N° 26 /2023 du 09.03.2023 Numéro CAS-2022-00061 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, neuf mars deux mille vingt-trois.
Composition:
MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, GREFFIER1.), greffier à la Cour.
Entre l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, pris en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’emploi, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-ADRESSE1.), sinon par le Ministre du Travail, ayant ses bureaux à L-
ADRESSE2.), demandeur en cassation, comparant par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE3.), défendeur en cassation, comparant par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
Vu l’arrêt attaqué, rendu le 21 avril 2022 sous le numéro 2022/0142 (No. du reg.: COMIX 2021/0259) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 27 juin 2022 par l’ETAT DU GRAND-
DUCHE DE LUXEMBOURG à PERSONNE1.), déposé le 27 juin 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 25 août 2022 par PERSONNE1.) à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, déposé le 26 août 2022 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général MAGISTRAT6.).
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, PERSONNE1.) bénéficiait depuis 2012 du statut de travailleur en reclassement professionnel externe. Ayant été engagé en août 2017 par la société SOCIETE1.) déclarée en état de faillite le 1er février 2018, le défendeur en cassation saisissait la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail (ci-après « la COMIX ») aux fins de continuer à bénéficier d’un reclassement professionnel externe. Cette demande fut rejetée par la COMIX dont la décision fut confirmée par le Conseil arbitral de la sécurité sociale.
Sur appel, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, « dit que c’est à tort que la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail a refusé le maintien du statut de reclassé externe à PERSONNE1.) ».
Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article l.551-6 (3) du Code du Travail en ce que la Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a déclaré :
au maintien de son statut de reclassé externe sur base d'un autre texte, à savoir l'article L. 551-6 (3) du code du travail. Cet article prévoit que : "Le salarié en reclassement professionnel externe qui perd son nouvel emploi pour une raison indépendante de sa volonté, garde son statut de personne en reclassement professionnel à condition de s'inscrire, endéans les vingt jours à partir de la fin du contrat de travail, comme demandeur d'emploi … ".
Cet article a été introduit dans le code du travail par la loi du 23 juillet 2015.
Suivant l'exposé des motifs, l'introduction de cette disposition visait la "Création d'un statut spécifique de salarié en reclassement professionnel externe". Il est précisé que :
"Dans le but de protéger mieux le salarié en procédure de reclassement professionnel externe, un statut spécifique lui est attribué, qui lui garantit le maintien des droits liés à la décision de reclassement professionnel et enlève le risque lié actuellement à la cessation d'un nouveau contrat de travail. Le statut est attribué à partir de la décision de reclassement professionnel externe et prend fin dès la récupération des capacités de travail nécessaires ou dès l'attribution d'une pension, d'une rente ou d'une indemnité de préretraite (Travaux parlementaires n° 6555, exposé des motifs, p. 9). Sous le commentaire des articles, il est ajouté : 'Afin d'éviter que le salarié en reclassement professionnel externe refuse d'occuper un nouveau poste de travail au risque de perdre avec la cessation du nouveau contrat de travail les droits résultant de la décision prise par la Commission mixte, il est créé un statut spécifique de personne en reclassement professionnel. Ce statut garantit au bénéficiaire d'une décision de reclassement professionnel externe le maintien des droits résultant de la décision prise par la Commission mixte tant qu'il n'a pas récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d'occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel. En outre, le médecin du travail compétent a l'obligation de procéder à des évaluations périodiques et de signaler des changements et de proposer des adaptations au niveau du temps de travail et éventuellement au niveau de 1'adaptation du poste de travail de manière à ce que la Commission mixte puisse décider assez rapidement une telle adaptation. C'est la récupération par le salarié de ses capacités lui permettant d'occuper un poste similaire à celui qu'il occupait avant la décision de reclassement professionnel, constatée par le médecin du travail compétent, qui entraîne la perte du statut spécifique et met fin au droit à une indemnité compensatoire ou à une indemnité professionnelle d'attente. Il en est de même si la personne refuse de se soumettre à la réévaluation médicale' (Travaux parlementaires cités, commentaire des articles, p. 25). Le Conseil d'Etat de son côté a noté que : 'Le texte prévoit également un statut spécifique du salarié en reclassement professionnel externe. Ce statut est attribué à partir de la décision de reclassement professionnel externe et prend fin dès la récupération des capacités de travail, ou alors, dès l'attribution d'une pension, d'une rente ou d'une indemnité de préretraite. Les droits du salarié sont ainsi maintenus tant que l'incapacité au dernier poste de travail subsiste' (Travaux parlementaires n° 6555 - 3, avis du Conseil d'Etat, pages 2 et 6).
Il se déduit donc du libellé de l'article L. 551-6 (3) du code du travail, conforté par les travaux parlementaires, qu'il était de l'intention du législateur de continuer à faire bénéficier la personne en reclassement externe de son statut tant qu'elle n'a pas récupéré ses capacités professionnelles antérieures, même en cas de perte de son nouvel emploi.
Quant à l'application de l'article L. 551-6 (3) du code du travail aux faits de l'espèce, il convient de relever que cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2016, par application de son article VI (1er jour du 6ème mois suivant sa publication le 27 juillet 2015).
L'appelant a été admis au statut du reclassement externe le 1er juin 2012. Il a demandé à continuer à bénéficier de ce statut en date du 7 février 2018, ceci lui ayant été refusé par la décision critiquée datée du 8 mars 2018.
A la date de la demande en maintien du statut de reclassé externe, la loi du 23 juillet 2015 était partant en vigueur. C'est donc par application de cette loi qu'il y a lieu de trancher le litige. En effet, l'ETAT ne saurait valablement plaider, d'un côté, que par application de l'ancienne loi, la procédure de reclassement externe a pris fin par le premier contrat de travail signé par l'assuré après l'octroi du statut de reclassé externe et, de l'autre côté, demander à voir néanmoins appliquer l'ancienne loi à la demande en maintien de ce statut au motif que cette loi était en vigueur à la date de la décision initiale accordant le statut de reclassé externe à l'appelant. La demande en maintien du statut de reclassé externe ayant été introduite après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, reposant sur des faits également postérieurs à l'entrée en vigueur de cette loi, c'est la nouvelle loi qui doit trouver à s'appliquer.
Par application des dispositions de l'article L. 551-6 (3) du code du travail, c'est dès lors à tort que la COMIX a refusé le maintien du statut de reclassé externe à l'appelant. L'appel est dès lors fondé et le jugement de première instance est à réformer" ; » alors que l’article L. 551-6 (3) du Code du Travail ne s’applique pas à une demande en maintien de statut de personne en reclassement professionnel formulée par une personne ayant bénéficié d’un reclassement externe avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du Travail et du Code de la Sécurité Sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe, de sorte qu’en statuant comme il l’a fait, le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a violé, sinon fait une fausse application, sinon une fausse interprétation de l’article L. 551-6 (3) du Code du Travail. ».
Réponse de la Cour En retenant que le demandeur en cassation, qui se trouvait en reclassement professionnel externe depuis 2012 et qui avait perdu en 2018 son emploi suite à la faillite de l’employeur, était en droit de solliciter le maintien du statut de reclassé externe en application de l’article L.556-1, paragraphe 3, du Code du travail tel qu’issu de la loi du 23 juillet 2015, entrée en vigueur le 1er juillet 2016, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d'une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
rejette le pourvoi ;
rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître AVOCAT2.), sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président MAGISTRAT1.) en présence du procureur général d’Etat adjoint MAGISTRAT7.) et du greffier GREFFIER1.).
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation ETAT DU GRAND-DUCHE DE Luxembourg contre PERSONNE1.) (CAS-2022-00061) Le pourvoi en cassation introduit par l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, pris en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’Emploi, par un mémoire en cassation signifié le 27 juin 2022 au défendeur en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le même jour, est dirigé contre un arrêt n° 2022/0142 rendu contradictoirement en date du 21 avril 2022 par le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale (n° du registre : COMIX 2021/0259).
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.
L’arrêt contradictoire attaqué a été notifié par la poste le 26 avril 2022 conformément à l’article 458 du Code de la sécurité sociale à la partie demanderesse en cassation. Le délai de deux mois, prévu par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, a partant été respecté.
Le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Le défendeur en cassation a signifié un mémoire en réponse le 25 août 2022 et l’a déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 26 août 2022. Le mémoire en réponse peut être pris en considération pour avoir été déposé dans la forme et le délai prévus aux articles 15 et 16 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Les faits et rétroactes :
Le défendeur en cassation a bénéficié d’un reclassement professionnel externe le 1er juin 2012.
Depuis le 21 août 2017, il a travaillé auprès d’une société qui a été déclarée en état de faillite en date du 1er février 2018, entraînant la perte de son emploi.
En date du 7 février 2018, le défendeur en cassation a demandé à la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail (ci-après la COMIX) de bénéficier de nouveau d’un reclassement externe étant donné qu’il venait de perdre son emploi et que son état de santé ne s’était pas amélioré depuis la décision de reclassement externe du 1er juin 2012.
Par décision du 23 février 2018, la COMIX a refusé d’assimiler le défendeur en cassation à un bénéficiaire d’une décision de reclassement externe par application de l’article L.551-6 du Code du travail.
Saisi d’un recours du défendeur en cassation, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a déclaré le recours non fondé par jugement du 27 août 2021. Il a rappelé qu’en vertu de l’article L.551-
6(2) du Code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2016, le salarié en reclassement interne qui perd son emploi en raison de la cessation de l’activité de l’employeur ou suite à un licenciement collectif, est en droit de saisir la COMIX en vue d’un reclassement professionnel externe. Vu que le requérant aurait fait l’objet d’un reclassement externe et non d’un reclassement interne, cette disposition ne saurait lui être appliquée.
Par requête du 5 octobre 2021, le défendeur en cassation a interjeté appel contre ce jugement.
Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a invité les parties à prendre position par rapport aux dispositions de l’article L.551-6(3) du Code du travail telles qu’introduites par la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe. Le défendeur en cassation s’est référé auxdites dispositions pour voire faire droit à son recours.
Par arrêt du 21 avril 2021, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a reçu l’appel en la forme, l’a déclaré fondé et, réformant, a dit que c’est à tort que la COMIX a refusé le maintien du statut de reclassé externe au requérant.
Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.
Sur le premier et unique moyen de cassation:
Le premier et unique moyen est tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article L.551-6(3) du Code du travail.
L’article L.551-6(3) du Code du travail dispose :
« Le salarié en reclassement professionnel externe qui perd son nouvel emploi pour une raison indépendante de sa volonté, garde son statut de personne en reclassement professionnel à condition de s’inscrire, endéans les vingt jours à partir de la fin du contrat de travail, comme demandeur d’emploi auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi. L’article L.551-5, paragraphe 2 s’applique. » Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir appliqué l’article L.551-6(3) du Code du travail à une demande en maintien de statut de personne en reclassement professionnel formulée par une personne ayant bénéficié d’un reclassement externe avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe (ci-après la loi du 23 juin 2015).
Le défendeur en cassation a bénéficié d’un reclassement professionnel externe le 1er juin 2012.
La loi du 23 juillet 2015 est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. 1 1 En application de l’article VI de la loi, qui dispose que la loi entre en vigueur le 1er jour du 6ème mois suivant sa publication (à l’exception de l’article V). La loi a été publiée au Mémorial A143 en date du 27 juillet 2015.
Le 7 février 2018, le défendeur en cassation a demandé à la COMIX de bénéficier d’un reclassement externe suite à la perte de son emploi survenu le 1er février 2018.
Aux termes de l’article L.551-6(3) du Code du travail, le maintien du statut de personne en reclassement professionnel est soumis à 3 conditions :
1) avoir bénéficié d’un reclassement professionnel externe 2) avoir perdu le nouvel emploi pour une raison indépendante de sa volonté 3) s’être inscrit, endéans les vingt jours à partir de la fin du contrat de travail , comme demandeur d’emploi .
Si le défendeur en cassation a été mis en reclassement professionnel externe avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi du 23 juin 2015, les deux autres conditions se sont réalisées après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Dans le développement du moyen, le demandeur en cassation invoque les dispositions transitoires prévues à l’article IV de la loi du 23 juin 2015. Or, celles-ci ne visent que les personnes bénéficiant d’une indemnité d’attente. Cette indemnité d’attente est réglée si le travailleur n’a pas pu être reclassé sur le marché de l’emploi pendant la période légale du paiement de l’indemnité de chômage complet.
Le défendeur en cassation avait trouvé un emploi et ne touchait pas d’indemnité d’attente. Les dispositions transitoires invoquées ne s’appliquent partant pas.
De même, les travaux parlementaires ayant trait à une proposition d’amendement qui n’a finalement pas été adoptée, ne sont d’aucune pertinence, sauf à relever l’observation du Conseil d’Etat, que « la loi en projet ne s’applique qu’aux cas qui sont traités à partir de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. » En matière d’application de la loi dans le temps, la jurisprudence a dégagé un ensemble de solutions :
« Première règle : la non-rétroactivité de la loi nouvelle pour le passé. Elle est expressément inscrite à l’article 2 du Code civil et la jurisprudence lui donne tous ses effets, qu’il s’agisse de droits d’origine légale ou volontaire.
Seconde règle : l’effet immédiat de la loi nouvelle pour l’avenir. Elle emporte l’application de la loi nouvelle aux situations en cours de constitution et à celles en cours d’effets. Telle est du moins la solution pour les situations non contractuelles. »2 Sont ainsi retenus les principes de solution que « si le passé est en principe régi par la loi ancienne, l’avenir relève en principe de la loi nouvelle. C’est l’effet immédiat de la loi nouvelle. »3 2 Jurisclasseur Code civil, Art. 2, Fasc.20 : Application de la loi dans le temps- Le juge et l’article 2 du Code civil, points-clés 3 idem, n°25-Principes de solution Au niveau de la doctrine, c’est surtout P. Roubier qui a développé la doctrine de l’effet immédiat :
« Roubier analysait quant à lui la loi rétroactive comme celle qui, soit « vient affirmer ou infirmer la valeur juridique de faits ou actes remontant à la loi antérieure, en contrariété de ce que cette loi avait décidé », soit « vient modifier, lorsqu'il s'agit d'une situation juridique échelonnant ses effets sur une certaine période de temps, les effets juridiques qui avaient été produits par cette situation au temps de la loi précédente en conformité de cette loi » (P.
Roubier, Travaux de la Commission de réforme du Code civil, 1948-1949 : Sirey, 1950, p.
270). C'est ce que le texte adopté par la Commission de réforme du Code civil en 1949 proposait de traduire en codifiant le principe de non-rétroactivité : « la loi nouvelle ne modifie pas les conditions d'établissement d'une situation juridique antérieurement créée, ni les conditions d'extinction d'une situation juridique antérieurement éteinte. Elle ne modifie pas non plus les effets produits par une situation juridique au temps où la loi précédente était en vigueur » Ainsi, revenir sur la constitution, l'extinction ou les effets passés d'une situation de droit, c'est faire rétroagir la loi nouvelle ; l'appliquer aux effets à venir d'une situation en cours, c'est lui donner un effet immédiat. En sorte que les questions se reportent sur la mise en œuvre d'une telle distinction. »4 La doctrine de l’effet immédiat repose sur une volonté d’assurer l’unité de la législation :
« La doctrine s'accorde à trouver la justification de l'effet immédiat de la loi nouvelle dans une volonté d'assurer l'unité de la législation. Roubier l'explicitait ainsi : « la raison décisive qui doit nous conduire à admettre le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle, c'est qu'en adoptant le principe contraire, il en résulterait inévitablement que, pour des situations juridiques de même nature, des lois différentes deviendraient compétentes concurremment, à l'intérieur du même pays […]. Le principe de la survie du droit ancien est celui des régimes politiques conservateurs, où on ne modifie pas, par voie de réforme interne, les institutions existantes, où on se borne à édifier des institutions parallèles pour satisfaire à des besoins nouveaux. Mais on ne saurait perdre de vue le caractère de la société moderne, fondée sur le régime de la loi, dans laquelle celle-ci est considérée, non comme un simple reflet des mœurs et des coutumes, mais comme ayant la puissance de réformer ces mœurs et ces coutumes, selon un idéal fourni par l'opinion publique éclairée. Cette soumission au régime de la loi a, pour conséquence directe, l'unité de la législation dans un pays […]. Le régime légal, dans une souveraineté donnée, tend, par la force même des choses, à être un régime unitaire, et c'est pour assurer cette unité de législation qu'il faut appliquer aussitôt la loi, même aux situations en cours » (P. Roubier, préc. n° 6, spéc. n° 70, p. 345 et 346). »5 Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle « se justifie par le double objectif d’assurer le progrès du droit et l’unité de la législation».6 Dans le domaine du droit social, la Cour de cassation française se réfère régulièrement à la notion d’«ordre public social » pour retenir l’application immédiate aux contrats de travail en 4 idem, n°6-Lectures doctrinales 5 idem, n° 27a) Justification-Unité de la législation 6 Dalloz coaching : L’application de la loi dans le temps, Merryl Hervieu cours et conclus avant l’entrée en vigueur de lois nouvelles ayant pour objet d’améliorer la condition ou la protection des salariés.7 C’est à juste titre que l’arrêt attaqué a relevé l’objectif poursuivi par le législateur lors de l’introduction de l’article L.551-6(3) du Code du travail, tel que cet objectif ressort des travaux parlementaires. Cette nouvelle disposition vise à mieux protéger le salarié en procédure de reclassement professionnel externe.8 Le Conseil d’Etat a relevé dans son avis du 25.3.20149 :
« Les auteurs prévoient la création d’un véritable statut de personne en reclassement, afin de garantir au bénéficiaire d’une décision de reclassement professionnel externe le maintien des droits conférés par la Commission mixte, tant qu’il n’aura pas récupéré les capacités de travail dont il jouissait avant la décision de reclassement. Ce statut sera maintenu même si le salarié en question accepte un nouvel emploi, et surtout s’il perd l’emploi en question. Le statut se perd si le salarié récupère ses capacités de travail lui permettant de s’adonner à un poste similaire à celui qu’il occupait avant la procédure de reclassement. » Si l’application immédiate de la nouvelle loi est de principe, elle se justifie a fortiori lorsque la nouvelle loi est plus protectrice des droits du salarié.
En termes de critères de rattachement, il faut se placer au moment de l’acquisition des droits pour déterminer la loi applicable:
« En somme, le point de départ tient en un constat : à l'origine d'un droit, il y a un fait acquisitif. L'accident, par exemple, est à l'origine d'un droit à réparation pour la victime ;
le décès, à l'origine d'une vocation successorale pour l'héritier… Partant, de deux choses l'une. Si le fait acquisitif s'est déjà produit et a donné naissance au droit litigieux, la loi nouvelle ne peut le remettre en cause, sauf à rétroagir. Si au contraire le droit litigieux n'est pas encore né, c'est la loi en vigueur au jour où il naîtra qui le régira sans qu'il y ait lieu à rétroactivité. »10 « Dans la théorie de Roubier, c'est de la phase « dynamique » qu'il s'agit, c'est-à-dire de la phase d'évolution de la situation juridique (V. JCl. Civil Code, Art. 2, fasc. 10 ou JCl.
Notarial Répertoire, V° Lois (en général), fasc. 20). Lorsqu'en effet la situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application dans le temps se pose en termes de non-
rétroactivité de la loi nouvelle. Lorsqu'en revanche la situation est en cours de constitution, en cours d'extinction ou en cours d'effets, la question peut se poser en termes d'application immédiate de la loi nouvelle.
La solution a parfois été explicitement consacrée par la jurisprudence. Elle l'a été en particulier par cet attendu remarqué : « toute loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations extracontractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur 7 Cass., ch.soc., 12 juillet 2000, 98-43.541, publié au bulletin ; Cass., ch. Soc., 7 décembre 2016, 14-24.667, inédit ;
ch.soc. 7 décembre 2016, 14-24.668, inédit 8 Arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale du 21 avril 2022, page 5 9 Doc. Parl. 6555 10 idem, n°8-Acquisition des droits » (Cass. 1re civ., 29 avr. 1960 : Bull. civ. I, n° 218 ; GAJ civ. 1960, t. 1, Dalloz, 12e éd., 2007, n° 6 ; D. 1960, p. 429, note G. Holleaux ; RTD civ. 1960, p. 454, obs. H. Desbois), qui n'est pas resté isolé (rappr. depuis, Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 03-12.644 : JurisData n° 2004-024554 ; Bull. civ. II, n° 344. – Cass. 3e civ., 4 mars 2009, n° 07-20.5789 : JurisData n° 2009-047251 ; Bull. civ. III, n° 58. – Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-22.904 : JurisData n° 2009-048529 ; Bull. civ. IV, n° 76). »11 Les effets futurs des situations juridiques antérieurement créées sont saisis par la loi nouvelle en vertu du principe de l’effet immédiat :
« La loi nouvelle s’applique aux effets à venir, non encore réalisés, des situations légales antérieurement constituées. »12 Dans le cas du défendeur en cassation, son reclassement professionnel externe a été décidé avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi du 23 juin 2015, mais sa perte d’emploi pour une raison indépendante de sa volonté n’est survenue qu’en date du 1er février 2018, partant après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il a saisi la COMIX en date du 7 février 2018 d’une demande tendant à bénéficier de nouveau d’un reclassement externe.
Même si la décision de reclassement professionnel externe dont a bénéficié le défendeur en cassation, est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2015, toujours est-il qu’au moment de l’entrée en vigueur de cette loi, il avait bénéficié d’une décision de reclassement externe. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, aucun événement entraînant la perte des droits liés à la décision de reclassement n’était intervenu.
Ce n’est qu’en raison de la perte du nouvel emploi que la question du maintien du statut de personne en reclassement professionnel se posait. Il s’agit là du « fait acquisitif », c’est-à-dire de l’événement donnant naissance au droit litigieux (droit au maintien des droits liés à la décision de reclassement professionnel en cas de perte d’emploi pour une raison indépendante de sa volonté). Ce droit constitue un effet « à venir, non encore réalisé » d’une « situation légale antérieurement constituée ». L’application de la loi en vigueur au jour de la naissance de ce droit se justifie sur la base des principes énoncés ci-dessus.
En appliquant à la situation créée par la perte d’emploi du défendeur en cassation la nouvelle loi du 23 juin 2015, entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2016, le Conseil supérieur de la sécurité sociale, a correctement appliqué l’article L.556-1(3) du Code du travail.
Le moyen n’est pas fondé.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
11 idem, n° 29- Critères de mise en oeuvre 12 Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général, MAGISTRAT8.) 12