N° 11 / 2023 pénal du 26.01.2023 Not. 3/21/PE Numéro CAS-2022-00038 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-six janvier deux mille vingt-trois, sur le pourvoi du Parquet européen, organe de l’Union européenne ayant la personnalité juridique, créé par le règlement (UE) n° 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, établi à L-1855 Luxembourg, 11, avenue John F. Kennedy, demandeur en cassation, comparant par le procureur européen délégué MAGISTRAT1.), établi ès-
qualités à L-2080 Luxembourg, Plateau du Saint-Esprit, Cité Judiciaire - Bâtiment CR, au sein de l’Office duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 29 mars 2022 sous le numéro 320/22 Ch.c.C. par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le pourvoi en cassation formé par le procureur européen délégué MAGISTRAT1.), suivant déclaration du 26 avril 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en cassation, signifié le 17 mai 2022 par le Parquet européen au procureur général d’Etat, déposé le 19 mai 2022 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général adjoint MAGISTRAT2.).
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le juge d’instruction directeur du tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré irrecevable le réquisitoire du procureur européen délégué tendant à voir ordonner, sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale, une perquisition avec saisie. La chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé cette ordonnance.
Sur le second moyen de cassation, qui est préalable Enoncé du moyen « tiré de la violation des articles 24-1 du Code de procédure pénale, 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen et 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en ce que la Chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé une ordonnance d’irrecevabilité d’un réquisitoire du Parquet européen aux fins de demander au juge d’instruction d’ordonner, sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale, une perquisition et une saisie, aux motifs que . L’article 24-1 (2) 1er alinéa du même Code dispose que Ledit texte qui a été introduit dans le Code pénal par la loi du 27 octobre 2010, s’est inspiré de l’article 28 septies du Code d’instruction belge, tel qu’il a été introduit par l’article 5 de la loi belge du 12 mars 1998 relative à l’amélioration de la procédure pénale au stade de l’information et d’instruction, dite et est connu sous le terme de mini-
instruction. L’idée était de désengorger les cabinets d’instruction des affaires ne relevant pas d’une grande complexité, ne se caractérisant pas par un côté sensible et ne nécessitant partant pas une instruction complète, mais uniquement des mesures ponctuelles. Ce ne seraient partant que les affaires ou affaires qui relèveraient de l’instruction simplifiée. Le juge d’instruction saisi des réquisitions d’exécuter l’acte précis garde cependant la possibilité de solliciter l’ouverture d’une instruction préparatoire ; il décide s’il exécute l’acte d’instruction ou s’il continue lui-même l’enquête (projet de loi 5354, commentaire des articles, 2 p.13 et 14 et Avis du Conseil d’Etat p. 2 et 3). Or, le Règlement du 12 octobre 2017 accorde dans son article 4 au Parquet européen la compétence pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, ne laissant pas aux autorités d’instruction nationales la décision de poursuite. Il s’ensuit que même si en vertu des articles cités par les Procureurs européens délégués le Règlement du 12 octobre 2017 assimile le Parquet européen au Parquet national, il ne peut agir que conformément au droit national, dans le cadre de procédures nationales similaires, et ne peut, à défaut de texte spécial, disposer de plus de pouvoirs que le Parquet national en scindant une procédure nationale qui, de surcroît, est prévue pour des affaires de faible ampleur, auxquelles les affaires européennes telles que celle à la base de la requête peuvent difficilement être assimilées. C’est dès lors à bon escient que le juge d’instruction n’a pas ordonné la mesure demandée. L’ordonnance attaquée est partant à confirmer. », alors que, première branche, la procédure de l’article 24-1 du Code de procédure pénale est applicable à toutes les infractions y précisées, à savoir à tout délit et aux crimes sanctionnés par les articles 196 (faux), 197 (usage de faux), 467, 468 et 469 (vols qualifiés) du Code pénal et n’exige pas que ces infractions se rapportent, en outre, à des , à des , à des ou à , de sorte que la Chambre du conseil de la Cour d’appel a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, partant, a violé l’article 24-1 du Code de procédure pénale ; et que, seconde branche, l’article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement précité dispose que , qu’il résulte de cet article que sont [certes] investis [par l’effet du seul Règlement] des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux », mais que cette investiture dans les pouvoirs des procureurs nationaux ne s’effectue pas nécessairement sans adaptation, puisqu’elle s’effectue par le Règlement et prévues par le Règlement, que le Règlement ne subordonne donc pas l’investiture des Procureurs européens délégués dans les pouvoirs des Procureurs nationaux à la condition que les conditions d’exercice de ces pouvoirs doivent être rigoureusement identiques, mais précise, au contraire, que l’exercice par les Procureurs européens délégués des pouvoirs des Procureurs nationaux doit s’effectuer en tenant compte leur conférés par le Règlement et de ce dernier, 3 que l’investiture, par l’effet du Règlement, des Procureurs européens délégués dans les pouvoirs des Procureurs nationaux n’est donc pas remise en cause par la circonstance que, du fait conférés aux Procureurs européens délégués par le Règlement et de l’exigence de respecter du Règlement, le droit national précisant les modalités d’exercice de ces pouvoirs doit être interprété de façon à le rendre compatible avec les conférés aux Procureurs européens délégués par le Règlement et de ce dernier, que l’investiture, par l’effet du Règlement, des Procureurs européens délégués dans le pouvoir conféré par l’article 24-1 du Code de procédure pénale au Procureur d’Etat de demander au juge d’instruction d’ordonner une mesure d’instruction n’est donc pas remise en cause par la circonstance que les conférés aux Procureurs européens délégués par le Règlement et de ce dernier s’opposent à permettre au juge d’instruction de décider, sur base de l’article 24-1, paragraphe 2, du Code précité, [auquel cas] , que cette faculté est certes, comme l’a constaté à juste titre la Chambre du conseil de la Cour d’appel, incompatible avec le Règlement, pour remettre en cause la compétence exclusive d’enquête et de poursuite du Parquet européen, que le principe de primauté du droit de l’Union européenne, en l’occurrence la primauté des Règlements prévue par l’article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, oblige cependant tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au droit de l’Union européenne, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel, que l’interprétation correcte de l’article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement aurait donc obligé la Chambre du conseil de la Cour d’appel d’admettre que le Procureur européen délégué est, par l’effet de cet article, investi dans les pouvoirs conférés par l’article 24-1 du Code de procédure pénale au Procureur d’Etat et que cette investiture n’est pas remise en cause par le pouvoir conféré au juge d’instruction par l’article 24-1, paragraphe 2, de refuser de renvoyer le dossier au Procureur d’Etat et d’exiger l’ouverture d’une instruction préparatoire, parce que cette disposition, qui est incompatible avec les conférés aux Procureurs européens délégués par le Règlement et de ce dernier, doit être laissée inappliquée par le juge national sur base des obligations qui s’imposent à lui au titre du principe de primauté du droit de l’Union européenne, que la Chambre du conseil de la Cour d’appel a donc violé l’article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement et, en refusant l’investiture du Procureur européen délégué dans les pouvoirs conférés par l’article 24-1 du Code de procédure pénale au Procureur d’Etat motif pris du pouvoir conféré au juge d’instruction par 4 l’article 24-1, paragraphe 2, de refuser de renvoyer le dossier au Procureur d’Etat et d’exiger l’ouverture d’une instruction préparatoire, au lieu de constater que cet article doit rester inappliqué pour être incompatible avec le Règlement, elle a méconnu le principe de primauté du droit de l’Union européenne, prévue, en ce qui concerne les Règlements, par l’article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
A titre subsidiaire, en ce qui concerne la seconde branche du second moyen, il y a lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur base de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, qui dispose que « [l]es procureurs européens délégués […] sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, de poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le présent règlement » est à interpréter en ce sens que les procureurs européens délégués sont investis, par l’effet du seul Règlement, donc en l’absence de loi nationale de mise en conformité avec le Règlement, des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires ? Est-ce que cette investiture des procureurs européens délégués dans les pouvoirs des procureurs nationaux s’effectue également lorsque les modalités d’exercice des pouvoirs ne peuvent pas être intégralement appliquées aux procureurs européens délégués parce qu’elles sont en partie incompatibles avec les pouvoirs et le statut particuliers des procureurs européens délégués ou avec les conditions du Règlement ? Est-ce que les procureurs européens délégués sont, par l’effet du seul Règlement, donc en l’absence de loi nationale de mise en conformité avec le Règlement, investis du pouvoir conféré par un droit national aux procureurs nationaux, tel que celui prévu par l’article 24-1 du Code de procédure pénale luxembourgeois, de demander, sans ouvrir une instruction préparatoire dirigée par le juge d’instruction, à ce dernier d’ordonner une perquisition ou une saisie et ce même si l’exercice de ce pouvoir comporte une modalité qui est incompatible avec le Règlement et ne pourrait, partant, être appliquée en cas d’exercice de ce pouvoir par les procureurs européens délégués, à savoir que le droit national confère dans un tel cas au juge d’instruction saisi le pouvoir de renvoyer le dossier au Procureur d’Etat et d’exiger l’ouverture d’une instruction préparatoire ? ».
Si vous décidez de poser ces questions préjudicielles, il y a lieu de demander à la Cour de justice de l’Union européenne, sur base de l’article 107 du Règlement de procédure de la Cour de justice du 25 septembre 2012, d’appliquer la procédure préjudicielle d’urgence (PPU). ».
5 Réponse de la Cour Sur les deux branches du moyen réunies Vu le principe de la primauté du droit de l’Union européenne par rapport au droit interne des Etats membres.
Vu l’article 288, alinéa 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui dispose :
« Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. ».
Vu l’article 4 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (ci-après « le Règlement ») qui dispose :
« Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévues par la directive (UE) 2017/1371 et déterminées par le présent règlement. À cet égard, le Parquet européen diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique devant les juridictions compétentes des États membres jusqu’à ce que l’affaire ait été définitivement jugée. ».
Vu l’article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement qui dispose :
« Les procureurs européens délégués agissent au nom du Parquet européen dans leurs États membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le présent règlement. ».
Vu l’article 24-1 du Code de procédure pénale qui dispose :
« (1) Pour tout délit, le procureur d’Etat peut requérir du juge d’instruction d’ordonner une perquisition, une saisie, l’audition d’un témoin ou une expertise sans qu’une instruction préparatoire ne soit ouverte. Le procureur d’Etat peut procéder de même pour les infractions visées aux articles 196 et 197 du Code pénal pour ce qui concerne l’usage des faux visés à l’article 196, et pour les infractions visées aux articles 467, 468 et 469 du Code pénal.
Pour les infractions visées à l’alinéa qui précède et pour les délits qui emportent une peine correctionnelle dont le maximum est égal ou supérieur à un an d’emprisonnement, le procureur d’Etat peut requérir du juge d’instruction d’ordonner les mesures prévues aux paragraphes (1) et (2) de l’article 67-1 et sans qu’une instruction préparatoire ne soit ouverte.
(…) 6 (2) Le juge d’instruction saisi de l’affaire décide s’il exécute uniquement l’acte d’instruction requis et renvoie le dossier ou si, au contraire, il continue lui-
même l’instruction.
Il doit toutefois en ce cas immédiatement demander par écrit un réquisitoire de saisine in rem au procureur d’Etat avant d’accomplir des actes autres que celui dont il a été saisi, réquisitoire que le procureur d’Etat doit lui adresser sur-le-
champ.
(…). ».
En vertu du principe de la primauté du droit de l’Union européenne et de l’applicabilité directe des dispositions du Règlement, les juges d’appel ont l’obligation d’appliquer le droit de l’Union en laissant au besoin inappliquée toute disposition incompatible de la législation nationale.
Les juges d’appel ont dit que l’article 24-1, paragraphe 1, du Code de procédure pénale ne pouvait s’appliquer que conjointement avec le paragraphe 2 du même article, que cette dernière disposition était incompatible avec le Règlement et ne pouvait de ce fait recevoir application et que, par voie de conséquence, à défaut de texte spécial, le paragraphe 1 ne pouvait pas non plus recevoir application.
En retenant que les procureurs européens délégués, n’étaient, en l’absence d’un texte national, pas habilités à requérir du juge d’instruction sur base de l’article 24-1, paragraphe 1, du Code de procédure pénale une ordonnance de perquisition sans que ce dernier puisse en vertu de l’article 24-1, paragraphe 2, du même code continuer lui-même l’enquête, de sorte à confirmer l’ordonnance d’irrecevabilité du réquisitoire du procureur européen délégué, les juges d’appel ont violé les dispositions ci-dessus visées, dès lors que l’application directe du droit européen leur imposait, au regard de la primauté de celui-ci sur toute disposition nationale contraire et du devoir de coopération loyale, d’appliquer l’article 24-1, paragraphe 1, du Code de procédure pénale et de laisser inappliqué le paragraphe 2 du même article.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué, numéro 320/22 Ch.c.C., rendu le 29 mars 2022 (Not.3/21/PE) par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;
7 laisse les frais de l’instance en cassation à charge de l’Etat ;
ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-six janvier deux mille vingt-trois, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
MAGISTRAT3.), président de la Cour, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT6.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT7.), conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour GREFFIER1.).
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président MAGISTRAT3.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT8.) et du greffier GREFFIER1.).
8 Conclusions du Parquet Général dans le cadre du pourvoi du Parquet européen, en présence du Ministère public (Affaire numéro CAS-2022-00038 du registre) Par déclaration faite le 26 avril 2022 au greffe de la Cour Supérieure de Justice, Monsieur le Procureur européen délégué MAGISTRAT1.), forma au nom et pour le compte du Parquet européen, organe de l’Union européenne ayant la personnalité juridique, créé par le Règlement (UE) n° 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen1, un recours en cassation contre l’arrêt n° 320/22 Ch.c.C. de la Cour d’appel, chambre du conseil, du 29 mars 2022.
Cette déclaration de recours a été suivie en date du 19 mai 2022 du dépôt d’un mémoire en cassation, signé par Monsieur le Procureur européen délégué MAGISTRAT1.).
Le pourvoi est dirigé par le Parquet européen contre un arrêt de la Chambre du conseil de la Cour d’appel confirmant une ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable le réquisitoire par lequel le Parquet européen avait saisi ce dernier aux fins d’ordonner, sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale2, une perquisition avec saisie.
Sur la qualité du Procureur général d’Etat de conclure devant la Cour de cassation dans le cadre d’un pourvoi formé par (ou contre) le Parquet européen Le Parquet européen est un organe de l’Union européenne créé par le Règlement précité. Sa mission est de « rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des 1 Journal official de l’Union européenne, L 283 du 31.10.2017, page 1.
2 L’article 24-1 du Code de procédure pénale dispose notamment que : « Art. 24-1. (1) Pour tout délit, le procureur d’Etat peut requérir du juge d’instruction d’ordonner une perquisition, une saisie, l’audition d’un témoin ou une expertise sans qu’une instruction préparatoire ne soit ouverte.
Le procureur d’Etat peut procéder de même pour les infractions visées aux articles 196 et 197 du Code pénale pour ce qui concerne l’usage des faux viés à l’article 196, et pour les infractions visées aux articles 467, 468 et 469 du Code pénal.
[…] (2) Le juge d’instruction saisi de l’affaire décide s’il exécute uniquement l’acte d’instruction requis et renvoie le dossier ou si, au contraire, il continue lui-même l’instruction.
Il doit toutefois en ce cas immédiatement demander par écrit un réquisitoire de saisine in rem au procureur d’Etat avant d’accomplir les actes autres que celui dont il a été saisi, réquisitoire que le procureur d’Etat doit lui adresser sur-le-champ.
[…] ».
9 infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union [européenne] »3. A cette fin « le Parquet européen diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique devant les juridictions compétentes des Etats membres »4. Il engage donc des enquêtes et des actions publiques. Ces dernières sont mises en œuvre devant les juridictions des Etats membres. Le Parquet européen assume donc, devant ces juridictions, le rôle de Parquet dans le cadre des affaires qui relèvent de ses missions. Les Procureurs européens délégués « agissent au nom du Parquet européen dans leurs Etats membres respectifs »5.
Le Règlement est entré en vigueur le 20 novembre 20176. Le Parquet européen a commencé à exercer ses compétences, d’enquête et de poursuite, lui incombant en vertu du Règlement à partir du 1er juin 20217.
Pour mettre en œuvre le Règlement le législateur adopta deux lois :
- une loi, d’ordre organisationnel, du 31 mars 2021 portant modification de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire en vue de l’organisation de l’Office des procureurs européens délégués8 et - une loi, d’adaptation de la procédure pénale, du 22 juillet 2022 modifiant le Code de procédure pénale aux fins de la mise en œuvre du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen9, entrée en vigueur le 9 août 202210.
La seconde de ces lois compléta, par son article 1er, l’article 17 du Code de procédure pénale, qui dispose dorénavant que :
« Art. 17. (1) Le procureur général d'Etat représente en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour de cassation et de la cour d'appel.
(2) Le procureur européen délégué représente le Parquet européen auprès de la cour de cassation et de la cour d’appel. ».
Cette disposition a pour objet de « rendre conforme le Code de procédure pénale aux dispositions de l’article 4 du Règlement. En effet, cet article dispose que le Parquet européen diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique devant les juridictions compétentes des Etats membres jusqu’à ce que l’affaire ait été définitivement 3 Article 4 du Règlement.
4 Idem.
5 Article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement.
6 L’article 120, paragraphe 1, du Règlement dispose qu’il entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication du Journal officiel de l’Union européenne, qui est intervenue le 31 octobre 2017, de sorte qu’il est entré en vigueur le 20 novembre 2017.
7 L’article 120, paragraphe 2, alinéas 2 et 3, du Règlement dispose que la date de début d’exercice des tâches d’enquête et de poursuite du Parquet européen est fixée par la Commission européenne. Celle-ci a adopté à cet effet le 25 mai 2021 la Décision d’exécution (UE) 2021/856, qui a fixé cette date au 1er juin 2021 (Journal officiel de l’Union européenne L 188 du 28.5.2021, page 100).
8 Mémorial, A, 2021, n° 282 du 8 avril 2021.
9 Mémorial, A, 2022, n° 428 du 5 août 2022.
10 La loi est entrée en vigueur suivant le droit commun de la mise en vigueur des lois défini par l’article 4 de la loi du 23 décembre 2016 concernant le Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg (Mémorial, A, 2016, n° 309 du 28 décembre 2016, page 6460), c’est-à-dire le quatrième jour qui suivait sa publication au Mémorial, soit en l’occurrence, la publication ayant eu lieu le 5 août 2022, le 9 août 2022.
10 jugée. Par ailleurs, le considérant numéro 31 du Règlement précise que l’exercice de l’action publique devant les juridictions compétentes s’applique jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur toute action en justice ou tout recours disponible jusqu’à ce que cette décision soit devenue définitive. »11.
Cette loi, qui est une loi de procédure, s’applique, conformément au droit commun, de façon immédiate aux procédures en cause12.
Il en suit que, s’agissant des pourvois formés dans le cadre des actions publiques engagées par le Parquet européen, ce dernier est actuellement, sur base de cette disposition, représenté auprès de votre Cour par le Procureur européen délégué.
Si ce point est acquis, il reste la question de savoir si cette innovation a pour effet de remettre en cause, dans le cadre des pourvois du Parquet européen, la présence, devant votre Cour, du Procureur général d’Etat, qui, à l’admettre, serait alors concomitante à celle du Procureur européen délégué, représentant le Parquet européen.
Il s’entend que, dans le cadre des dossiers traités par le Parquet européen, le Ministère public luxembourgeois, dont le Procureur général d’Etat, n’engage plus des enquêtes ou des poursuites, donc n’est pas une partie poursuivante. Or, suivant votre jurisprudence, son rôle devant votre Cour ne consiste pas à défendre l’action publique. Vous considérez, en effet, qu’en matière pénale, sauf s’il est lui-même demandeur en cassation, il n’est pas à considérer comme partie principale.
Vous avez précisé son rôle de façon très explicite comme suit :
« Attendu que lorsque le Ministère Public ne s’est pas pourvu en cassation en conformité de l’article 5 de la loi [modifiée] du 18 février 1885 [sur les pourvois et la procédure en cassation] [relatif au pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, actuellement prévu par l’article 422 du Code de procédure pénale], il est nécessairement partie jointe et, comme telle, dispensé de remplir les formalités prescrites aux articles 42 et 44 ;
Attendu que si le Ministère Public est intéressé en matière de cassation pénale, il n’est cependant pas à considérer comme partie défenderesse au pourvoi introduit par un prévenu ;
Attend, en effet, que hormis les quelques cas exceptionnels […] où le Ministère Public est demandeur en cassation, le Procureur général remplissant les fonctions du Ministère public près la Cour de cassation, jouit d’une entière indépendance tant vis-
à-vis de la défense qu’à l’égard de l’officier qui a soutenu l’accusation devant les juridictions de fond ; que n’étant pas « partie en cause », il ne peut être considéré 11 Rapport de la Commission de la Justice de la Chambre des députés, du 6 juillet 2022, sur le projet de loi n° 7759 (Document parlementaire n° 7759-11), page 13, sous « VI. Commentaire des articles. Articles 1er et 2 », premier et deuxième alinéa.
12 La loi du 22 juillet 2022 ne comporte pas de disposition transitoire. Sur les principes régissant l’application dans le temps des lois de procédure : Franklin KUTY, Principes généraux du droit pénal belge, Tome I, Bruxelles, Larcier, 3e édition, 2018, n° 498, page 353.
11 comme l’adversaire virtuel du prévenu dont la condamnation ou l’acquittement peuvent donner lieu à un pourvoi, ni son adversaire effectif, quant il conclut devant la Cour au rejet de sa thèse ;
Attendu que le Ministère Public près la Cour de cassation est, suivant les conceptions fondamentales de l’organisation judiciaire, un conseiller de la Cour, l’amicus curiae devant laquelle il exerce une fonction de jurisconsulte officiel ;
que son rôle consiste essentiellement à veiller au respect de la légalité, et, par les avis qu’il exprime en son âme et conscience, à aider la Cour à rendre la Justice, la meilleure, selon lui, et à contrôler la légalité des décisions attaquées »13.
Vous avez, dans des arrêts plus récents, confirmé cette jurisprudence en rappelant « que [en matière pénale] le Ministère Public est auprès de la Cour de cassation un organe d’avis [et qu’il] n’e[st] pas partie défenderesse en cassation »14.
Le rôle du Ministère public auprès de la Cour de cassation se limite donc, sauf s’il est lui-même demandeur en cassation, à celui d’une partie jointe, d’un amicus curiae, d’un « jurisconsulte officiel ». Or, le maintien de ce rôle est compatible avec l’article 17, nouveau, du Code de procédure pénale. En effet, si cet article dispose, dans son paragraphe 2, que le Parquet européen est représenté devant votre Cour dans les affaires qui le concernent, et que cette représentation est assumée par le Procureur européen délégué, il n’exclut pas pour autant la présence complémentaire du Ministère public auprès de votre Cour, assumé par le Procureur général d’Etat et prévu par le paragraphe 1, pour permettre à ce dernier d’exercer son rôle traditionnel d’amicus curiae, qui n’est pas concurrente à celui du Parquet européen de défendre sa poursuite pénale.
Dans cette lecture, dans les pourvois intéressant le Parquet européen, ce dernier est donc, sur base du paragraphe 2 de l’article 17, représenté auprès de votre Cour, et ce par le Procureur européen délégué. De façon complémentaire, le Ministère public auprès de votre Cour participe également, sur base du paragraphe 1, de l’article 17, à la même procédure, mais ce non pas pour défendre la poursuite pénale du Parquet européen, mais aux fins d’assumer son rôle traditionnel de partie jointe et d’amicus curiae.
Cette lecture est compatible tant avec le texte de la loi, qu’avec « les conceptions fondamentales de l’organisation judiciaire » qui confèrent au Procureur général auprès de votre Cour, en toutes matières, qu’elle soit civile ou pénale, et quelles que soient les parties, le rôle d’amicus curiae.
Il en suit que le Procureur général d’Etat a qualité pour conclure.
Sur la recevabilité du pourvoi L’appréciation de la recevabilité du pourvoi soulève différentes questions, relatives à la qualité pour agir du Procureur européen délégué, à la nature de la décision attaquée et au respect des conditions de forme et de délai du pourvoi.
13 Cour de cassation, 25 octobre 1979, Pas. 24, page 343.
14 Idem, 3 juillet 2008, n° 40/2008 pénal, numéro 2583 du registre ; idem, 11 février 2010, n° 7/2010 pénal, numéro 2711 du registre.
12 Sur la qualité pour agir du Procureur européen délégué Le pourvoi a été formé par le Parquet européen, représenté par le Procureur européen délégué.
Il a été vu ci-avant que la loi du 22 juillet 2022, entrée en vigueur le 9 août 2022, confère, dans l’article 17, paragraphe 2, nouveau, du Code de procédure pénale, qualité au Procureur européen délégué de représenter le Parquet européen devant votre Cour.
Cette disposition, qui, en tant que loi de procédure, s’applique de façon immédiate aux procédures en cours, n’est cependant pas pertinente pour apprécier la régularité des actes de procédure posés antérieurement à son entrée en vigueur, soit, en l’espèce, celle de la déclaration de pourvoi du Procureur européen délégué, du 26 avril 2022, et du mémoire en cassation signé par ce dernier et déposé en date du 19 mai 202215.
La qualité pour agir du Procureur européen délégué devant votre Cour résulte cependant de façon suffisante de l’article 13, paragraphe 1, alinéa 1, du Règlement précité ayant créé le Parquet européen, qui dispose « [l]es procureurs européens délégués agissent au nom du Parquet européen dans leurs Etats membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particulier qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le présent règlement ».
Un tel Règlement est, aux termes de l’article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, obligatoire et directement applicable dans tout Etat membre. Il y produit des effets immédiats16. Suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, cette applicabilité directe du Règlement exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalise sans aucune mesure portant réception dans le droit national17. Le respect de ce devoir s’oppose à l’application de toute mesure législative, même postérieure, lorsque celle-ci est incompatible avec les dispositions du Règlement18.
La qualité pour agir du Procureur européen délégué au nom du Parquet européen résulte de façon directe de la disposition précitée du Règlement en question. L’article 17, paragraphe 2, nouveau, du Code de procédure pénale se limite à cet égard à réitérer une règle qui s’applique de toute façon déjà de façon directe sur base du Règlement : le Procureur européen délégué étant investi au sujet des affaires du Parquet européen « des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires », il a, pour former un pourvoi en cassation contre l’arrêt attaqué, la même qualité qu’aurait eu le Procureur général d’Etat pour former un pourvoi en cassation contre un arrêt de même nature rendu dans le cadre d’une enquête de droit interne.
La Chambre du conseil de la Cour d’appel a d’ailleurs partagé cette conclusion en ce qui concerne la qualité du Procureur européen délégué de former appel contre l’ordonnance entreprise.
15 KUTY, précité, n° 499, page 355.
16 Cour de justice de l’Union européenne, 30 novembre 1978, Bussone, 31/78, ECLI:EU:C:1978:217, points 28 et 29.
17 Idem, 10 octobre 1973, Variola, 34/73, ECLI:EU:C:1973:101, point 10.
18 Arrêt Bussone, précité, point 31.
13 Il en suit que le Procureur européen délégué a qualité pour agir.
Si vous avez des doutes sur la qualité pour agir du Parquet européen, il y a lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle y relative proposée dans le mémoire en cassation19.
Sur la recevabilité du pourvoi au regard de la nature de la décision attaquée L’arrêt attaqué confirme une ordonnance du juge d’instruction s’étant déclaré « sans pouvoir pour ordonner une […] mesure » sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale « [e]n l’absence d’une loi nationale habilitant les procureurs européens délégués à requérir une perquisition auprès d’un juge d’instruction » et ayant déclaré irrecevable le réquisitoire du Procureur européen délégué.
Comme l’expose le Parquet européen dans son mémoire20, l’arrêt est, à titre principal, à qualifier d’arrêt définitif au sens de l’article 416 du Code de procédure pénale, susceptible d’un pourvoi immédiat, puisque, en déclarant, par confirmation, le réquisitoire du Procureur européen délégué irrecevable parce que ce dernier, à défaut d’habilitation légale, serait dépourvu de pouvoir et de compétence, il lui dénie qualité pour agir à défaut d’une telle habilitation légale.
Dans un ordre subsidiaire, à supposer que la décision attaquée ne dénie pas au Procureur européen délégué, par principe, toute qualité pour agir, mais ne lui dénie que celle de requérir une mesure sur base de l’article 24-1 précité, il reste que la mesure refusée ne relève, pour les motifs exposés dans le mémoire en cassation21, pas d’une action publique, donc n’est pas à considérer comme un arrêt préparatoire ou d’instruction dans le cadre d’une telle action. Par la confirmation de l’irrecevabilité du réquisitoire, la Chambre du conseil de la Cour d’appel, à défaut d’action publique en cours, épuise sa juridiction. L’arrêt attaqué est dès lors à considérer comme un arrêt définitif, susceptible de faire l’objet d’un pourvoi immédiat sur base de l’article 416 du Code de procédure pénale.
Sur le respect des conditions de forme et de délai Le pourvoi respecte les conditions de délai et forme prévues par les articles 41 et 42 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Conclusion Le pourvoi est recevable.
19 Mémoire en cassation, page 3, dernier alinéa, rappelée au dispositif du mémoire, page 18.
20 Idem, page 5, premier et deuxième alinéa.
21 Idem, même page, troisième alinéa, à page 6, troisième alinéa.
14 Sur le bien-fondé du pourvoi Il a été vu ci-avant que le Règlement créant le Parquet européen est entré en vigueur le 20 novembre 2017, que ce Parquet n’a commencé à exercer ses compétences, d’enquête et de poursuite, lui incombant en vertu du Règlement à partir du 1er juin 2021, mais qu’il a dû patienter à Luxembourg pendant plus de 14 mois, jusqu’au 9 août 2022, pour voir adopter et entrer en vigueur la loi du 22 juillet 2022, ayant adapté la procédure pénale aux exigences du Règlement. La Parquet européen était donc au cours des premiers 14 mois de son existence dépourvu à Luxembourg de législation de mise en œuvre procédurale du Règlement. Or, ce n’est pas parce que le Luxembourg était pendant 14 mois en carence d’adapter sa législation que le Parquet européen n’était pas saisi au cours de ce long laps de temps de dénonciations d’infractions nécessitant d’urgence l’exécution de mesures d’instruction à Luxembourg. Au regard de cette carence du Luxembourg, le Parquet européen, saisi de dossiers nécessitant d’urgence la mise en œuvre de mesures, n’avait certainement pas l’option de s’abstenir d’exercer ses missions et de suspendre l’exécution de mesures urgentes dans l’attente de l’adoption de la législation de mise en œuvre. Il n’avait pas non plus l’option de dénoncer les infractions aux autorités nationales, alors que le Règlement lui en conférait la compétence exclusive. Il ne lui restait donc que l’option de faire adopter les mesures d’instruction urgentes, dans l’attente de l’adoption de la loi du 22 juillet 2022, directement sur base du Règlement lui-
même.
Ainsi qu’il a été exposé ci-avant, un Règlement est, aux termes de l’article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, obligatoire et directement applicable dans tout Etat membre. Il y produit des effets immédiats. Suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, cette applicabilité directe du Règlement exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalise sans aucune mesure portant réception dans le droit national. Le respect de ce devoir s’oppose à l’application de toute mesure législative, même postérieure, lorsque celle-ci est incompatible avec les dispositions du Règlement22.
Le Règlement, qui fait partie du droit de l’Union européenne, prime le droit des Etats membres.
Ce principe de primauté, qui a été consacré par la Cour de justice de l’Union européenne depuis son arrêt Costa de 196423, ne s’impose pas seulement au législateur ou à l’administration, mais également au juge : toutes les instances des Etats membres, y compris les juridictions, sont tenues de donner leur plein effet aux normes de l’Union24.
Cette obligation, qui s’impose au juge, est double :
- d’une part, le juge est, sur base du principe d’interprétation conforme du droit interne au droit de l’Union européenne, tenu de donner au droit interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union de façon à 22 Arrêt Bussone, précité, point 31.
23 Cour de justice de l’Union européenne, 15 juillet 1964, Costa, 6/64, ECLI:EU:C:1964:66, pages 1159 et 1160 et, à titre d’illustration : idem, Grande chambre, 24 juin 2019, Poplawski, C-573/17, ECLI:EU:C:2019:530, point 53 ; idem, Grande chambre, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, C-511/18, C-512/18 et C-520/18, ECLI:EU:C:2020:791, point 214 ; idem, Grande chambre, 18 mai 2021, Asociatia « Forumul Judecatorilor Din Romana » e.a., C-83/19, C-127/19, C-195/19, C-355/19 et C-397/19, ECLI:EU:C:2021:393, point 244.
24 Voir, à titre d’illustration, les arrêts précités Costa, pages 1159 et 1160, La Quadrature du Net, point 214, et Asociatia « Forumul Judecatorilor Din Romana » e.a, point 244.
15 assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’il tranche le litige dont il est saisi25 ;
- d’autre part, lorsque le principe d’interprétation conforme du droit interne n’est pas suffisant pour assurer la pleine efficacité du droit de l’Union26, le juge, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au droit de l’Union européenne, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel27.
Le Règlement ayant créé le Parquet européen dispose dans son article 13, paragraphe 1, alinéa 1, que « [L]es procureurs européens délégués agissent au nom du Parquet européen dans leurs Etats membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particulier qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le présent règlement ». Il dispose dans son article 30, paragraphe 1, que « [à] tout le moins dans les cas où l’infraction qui fait l’objet de l’enquête est passible d’une peine maximale d’au moins quatre années d’emprisonnement, les Etats membres veillent à ce que les procureurs européens délégués soient habilités à ordonner ou à demander les mesures d’enquête suivantes : a) la perquisition […] ; b) la production de tout objet ou document pertinent […] ». Il dispose dans son article 30, paragraphe 4, que « [l]es procureurs européens délégués sont habilités à demander ou à ordonner, en plus des mesures visées au paragraphe 1, toute autre mesure à laquelle les procureurs pourraient avoir recours dans leur Etat membre, conformément au droit national, dans le cadre de procédures nationales similaires »28.
Le Règlement assimile donc les Procureurs européens délégués, agissant au nom du Parquet européen, aux magistrats des Parquets des Etats membres et les investit, en principe, des mêmes pouvoirs que ces derniers. Cette assimilation et cette investiture s’appliquent, sur base des principes rappelés ci-avant, de façon directe. Elles ne sont donc pas, dans leur principe, subordonnées à des mesures de mise en application.
Le Conseil d’Etat rappela ce point dans son avis sur le projet de loi ayant donné lieu à la loi précitée du 22 juillet 2022 :
« Le Conseil d’État rappelle que le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, ci-après le « règlement (UE) 2017/1939 », constitue un acte obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable. L’adoption de mesures nationales ne se 25 Voir, à titre d’illustration, les arrêts précités Poplawski, point 55, et Asociatia « Forumul Judecatorilor Din Romana » e.a, point 246.
26 Voir, à ce sujet, à titre d’illustration : l’arrêt précité Poplawski, point 58 ; idem, Grande chambre, 14 mai 2020, Orszagos Idegenrendeszeti, C-924/19 PPU et C-925/19 PPU, ECLI:EU:C:2020:367, point 139 ; et les arrêts précités La Quadrature du Net, point 215, et Asociatia « Forumul Judecatorilor Din Romana » e.a, point 247.
27 Idem, 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, ECLI:EU:C:1978:49, point 21, et, à titre d’illustration, les arrêts précités, Poplawski, points 58 et 64 ; Orszagos Idegenrendeszeti, point 139 ; La Quadrature du Net, point 215 ;
et Asociatia « Forumul Judecatorilor Din Romana » e.a, point 247.
28 C’est nous qui soulignons.
16 justifie que dans la mesure où le règlement renvoie au droit national ou requiert des dispositifs nationaux indispensables pour son application. »29.
Il ajouta que :
« Il est vrai que le dispositif européen confronte les États qui, comme le Luxembourg, connaissent l’institution du juge d’instruction, à des difficultés majeures en ce sens que l’organisation des compétences exercées par le Parquet européen doit s’articuler avec celles de ce juge, surtout sous l’aspect de sa fonction de juge des libertés. Le règlement (UE) 2017/1939 ne tient pas compte des difficultés particulières auxquelles donne lieu son application dans un système qui connaît l’institution du juge d’instruction. Une sauvegarde des prérogatives du juge d’instruction ne peut toutefois pas aller à l’encontre des pouvoirs que le Parquet européen tient au titre du règlement (UE) 2017/1939. »30.
Les pouvoirs accordés par le Règlement au Parquet européen sont, en effet, difficilement conciliables avec une procédure de l’instruction préparatoire dirigée par un juge d’instruction et soustraite à la direction du Parquet européen. Aux fins de clarifier cette incertitude, le législateur adopta, par la loi du 22 juillet 2022, une loi de mise en œuvre du Règlement précisant que la procédure de l’instruction préparatoire n’est pas applicable lorsque ce Parquet exerce ses compétences. Dans un souci complémentaire de sécurité juridique, il prit l’option de définir en détail des règles de procédure spécifiques applicables à ce Parquet en droit interne.
Cette loi n’a cependant été adoptée que le 22 juillet 2022 et n’est entrée en vigueur que le 9 août 2022 tandis que le Parquet européen a commencé à exercer ses compétences dès le 1er juin 2021.
Le cas d’espèce concerne cette période intermédiaire, au cours de laquelle le Parquet européen était tenu d’exercer ses compétences, mais ne pouvait le faire à Luxembourg que sur base du seul Règlement, à défaut de législation de mise en adaptation de la procédure pénale. Comme précisé ci-avant, ce défaut n’empêchait pas le Règlement d’être directement applicable et ne dispensait pas les juridictions d’appliquer le Règlement, d’interpréter le droit national de façon conforme à ce dernier et, en cas d’incompatibilité ne pouvant être résolue par une interprétation conforme, d’écarter les dispositions nationales qui lui étaient contraires.
C’est dans ces circonstances que le Parquet européen, qui était saisi d’un dossier qui impliquait l’exécution à Luxembourg d’une perquisition et d’une saisie, s’adressa au juge d’instruction en requérant de ce dernier d’ordonner une perquisition et saisie sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale. Cet article autorise en droit interne le Parquet de requérir du juge d’instruction d’ordonner l’exécution d’un acte coercitif, tel qu’une perquisition et une saisie, en dehors de toute instruction préparatoire. Le rôle du juge d’instruction se limite, sur le modèle du juge des libertés et de la détention du droit français ou de l’« Amtsrichter » allemand, d’apprécier s’il y a lieu d’ordonner cet acte, sans être par ailleurs saisi du dossier dans son ensemble. Du point de vue procédural, ce réquisitoire et la « mini-instruction » qui en suit, comportant l’ordonnance et l’exécution de l’acte requis, ont lieu dans le cadre de ce qui constitue, dans la terminologie du Code de procédure pénale, l’enquête, qui est exercée par le 29 Avis du Conseil d’Etat, du 27 avril 2021, sur le projet de loi n° 7759 (Document parlementaire n° 7759-5), page 1, sous « Considérations générales », premier alinéa.
30 Idem, même page, deuxième alinéa.
17 Parquet et qui a pour objet de rechercher des infractions31, phase procédurale précédant la poursuite des infractions32, donc l’action publique33, et précédant l’instruction préparatoire, dirigée par le juge d’instruction.
Comme le Règlement investit, dans son article 13, paragraphe 1, alinéa 1, le Procureur européen délégué, agissant au sein des Etats membres au nom et pour le compte du Parquet européen, « des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes » 34, que le Règlement est d’application directe, qu’il oblige tout juge d’interpréter le droit national de façon conforme au Règlement et, en cas de besoin, de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au Règlement, le Procureur européen délégué saisissait à bon droit le juge d’instruction sur base de l’article 24-1 du Code de procédure pénale aux fins de requérir l’ordonnance et l’exécution d’une perquisition et saisie.
Le juge d’instruction déclara le réquisitoire irrecevable au motif que l’article 24-1 serait « totalement incompatible avec l’esprit » du Règlement, alors que cet article, tout en autorisant le Parquet à saisir le juge d’instruction d’un réquisitoire aux fins d’ordonner, en dehors de toute instruction préparatoire, certains actes coercitifs, confère pouvoir au juge d’instruction de décider « s’il exécute uniquement l’acte d’instruction requis et renvoie le dossier ou si, au contraire, il continue lui-même l’instruction [auquel cas il doit] immédiatement demander par écrit un réquisitoire de saisine in rem au procureur d’Etat […], réquisitoire que le procureur d’Etat doit lui adresser sur-le-champ »35.
Sur appels du Parquet européen et du Procureur général d’Etat, la Chambre du conseil de la Cour d’appel confirma, dans l’arrêt attaqué, l’ordonnance entreprise. Elle motiva cette décision au motif que le Parquet européen « ne peut, à défaut de texte spécial, disposer de plus de pouvoirs que le Parquet national en scindant une procédure nationale […] »36.
Le juge d’instruction et la Chambre du conseil de la Cour d’appel refusèrent donc, en substance, de recevoir le réquisitoire du Parquet européen au motif que l’article 24-1 autorise le juge d’instruction à ne pas se limiter à exécuter l’acte d’instruction déterminée dont il a été saisi, mais à exiger de se voir saisir d’un réquisitoire d’ouverture d’instruction préparatoire.
La loi confère à cet égard au juge d’instruction une simple faculté. Les juges du fond soulignèrent à juste titre que l’exercice de cette faculté dans le cadre d’un réquisitoire fondée sur l’article 24-1 émanant du Parquet européen ne serait pas compatible avec le Règlement.
Cette incompatibilité n’existe cependant que pour autant que le juge d’instruction déciderait de faire usage de cette faculté. Il suffit donc, pour respecter le Règlement, que le juge d’instruction s’abstienne à envisager un tel usage. Or, pour respecter la primauté du Règlement sur le droit national, le juge d’instruction et la Chambre du conseil étaient obligés d’interpréter ce droit de façon conforme au Règlement et, en cas de besoin, de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au Règlement. Le droit de l’Union européenne aurait donc obligé d’interpréter l’article 24-1 comme excluant la possibilité pour le juge d’instruction de faire 31 L’article 24, paragraphe 1, du Code de procédure pénale dispose que « [l]e procureur d’Etat procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche […] des infractions à la loi pénale ».
32 L’article 24, paragraphe 1, précité dispose à ce sujet que « [l]e procureur d’Etat procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires […] à la poursuite des infractions à la loi pénale ».
33 L’action publique pour l’application des peines, visée par l’article 1er du Code de procédure pénale.
34 Le Règlement dispose, dans son article 4, seconde phrase, relatif aux missions du Parquet européen, que ce dernier « diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique ».
35 Article 24-1, paragraphe 2, du Code de procédure pénale.
36 Arrêt attaqué, page 4, deuxième alinéa.
18 usage de la faculté d’exiger l’ouverture d’une instruction préparatoire, sinon de laisser cette disposition inappliquée.
Il n’y avait donc aucune difficulté de concilier l’article 24-1 avec les exigences du Règlement.
C’est donc à juste titre que le Parquet européen critique de ce point de vue le raisonnement de l’arrêt attaqué, qui est contradictoire, ainsi qu’il l’expose dans le premier moyen de cassation, et qui méconnaît la portée exacte de l’article 24-137, ainsi qu’il l’expose dans la première branche du second moyen, et le principe de primauté du droit de l’Union européenne, prévu, s’agissant des Règlements, par l’article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi qu’il le développe dans la seconde branche du second moyen de cassation.
Les moyens sont fondés pour les motifs exposés dans le mémoire.
Si vous avez de ce point de vue des doutes, il y a lieu, avant de rejeter le pourvoi, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles proposées dans le cadre de la seconde branche du second moyen38.
Conclusion :
Le Procureur général d’Etat a qualité pour conclure.
Le pourvoi est recevable.
Si vous avez des doutes sur la qualité pour agir du Parquet européen, il y a lieu, avant de déclarer le pourvoi irrecevable pour ce motif, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle y relative proposée dans le mémoire en cassation.
Le pourvoi est également fondé.
Si vous avez des doutes, il y a lieu, avant de rejeter le pourvoi, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles proposées dans le cadre de la seconde branche du second moyen.
Pour le Procureur général d’Etat Le Procureur général d’Etat adjoint MAGISTRAT2.) 37 Les motifs critiques sont ceux par lesquels la Chambre du conseil a considéré, à tort, que la procédure de l’article 24-1 du Code de procédure pénale est réservée aux « « petites » affaires ou affaires « simples » » (arrêt attaqué, page 3, avant-dernier alinéa).
38 Mémoire en cassation, page 12, reprise au dispositif du mémoire, pages 18-19.