)3, sinon sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Par jugement du 11 décembre 2019, la demande a été déclarée fondée motif pris qu’en procédant à la clôture des opérations de liquidation de SOCIETE1.) sans provisionner préalablement la créance litigieuse des défendeurs en cassation, dont il devait nécessairement avoir connaissance ou, du moins, qu’il ne pouvait ignorer, le liquidateur a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions de nature à engager sa responsabilité au sens de l’article 1100-13 LSC.

L’appel interjeté contre ce jugement a été déclaré non fondé par jugement du 13 octobre 2021. Pour statuer ainsi, le tribunal d’arrondissement a retenu que la liquidation amiable d’une société impose l’apurement intégral du passif, y compris les provisions pour les créances litigieuses, que si, lors de la liquidation, il s’avère que l’actif de la société n’est pas suffisant pour apurer le passif, le liquidateur ne peut clôturer la liquidation et que la dette de la société n’a pas besoin d’être exigible au moment de la clôture de la liquidation et elle peut même être simplement éventuelle. Selon les juges d’appel, le demandeur en 3 Article 1100-13 LSC : « Les liquidateurs sont responsables, tant envers les tiers qu'envers la société, de l'exécution de leur mandat et des fautes commises dans leur gestion ».

8cassation, en sa qualité préalable de gérant, a eu connaissance des procédures introduites par SOCIETE1.) ainsi que des condamnations prononcées à l’encontre de celle-ci.

Le moyen tiré du défaut d’exigibilité de la créance des défendeurs en cassation, faute d’un jugement dûment exéquaturé, a été déclaré inopérant dans la mesure où les défendeurs en cassation ont échoué à exécuter leur créance au regard du procès-verbal de carence du 4 septembre 2017. Le tribunal a ajouté qu’imposer dans ces circonstances aux défendeurs en cassation de lancer une procédure d’exéquatur, reviendrait à leur imposer des frais supplémentaires qui, en définitive, seraient à la charge du demandeur en cassation.

Le moyen du demandeur en cassation selon lequel la créance aurait été dûment provisionnée n’a pas été accueilli par le tribunal. Après analyse de plusieurs cas de figure possibles, les juges d’appel ont conclu qu’en toute hypothèse, le liquidateur a commis une faute en relation causale avec le dommage subi par les défendeurs en cassation.

Le présent pourvoi est dirigé contre le jugement précité du 13 octobre 2021.

Sur l’unique moyen de cassation Le moyen est tiré de la violation des articles 679 et suivants du Nouveau Code de procédure civile, pris ensemble avec l’article 38 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après « Règlement Bruxelles I »), en ce que les juges d’appel ont estimé que pour pouvoir déclarer exécutoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg la créance alléguée de 8.843,92 euros fixée par les juridictions françaises, la procédure d’exéquatur au Luxembourg était inopérante en raison de l’établissement d’un procès-verbal de carence, élément dont les juges d’appel ont déduit l’engagement de la responsabilité du liquidateur pour défaut de paiement de la créance au jour de la radiation de la société, alors que pour les procédures introduites avant le 10 janvier 2015, l’exéquatur est une obligation légale et d’ordre public à laquelle est soumise préalablement toute décision rendue par un Etat membre de l’Union européenne aux fins de la rendre exécutoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Le juge de paix et les juges d’appel ont été saisis d’une action en responsabilité dirigée contre le liquidateur de SOCIETE1.) auquel il était reproché d’avoir clôturé la liquidation de SOCIETE1.) nonobstant l’existence connue d’une dette non réglée dans le chef de la société.

La demande tendait à l’allocation de dommages et intérêts et non pas au recouvrement de la créance en cause.

9Après avoir exposé la doctrine et la jurisprudence pertinentes en matière de responsabilité du liquidateur, les juges d’appel ont motivé leur décision comme suit :

« Tel que relevé à bon droit par le premier juge, PERSONNE1.), en sa qualité de gérant, a eu connaissance des procédures introduites par la société SOCIETE1.) ainsi que des condamnations prononcées à l’encontre de la société.

PERSONNE1.) réitère en instance d’appel son moyen tiré du défaut d’exigibilité de la créance des consorts GROUPE1.), faute d’un jugement dûment exéquaturé.

Contrairement à la position soutenue par PERSONNE1.), et par adoption des motifs du jugement entrepris, le moyen tiré du défaut d’exéquatur de la décision judiciaire française est inopérant dans la mesure où les consorts GROUPE1.) ont échoué à exécuter leur créance au regard du procès-verbal de carence dressé le 4 septembre 2017 par l’huissier de justice HUISSIER DE JUSTICE1.).

Il convient de rajouter qu’imposer dans ces circonstances aux consorts GROUPE1.) de lancer une procédure d’exéquatur, reviendrait à leur imposer des frais supplémentaires qui, en définitif, seraient à la charge de PERSONNE1.).

PERSONNE1.) soutient que sa responsabilité ne saurait être engagée car il aurait dûment provisionné la créance des consorts GROUPE1.).

Suivant le bilan de clôture de la société SOCIETE1.)., la somme de 8.844.- euros a été inscrite au titre de « autres dettes dont la durée résiduelle est supérieure à un an ».

Soit cette somme ne concerne pas la créance de 8.843,82 euros des consorts GROUPE1.), dans cette hypothèse, par confirmation du jugement entrepris, le liquidateur commet une faute en relation causale avec le préjudice subi par les intimés, en s’abstenant de prévoir une provision lors de la liquidation.

Soit cette somme concerne la créance provisionnée des consorts GROUPE1.), alors PERSONNE1.) a également commis une faute en clôturant la liquidation de la société SOCIETE1.)., sans avoir payé les intimés.

PERSONNE1.) n’a en effet à aucun moment prétendu que l’actif de la société liquidée aurait été insuffisant pour désintéresser les consorts GROUPE1.), de sorte qu’il y a lieu de présumer, - à l’instar du premier juge -, que l’actif de la société SOCIETE1.). a été suffisant pour désintéresser tous les créanciers.

Par ailleurs, PERSONNE1.) ne soutient nullement que l’argent provisionné serait toujours à la disposition des intimés.

Si cependant l’actif de la société liquidée s’est néanmoins avéré insuffisant pour désintéresser tous les créanciers, alors PERSONNE1.) a aussi commis une faute en relation causale avec le préjudice des consorts GROUPE1.).

10 Lorsque faute d'actif social suffisant, la provision nécessaire pour garantir une créance litigieuse ne peut pas être constituée, le liquidateur doit différer la clôture de la liquidation et solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société ; à défaut, le créancier pourrait engager sa responsabilité (cf. Fasc. 31-20 : LIQUIDATION DES SOCIÉTÉS. – Mise en œuvre de la liquidation, n° 106).

Le liquidateur commettrait également une faute engageant sa responsabilité si, connaissant les créanciers, il procédait sciemment au paiement de certains d'entre eux à l'exclusion des autres en sachant que l'actif ne peut suffire à régler la totalité du passif.

Il ressort ainsi des développements antérieurs, qu’en toute hypothèse, PERSONNE1.) a commis une faute en relation causale avec le dommage subi par les consorts GROUPE1.). » Les juges d’appel ne se sont pas prononcés expressément sur la question de savoir si la créance des défendeurs en cassation devait être payée parce qu’elle était exigible sur base des décisions françaises exécutoires au Luxembourg ou si, au contraire, elle n’était pas exigible et ne devait faire l’objet que d’une provision. Ils ont simplement constaté que, dans toutes les hypothèses visées, le liquidateur a commis une faute au sens de l’article 1100-13 LSC.

Se basant sur la jurisprudence et doctrine en vertu desquelles même une créance purement éventuelle doit faire l’objet d’une provision par le liquidateur, les juges d’appel n’ont pas dû analyser si la créance invoquée était exécutoire au Luxembourg nonobstant l’absence d’une procédure d’exequatur. La question de l’exéquatur n’était pas pertinente pour leur appréciation de l’existence d’une faute dans le chef du liquidateur.

Il en découle que le moyen de cassation ne tend qu’à remettre en cause, sous le couvert de la violation des dispositions légales visées ayant trait à l’obligation d’exequatur, l’appréciation souveraine par les magistrats d’appel de l’existence d’une faute dans le chef du liquidateur. Le moyen invoqué ne saurait partant être accueilli.

A titre subsidiaire, et pour autant que le moyen critique le fait que les juges d’appel ont pris en considération l’existence même de la créance au paiement de laquelle SOCIETE1.) a été condamnée par les décisions françaises et cela nonobstant l’absence d’exéquatur, il est à déclarer non fondé en raison des développements suivants.

Comme le Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 20154, la reconnaissance et l’exécution des décisions françaises en cause en l’espèce restent régies par le Règlement Bruxelles I.

4 Voir article 66 11En vertu de l’article 33 du Règlement Bruxelles I, les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres, sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L'efficacité internationale d'une décision étrangère n’est donc pas soumise à un contrôle préalable. Ce n'est que s'il y a contestation de la régularité de la décision invoquée qu'il y a lieu de recourir à une procédure5.

La reconnaissance d’une décision étrangère se distingue de son exécution qui reste soumise, sous le régime du Règlement Bruxelles I, à l’exigence d’une procédure d’exequatur. Dans ce contexte, l’article 685-1 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « Les décisions judiciaires en matière civile et commerciale rendues dans un Etat membre de l’Union européenne qui y sont exécutoires et qui aux termes du Règlement (…) (Bruxelles I) remplissent les conditions pour être reconnues et exécutées au Luxembourg, sont rendues exécutoires dans les formes prévues par ce Règlement ».

Les notions de reconnaissance et d’exécution ne sont pas définies par le Règlement Bruxelles I.

L’exécution d'une décision est la possibilité qu'elle offre de parvenir à la réalisation du droit qu'elle consacre grâce à une contrainte publique sur les personnes ou sur les biens6.

La reconnaissance de plein droit a pour effet de faire produire, dans tout État membre, à un jugement qui a été rendu dans un autre État membre, les effets qui lui sont attachés dans cet État, au moment même où le jugement a été rendu. La Cour de justice a souligné que « la reconnaissance doit avoir pour effet d'attribuer aux décisions l'autorité et l'efficacité dont elles jouissent dans l'État où elles ont été rendues »7.

La doctrine en déduit au moins deux éléments : d'une part, l'attribution à la décision étrangère de l'autorité « négative » de la chose jugée, de sorte que cette décision peut être invoquée au soutien d'une exception de chose jugée pour faire obstacle à une nouvelle demande au fond et d'autre part, l'admission de l'« efficacité substantielle » du jugement étranger (dite aussi « force obligatoire » ou « autorité positive de chose jugée »), c'est-à-dire l'insertion dans un État de la situation juridique que la décision étrangère a déclarée ou constituée (par exemple, la constatation de l'existence d'une créance ou d'un droit de propriété, la résolution d'un contrat ….)8.

A cela s’ajoute qu’il convient de distinguer l’« efficacité substantielle » du jugement étranger de ses « effets de fait ». Ainsi a-t-il été retenu par la Cour de cassation française qu’« un jugement étranger produit en France des effets, en tant que fait juridique, 5 Aux termes du considérant n° 16 du Règlement Bruxelles I « la confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un Etat membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure ».

6 Répertoire de droit européen, Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale – Danièle ALEXANDRE ; André HUET – Octobre 2019 (actualisation : Avril 2022), n° 335 7 CJUE (anciennement CJCE), 4 février 1988, Hoffmann, C-145/86, n°10.

8 Répertoire de droit européen, Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, op. cit., n° 335.

12indépendamment d'une vérification de sa régularité internationale par une procédure de reconnaissance ou d'exequatur »9.

Dans le contexte des jugements étrangers non soumis au régime du Règlement Bruxelles I, il a été jugé en droit luxembourgeois qu’ « en vertu de l’article 678 du Nouveau Code de procédure civile, les jugements rendus par les tribunaux étrangers sont soumis à la formalité de l’exequatur pour pouvoir produire un effet juridique dans le Grand-

Duché » et qu’« en l’absence d’exequatur, ces jugements font foi, jusqu’à preuve contraire, de leur contenu et produisent tous les effets, ne comportant aucun acte matériel d’exécution et bénéficient d’une espèce de reconnaissance « prima facie » »10.

La différence entre le simple effet de fait que produit un jugement étranger et son efficacité substantielle n’est pas aisée et il règne de ce fait une certaine confusion11.

En tout état de cause, le demandeur en cassation n’a jamais soutenu que les arrêts de la Cour d’appel de Metz et de la Cour de cassation française ne bénéficieraient pas d’une reconnaissance automatique au Luxembourg, ni qu’il ne faudrait pas leur attribuer une efficacité substantielle au sens ci-dessus.

Comme, en l’espèce, la question d’une exécution forcée au Luxembourg des décisions françaises ne se posait pas, le moyen tiré de l’absence d’exéquatur n’était pas pertinent et la créance des défendeurs en cassation pouvait valablement être prise en considération par les juges d’appel.

A titre surabondant, il y a lieu de relever que les pièces versées par les défendeurs en cassation établissent qu’en date du 29 juin 2015 et en vertu du Règlement (CE) n° 805/2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, la Cour d’appel de Metz a établi un titre exécutoire européen concernant son arrêt du 27 juin 2013 et que, sur cette base, un procès-verbal de saisie-exécution, ayant dû être converti en procès-verbal de carence, a été signifié à SOCIETE1.) en date du 14 septembre 2015.

Dans l’arrêt attaqué, les juges d’appel ont encore fait état d’un deuxième procès-verbal de carence dressé le 4 septembre 2017 qui n’est cependant pas versé en tant que pièce.

Or, une saisie-exécution est une procédure qui consiste pour un créancier muni d’un titre exécutoire de mettre sous mains de justice les biens meubles corporels de son débiteur 9 Cass. fr. com., 4 octobre 2005, n° 02-18.201; Rev. crit. DIP 2006, p. 405, note H. Muir Watt; Cass. fr., 1re ch.

civ., 22 janvier 2009, Rev. crit. DIP 2009, p. 533, note H. Muir Watt. L’arrêt du 22 janvier 2009 a encore retenu que « pour dire établie la cession des droits d’auteur au profit de X sur le modèle de jouet en cause, justifiant de la qualité de celui-ci à agir en contrefaçon, la cour d’appel retenant que la décision étrangère produisait en France son effet n’a fait que prendre en compte l’effet de fait de celle-ci ».

10 Cour d’appel, 4 février 2010, n° 34511 du rôle ; Pas. 35, p. 145.

11 Voir dans ce contexte Cass fr., 1re ch. civ., 22 mars 2012, D. 2012, p. 873, Rev. crit. DIP, 2012, p. 984, note H.

Muir Watt. Cet arrêt a retenu que « attendu que la cour d’appel, ayant constaté que X faisait valoir que l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 24 avril 2001 l’avait déclaré titulaire de ses droits d’auteurs sur l’objet litigieux, a exactement jugé que X se prévalait non pas d’un simple effet de fait mais de l’efficacité substantielle de cette décision belge, qui, contestée, requérait d’être reconnue en France ; que le grief n’est pas fondé ».

13afin de les faire vendre lors d’une vente aux enchères publiques en vue d’être payé de sa créance grâce au produit de la vente publique12. Elle a pour objet et finalité l’exécution forcée d’une décision de justice13. Il résulte des termes de l’article 719 du Nouveau Code de procédure civile14 qu’une saisie-exécution ne peut être pratiquée que si le créancier dispose à l’encontre du débiteur poursuivi d’un titre exécutoire15.

Il faut en déduire que les défendeurs en cassation disposent d’un titre exécutoire en ce qui concerne les condamnations prononcées en leur faveur, de telle manière que le moyen tiré du défaut d’exéquatur s’avère même sans objet.

Le demandeur en cassation conclut encore à voir poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne :

« L’article 38 du Règlement 1215/2015 du Conseil du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à toute mesure nationale permettant de réaliser des mesures d’exécutions forcées, et plus généralement de rendre exécutoire une sentence rendue auprès d’une juridiction d’un Etat membre, sans avoir entrepris la procédure d’exéquatur dans l’autre Etat membre où l’exécution est requise ? ».

Cette formulation contient une erreur matérielle étant donné qu’est visé l’article 38 du Règlement Bruxelles I.

L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que :

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. » La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’obligation de renvoi n’existe pas si la question posée est dénuée de pertinence, si elle trouve sa réponse dans une jurisprudence antérieure ou si « l'application correcte du droit communautaire peut 12 Th. Hoscheit, « La saisie-exécution », Annales de droit luxembourgeois, 2007-2008, p. 342, n°2.

13 Idem, p. 345, n° 5.

14 Article 719 du Nouveau Code de procédure civile : « toute saisie-exécution sera précédée d’un commandement à la personne ou au domicile du débiteur, fait au moins un jour avant la saisie, et contenant notification du titre, s’il n’y déjà été notifié ».

15 Th. Hoscheit, « La saisie-exécution », op. cit., p. 346, n° 5 et 6.

14s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée »16.

En l’espèce, la question préjudicielle telle que libellée est dénuée de pertinence étant donné que la demande des défendeurs en cassation ne tendait pas à des mesures d’exécution forcée des décisions françaises sur le territoire luxembourgeois. Il n’y a donc pas lieu à saisine de la Cour de justice de l’Union européenne par voie d’un renvoi préjudiciel.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général MAGISTRAT6.) 16 CJUE (anciennement CJCE), 6 octobre 1982, C-283/81.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30/23
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-03-16;30.23 ?

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