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02/02/2023 | LUXEMBOURG | N°14/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 02 février 2023, 14/23


N° 14 /2023 du 02.02.2023 Numéro CAS-2022-00040 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, deux février deux mille vingt-trois.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT6.), avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre la société civile immobilière SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à

L-

ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociét...

N° 14 /2023 du 02.02.2023 Numéro CAS-2022-00040 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, deux février deux mille vingt-trois.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour d’appel, MAGISTRAT6.), avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre la société civile immobilière SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro E1385, demanderesse en cassation, comparant par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société à responsabilité limitée SOCIETE2.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE2.), représentée par les gérants, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B23096, défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme SOCIETE3.), inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour.

Vu le jugement attaqué, numéro 2022TALCH14/00024, rendu le 16 février 2022 sous les numéros TAL-2020-00224 et TAL-2020-00059 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière d’occupation sans droit ni titre ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 27 avril 2022 par la société civile immobilière SOCIETE1.) à la société à responsabilité limitée SOCIETE2.) (ci-après « la société SOCIETE2.) »), déposé le 28 avril 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 juin 2022 par la société SOCIETE2.) à la société SOCIETE1.), déposé le 24 juin 2022 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général MAGISTRAT7.).

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le juge de paix de Luxembourg, siégeant en matière d’occupation sans droit ni titre, avait dit que la société SOCIETE1.) était occupante sans droit ni titre de vingt emplacements de parking appartenant à la société SOCIETE2.), et l’avait condamnée à libérer lesdits emplacements et à payer une indemnité d’occupation. Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir déclaré l’appel principal non fondé et d’avoir confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le droit de jouissance exclusive sur les vingt places de stationnement accordé à SOCIETE1.) SCI constitue un droit d’usage et non une servitude, aux motifs suivants :

copropriétaires précité que la jouissance exclusive et gratuite sur les emplacements de parking est expressément accordée aux copropriétaires et occupants de l’immeuble à construire sur le lot B1. Les copropriétaires respectivement occupants de l’immeuble à construire sur le lot B1 peuvent dès lors se servir des emplacements de parking situés sur le lot B2, inscrit au cadastre de la commune de LIEU1.), Section B des Bois, sous le numéro 30/3460.

Contrairement à la position soutenue par la société SOCIETE1.), en l’absence de stipulation claire et précise dans l’acte de vente respectivement dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété, le droit de jouissance exclusive lui accordé sur vingt places de stationnement situées sur le lot B2 ne peut être considéré comme constitutif d’une servitude à son bénéfice : la condition que l’usage des emplacements de parking soit en rapport si étroit avec le fonds sur lequel il est établi et qu’il doive nécessairement être un service profitant au fonds sur lequel les bureaux sont situés au troisième étage de l’immeuble implanté au lot B1, fait défaut » alors que, pour la constitution des servitudes conventionnelles comme pour les conventions en général, le juge doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes par elles employés dans l’acte constitutif d’un droit ;

que par conséquent, il appartenait aux juges du fond de rechercher l’intention réelle et commune des parties plutôt que de retenir comme décisive ; qu’il n’existe en effet aucun texte de loi ni aucune norme juridique dont résulterait l’exigence de « stipulation claire et précise » appliquée par le tribunal ; que le principe, applicable aux servitudes conventionnelles (en l’occurrence celles de l’article 691, al. 1er du Code civil) comme aux contrats et obligations conventionnelles en général, est en effet celui du consensualisme, en vertu duquel c’est le consentement mutuel des parties qui suffit pour la formation des conventions et la définition de leurs termes exacts (article 1134, alinéa 1er, du même Code) ; que dès lors, la création par voie conventionnelle d’une servitude n’est pas subordonnée à une , mais est susceptible d’être déduite, par les juges du fond, de l’ensemble des indices dont ils estimeraient pouvoir déduire, par voie d’interprétation de l’acte, que l’intention réelle des parties était de constituer une servitude ;

qu’en ayant décidé le contraire et en ayant refusé en conséquence de rechercher l’intention qu’avaient eue les parties en prévoyant ce droit de jouissance dans les actes, le tribunal a violé l’article 691 (alinéa 1er) en combinaison avec l’article 1134 (alinéa 1er) du Code civil. ».

Réponse de la Cour Par les motifs reproduits au moyen, les juges d’appel n’ont pas érigé la présence d’une stipulation claire et précise dans les actes concernés en condition de constitution de la servitude, mais se sont bornés à constater que la qualification de droit d’usage découlant selon eux des éléments de la cause n’était pas contredite par l’insertion dans les actes concernés d’une stipulation claire et précise contraire.

Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

Il s’ensuit que le moyen manque en fait.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir déclaré l’appel principal non fondé et d’avoir confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le droit de jouissance exclusive sur les vingt places de stationnement accordé à SOCIETE1.) SCI constitue un droit d’usage et non une servitude, aux motifs suivants :

attaché à un fonds, mais ce droit est strictement attaché au propriétaire respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, en fonction de ses besoins personnels.

Le droit de jouissance exclusive sur vingt places de stationnement accordé à la société SOCIETE1.) correspond ainsi à la définition du droit d’usage qui est un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire et lui permettant d’user du bien sur lequel il porte, – en l’espèce les places de stationnement situés sur le lot B2 -, dans les limites de ses besoins personnels liés à l’exploitation de son activité » alors que l’appréciation des juges du fond, selon laquelle le droit d’utiliser et de servir des places de stationnement est strictement attaché au propriétaire respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, est en contradiction avec les mêmes motifs du jugement dont il résulte au contraire que ce droit n’est pas attaché à un fonds ;

qu’en effet dire que les parties ont eu la volonté de constituer un avantage gratuit consistant dans l’usage des places de stationnements au bénéfice des propriétaires respectivement des occupants du bâtiment administratif situé sur le lot B1 est dire que le droit de jouissance est accordé pour l’usage et l’utilité d’un fonds ;

qu’il ne peut donc être strictement attaché à la personne du titulaire du droit de jouissance ;

que les motifs contradictoires s’annulent mutuellement ; que la contradiction de motifs vaut violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code. ».

Réponse de la Cour Le grief de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.

Les juges d’appel ont décidé sur base des éléments leur soumis « que les parties ont eu la volonté de constituer un avantage gratuit consistant dans l’usage des places de stationnement au bénéfice des propriétaires respectivement des occupants du bâtiment administratif situé sur le lot B1 sis à LIEU1.) », caractérisant ainsi l’existence d’un droit de jouissance attaché à la qualité de propriétaire respectivement d’occupant d’un immeuble, quelle que soit l’identité dudit propriétaire ou occupant, pour en déduire « Le droit d’utiliser et de [se] servir des places de stationnement n’est ainsi pas attaché à un fonds, mais ce droit est strictement attaché au propriétaire respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, en fonction de ses besoins personnels. » et qualifier par la suite le droit de jouissance litigieux de « droit d’usage qui est un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire », revêtant partant un caractère intuitu personae.

Les juges d’appel se sont ainsi déterminés par des motifs contradictoires qui s’excluent mutuellement.

Le moyen est partant fondé.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la demanderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

La défenderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen la Cour de cassation casse et annule le jugement attaqué, numéro 2022TALCH14/00024, rendu le 16 février 2022 sous les numéros TAL-2020-00224 et TAL-2020-00059 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière d’occupation sans droit ni titre ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant le jugement cassé et pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, autrement composé ;

condamne la défenderesse en cassation à payer à la demanderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

rejette la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la défenderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître AVOCAT1.), sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute du jugement annulé.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président MAGISTRAT1.) en présence de l’avocat général PERSONNE DE JUSTICE1.) et du GREFFIER1.).

Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre la société civile immobilière SOCIETE.1) et la société à responsabilité limitée SOCIETE.2) (n° CAS-2022-00040 du registre) Par mémoire signifié le 27 avril 2022 à la société à responsabilité limitée SOCIETE.2) (ci-après, la société « SOCIETE2.) ») et déposé le 28 avril 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, agissant pour le compte société civile immobilière SOCIETE1.) S.C.I. (ci-après, la société « SOCIETE1.) »), a formé un pourvoi en cassation contre un jugement rendu contradictoirement le 16 février 2022 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière d’occupation sans droit ni titre et en instance d’appel, dans la cause inscrite sous les numéros TAL-

2020-00224 et TAL-2020-00059 du rôle.

Le pourvoi introduit est recevable au regard des conditions de délai1 et de forme prévues par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois.

Un mémoire en réponse a été signifié le 21 juin 2022 par Maître AVOCAT.2), avocat à la Cour, agissant pour le compte de la société SOCIETE.2), et déposé le 24 juin 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice. Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

1 D’après le mémoire en cassation, non contredit sur ce point par le mémoire en réplique, le jugement entrepris a été signifié à la société SOCIETE1.) le 28 février 2022, de sorte que le pourvoi introduit le 28 avril 2022 l’a été endéans le délai de deux mois prévu à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois, compte tenu des règles de computation des délais prévus aux articles 1256 et suivants du Nouveau code de procédure civile.

Sur les faits et rétroactes :

Par un jugement du 6 novembre 2019, le tribunal de paix de Luxembourg avait dit que la société SOCIETE1.) était occupante sans droit ni titre de vingt emplacements de parking situés sur un parcelle sise à LIEU1.) et l’a condamnée à libérer ces emplacements sous peine d’astreinte.

Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, par un jugement du 16 février 2022, a confirmé le jugement de première instance.

Pour statuer ainsi, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a considéré que le droit d’usage sur les emplacements de parking litigieux accordé à la société SOCIETE1.) suivant acte de vente en état futur d’achèvement du 15 décembre 1987 était expiré en application des articles 619 et 625 du Code civil en vertu desquels le droit d’usage accordé à une personne morale expire au bout de trente ans.

Le pourvoi est dirigé contre le jugement du 16 février 2022.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est libellé comme suit :

« Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir déclaré l’appel principal non fondé et d’avoir confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le droit de jouissance exclusive sur les vingt places de stationnement accordé à SOCIETE1.) SCI constitue un droit d’usage et non une servitude, aux motifs suivants :

« Il est cependant établi au vu de l’acte de dépôt du règlement des copropriétaires précité que la jouissance exclusive et gratuite sur les emplacements de parking est expressément accordée aux copropriétaires et occupants de l’immeuble à construire sur le lot B1. Les copropriétaires respectivement occupants de l’immeuble à construire sur le lot B1 peuvent dès lors se servir des emplacements de parking situés sur le lot B2, inscrit au cadastre de la commune de LIEU1.), Section B des Bois, sous le numéro 30/3460.

Contrairement à la position soutenue par la société SOCIETE1.), en l’absence de stipulation claire et précise dans l’acte de vente respectivement dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété, le droit de jouissance exclusive lui accordé sur vingt places de stationnement situées sur le lot B2 ne peut être considéré comme constitutif d’une servitude à son bénéfice : la condition que l’usage des emplacements de parking soit en rapport si étroit avec le fonds sur lequel il est établi et qu’il doive nécessairement être un service profitant au fonds sur lequel les bureaux sont situés au troisième étage de l’immeuble implanté au lot B1, fait défaut ».

alors que, pour la constitution des servitudes conventionnelles comme pour les conventions en général, le juge doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes par elles employés dans l’acte constitutif d’un droit ;

que par conséquent, il appartenait aux juges du fond de rechercher l’intention réelle et commune des parties plutôt que de retenir comme décisive « l’absence de stipulation claire et précise dans l’acte de vente respectivement dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété » ; qu’il n’existe en effet aucun texte de loi ni aucune norme juridique dont résulterait l’exigence de « stipulation claire et précise » appliquée par le tribunal ; que le principe, applicable aux servitudes conventionnelles (en l’occurrence celles de l’article 691, al. 1er du Code civil) comme aux contrats et obligations conventionnelles en général, est en effet celui du consensualisme, en vertu duquel c’est le consentement mutuel des parties qui suffit pour la formation des conventions et la définition de leurs termes exacts (article 1134, alinéa 1er, du même Code) ; que dès lors, la création par voie conventionnelle d’une servitude n’est pas subordonnée à une « stipulation claire et précise dans l’acte », mais est susceptible d’être déduite, par les juges du fond, de l’ensemble des indices dont ils estimeraient pouvoir déduire, par voie d’interprétation de l’acte, que l’intention réelle des parties était de constituer une servitude ;

qu’en ayant décidé le contraire et en ayant refusé en conséquence de rechercher l’intention qu’avaient eue les parties en prévoyant ce droit de jouissance dans les actes, le tribunal a violé l’article 691 (alinéa 1er) en combinaison avec l’article 1134 (alinéa 1er) du Code civil. » Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 691, alinéa 1er du Code civil au sujet de l’établissement des servitudes en combinaison avec l’article 1134, alinéa 1er du même code au sujet de la force obligatoire des conventions conclues entre parties.

Aux termes du moyen, il est fait grief au jugement attaqué, pour décider qu’il résultait des conventions entre parties que la société SOCIETE1.) n’était pas bénéficiaire d’une servitude en rapport avec les emplacements de parking litigieux, de s’être limité au constat de « l’absence de stipulation claire et précise dans l’acte de vente respectivement dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété », sans avoir recherché l’intention commune des parties.

A titre principal, Votre Cour retient de façon constante que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour interpréter les clauses d’une convention ainsi que l’intention des parties contractantes et que leur décision à ce sujet échappe à Votre contrôle2. Sous le couvert du grief tiré de la violation des dispositions légales visées au moyen, celui-ci ne tend ainsi qu’à remettre en discussion l’interprétation faite par les juges du fond des dispositions contractuelles entre parties et leur application aux faits, et plus particulièrement l’appréciation, par les juges du fond, de la nature du droit accordé en vertu des conventions entre parties à la demanderesse en cassation sur les emplacements de parking litigieux, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

A titre subsidiaire, le moyen, en ce qu’il fait reproche aux juges d’appel de ne pas avoir recherché l’intention commune des parties, vise en réalité la violation de l’article 1156 du Code civil, non visé au moyen, qui dispose que « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ». Or, Votre Cour décide de manière constante que l’article 1156 du Code civil n’a pas un caractère impératif, que les dispositions de cet article constituent des conseils donnés au juge par le législateur pour l’interprétation des conventions et non des règles absolues dont la méconnaissance donne ouverture à cassation3.

Il en suit que vu sous cet angle, le moyen est irrecevable.

A titre plus subsidiaire, le moyen n’est pas fondé.

2 P. ex. Cass. 23 mai 2013, n° 3211 du registre ; Cass. 28 avril 2016, n° 3630 du registre ; Cass. 7 juillet 2016, n° 3626 du registre.

3 Cass. 7 juillet 2022, n° CAS-2021-00118 du rôle, réponse au deuxième moyen de cassation ; Cass. 10 mars 2022, n° CAS-2021-00042 du rôle, réponse au troisième moyen de cassation ; Cass. 3.12.2020, n° 162/2020, n° CAS-

2019-00169 du registre, réponse au deuxième moyen de cassation ; Cass. 18.06.2020, n° 87/2020, n° CAS-2019-

00083 du registre, réponse au premier moyen de cassation ; Cass. 11.06.2020, n° 84/2020, n° CAS-2019-00066 du registre, réponse au huitième moyen de cassation ; Cass. 04.06.2020, n° 76/2020, n° CAS-2019-00091 du registre, réponse au deuxième moyen de cassation ; Cass. 22.11.2018, n° 112/2018, n° 4026 du registre, réponse au quatrième moyen de cassation ; Cass. 15.11.2018, n° 108/2018, n° 4016 du registre, réponse au deuxième moyen de cassation.

Les juges d’appel, en retenant - après avoir énoncé la règle de l’article 1156 du Code civil4 - qu’il résultait des dispositions conventionnelles applicables que « les parties ont eu la volonté de constituer un avantage gratuit consistant dans l’usage des places de stationnement au bénéfice des propriétaires, respectivement des occupants du bâtiment administratif situé sur le lot B1 sis à LIEU1.) »5, et que, d’après les mêmes dispositions conventionnelles, « le droit d’utiliser et de se servir des places de stationnement n’est (…) pas attaché à un fonds, mais est strictement attaché au propriétaire, respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, en fonction de ses besoins personnels »6, ont nécessairement interprété l’intention commune des parties telle qu’elle résulte de leurs conventions, pour en déduire que le droit en cause ne saurait être qualifié de servitude.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation se présente comme suit :

« Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir déclaré l’appel principal non fondé et d’avoir confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le droit de jouissance exclusive sur les vingt places de stationnement accordé à SOCIETE1.) SCI constitue un droit d’usage et non une servitude, aux motifs suivants :

« Le droit d’utiliser et de servir des places de stationnement n’est […] pas attaché à un fonds, mais ce droit est strictement attaché au propriétaire respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, en fonction de ses besoins personnels.

Le droit de jouissance exclusive sur vingt places de stationnement accordé à la société SOCIETE1.) correspond ainsi à la définition du droit d’usage qui est un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire et lui permettant d’user du bien sur lequel il porte, – en l’espèce les places de stationnement situés sur le lot B2 -, dans les limites de ses besoins personnels liés à l’exploitation de son activité ».

alors que l’appréciation des juges du fond, selon laquelle le droit d’utiliser et de servir des places de stationnement est strictement attaché au propriétaire respectivement à 4 Jugement entrepris, page 34, avant-dernier alinéa.

5 Jugement entrepris, page 37, alinéa 3.

6 Idem, alinéa 4.

l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, est en contradiction avec les mêmes motifs du jugement dont il résulte au contraire que ce droit n’est pas attaché à un fonds ;

qu’en effet dire que les parties ont eu la volonté de constituer un avantage gratuit consistant dans l’usage des places de stationnements au bénéfice des propriétaires respectivement des occupants du bâtiment administratif situé sur le lot B1 est dire que le droit de jouissance est accordé pour l’usage et l’utilité d’un fonds ; qu’il ne peut donc être strictement attaché à la personne du titulaire du droit de jouissance ;

que les motifs contradictoires s’annulent mutuellement ; que la contradiction de motifs vaut violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code. » Le moyen est tiré de la violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code, au sujet de l’obligation faite aux juges de motiver les jugements.

La demanderesse en cassation estime que la motivation reprise au moyen est contradictoire, alors que, à bien comprendre, octroyer un droit d’usage au profit du propriétaire respectivement de l’occupant d’un fonds reviendrait à grever le fonds d’une servitude. Les juges d’appel seraient ainsi à sanctionner pour avoir retenu que le droit d’usage en cause serait à la fois, d’une part, un droit réel viager établi au profit d’une personne, soit un droit d’usage tel que visé aux articles 625 et suivants du Code civil, et d’autre part, une charge grevant le fonds lui-même, partant une servitude, telle que visée aux articles 637 et suivants du Code civil.

Ce moyen n’est pas fondé.

Il est rappelé que, selon la formule consacrée, « les arrêts qui ne contiennent pas de motifs sont nuls, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ». La raison en est simple : les motifs contradictoires « se détruisent et s’annihilent réciproquement », aucun d’entre eux ne pouvant alors être retenu comme fondement de la décision7. La contradiction de motifs ne vicie la décision entreprise que si elle est réelle et profonde, c’est-à-dire s’il existe entre les deux motifs incriminés une véritable incompatibilité8.

En l’espèce, le jugement entrepris ne contient pas de motifs contradictoires.

7 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 77.81.

8 Idem, n° 77.92.

Contrairement à ce que fait plaider la demanderesse en cassation, retenir qu’un droit d’usage a été constitué au bénéfice du propriétaire d’un fonds sur des emplacements de parking se situant sur un fonds avoisinant n’équivaut pas à dire que ce droit est constitutif d’une charge imposée au profit du premier fonds (fonds dominant) sur le fonds avoisinant (fonds servant). Au contraire, ainsi que retenu à juste titre par les juges d’appel, un droit d’usage accordé au propriétaire d’un fonds, en l’espèce à une personne morale, constitue un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire.

Ce droit ne se confond pas avec une servitude établie au profit du fonds lui-même. En effet, conformément aux articles 617 et 619 du Code civil, le droit d’usage accordé à la personne du propriétaire d’un fonds s’éteint par la mort de cette personne, respectivement, s’il s’agit d’une personne morale, au bout de trente ans, alors que la servitude constituée au profit du fonds est en principe perpétuelle et survit à la mort du propriétaire du fonds9. Cette distinction au niveau de la durée d’existence du droit constituait en l’espèce précisément l’enjeu de la qualification du rapport juridique.

Les juges d’appel ont considéré, par des motifs exempts de contradiction, d’une part, que les parties avaient constitué un droit réel viager strictement attaché à la personne de la demanderesse en cassation en sa qualité de propriétaire d’un fonds, et, d’autre part, que ce droit ne constituait pas une servitude établie au bénéfice dudit fonds.

Il en suit que le moyen procède d’une lecture erronée du jugement entrepris et manque partant en fait, respectivement n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation se présente comme suit :

« Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir déclaré l’appel principal non fondé et d’avoir confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le droit de jouissance exclusive sur les vingt places de stationnement accordé à SOCIETE1.) SCI constitue un droit d’usage, aux motifs suivants :

« Suivant l’article 1156 du Code civil, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes.

9 Jurisclasseur, Code civil, articles 637 à 639 – Fascicule unique : Servitudes, mise à jour 15 novembre 2020, n° 36.

L’article 1161 du même code ajoute que toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier.

L’article 637 du Code civil définit la servitude comme “une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire”.

L’analyse de l’article permet de dégager trois conditions pour qu’une servitude soit valablement créée : la servitude ne peut porter que sur des biens immobiliers, elle suppose deux fonds appartenant à des propriétaires différents et un transfert d’utilité de l’un à l’autre.

Est ainsi affirmé le caractère strictement foncier du rapport de servitude, même si la conception du rapport de servitude entre fonds dominant (celui qui profite du service) et fonds servant (celui qui sert) ne peut dissimuler que des rapports juridiques vont, en fait, exister entre deux personnes, physiques ou morales, propriétaires des deux « héritages ». La servitude peut être analysée comme une obligation réelle, attachée à l’immeuble, devant être respectée par tous. La servitude suppose ainsi non seulement deux fonds appartenant à deux propriétaires différents, mais encore un transfert d’utilité de l’un à l’autre ; une charge pesant sur le fonds servant procure corrélativement un profit au fonds dominant.

Cette analyse permet de distinguer la servitude d’autres obligations réelles qui ne sont pas attachées au fonds, mais à la personne et qui n’ont donc pas d’utilité pour le fonds, mais profitent à la personne, tels l’usufruit, ainsi que les droits d’usage et d’habitation.

Les droits d’usage consacrés par les articles 625 à 635 du Code civil sont considérés comme des variétés de l’usufruit et s’analysent comme des démembrements de la propriété qui sont par définition des droits réels. Le particularisme de ces droits tient à ce qu’ils sont exclusivement attachés à la personne. Le droit d’usage est ainsi un droit réel, temporaire et viager, accordant à une personne, dite usager, le droit de se servir de la chose d’autrui et d’en percevoir les fruits.

Suivant les pièces versées en cause, par acte de vente en état futur d’achèvement du 15 décembre 1987 passé par-devant le NOTAIRE1.), la société SOCIETE.2) a vendu à la société SOCIETE1.) la propriété privative et exclusive de la surface des bureaux du troisième étage situés à LIEU1.).

Par acte de vente, il a également été convenu entre parties que la société SOCIETE1.) se voit attribuer “la jouissance exclusive d’au moins vingt (20) emplacements de voiture à individualiser ultérieurement”.

(…) Tel que relevé à juste titre par les parties, il ne ressort ni de l’acte de vente respectivement de l’acte de dépôt du règlement de la copropriété ni d’un autre élément soumis à l’appréciation du tribunal que les parties ont donné une qualification juridique du droit de jouissance exclusive sur vingt places de stationnement accordé à la société SOCIETE1.) suivant le contrat de vente précité et dont les modalités ont été fixées dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété.

Aucune durée n’a davantage été indiquée dans les actes respectifs.

Contrairement à la position soutenue par la société SOCIETE1.), en l’absence de stipulation claire et précise dans l’acte de vente respectivement dans l’acte de dépôt du règlement de copropriété, le droit de jouissance exclusive lui accordé sur vingt places de stationnement situées sur le lot B2 ne peut être considéré comme constitutif d’une servitude à son bénéfice : la condition que l’usage des emplacements de parking soit en rapport si étroit avec le fonds sur lequel il est établi et qu’il doive nécessairement être un service profitant au fonds sur lequel les bureaux sont situés au troisième étage de l’immeuble implanté au lot B1, fait défaut.

Le fait que la société SOCIETE.2) a vanté la possibilité de mise à disposition de places de stationnement lors de la vente des bureaux à construire sur le lot BI, respectivement que l’administration communale de LIEU1.) a subordonné l’autorisation de construire l’immeuble sur le fonds BI à la création d’une centaine de places de parking ne porte pas à conséquence car ces faits n’exercent aucune influence sur la qualification du droit accordé à la société appelante.

La décision prise par l’assemblée des copropriétaires le 14 octobre 1980 suivant laquelle les places de stationnement se trouvant derrière le bâtiment doivent être privatisées ne porte pas davantage à conséquence : cette décision prise par l’assemblée des copropriétaires tend seulement à règlementer l’utilisation pratique desdits emplacements. Cette décision n’emporte cependant pas, - à l’instar de la publicité initialement faite et des contraintes imposées par l’administration communale de LIEU1.) -, une incidence sur la nature du droit conféré à l’appelante.

Au vu des termes de l’acte de vente en état futur d’achèvement et de l’acte de dépôt du règlement de copropriété, il y a lieu de retenir que les parties ont eu la volonté de constituer un avantage gratuit consistant dans l’usage des places de stationnements au bénéfice des propriétaires respectivement des occupants du bâtiment administratif situé sur le lot BI sis à LIEU1.).

Le droit d’utiliser et de servir des places de stationnement n’est ainsi pas attaché à un fonds, mais ce droit est strictement attaché au propriétaire respectivement à l’occupant de l’immeuble situé sur le lot B1, en fonction de ses besoins personnels.

Le droit de jouissance exclusive sur vingt places de stationnement accordé à la société SOCIETE1.) correspond ainsi à la définition du droit d’usage qui est un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire et lui permettant d’user du bien sur lequel il porte, - en l’espèce les places de stationnement situés sur le lot B2 -, dans les limites de ses besoins personnels liés à l’exploitation de son activité.

Cette qualification du droit conféré à la société SOCIETE1.) est corroborée par le fait que les parties ont pris soin d’indiquer expressément dans l’acte de dépôt du règlement des copropriétaires toutes les servitudes grevant les fonds respectifs.

Tel que relevé à bon droit par la partie intimée, suivant la lecture combinée des articles 625 et 619 du Code civil, le droit d’usage accordé à une personne morale expire au bout de trente ans.

Par conséquent, par confirmation du jugement entrepris, et sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens avancés, il y a lieu de constater que le droit d’usage accordé suivant acte de vente en état futur d’achèvement du 15 décembre 1987 à la société appelante est expiré et que cette dernière est dès lors à considérer comme occupante sans droit ni titre » ;

que, première branche, devant les juges du fond, SOCIETE1.) SCI faisait valoir que le droit de jouissance exclusive des vingt emplacements de parking pourrait être qualifié soit (à titre principal) de servitude, soit (à titre subsidiaire) de droit réel de jouissance spéciale (voir notamment son acte d’appel signifié suivant la procédure civile, p. 9-11 ; ses conclusions du 25 janvier 2021, p. 7-18) ; que la motivation du jugement attaqué a toutefois exclusivement trait au moyen relatif à la qualification de servitude ; que les juges du fond – qui ont relevé que « par conséquent, par confirmation du jugement entrepris, et sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens avancés, il y a lieu de constater que le droit d’usage accordé suivant acte de vente en état futur d’achèvement du 15 décembre 1987 à la société appelante est expiré » – n’ont donc pas répondu au moyen subsidiaire de SOCIETE1.) SCI selon lequel il était dans l’intention des parties, à défaut de constituer une servitude, de constituer un droit réel de jouissance spéciale des emplacements de parking ;

que pourtant, le rejet d’un moyen présenté à titre principal par une partie ne peut pas dispenser les juges du fond d’analyser également les moyens présentés à titre subsidiaire par la même partie ;

que la motivation relative au rejet de la qualification de servitude – plus particulièrement l’argument selon lequel le droit d’utiliser et de servir des places de stationnement ne serait pas attaché à un fonds – ne contient aucun élément qui conduirait également au rejet de la qualification du droit réel de jouissance spéciale et pourrait dès lors être considéré comme une motivation implicite du rejet du moyen invoqué à titre subsidiaire par la demanderesse en cassation ;

que la motivation du jugement ne contient aucun élément incompatible avec la qualification de droit réel de jouissance spéciale, élément dont la présence pourrait valoir motivation implicite du rejet du moyen d’appel subsidiaire ;

que le défaut de réponse à conclusions vaut défaut de motifs et dès lors violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même Code ;

que, seconde branche, subsidiaire à la première, le jugement attaqué comporte des motifs de fait incomplets qui ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi ;

qu’il appartenait au tribunal d’analyser si la volonté des parties lors de la conclusion de l’acte de vente en état futur d’achèvement du 15 décembre 1987 était de conférer, à titre de droit réel, un droit de jouissance spéciale à SOCIETE1.) SCI et quelle était la durée de ce droit ;

qu’un droit réel de jouissance spéciale se définit comme un droit réel consenti par le propriétaire d’un bien à un tiers déterminé, lui conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien, sans limitation de durée ou du moins sans limitation à trente ans ;

que la possibilité de conférer pareil droit réel de jouissance spéciale se fonde sur la combinaison des articles 544 du Code civil (définition du droit de propriété comme droit de « disposer des choses ») et 1134 (alinéa 1er) du même Code (liberté contractuelle, sous réserve du respect des règles de l’ordre public) ;

que le tribunal, en omettant d’exposer suffisamment dans la motivation de son jugement les constatations de fait ayant trait aux caractéristiques convenues du droit conféré au titulaire du droit de jouissance, a entaché son jugement de motivation insuffisante valant manque de base légale au regard des articles 544 et 1134 (alinéa 1er) du Code civil. » Ce moyen est divisé en deux branches.

La première branche de moyen est tirée de la violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code, au sujet de l’obligation faite aux juges de motiver les jugements.

Aux termes de la première branche de moyen, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions de dire que le droit de jouissance exclusive des vingt emplacements de parking était à qualifier de droit réel de jouissance spéciale. Elle se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour de cassation française qui, dans un arrêt « Maison de la Poésie » du 31 octobre 201210, a admis, au titre de la liberté contractuelle, qu’un droit d’usage sur un immeuble pouvait être constitué en faveur d’une personne morale pendant toute la durée de son existence, écartant par-là l’article 619 du Code civil qui, lu ensemble avec l’article 625 du Code civil, limite à trente ans la durée des droits d’usufruit, d’usage et d’habitation accordés aux personnes morales.

Il est admis que les motifs de la décision entreprise par le pourvoi qui consacrent un fait ou une thèse juridique justifient par là même le rejet des conclusions qui invoquaient un fait ou une thèse contraire11.

En l’espèce, par les motifs reproduits au moyen, les juges d’appel ont considéré que le droit de jouissance exclusive constitué par les parties en faveur de l’actuelle demanderesse en cassation était constitutif du droit d’usage visé à l’article 625 du Code civil. Ils ont ainsi implicitement mais nécessairement rejeté le moyen de la demanderesse en cassation de dire que ce droit constituait un droit réel de jouissance spéciale, tel que soutenu par demanderesse en cassation dans ses conclusions. Ce constat s’impose avec d’autant plus de force que contrairement à ce qui a été le cas pour l’arrêt 10 Cass. fr., 3ème ch. civ., 31 octobre 2012, n° 11-16304.

11 J. et L. BORÉ, précité, n° 77.253.

« Maison de la Poésie » où les juges de cassation français ont relevé que « les parties étaient convenues de conférer à la Maison de la Poésie, pendant toute la durée de son existence, la jouissance ou l’occupation des locaux (…) », dans le jugement entrepris par le pourvoi par contre, les juges d’appel ont pris soin de relever qu’en l’espèce « aucune durée [du droit de jouissance] n’a été indiquée dans les actes respectifs »12. Par ailleurs, comme relevé à bon droit par la défenderesse en cassation13, les juges d’appel, après avoir énoncé le moyen de l’actuelle demanderesse en cassation de dire que le droit de jouissance en question était à qualifier de servitude sinon de droit réel de jouissance spéciale14, ont retenu, conformément au soutènement de la défenderesse en cassation, la qualification de droit d’usage, rajoutant les termes « sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les autres moyens avancés ». Par ces termes, ils ont manifesté leur intention de rejeter les moyens tendant à donner au rapport juridique en question une qualification autre que celle qu’ils ont retenue.

Il en suit que les juges d’appel ont répondu aux conclusions de la demanderesse en cassation sur le point visé au moyen, de sorte que le moyen n’est pas fondé en sa première branche.

La seconde branche de moyen est tirée de l’insuffisance de motivation valant manque de base légale au regard des 544 et 1134, alinéa 1er du Code civil.

Aux termes de la seconde branche de moyen, la demanderesse en cassation considère qu’il aurait appartenu aux juges d’appel d’analyser s’il avait été de l’intention des parties, dans leurs conventions, de constituer en sa faveur un droit réel de jouissance spéciale sui generis, non nommé au Code civil. Elle fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir exposé suffisamment dans la motivation de son jugement les constatations de fait ayant trait aux caractéristiques convenues du droit conféré au titulaire du droit de jouissance.

A titre principal, les juges d’appel, pour rejeter les prétentions de la demanderesse en cassation, ont considéré, en application des articles 619 et 625 du Code civil, que le droit litigieux était un droit d’usage qui, en ce qu’il était constitué en faveur d’une personne morale, était éteint par l’écoulement d’un délai de trente ans. Ils n’ont pas fait application de l’article 544 du Code civil, visé au moyen, au sujet du droit de propriété qui est étranger au jugement entrepris.

Il en suit que le moyen est irrecevable en sa seconde branche.

12 Jugement entrepris, page 36, antépénultième alinéa.

13 Mémoire en réponse, page 16, alinéa 2.

14 Jugement entrepris, page 33, alinéa 1er.

A titre subsidiaire, en considérant qu’il résultait de la convention entre parties que le droit conféré à la demanderesse en cassation était un droit réel, viager, strictement attaché à la personne de la demanderesse en cassation et qu’aucune durée de ce droit n’avait été fixée, les juges d’appel ont motivé à suffisance leur décision de considérer que ce droit s’identifiait au droit d’usage visé à l’article 625 du Code civil.

Il en suit qu’à titre subsidiaire, le moyen n’est pas fondé en sa seconde branche.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, MAGISTRAT.7) 20


Synthèse
Numéro d'arrêt : 14/23
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2023-02-02;14.23 ?

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